Secteur public : début d’un mouvement de grève contre le gouvernement Legault
Plus d’un an après l’échéance de leurs conventions collectives, les 550 000 travailleurs du secteur public québécois poursuivent leur lutte légitime pour arracher des concessions au gouvernement Legault afin d’obtenir de meilleurs salaires et d’améliorer leurs conditions de travail déplorables. Dernièrement, la tension entre les syndiqués et l’exécutif gouvernemental a monté d’un cran avec des menaces de grève sérieuses émises par plusieurs organisations syndicales importantes (notamment par la CSN, organisation représentant le plus important contingent de travailleurs du secteur public) ainsi qu’avec le coup de semonce envoyé le mercredi 14 avril dernier par les 73 000 enseignants du primaire et du secondaire représentés par la FSE-CSQ qui ont débrayé pendant quelques heures, forçant plusieurs fermetures d’écoles dans la province.
Depuis le début des négociations, le comité exécutif de la bourgeoisie se montre intraitable avec les employés de l’État québécois, rappelant qu’il n’est pas question pour les capitalistes au pouvoir de dépenser plus que le minimum requis pour empêcher l’effondrement total des services publics nécessaires à l’entretien et à la reproduction de la classe ouvrière. Cela était clair dès le dépôt de la première offre gouvernementale en décembre 2019. Le Conseil du trésor avait alors proposé aux salariés de l’État québécois des augmentations de salaire inférieures à la hausse anticipée du coût de la vie, impliquant donc leur appauvrissement continu pendant les années à venir, et ce, au moment où un rattrapage salarial s’imposait (en effet, selon l’Institut de la statistique du Québec, la rémunération globale des employés de l’État québécois, incluant le salaire, le régime de retraite et les avantages sociaux, accusait alors un retard de 6,2 % par rapport à l’ensemble des salariés de la province). Depuis, le gouvernement a déposé deux autres offres reprenant essentiellement les mêmes éléments que la première, à quelques nuances près. La dernière de ces offres, déposée le 31 mars dernier par la présidente du Conseil du trésor Sonia LeBel – et qualifiée à juste titre de « désolant exercice de relations publiques de la CAQ » par la CSN –, ne permet toujours pas d’envisager de réelle amélioration pour les travailleurs du secteur public, et ce, malgré les quelques bonifications mineures qu’elle comporte – notamment l’ajout de montants forfaitaires éphémères – servant à donner l’impression que le gouvernement fait maintenant preuve de générosité.
En effet, les paramètres salariaux restent identiques à l’offre précédente rejetée par la CSN en mai 2020, soit 5% d’augmentation sur trois ans (1,75 % en 2020, 1,75 % en 2021 et 1,5 % en 2022). Si ces paramètres n’impliquent plus nécessairement l’appauvrissement des travailleurs comme c’était le cas avec la première offre (puisque l’inflation prévue par le gouvernement se situe désormais à 4,87% sur trois ans, soit juste en dessous des 5% d’augmentation offerts), ils ne laissent envisager aucun enrichissement substantiel et sont loin d’être à la hauteur du rattrapage salarial réclamé avec raison par les travailleurs. Il faut d’ailleurs noter à ce propos que bien que l’augmentation prévue du coût de la vie ait diminué depuis le début des négociations, le retard salarial des employés de l’État québécois par rapport aux autres salariés de la province, lui, est encore plus grand qu’au moment du dépôt de la première offre gouvernementale (il serait désormais de 9,2% selon le dernier rapport de l’Institut de la statistique du Québec, soit une augmentation de 3% par rapport à ce qui avait été constaté en 2019). Par ailleurs, même si la dernière offre ne signifie plus forcément une diminution du salaire réel des travailleurs, elle n’offre toujours aucune garantie que les travailleurs ne s’appauvriront pas d’ici la fin de la nouvelle convention collective (ce qui serait tout de même la moindre des choses!). En effet, le « mécanisme de protection du pouvoir d’achat » contenu dans la dernière offre – nouvel élément présenté faussement comme un gain important par le gouvernement – prévoit jusqu’à 1% d’augmentation salariale si jamais l’inflation dépasse 5%. Or, s’il s’avérait que l’inflation dépasse 6% sur trois ans (ce qui était initialement prévu par le gouvernement avant le début de la pandémie), les employés de l’État verraient tout de même leurs revenus réels diminuer pendant la durée de leur convention collective. Pire encore, ce mécanisme sera mis en œuvre uniquement si la croissance économique prévue par le gouvernement se concrétise!
Alors que les journalistes, les chroniqueurs et les idéologues réactionnaires continueront à clamer que « tout le monde doit faire des efforts » en cette période de crise et à répéter que ce n’est pas le moment pour les employés de l’État de revendiquer des hausses salariales alors que les finances publiques sont en difficulté, il est important de mentionner que les grands bourgeois, eux, ne semblent pas soumis aux mêmes impératifs. Par exemple, selon un récent rapport du Centre canadien des politiques alternatives (CCPA) basé sur les données du magazine Forbes, les milliardaires canadiens (parmi lesquels figurent plusieurs québécois comme Alain Bouchard, Jean Coutu, Guy Laliberté ou Emanuele Saputo) ont vu leur fortune combinée s’accroître de près de 78 milliards de dollars (pour atteindre la somme vertigineuse de 270 milliards de dollars, soit une augmentation de plus de 40%) en pleine pandémie entre mars 2020 et avril 2021, et ce, alors que la classe laborieuse canadienne encaissait le choc causé par la crise avec 5,5 millions de travailleurs ayant perdu leur emploi ou ayant vu la majorité de leurs heures de travail coupées à un moment durant l’année (des conséquences qui pourraient durer longtemps considérant qu’il y avait près de 300 000 personnes à l’emploi en moins en mars 2021 par rapport à février 2020 selon les dernières données de Statistique Canada).
S’il est vrai que les employés des services publics n’ont pas été affectés comme les travailleurs du secteur privé par les pertes d’emploi et de revenus, ils ont néanmoins été obligés de travailler sous une pression inhumaine et dans des conditions hautement dangereuses pour leur santé afin d’empêcher la société de s’effondrer, et ce, en échange d’une infime partie seulement des sommes d’argent encaissées durant l’année par les grands bourgeois complètement inutiles se trouvant au sommet de la pyramide sociale. Rappelons que le premier ministre québécois François Legault, dont le gouvernement refuse présentement d’accorder les augmentations salariales modestes réclamées par les employés de l’État québécois, est lui-même un multi-millionnaire ayant fait fortune chez Air Transat et se vantant d’être devenu « indépendant financièrement » à 39 ans (âge auquel il a cessé d’être un capitaliste « actif » après s’être assuré de demeurer riche pour le restant de ses jours sans avoir à faire quoi que ce soit). Sa luxueuse maison à Outremont vient d’ailleurs d’être mise en vente pour la modique somme de 5 millions de dollars – une insulte pour les syndiqués du secteur public qui se butent, au même moment, au refus obstiné du gouvernement de satisfaire leurs revendications salariales justes et légitimes.
Profitant de richesses somptueuses sans avoir à remplir la moindre fonction utile et sans avoir à effectuer la moindre tâche difficile, la bourgeoisie n’a que faire des conditions de vie et de travail des centaines de milliers de prolétaires qui allouent des soins, assurent l’entretien et le fonctionnement des infrastructures, prennent en charge les enfants des travailleurs et enseignent aux futurs ouvriers. En autant que ces tâches soient exécutées et que la société bourgeoise ne s’écroule pas, les conditions concrètes dans lesquelles elles s’effectuent n’intéressent pas les capitalistes ni les politiciens placés au pouvoir pour gérer leurs affaires communes. D’ailleurs, la seule chose qui intéresse l’exécutif gouvernemental québécois en ce moment, c’est de contrôler les dépenses de l’État bourgeois pour les années à venir dans un contexte où des sommes d’argent imposantes ont dû être déployées pour assurer la survie du capitalisme face à la crise sanitaire (faisant passer le déficit de la province à 15 milliards de dollars en 2020-2021). Pour le comité exécutif de la bourgeoisie, il est impératif de préparer progressivement l’atteinte de l’équilibre budgétaire en 2027-2028 (même si l’échéance initialement prévue a été repoussée de deux ans), et ce, afin de satisfaire l’oligarchie financière qui prête son argent à l’État et afin de protéger la position de la bourgeoisie québécoise sur le marché mondial.
Contrairement à ce que le gouvernement ne cesse de répéter, son objectif dans les négociations actuelles n’est pas de « respecter la capacité de payer des québécois », mais bien de respecter le refus de payer de la bourgeoisie. Les prolétaires, qui constituent la majorité de la population québécoise et qui ne font pas partie des véritables créanciers de l’État bourgeois, n’ont aucunement intérêt au transfert de richesses servant à payer les capitalistes privés auprès desquels les gouvernements s’endettent. Surtout, ils n’ont aucunement intérêt à appuyer la politique de classe de la bourgeoisie visant à limiter au strict minimum le financement des services publics sous prétexte qu’il n’y aurait pas assez de ressources disponibles, alors qu’en vérité les ressources existent et sont tout simplement dirigées vers le capital. Malgré ce que la propagande gouvernementale cherche à faire croire, les intérêts des travailleurs employés par l’État bourgeois ne s’opposent pas à ceux des autres prolétaires, lesquels bénéficient des services publics et profiteraient aussi de l’amélioration des conditions de travail de ceux qui les allouent.
Il faut comprendre que c’est la classe prolétarienne majoritaire qui, en travaillant, crée toute la valeur existant dans la société. Les prolétaires produisent non seulement la valeur capturée sous forme d’impôts et de taxes par les gouvernements, mais aussi celle concentrée entre les mains des financiers qui font des prêts – avec intérêts – à l’État bourgeois! Et en vérité, la valeur totale créée par la classe prolétarienne serait assez grande pour financer des services collectifs de haute qualité sans faire perdre le moindre revenu aux prolétaires. Or, une grande partie de la valeur totale produite par la classe ouvrière est présentement dilapidée par la classe capitaliste, qui l’utilise non seulement pour financer son train de vie luxueux et excessif, mais également pour faire exister toutes sortes d’opérations mercantiles parasitaires et socialement inutiles. Une partie de cet énorme gaspillage de richesses est également effectué par l’État bourgeois lui-même, dont les ressources sont utilisées non seulement pour financer des services publics minimaux, mais également pour assurer le maintien d’une bureaucratie excédentaire, pour faire fonctionner son appareil répressif et militaire, pour subventionner directement et indirectement les grandes entreprises, pour payer les salaires exorbitants de ses ministres et de ses hauts fonctionnaires, etc. Bref, c’est la bourgeoisie qui dépense trop et qui endette l’État. Pourtant, ce sont les travailleurs qui doivent payer la facture!
En conséquence de la politique de classe de la bourgeoisie, les réseaux de la santé et de l’éducation au Québec se trouvent dans un état lamentable et continuent de se dégrader d’année en année. Les salariés y œuvrant doivent travailler dans des conditions de plus en plus difficiles en échange de salaires insuffisants et en stagnation. Le réseau de la santé est aux prises avec un manque criant de ressources et de personnel. Les hôpitaux sont engorgés et les installations sont vétustes et se détériorent. Le même genre de problèmes se rencontrent également dans le réseau de l’éducation publique : les classes débordent, les murs craquent, les locaux sont mal aérés (un problème particulièrement grave en temps de pandémie), les écoles sont aux prises avec d’importants problèmes de moisissure, les élèves manquent de services et les enseignants doivent accomplir une quantité excessive de tâches en échange d’un salaire déplorable. Et comme si ce n’était pas suffisant, à ces problèmes se sont ajoutées, il y a un peu plus d’un an, les conséquences de la pandémie de Covid-19 et de sa gestion criminelle par les autorités bourgeoises, lesquelles ont contribué à augmenter l’intensité de l’exploitation des travailleurs et les ont forcés à exercer leurs fonctions dans des conditions extrêmement dangereuses pour leur santé.
C’est dans la poursuite de la même politique de classe réactionnaire ayant pour effet d’aggraver les conditions de vie du prolétariat et de maintenir les services publics dans une situation désastreuse que le gouvernement Legault, depuis le dépôt des premières offres du Conseil du trésor en décembre 2019, s’entête à vouloir imposer des conditions de travail minables aux employés de l’État québécois et refuse catégoriquement d’entendre les revendications des syndicats. Mais les travailleurs refusent de plier. Depuis le début des négociations, malgré toute la pression induite par la crise sanitaire et malgré les attaques du camp patronal, ils se tiennent debout et demeurent déterminés à lutter pour obtenir des gains. Le 6 avril, l’alliance APTS-FIQ, qui compte 131 000 membres dont près de 76 000 infirmières, infirmières auxiliaires, inhalothérapeutes et perfusionnistes cliniques, a annoncé son rejet « sans équivoque » de la troisième offre déposée le 31 mars par le Conseil du trésor. Le 14 avril, c’était au tour de la FSSS-CSN, qui représente 100 000 travailleurs de la santé et des services sociaux, d’annoncer son rejet « sans ambiguïté » des dernières offres gouvernementales. Fait plus significatif encore, le 7 avril, la CSN, qui représente au total plus de 160 000 travailleurs dans les secteurs de la santé et de l’éducation ainsi que dans les organismes gouvernementaux, a annoncé que l’ensemble de ses syndicats du secteur public allaient, d’ici le 10 mai, se prononcer sur des mandats de grève dont les modalités seront définies par ses fédérations affiliées. Tandis que certaines fédérations de la CSN consulteront leurs membres sur un mandat de grève de cinq jours, la FSSS-CSN sollicitera un mandat pour un nombre de jours illimité de débrayage. Du côté des enseignants du primaire et du secondaire, les neufs syndicats affiliés à la FAE ont déjà voté à 79% en faveur d’une grève générale illimitée à exercer à compter du 31 mai 2021 « si aucune avancée significative n’est constatée aux tables de négociation ». Les 73 000 enseignants représentés par la FSE-CSQ, quant à eux, détiennent depuis un moment un mandat de grève allant jusqu’à l’équivalent de cinq jours. Ils ont déjà débrayé pendant quelques heures le 14 avril et ont annoncé la tenue d’une deuxième action de grève qui aura lieu le mardi 27 avril.
L’ensemble de la classe travailleuse québécoise doit se ranger derrière les syndiqués du secteur public et doit appuyer fermement leur mouvement de grève en développement. Les communistes soutiennent activement les luttes en cours : ils seront présents sur les éventuelles lignes de piquetage et participeront aux diverses manifestations appelées par les syndicats dans les prochaines semaines et les prochains mois en lien avec le combat des employés de l’État contre le gouvernement capitaliste. Tout en appuyant et en faisant connaître les revendications des travailleurs, ils défendront la perspective de reconstruire le mouvement de lutte politique du prolétariat visant à renverser la domination de la classe bourgeoise, à lui arracher toutes les richesses qu’elle concentre entre ses mains et à instaurer une économie planifiée en fonction des besoins de masses populaires. Dans la future société dirigée par la classe travailleuse, la mise en place de services collectifs – notamment médicaux et éducatifs – de haute qualité sera rendue possible par le contrôle prolétarien de la valeur produite par la classe ouvrière. Lutter pour des services publics universels vraiment adéquats et répondant de manière complète aux besoins du peuple, c’est combattre pour le socialisme!