COVID-19 : Retour sur la grève massive des travailleurs de la santé en Alberta
Le 26 octobre dernier, un collectif composé d’une centaine de travailleurs du réseau de la santé albertain a entamé une grève spontanée d’une ampleur inégalée dans les dernières années. Rapidement, le mouvement s’est développé à l’échelle de toute la province albertaine et a entraîné des milliers de travailleurs dans l’action. C’est l’annonce, par le Parti conservateur uni et son chef Jason Kenney, d’une coupe de 11 000 postes dans le réseau qui a déclenché la grogne populaire. Cette attaque ignoble contre les travailleurs, déjà aux abois en temps de pandémie, méritait une réplique costaude, d’autant plus que l’épidémie en Alberta fait des ravages : la province a pris la tête des taux d’infection canadiens avec une moyenne récente de 1 700 nouveaux cas par jour pour une population ne comptant que 4,37 millions d’habitants. Le caractère illégal de cette grève (selon les lois actuelles entourant le droit de grève) en fait une action des plus courageuses : ceux qui y ont pris part se sont exposés à des sanctions disciplinaires importantes. Plus encore, cette grève se portait non seulement à la défense des intérêts particuliers des travailleurs de la santé, mais aussi, bien évidemment, aux intérêts généraux des travailleurs : la protection et le maintien du réseau de la santé est une revendication de l’ensemble des masses laborieuses au Canada. Ces dernières se sont d’ailleurs rangées derrière les grévistes.
Cette grève demeurera un fait marquant de l’histoire récente des luttes sociales, économiques et ouvrières canadiennes, comme l’ont d’ailleurs été la grève des débardeurs à Montréal l’été dernier et celle du CN à l’automne 2019, chacune ayant ébranlé à sa manière l’économie et la reproduction du capitalisme canadien. L’action des travailleurs de la santé de l’Alberta en est une de résistance à la relance économique à l’origine de la deuxième vague de cas de COVID-19. Au Québec, des actions remarquables ont également été menées, notamment celles des infirmières alors qu’elles négociaient leur convention collective depuis le début de la pandémie (blocages de ponts, sit-in, manifestations, occupations, etc.). Plus largement, tout le secteur public québécois en négociation a fait preuve de détermination et d’un instinct de lutte remarquable. Et leurs actions ont récolté l’appui majoritaire du prolétariat!
Un refus d’aller travailler qui se répand partout dans la province
La grève a débuté lorsque 175 employés de l’hôpital Royal Alexandra ont refusé de rentrer au travail le 26 octobre dernier pour le quart de travail matinal. La grève spontanée s’est rapidement répandue un peu partout dans le réseau de la santé albertain (51 hôpitaux et centres de santé), tous les travailleurs étant en colère devant les injustes coupures de postes et devant la mauvaise gestion capitaliste de la crise. Les grévistes ont aussi pu compter sur le soutien de centaines d’appuis en dehors du réseau de la santé. D’autres travailleurs et leurs familles sont venus se joindre aux nombreux rassemblements déployés partout à travers la province, en bordures des lieux de travail. La réalisation d’une telle action reposait sur les liens solides entre les travailleurs réunis dans le syndicat des employés du secteur public d’Alberta (l’AUPE) comptant 90 000 membres dont 58 000 dans le réseau de la santé. Bien que l’AUPE n’ait pas organisé la grève spontanée, c’est grâce aux bases organisationnelles du syndicat qu’une telle action a pu se déployer. La direction du syndicat, en bonne tacticienne, est même parvenue, malgré le cadre illégal de la grève, à défendre l’action sans se compromettre légalement et juridiquement. « À travers la province, les travailleurs se lèvent contre Jason Kenney et ses politiques désastreuses envers l’emploi. Les salariés et les travailleurs se joignent au combat par solidarité. Le refus de travailler et le mouvement de grève spontané a été une décision prise par les membres eux-mêmes. L’AUPE est un syndicat démocratique et respecte les décisions de ses membres » a indiqué Guy Smith, président de l’AUPE. Il a aussi précisé que « [l]e départ des lieux de travail n’a pas été autorisé par le syndicat, mais [que] le syndicat supporte le droit de ses membres à la grève » et il a ajouté : « Nous croyons que les travailleurs ont le droit de faire la grève à n’importe quel moment afin de défendre leur travail et les services publics de la province. Les autorités des services de santé albertains peuvent voir la chose différemment, mais nous affronterons la chose en temps et lieu. » Alors que le syndicat s’exposait à des amendes pouvant atteindre des dizaines, voire des centaines de milliers de dollars, une défense aussi limpide était habile et audacieuse.
Le projet de privatisation et la réponse des capitalistes à la grève spontanée
Au début du mois d’octobre, le ministre de la santé albertain, Tyler Shandro, annonçait qu’il s’apprêtait à couper 11 000 postes dans les soins, le personnel de soutien, les cuisines, les buanderies et l’entretien des établissements de santé. Derrière la destruction du réseau de la santé albertain en pleine pandémie meurtrière se trouve l’objectif de sauver 600 millions de dollars pour équilibrer le budget de l’Alberta. Au final, dans les dernières semaines, 9 700 emplois ont été privatisés et 800 emplois sont été complètement éliminés. À moyen terme, il faudra s’attendre à plus de coupures de personnel et par conséquent, à une augmentation de la surcharge de travail, sans compter les réductions salariales.
Le Conseil d’administration du travail albertain (l’équivalent du Tribunal administratif du travail québécois) a décrété, le 26 octobre, que la grève était illégale et a sommé les grévistes de retourner au travail sous peine de sanctions, car toutes grèves en dehors de la période de négociation de la convention collective est jugée ainsi. En 1999, au Québec, 47 500 infirmières avaient défié une loi spéciale en poursuivant leur grève pendant 23 jours, s’exposant à 125 000 dollars d’amende par jour de piquetage et à des pertes de salaire s’élevant à 14 millions de dollars. Dix ans plus tôt, un scénario similaire s’était produit alors que les 40 000 infirmières québécoises de la FIIQ ont maintenu un ordre de grève illégale pendant 17 jours. En ce qui a trait au 26 septembre dernier en Alberta, il ne faut pas voir une défaite dans le fait que la grève n’ait pas duré plus qu’une journée. Le maintien d’un tel arrêt de travail, dans les conditions actuelles et selon les rapports de force présents, était impossible. L’action, même si spontanée, a été tactiquement remarquable et a donné à la classe des travailleurs dans son ensemble la volonté de poursuivre le combat dans les mois difficiles à venir.
Une lutte à soutenir et à suivre
La grève spontanée du 26 septembre dernier était symptomatique de la relance économique criminelle à l’origine de la deuxième vague de l’épidémie ainsi que de la gestion de crise désastreuse par les capitalistes. Ces mêmes contradictions sont à l’origine des actions de résistance quotidiennes, syndicales et ouvrières qui surviennent un peu partout au Canada. Dans le cas des travailleurs du réseau de la santé en Alberta, le conflit a éclaté de manière particulièrement explosive, proportionnellement à l’ampleur de l’offensive menée contre les travailleurs par le gouvernement provincial. De nos jours, ceux qui prônent le démantèlement d’un des services les plus fondamentaux de la société sont des ennemis du peuple. Plus encore, le projet rétrograde du gouvernement albertain n’est pas achevé. Il faut s’attendre à ce que le prolétariat de la province se serre les coudes devant des attaques répétées à venir. D’ailleurs, partout dans le monde, alors que la pandémie fait rage et que les capitalistes sacrifient des vies par milliers pour limiter les dépenses et accroître leur profit, les travailleurs s’organisent et ripostent. Les luttes auxquelles ils prennent part sont une école formidable de la lutte des classes. Plus que jamais, ils découvrent leur volonté commune d’en finir avec les injustices au fondement de la société et de l’économie capitaliste.