COVID-19 : Pas de trêve économique malgré les milliers de morts qui s’accumulent
Malgré l’arrivée tant attendue du vaccin contre la COVID-19 – un événement majeur laissant entrevoir la fin de la crise sanitaire mondiale –, la contamination massive des populations va encore se poursuivre pendant un long moment. En effet, même dans les pays impérialistes comme le Canada ayant monopolisé les premières doses disponibles, il faudra encore plusieurs mois avant que le vaccin ne soit rendu disponible à la majorité de la population. Par conséquent, le refus des classes dominantes de permettre aux masses travailleuses de se confiner et de se protéger réellement du virus continuera d’avoir des effets dévastateurs et meurtriers sur les populations.
En effet, pour ne pas nuire aux profits capitalistes, les différents gouvernements se contentent de mettre en place des mesures minimales qui sont tout à fait insuffisantes pour empêcher le virus de se propager de manière exponentielle. Leur seul objectif est de tenir le coup jusqu’à ce qu’une fraction suffisamment importante de la population ne soit vaccinée, c’est-à-dire de limiter le plus possible les dégâts sans nuire à la production de plus-value et à l’accumulation de capital, d’assurer le maintien de l’ordre en dépit de la colère grandissante des masses et surtout, d’empêcher le développement d’une crise politique de grande ampleur jusqu’au dénouement de la crise sanitaire. Entretemps, les cadavres vont continuer de s’empiler – sans parler des masses de prolétaires qui resteront avec des séquelles importantes dues aux effets destructeurs du SARS-CoV-2 sur le corps humain. Déjà, le coronavirus a officiellement infecté plus de 76,5 millions de personnes et en a tué près de 1,7 million dans le monde. Et le bilan va continuer de s’alourdir considérablement dans la prochaine année. Mais tout cela importe peu aux représentants politiques des classes dominantes impérialistes puisque leur seule fonction est d’assurer le maintien de la société bourgeoise et la continuation de l’accumulation capitaliste dans leur pays respectif. Contrairement à ce que ces politiciens bourgeois prétendent, ils ne sont pas là pour protéger la population, mais pour protéger le capital de leur nation.
Comme prévu, les gouvernements refusent de revenir au confinement général pour préserver la production de plus-value
Depuis que les États impérialistes ont obligé leurs populations à se déconfiner et à retourner au travail au printemps dernier – au terme d’une « pause économique » commune de quelques semaines ayant permis de freiner un peu partout la première vague de contamination –, ils laissent le virus se répandre dans les masses en se contentant de miser sur les mesures de protection individuelles et sur l’expérience acquise des prolétaires pour ralentir l’épidémie. Or, dans les conditions actuelles, ce laisser-faire presque complet ne pouvait pas mener à autre chose qu’à une deuxième vague de contamination monstrueuse. Parmi les pays impérialistes d’Europe et d’Amérique du Nord, les États-Unis ont été le premier pays à être frappé de plein fouet par cette deuxième vague l’été dernier. Puis, cet automne, la deuxième vague a déferlé sur toute l’Europe (France, Belgique, Espagne, Italie, Royaume-Uni, Allemagne, Suède, etc.) ainsi que sur le Canada. Face à la recrudescence de l’épidémie, les gouvernements ont été forcés de remettre en place un certain nombre de restrictions et de fermetures. Aux États-Unis, par exemple, les États les plus sévèrement touchés comme la Floride ou la Californie ont refermé certains établissements comme les restaurants et les bars pendant l’été. Des mesures similaires ont été adoptées dans les mois qui ont suivi en Europe et au Canada.
Puis, devant la gravité extrême de la situation, certains gouvernements se sont résolus à mettre en place des mesures plus sévères. Cela a amené les journalistes et les commentateurs dans les médias à dire qu’on assistait à un « reconfinement » ou encore à une nouvelle « pause économique ». Mais en abusant de ces expressions, ils n’ont fait que semer la confusion dans la tête des gens. Car ce à quoi l’on assiste maintenant un peu partout n’est pas du tout comparable à ce qui s’était produit aux mois de mars et avril dernier, lorsque la concurrence entre les États impérialistes avait amené les dirigeants de ces derniers à décréter une trêve économique commune permettant pendant quelques semaines à tous les travailleurs non essentiels de se confiner. En effet, désormais, les gouvernements rejettent – souvent explicitement – l’option d’interrompre l’ensemble des secteurs non essentiels de l’économie. Ils rejettent aussi, par conséquent, l’option d’une fermeture prolongée des écoles et des services de garde puisque les enfants des prolétaires doivent bien être pris en charge pendant que leurs parents sont au travail, et ce, même s’il est clair que les écoles constituent des moteurs épidémiques majeurs.
Si, au début du printemps dernier, la concurrence internationale avait amené les États impérialistes à conclure une entente tacite pour interrompre temporairement une grande partie de leur production nationale, cette entente est morte et enterrée depuis longtemps. En effet, cette trêve économique était le produit de conditions bien précises : l’urgence commune pour les gouvernements, après des semaines d’attentisme, de mettre en place des mesures draconiennes pour ne pas qu’il y ait trop de malades et de morts d’un seul coup; des États bénéficiant d’un gain commun dans la concurrence mondiale résultant de ces semaines de laisser-aller ayant précédé la trêve; des pays n’ayant pas encore subi les conséquences économiques du confinement et ne subissant pas encore pleinement la pression de la relance chinoise; le fait que l’épidémie était à un niveau de développement relativement égal dans les pays concernés; la nouveauté de la pandémie et l’inexpérience de la population, etc. À présent, ces conditions ne sont plus en place. Par conséquent, les États impérialistes ont conclu une nouvelle entente tacite : ils s’entendent désormais pour laisser le virus se répandre parmi leur population respective – même au prix d’une quantité de morts beaucoup plus élevée que lors de la première vague – et pour en subir les conséquences chacun de leur côté jusqu’à ce que la vaccination massive de la population ne soit complétée. La concurrence conduit maintenant les puissances impérialistes à vouloir prendre les devants dans la relance économique pour se repositionner avantageusement sur le marché mondial en profitant des faiblesses de leurs adversaires.
Évidemment, la propagation du virus prend de l’ampleur – bien que d’une manière désormais inégale et désynchronisée d’un pays à l’autre – et exerce une pression énorme sur les systèmes de santé. Par conséquent, les gouvernements ne peuvent pas rester complètement les bras croisés. Lorsque la situation sanitaire dans leur pays atteint un certain niveau de gravité, ils doivent mettre en place certaines mesures pour ralentir le plus possible la propagation sans toutefois nuire à leur relance économique. Ils s’attaquent donc à tout ce qui ne joue pas un rôle central dans la production nationale de plus-value. S’ils ont une certaine marge de manœuvre pour interrompre certains secteurs périphériques de l’économie (restaurants, bars, commerces, arts et spectacles, etc.), ils doivent tenter de préserver à tout prix l’exploitation des ouvriers œuvrant dans la grande industrie (usines, ressources naturelles, transport des marchandises, construction, etc.). En effet, c’est la grande industrie qui constitue le cœur de l’économie capitaliste : c’est là où les prolétaires produisent les quantités les plus massives de plus-value pour le grand capital.
Notre journal avait déjà exposé le contenu de la nouvelle entente tacite entre les classes dominantes le 1er octobre dernier dans l’article intitulé « COVID-19 : Enchaîner les masses pour épargner le capital ». Nous avions prévu que les gouvernements accepteraient des niveaux de contamination beaucoup plus élevés que lors de la première vague et surtout, qu’ils feraient tout pour éviter d’interrompre à nouveau la grande production industrielle – principale source de profits capitalistes. Or, les événements qui se sont enchaînés dans les semaines suivantes n’ont fait que confirmer nos prédictions.
Parmi les pays impérialistes d’Europe et d’Amérique du Nord, l’un des premiers à avoir mis en place, cet automne, de nouvelles mesures plus sévères qualifiées de « reconfinement » par les médias est la France. Après avoir regardé passivement la situation se dégrader pendant des semaines et après avoir laissé le nombre quotidien de personnes contaminées atteindre des sommets vertigineux, les autorités françaises ont annoncé le 28 octobre (trois jours après que le pays ait enregistré un record de 52 013 cas de COVID-19 en 24h) qu’un nouveau « confinement » d’au moins quatre semaines débuterait deux jours plus tard : les commerces non essentiels, les bars et les restaurants allaient être à nouveau fermés, le télétravail allait être étendu au plus grand nombre de milieux de travail possible, et les réunions privées « en dehors du strict noyau familial » ainsi que les déplacements entre régions allaient être interdits. Et c’était sans compter le couvre-feu entre 21h et 6h en place depuis le 17 octobre dans plusieurs zones du pays. Mais ces mesures ne constituaient pas un réel confinement puisque les usines demeuraient ouvertes, tout comme les crèches, les écoles, les collèges et les lycées. Le président français Emmanuel Macron a d’ailleurs expliqué de manière assez explicite la raison de cette différence importante entre les mesures annoncées et celles qui avaient été mises en place au printemps : « L’activité continuera avec plus d’intensité : les usines, les exploitations agricoles, les activités de bâtiment et de travaux public continueront. L’économie ne doit ni s’arrêter, ni s’effondrer. »
Le 30 octobre, la Belgique emboîtait le pas à la France et annonçait à son tour des mesures de « confinement » similaires. Comme en France, les usines allaient rester ouvertes et les écoles allaient continuer à accueillir les enfants (après une brève prolongation du congé d’automne) malgré une augmentation fulgurante de la contamination et malgré un nombre record d’hospitalisations liées à la COVID-19 (5 924) enregistré le 29 octobre (le pic des hospitalisations de la première vague avait été de 5 759 le 6 avril dernier). Décrivant les mesures adoptées par son gouvernement, le ministre belge de la Santé, Frank Vandenbroucke, a déclaré : « C’est un confinement… Mais qui permet aux usines de tourner, qui permettra de rouvrir les écoles prudemment après le 15 novembre, et qui ne laissera pas les gens plonger dans l’isolement ».
Le 31 octobre, le premier ministre du Royaume-Uni, Boris Johnson, annonçait le « reconfinement » de l’Angleterre du 5 novembre au 7 décembre pour tenter de ralentir la progression rapide de l’épidémie sur le territoire. En plus des restaurants, des pubs et des cafés, tous les commerces non essentiels ont dû fermer leurs portes. Mais les secteurs manufacturier et agricole ainsi que celui de la construction ont continué de fonctionner. Les crèches, les écoles et les universités sont également demeurées ouvertes. Puis, le 6 novembre, c’était au tour de l’Italie – l’un des pays européens les plus durement touchés par la seconde vague cet automne – à décréter des mesures plus strictes qualifiées de « reconfinement » dans certaines régions. Mais là aussi, les autorités ont décidé de garder les usines ouvertes, contrairement à ce qui s’était produit lors de la première vague lorsqu’elles avaient ordonné l’interruption de « toute activité de production » non essentielle. Et même si les lycées (14-19 ans) ont dû passer à l’enseignement en ligne, les écoles maternelles (3-6 ans) ainsi que les écoles primaires et secondaires (6-13 ans) sont restées ouvertes.
Plus récemment, l’Allemagne vient de décréter un « reconfinement » pour le temps des fêtes alors qu’elle est présentement soumise à des niveaux de contamination records. À partir du 16 décembre, les commerces non essentiels ont dû fermer leurs portes jusqu’au 10 janvier. Pour ce qui est des écoles, les vacances ont été devancées de quelques jours et se prolongeront également jusqu’à la fin du « reconfinement ». Mais dans certaines régions, c’est seulement la présence obligatoire en classe qui sera suspendue et les écoles demeureront ouvertes pour les enfants dont les parents ne pourront pas s’absenter du travail. Cela est compréhensible, puisque toutes les usines du pays – y compris celles produisant des biens non essentiels – pourront continuer à fonctionner. L’objectif des autorités allemandes est le même qu’ailleurs : protéger la production nationale de plus-value. Le ministre fédéral de l’Économie et de l’Énergie, Peter Altmaier, l’a bien résumé : « J’espère que dans cette deuxième vague, nous réussirons à empêcher un blocage économique complet. Après tout, ce n’est pas ce qui a été décidé hier. » Lors de la première vague, même si les autorités n’avaient pas ordonné la fermeture des usines non essentielles, un grand nombre d’entre elles (notamment dans le secteur de l’automobile) avaient dû fermer leurs portes en raison de la trêve économique commune à l’échelle internationale. Comme l’a expliqué le ministre de l’économie allemand : « Au printemps, elles ont dû fermer car il n’y avait pas de livraisons de remplacement en provenance de Chine, d’Asie et d’autres pays européens. Cette fois, nous avons protégé les chaînes d’approvisionnement et réussi à empêcher un arrêt complet de l’activité industrielle ».
Comme on peut le voir, tous les États capitalistes appliquent à peu près le même programme. Et ce programme est tout à fait différent de celui que les classes dominantes ont mis en œuvre lors de la première vague. Les gouvernements laissent d’abord le virus se répandre de manière exponentielle dans la population sans réagir. Ils tolèrent à présent des niveaux de contamination très importants et cherchent à « endurer » l’épidémie plus longtemps que les gouvernements des pays concurrents avant de mettre en place de nouvelles restrictions pouvant nuire à l’économie capitaliste. Puis, lorsque la situation devient critique après une longue période d’inaction, ils imposent progressivement certaines restrictions minimales (ciblant d’abord les activités libres et les loisirs des prolétaires) pouvant aller jusqu’à la fermeture temporaire des commerces non essentiels. Mais ils refusent catégoriquement d’aller jusqu’à instaurer une réelle pause économique et un réel confinement comme au printemps dernier, et ce, même s’il s’agit du seul moyen de protéger réellement la population du virus dans les conditions historiques actuelles. Pourtant, les médias bourgeois présentent les nouvelles mesures mises en place par les États capitalistes comme des mesures extrêmement sévères, voire comme un retour au confinement du printemps. Ils répandent l’idée qu’il n’existe pas de solutions plus efficaces et que si l’épidémie continue à progresser, c’est parce que la population ne respecte pas les consignes.
Les commentateurs petits-bourgeois n’y voient que du feu et renforcent à leur tour ce discours mystificateur. Ils ne se fient qu’à l’apparence des choses et font un amalgame entre des formes d’intervention étatiques de nature tout à fait différentes (celle de la première vague et celle de la deuxième vague). Pourtant, la différence entre la trêve économique du printemps et les mesures actuelles n’est pas superficielle. En évitant de toucher à la grande industrie et de fermer les écoles, les gouvernements maintiennent un niveau d’activité élevé dans la société qui ne peut que continuer à alimenter la propagation exponentielle du virus, malgré toutes les mesures de protection individuelles (masques, limitation des contacts, etc.) appliquées par la population. Le résultat est désastreux pour les masses : le nombre de contaminés, de malades et de morts finit par atteindre des sommets vertigineux un peu partout, et ce, dans l’indifférence presque complète des politiciens bourgeois au pouvoir. Pour défendre leur bilan, les dirigeants de chaque pays n’ont maintenant qu’à dire qu’il se produit la même chose ou pire dans les pays concurrents, et qu’il n’y a rien de mieux à faire pour combattre le virus.
Voyons voir un peu l’ampleur de la catastrophe provoquée par l’obligation imposée au prolétariat de continuer à produire des richesses pour les classes dominantes. Le 3 décembre dernier, l’Italie a enregistré 993 morts en 24h, un nombre dépassant le pic – déjà particulièrement élevé – de 969 décès enregistrés le 27 mars dernier. Le 16 décembre, l’Allemagne – dont la gestion de l’épidémie avait pourtant été présentée comme un modèle à suivre dans les médias un peu partout – a enregistré un record de 952 morts en 24h, soit plus du triple des 315 décès enregistrés le 16 avril dernier lors du pic de la première vague. En France, 1 220 morts ont été enregistrés en 24h le 10 novembre dernier, un nombre se rapprochant du record de 1438 décès atteint le 15 avril lors de la première vague. En Belgique, on estime que le mois de novembre dernier a été le mois avec le taux de mortalité le plus élevé (toutes causes de décès confondues) depuis la Seconde guerre mondiale.
Si l’on prend l’Europe dans son ensemble (où la pandémie a officiellement entraîné la mort d’un peu plus de 500 000 personnes depuis son commencement), la deuxième vague est beaucoup plus meurtrière que la première. Simplement entre le 1er novembre et le 16 décembre, le virus a tué plus de personnes (215 242) qu’il n’en avait tué au total en date du 30 mai dernier (177 703). Jusqu’à maintenant, le mois de novembre dernier a été celui avec le plus grand nombre de victimes de la pandémie, soit 132 055 comparativement à 107 807 au mois d’avril dernier (le deuxième mois avec le plus de morts jusqu’à maintenant). Si la tendance se maintient, le mois de décembre sera encore plus meurtrier puisque 83 187 personnes ont déjà été emportées par le virus entre le 1er et le 16 décembre. Et tout indique que l’hécatombe va se poursuivre pendant l’hiver puisque rien n’est fait pour freiner réellement la contamination de la population et que les mesures insuffisantes de l’automne ont déjà été allégées dans certains pays, notamment en France.
Aux États-Unis, où le niveau de contamination atteint présentement un niveau extrême avec plus de 200 000 nouveaux cas enregistrés chaque jour sans qu’aucune mesure sérieuse ne soit mise œuvre par la classe dominante pour freiner l’épidémie, le pays a dépassé plusieurs fois la barre des 3 000 décès quotidiens dans la dernière semaine, atteignant même 3 784 décès en 24h le 16 décembre dernier. Au total, plus de 315 000 personnes ont été emportées par le virus dans ce pays depuis le début de la pandémie – dont un peu plus des deux tiers (211 000) depuis le 1er juin dernier. Et le bilan va continuer de grimper dans les prochains mois puisqu’il est hors de question pour la bourgeoisie américaine – comme pour les classes dominantes européennes – de ralentir de manière significative l’exploitation de la classe ouvrière. Le président désigné Joe Biden, qui entrera en fonction au mois de janvier prochain, l’a bien exprimé lorsqu’il a déclaré il y a un mois « [qu’il ne voyait] aucune circonstance qui nécessiterait un confinement national complet » et « [qu’il n’allait] pas fermer l’économie, point à la ligne ».
Pas de pause pour les ouvriers industriels pendant la « pause des Fêtes » au Québec
Au Canada, le virus progresse également à un rythme alarmant conséquemment à l’inaction des autorités bourgeoises. Ici aussi, la classe capitaliste applique le même programme de laisser-faire qu’ailleurs et rejette l’option d’un confinement complet pour ne pas nuire à ses intérêts économiques. Le pays dépasse les 6 000 cas quotidiens depuis le début du mois de décembre alors que le sommet de la première vague avait été de seulement 2 760 cas le 3 mai dernier. Devant l’accélération de l’épidémie, les gouvernements provinciaux imposent de nouvelles restrictions qui, comme celles qui sont mises en place en Europe, sont faussement qualifiées de « confinement » par les médias et par les commentateurs bourgeois. Par exemple, en Alberta – où la situation sanitaire se dégrade à une vitesse spectaculaire depuis le mois d’octobre –, le premier ministre, Jason Kenney, a attendu au 8 décembre avant d’ordonner la fermeture des bars, des restaurants, des casinos, des gyms et d’autres établissements similaires. Même si les commerces de détail non essentiels et les centres commerciaux sont encore ouverts, certains médias bourgeois comme le Calgary Herald ont tout de même parlé de « fermeture majeure » pour décrire les nouvelles mesures décrétées par les autorités.
En Ontario, le gouvernement de Doug Ford a fait passer Toronto ainsi que la région de Peel dans la catégorie « lockdown » le 23 novembre dernier. Cela impliquait entre autres que les commerces de détail non essentiels et les centres commerciaux devaient désormais se limiter à la collecte ou à la livraison à domicile. Encore une fois, les médias ont parlé de « reconfinement ». Pourtant, les écoles et les garderies sont demeurées ouvertes. Il fallait que les enfants des travailleurs puissent continuer à être pris en charge, puisque le secteur de la construction, le secteur manufacturier et les chaînes d’approvisionnement ont continué à fonctionner, contrairement à ce qui s’était produit lors de la trêve économique du printemps dernier pendant laquelle le gouvernement ontarien avait notamment ordonné l’arrêt de tous les projets de construction non essentiels et pendant laquelle les compagnies du secteur de l’automobile (GM, Ford, Fiat Chrysler, etc.) avaient interrompu d’elles-mêmes la production dans leurs usines. Le 18 décembre, la ville de Hamilton se voyait imposer par le gouvernement Ford des mesures du même ordre que celles en vigueur à Toronto et Peel – mesures qui ont également été prolongées dans ces deux villes. Au moment où les hôpitaux de la province commencent à être submergés de patients atteints de la COVID-19, le gouvernement a également laissé entendre que des mesures additionnelles seront adoptées.
Au Québec, devant la propagation fulgurante de la contamination que l’on observe depuis des semaines en dépit des quelques mesures mises en place au début du mois d’octobre, le gouvernement Legault a annoncé le 15 décembre une série de nouvelles restrictions pour la province qualifiée de « pause des Fêtes ». Le gouvernement profite du congé scolaire et des vacances de la construction de deux semaines (qui ont déjà lieu chaque année) pour tenter de ralentir la progression du virus sans nuire à l’économie de la province. Les écoles primaires et secondaires resteront fermées une semaine de plus que prévu, c’est-à-dire jusqu’au 11 janvier. Aussi, tous les commerces non essentiels – ainsi que les établissements tels que les salons de coiffure, les salons de soins esthétiques et les spas – devront fermer leurs portes entre le 25 décembre et le 10 janvier. Le télétravail sera rendu obligatoire pour tous les employés de bureau, sauf quelques exceptions. Et contrairement à ce qui avait d’abord été annoncé il y a quelques semaines dans une opération de communication complètement confuse et incohérente, les rassemblements familiaux et les festivités intérieures seront strictement interdits.
Mais cette « pause des Fêtes » n’est pas un vrai confinement puisque comme ailleurs dans le monde, la grande production industrielle ne sera pas interrompue, contrairement à ce qui s’était produit en mars dernier. En effet, le secteur manufacturier poursuivra ses activités, tout comme celui du transport et de l’entreposage ainsi que celui de l’extraction des ressources naturelles (notamment les activités minières et l’exploitation forestière). Aussi, le secteur de la construction reprendra ses activités dès la semaine du 4 janvier comme cela aurait été le cas s’il n’y avait pas eu de pandémie. Pour permettre au plus grand nombre possible de travailleurs de se libérer, les centres de la petite enfance (CPE) et les garderies privées resteront ouverts même si les parents sont « encouragés » à garder leurs enfants à la maison autant que possible. Pour ce qui est des ouvriers dont les enfants fréquentent l’école primaire, ce sera à eux de se débrouiller…
Commentant les mesures annoncées par le gouvernement, la PDG de l’association Manufacturiers et Exportateurs du Québec (MEQ), Véronique Proulx, a déclaré : « On est très heureux de voir que le secteur manufacturier ne ferme pas. C’est clair, par contre, que le fait que les écoles soient fermées jusqu’au 11 janvier risque de rendre ça plus difficile pour les gens pour cette semaine-là, mais c’est un moindre mal. » Elle révélait ainsi sans le vouloir que l’ouverture des écoles au début de l’automne ne servait pas du tout à l’éducation et au bien-être des enfants, mais bien à permettre aux capitalistes d’avoir accès à une main-d’œuvre disponible. C’est d’ailleurs pourquoi le gouvernement entend les rouvrir à tout prix dès le 11 janvier, malgré le fait que les écoles constituent l’un des principaux moteurs de l’épidémie et que leur ouverture au mois de septembre est en grande partie responsable de la deuxième vague, comme en témoigne le fait que 26,4% des éclosions actives officiellement recensées (438 sur 1 657) par les autorités en date du 19 décembre provenaient du réseau scolaire. Mais pour fermer les écoles, il faudrait fermer les usines – une option inacceptable pour la bourgeoisie. Comme l’a déclaré le MEQ : « Ça a fait très mal la première fois. On a été fermé durant six semaines en mars et avril, ce qui avait fait chuter les ventes manufacturières de quatre milliards de dollars. »
Or, l’impact sur la progression du virus des secteurs industriels qui resteront ouverts est loin d’être négligeable. Selon Statistique Canada, en 2019, le secteur de la fabrication employait pas moins de 497 000 personnes au Québec. Aussi, le secteur de la construction en employait 264 000, le secteur du transport et de l’entreposage en employait 236 000, le secteur de l’extraction minière, de l’exploitation en carrière et de l’extraction de pétrole et de gaz en employait 27 000 et le secteur de la foresterie, de l’exploitation forestière et des activités de soutien à la foresterie en employait 14 300. Au total, tous ces secteurs réunis employaient 1 039 700 personnes, soit pas moins de 23,9% des 4 339 900 personnes en emploi dans la province!
Plus encore, selon le plus récent rapport hebdomadaire de l’INSPQ sur les éclosions dans les milieux de travail (« excluant les milieux de soins aigus et d’hébergement de longue durée, de garde et scolaires ») publié le 18 décembre, parmi les « divisions d’activités économiques » dans lesquelles se répartissent les 568 milieux de travail qui étaient officiellement en situation d’éclosion durant la semaine du 6 au 12 décembre, c’est dans le secteur des industries manufacturières que l’on comptait le plus d’éclosions, soit 173 (30,5%). C’est également dans ce secteur que l’on comptait le plus grand nombre de travailleurs infectés, soit 1 213 sur 2 891 (42%). En comparaison, le secteur des commerces de détail, qui arrive en deuxième position, comptait 121 éclosions (21,3%) et 489 travailleurs infectés (16,9%). Le secteur de la construction, quant à lui, arrivait en troisième position quant au nombre de milieux de travail touchés avec 48 éclosions (8,5%), et en quatrième position quant au nombre de travailleurs contaminés avec 148 cas détectés (5,1%). Si l’on prend l’ensemble des éclosions recensées depuis le début de la vigie menée par l’INSPQ à la mi-juin, on observe la même tendance. Le secteur des industries manufacturières est celui qui a connu le plus grand nombre d’éclosions (575 sur 2 537). Le secteur des commerces de détail arrive en deuxième position (511 sur 2 537), suivi par celui de la construction (216 sur 2 537). Plus encore, sur les 51 milieux de travail en situation d’éclosion où 20 cas et plus ont été détectés, la moitié (26) provenait du secteur manufacturier.
On voit que les décisions prises par le gouvernement n’ont rien à voir avec la santé publique réelle, mais qu’elles sont avant tout motivées par les intérêts économiques capitalistes. Expliquant pourquoi son gouvernement avait décidé de maintenir le secteur manufacturier ouvert contrairement à celui des commerces de détail, le premier ministre François Legault a déclaré : « Il n’y a à peu près pas d’endroit dans le monde où le manufacturier est fermé. […] Il y a un équilibre à avoir avec l’économie. » Même si ce n’est pas ainsi que le premier ministre souhaitait que son explication soit interprétée, celle-ci était en partie vraie : les classes dominantes de chaque pays luttent pour ne pas être déphasées les unes par rapport aux autres, et si la bourgeoisie québécoise est la seule à fermer son secteur manufacturier, elle se fera devancer dans la concurrence par les bourgeoisies des nations rivales.
Mais cela n’explique pas pourquoi c’est le secteur manufacturier qu’aucun gouvernement ne s’est résolu à fermer. Comme nous l’avons déjà dit, depuis le début de la deuxième vague, les gouvernements s’attaquent aux activités et aux entreprises les moins importants pour le capitalisme national, c’est-à-dire ceux où la bourgeoisie extrait peu ou pas de plus-value à la classe ouvrière. C’est cela que les commentateurs petits-bourgeois (convaincus que les autorités agissent pour protéger la population) n’ont jamais été capables de comprendre et c’est pourquoi ils sont complètement stupéfiés devant les choix gouvernementaux. Pour les petits-bourgeois, ces choix seraient censés s’expliquer par le fait que les lieux ciblés par les autorités sont vraiment des endroits où le virus se transmet plus qu’ailleurs. Mais si l’on cherche à comprendre les choses de cette manière, les décisions des autorités apparaissent comme étant totalement aléatoires et inexplicables. En réalité, la lutte contre l’épidémie ne requiert nullement des mesures aussi chirurgicales que le prétendent les petits-bourgeois : plus on limite l’activité et les contacts de la population, moins le virus se transmet. Ainsi, se demander si la Santé publique avait, oui ou non, recommandé au gouvernement de fermer les restaurants est complètement ridicule et réactionnaire. Il est évident que fermer un secteur d’activité – quel qu’il soit – contribue à limiter la propagation du virus et à prévenir des contaminations. Les restaurants devaient donc être fermés et la décision des autorités de le faire n’était pas purement arbitraire. Cela dit, du point de vue de la santé publique réelle – c’est-à-dire du point de vue du prolétariat –, les décisions des autorités sont complètement irrationnelles puisque celles-ci refusent d’interrompre des secteurs massifs qui jouent un rôle décisif dans l’évolution de l’épidémie, et ce, simplement pour ne pas nuire aux profits du capital.
En plus de maintenir l’activité industrielle pendant la « pause », le gouvernement a décidé d’attendre jusqu’au 25 décembre avant de fermer les commerces non essentiels afin de permettre à ces derniers de réaliser leurs ventes de Noël, et ce, alors que la situation dans la province était déjà critique au moment où la décision a été prise. Entre le 11 et le 17 décembre, la province a compté 36 morts par jour en moyenne. En date du 20 décembre, le Québec enregistrait un record de 2 146 nouvelles infections. Le nombre d’hospitalisations continue à augmenter et s’élève maintenant à 1 050, alors que la province a dégagé seulement 2 164 lits pour les patients atteints de la COVID-19. La situation dans le réseau de la santé est absolument catastrophique. Plusieurs hôpitaux commencent déjà à déborder et doivent délester des activités. L’urgence de l’Hôpital Chauveau à Québec a même été obligée de fermer pour une durée indéterminée le 18 décembre. Même si les fermetures combinées au congé scolaire vont certainement avoir un effet positif – bien qu’insuffisant – pour ralentir la progression du virus, cet effet sera annulé complètement lorsque les écoles et les commerces vont rouvrir leurs portes le 11 janvier, et la situation va recommencer à se dégrader au même rythme qu’avant les Fêtes.
La barbarie du capitalisme se révèle pleinement
Dans les conditions actuelles, la seule chose qui puisse protéger réellement les populations et empêcher des centaines de milliers de morts supplémentaires, c’est la fermeture prolongée de tous les milieux de travail non essentiels, sans exception, ainsi que celle de toutes les écoles jusqu’à ce que la vaccination massive du peuple soit accomplie. En complément, il faudrait concentrer les moyens dont dispose la société pour mener la bataille contre le virus et pour compléter le plus rapidement possible la campagne de vaccination, en plus d’utiliser les ressources et les richesses déjà accumulées par la société pour permettre aux travailleurs confinés de conserver leurs revenus. Mais cette solution est impensable pour la bourgeoisie puisqu’elle impliquerait pour elle de renoncer à ses profits et de mettre à la disposition de toute la société les richesses immenses qu’elle accapare et qu’elle utilise pour sa propre jouissance. Mais surtout, la classe dominante ne peut se résoudre à mettre en place une telle solution puisque la compétition capitaliste mondiale oblige les bourgeois à maintenir une activité industrielle intensive et ininterrompue, sous peine de se faire voler les marchés et d’être écrasés par leurs adversaires internationaux.
On voit ainsi les limites de l’organisation capitaliste de la société et de la division de l’humanité en nations concurrentes. Une lutte réellement efficace contre la pandémie exigerait la coopération fraternelle des masses travailleuses à l’échelle mondiale – ou à tout le moins l’existence d’États socialistes ayant entrepris le processus d’abolition de l’organisation sociale antérieure – pour interrompre de manière coordonnée les chaînes de production et pour répartir les ressources de manière planifiée selon les besoins des populations. Malheureusement, dans le monde bourgeois actuel, les masses laborieuses sont plutôt sacrifiées sur l’autel des intérêts du capital et de la guerre économique permanente entre les classes dominantes de chaque pays. C’est contre cet ordre social barbare que nous devons nous préparer à mener le combat dans les mois et les années à venir!