Terminal Shell de Montréal : le capital profite de la crise pour passer à l’offensive!

Un autre lock-out vient de frapper la classe ouvrière québécoise. En effet, le vendredi 27 novembre dernier, les dix-sept opérateurs du Terminal Shell de Montréal – qui étaient sans contrat de travail depuis mars 2019 – ont appris avec surprise, deux heures avant la fin du quart de travail de jour, que leurs patrons les mettaient à la porte. Ce nouveau lock-out est le cinquième à s’abattre sur les travailleurs de la province depuis le début de la deuxième vague de Covid-19 en septembre dernier. Et si l’on compte celui ayant frappé les 450 ouvriers de l’usine Lactancia de Victoriaville au mois de juillet, il s’agit du sixième à survenir au Québec depuis le début de la pandémie.

Dans un contexte où les conditions de vie des travailleurs sont déjà particulièrement difficiles en raison de la crise sanitaire et où le prolétariat dans son ensemble a déjà été affecté par des pertes massives d’emplois et d’heures de travail, les lock-out déclenchés par les capitalistes revêtent un caractère encore plus révoltant que d’habitude. Ces attaques anti-prolétariennes sont d’autant plus choquantes que parmi les ouvriers ciblés par celles-ci, plusieurs avaient pourtant été classés, au printemps dernier, dans la catégorie des « travailleurs essentiels » que la bourgeoisie et se représentants politiques ne cessaient de remercier – hypocritement – dans les médias. Dans cette catégorie figuraient par exemple les 700 ouvriers de l’entrepôt central de Jean Coutu à Varennes, dont le travail permet l’approvisionnement en médicaments d’un grand nombre de pharmacies au Québec. Eh bien, après s’être fait retirer la « prime covid-19 » que les capitalistes de Metro leur avaient accordée pendant la première vague, ces travailleurs ont été brutalement mis en lock-out et remplacés par des scabs pendant plusieurs semaines cet automne.

Dans la catégorie des « travailleurs essentiels » figuraient aussi les opérateurs du terminal pétrolier montréalais de Shell qui viennent de se faire jeter sur le trottoir par leurs patrons d’une manière tout aussi sauvage. Comme bien d’autres prolétaires, ces opérateurs ont dû continuer à travailler pendant la pause économique du printemps dernier puisque leur activité constitue un maillon essentiel dans la circulation des produits pétroliers et dans l’approvisionnement en carburant sur le territoire de la grande région métropolitaine (c’est notamment à partir de ce terminal que sont approvisionnées un bon nombre de stations-service de la région). Et comme l’a souligné un représentant syndical d’Unifor rencontré par notre journal, « le pétrole est le sang de l’économie », c’est-à-dire que sa distribution est absolument indispensable au fonctionnement de tous les autres secteurs de la société (on n’a qu’à penser au transport des marchandises et à celui des travailleurs, sans lesquels il n’y a aurait pas de production et de distribution alimentaire, pas de réseau de la santé, etc.). Plus précisément, le travail des employés du Terminal Shell de Montréal consiste à opérer des salles de contrôle informatisées pour permettre le chargement ou le déchargement de camions, de bateaux, de pipelines et de wagons de trains transportant des produits pétroliers. Dans le cas des wagons, ce sont les travailleurs qui doivent effectuer les opérations manuellement. Ils ont également pour tâche de faire des rondes de vérification pour assurer la sécurité des lieux, repérer les fuites, effectuer le jaugeage des réservoirs, etc. Ces tâches cruciales ne pourraient pas être effectuées sans les connaissances et sans les efforts quotidiens des opérateurs. Or, voilà comment la bourgeoisie remercie ces travailleurs qui ont pris des risques pendant les derniers mois pour assurer que la population puisse continuer à être ravitaillée et soignée : elle les met à la rue en pleine deuxième vague de Covid-19 et quelques semaines avant le temps des fêtes!

Le sens moral des prolétaires se trouve évidemment heurté par un telle absence de compassion. Mais les agissements de la bourgeoisie ne sont jamais dictés par des considérations morales : ce sont uniquement les froides nécessités de l’accumulation capitaliste qui gouvernent les actions de cette classe sociale. Or, pour que l’accumulation du capital se poursuive adéquatement, il faut que les taux de profit demeurent élevés malgré les difficultés liées à la crise actuelle et il faut donc que les capitalistes augmentent l’exploitation des prolétaires pour accaparer encore plus de surtravail. Et même si les affaires vont relativement bien, ce n’est pas une raison pour faire des concessions aux travailleurs : les capitalistes doivent plutôt en profiter pour engraisser encore plus afin de se hisser au-dessus de la mêlée! C’est pourquoi on ne doit pas s’étonner de voir des compagnies profiter de la pandémie actuelle pour briser la résistance des syndicats ouvriers et pour mettre la hache dans les acquis des travailleurs afin d’augmenter leur exploitation pour les années à venir.

Dans le cas du lock-out au Terminal Shell de Montréal, c’est précisément ce que la compagnie semble être déterminée à accomplir. Premièrement, les capitalistes de Shell refusent de respecter le contenu du « contrat modèle » qui a déjà été négocié par le syndicat Unifor pour l’ensemble de l’industrie pétrolière et gazière au Canada. En effet, dans ce secteur, les représentants d’Unifor s’entretiennent d’abord avec les représentants des pétrolières (Valero, Suncor, Vopak, Shell, etc.) dans le cadre du Programme national de l’énergie (PNE). Il s’agit d’une table où sont négociées les augmentations salariales et les primes de licenciement pour l’ensemble des ouvriers membres d’Unifor qui travaillent dans cette industrie, et ce, pour une durée de quatre ans. Une compagnie est d’abord ciblée par le syndicat (pour cette ronde de négociation, il s’agissait de Suncor) et le règlement est ensuite reproduit dans tous les établissements du secteur, qu’il s’agisse des raffineries, des pré-raffineries (« upgraders »), des terminaux, des sites d’extraction, des mines de sables bitumineux, etc. Or, la compagnie Shell refuse d’accorder aux dix-sept opérateurs de son terminal montréalais les augmentations salariales contenues dans le contrat modèle, et ce, même si elle les a déjà accordées dans d’autres établissements dont elle est propriétaire. Le terminal pourrait ainsi devenir le seul au Canada, toutes compagnies confondues, à ne pas offrir des conditions conformes au PNE à des syndiqués d’Unifor. La volonté de Shell est claire : outre son objectif immédiat de faire des économies de bout de chandelle sur le dos d’une poignée de travailleurs (rappelons que Shell emploie pas moins de 3 500 personnes au Canada et que ce nombre ne représente que 4,2% de sa main d’œuvre mondiale), la compagnie cherche à instaurer un précédent et à s’attaquer à la pratique même du règlement modèle. C’est ainsi que son interprétés – avec lucidité – les agissements de la compagnie par le directeur québécois du syndicat Unifor, Renaud Gagné :

« Qu’une compagnie de l’ampleur de Shell refuse d’appliquer ce qui a été négocié partout dans l’industrie à un groupe d’une vingtaine de salariés pour des raisons financières ne tient pas la route. Cette décision n’a qu’un seul but, c’est de briser le règlement modèle dans le pétrole. On prend la COVID-19 comme prétexte pour s’attaquer à une pratique syndicale qui remonte à plus d’une quarantaine d’années ».

En plus de son refus d’accorder les augmentations salariales négociées dans le cadre du PNE aux travailleurs de son terminal montréalais, la compagnie veut se donner les moyens de recourir à davantage de sous-traitance en abolissant une clause de protection contre cette pratique dans le contrat de travail de ses employés. Pire encore, cet objectif de la compagnie semble être lié à sa volonté d’abolir cinq postes sur dix-sept dans l’établissement, une intention qui donne l’impression aux travailleurs que la compagnie veut jeter certains d’entre eux à la rue pour les remplacer par des sous-traitants.

En somme, la compagnie est à l’offensive et elle vise à faire reculer les conditions de travail de ses employés pour les prochaines années. Si les difficultés liées à la pandémie « obligent » Shell à réduire l’ampleur de ses opérations au détriment de la classe ouvrière – dont l’existence dépend tristement de la vitalité du capital dans la société actuelle –, elles créent en même temps des conditions renforçant davantage la domination des capitalistes dans leur lutte économique contre les ouvriers. En effet, le rapport de force pèse encore plus que d’habitude contre eux étant donné que la demande de travail est moins grande qu’avant et que les emplois se font plus rares. Les capitalistes ont donc plus de facilité pour négocier à la baisse le prix de la force de travail des ouvriers. Et en plus, la situation économique générale sert de faux prétexte permettant aux capitalistes de justifier leurs attaques contre la classe ouvrière! Rappelons que Shell est tout de même l’un des monopoles impérialistes les vastes et les plus puissants au monde. En 2019, son chiffre d’affaires a été de 352 milliards de dollars et son bénéfice net s’est élevé à 15,8 milliards de dollars. Malgré des pertes importantes causées par la chute du prix du pétrole liée à la pandémie, la multinationale recommence déjà à engranger des profits élevés (plusieurs centaines de millions de dollars au troisième trimestre de cette année). Le secteur des énergies fossiles occupant encore une place centrale dans le capitalisme mondial, elle n’aura pas de difficulté à se relever de la crise et elle recommencera bientôt à enregistrer des milliards de dollars de profits comme avant, lorsque le fardeau de la pandémie aura été transféré entièrement sur les épaules du prolétariat international.

Les travailleurs du terminal pétrolier montréalais de Shell ont raison se battre pour conserver leurs acquis économiques et pour préserver les pratiques syndicales établies. Ils se battent non seulement pour eux-mêmes, mais pour l’ensemble des ouvriers canadiens de l’industrie pétrolière et gazière défendant leurs intérêts face aux grands monopoles de l’énergie. Pour l’instant, ces monopoles dictent les règles du jeu et sont presque tout-puissants. Mais bientôt, l’action conjuguée des travailleurs de tous les secteurs de la société permettra de briser le pouvoir du capital et de supprimer la propriété privée des moyens de production et de distribution. Le contrôle de l’énergie pétrolière – comme celui de tous les autres secteurs de la production – passera alors aux mains de la classe ouvrière. Les énergies fossiles cesseront de servir à l’enrichissement d’une poignée de grands bourgeois et pourront enfin jouer le rôle de puissante force productive au service du peuple. En raison de leurs connaissances inestimables et des tâches indispensables qu’ils accomplissent quotidiennement, les ouvriers des sites d’extraction, des raffineries et des terminaux qui alimentent le pays en carburant et qui font fonctionner toute l’économie vont assurément jouer un rôle de premier plan dans ce vaste mouvement qui mènera le prolétariat à prendre le contrôle de la production au Canada!