Les ouvriers de Gate Gourmet sauvagement jetés à la rue en pleine pandémie
La semaine dernière, après avoir passé plusieurs mois à travailler dans des conditions dangereuses pour permettre à la compagnie qui les embauche de continuer à fonctionner, les treize travailleurs encore actifs de l’usine Gate Gourmet à Dorval (où l’on prépare des plats de nourriture pour les compagnies aériennes) ont été brutalement mis en lock-out par leurs patrons. Il s’agit du quatrième lock-out depuis la fin du mois de septembre à être déclenché par les capitalistes dans la province, après ceux ayant eu lieu à l’entrepôt central de Jean Coutu à Varennes, chez Demix Béton à Saint-Hubert et chez WestRock à Pointe-aux-Trembles (ce dernier étant toujours en cours). Décidément, les beaux discours de solidarité martelés par la bourgeoisie durant la première vague n’ont pas duré longtemps.
Chez Gate Gourmet, c’est d’une manière particulièrement insultante que les capitalistes ont annoncé la nouvelle à leurs employés : en pleine heure du dîner, alors qu’ils avaient déjà effectué une grande partie du travail de la journée, les trois employés qui étaient présents se sont faits ordonner de prendre leurs effets personnels et de quitter les lieux sur-le-champ. Sans leur fournir de réelles explications, on leur a dit qu’ils étaient en lock-out et que c’était la faute du syndicat – comme toujours – puisque celui-ci refusait de s’entendre avec la compagnie. Bien sûr, les patrons ont profité du fait que la présidente de l’organisation, Nathalie Cabral, n’était pas présente ce jour-là pour annoncer la nouvelle aux travailleurs, ne lui laissant même pas la chance de rétorquer. En fait, le syndicat n’avait même pas été informé de la décision de la compagnie! Pire encore, aucun avertissement n’avait été fait dans les jours et les semaines précédentes et la compagnie n’avait même pas déposé d’offre finale dans le cadre des négociations en cours.
Il faut dire que les négociations entamées au mois de juillet dernier n’allaient pas bien. Alors que le syndicat ne demande rien hormis le maintien des conditions de travail actuelles pour les trois prochaines années en attendant que le contexte se stabilise, la compagnie, elle, cherche depuis le début à imposer des reculs majeurs à ses employés. Les patrons ont présenté près de 150 demandes dont la totalité porte sur des concessions. Comme on peut le lire sur le site du syndicat Unifor, parmi cette liste de demandes patronales, on retrouve notamment « un gel salarial de cinq ans, l’embauche de personne à temps partiel et saisonnier uniquement (plus de temps plein), le paiement par les membres de 40 % de la facture des assurances collectives (payée par l’employeur à 100 % actuellement), une réduction de l’accessibilité aux assurances, une baisse des primes de quart, l’abolition de la prime de fin de semaine, une réduction de la contribution de l’employeur au REER, une coupure dans les jours fériés, le retrait de semaines de vacances et l’abolition d’une foule d’articles de la convention collective portant sur le normatif. » Bref, les capitalistes de Gate Gourmet tentent de profiter de la crise actuelle pour supprimer tous les acquis des travailleurs en exigeant ni plus ni moins l’abolition complète de leur ancienne convention collective. Et voyant que les travailleurs n’allaient pas accepter un tel recul, ils ont décidé de se servir de l’arme du lock-out pour les faire plier.
C’est ainsi que les capitalistes remercient les treize ouvriers encore actifs d’avoir mis leur vie en danger dans les derniers mois afin d’assurer la continuité de la production pour la compagnie. Il faut d’ailleurs souligner que leur travail implique de prendre des risques particulièrement importants puisqu’ils doivent monter régulièrement dans les avions pour les vider des équipements sales utilisés par les passagers et par le personnel de bord. Aussi, depuis que la production a repris au mois de juillet dernier (après quelques mois d’arrêt complet pendant lesquels la cinquantaine de travailleurs de l’entreprise ont été mis à pied à cause de la pandémie), ils ont dû travailler avec un masque ordinaire comme seul équipement de protection.
La manœuvre des capitalistes de Gate Gourmet est d’autant plus odieuse que la plupart des ouvriers ont plus de trente ans d’ancienneté (et même jusqu’à une quarantaine d’années pour certains d’entre eux!) à l’usine de Dorval. Et le comble, c’est que la compagnie fait maintenant travailler des scabs à leur place, comme les lock-outés l’ont constaté avec indignation. Visiblement, ces travailleurs expérimentés ne constituent qu’un encombrement aux yeux de la compagnie, laquelle préférerait probablement embaucher des travailleurs avec moins d’ancienneté et leur donner des petits quarts de travail (au lieu de journées de huit heures) pour réduire le coût de sa force de travail. Bref, certains ouvriers de l’usine auront passé une vie entière à travailler au même endroit pour finalement se faire retirer tous les avantages gagnés et se faire jeter sur le trottoir comme un vieux chiffon. On voit quel sort la bourgeoisie réserve aux prolétaires dans la société actuelle!
Gate Gourmet : une compagnie qui n’en est pas à ses premières attaques contre les travailleurs
On pourrait penser que les agissements de la compagnie Gate Gourmet sont entièrement liés au fait que le secteur du transport aérien se porte particulièrement mal présentement en raison de la pandémie. Mais d’abord, rappelons que la multinationale suisse Gategroup (dont fait partie Gate Gourmet) est un véritable géant de la restauration aérienne qui, en temps normal, sert annuellement plus de 700 millions de passagers provenant de plus de 60 pays et territoires. Depuis des années, elle réalise des profits importants en absorbant la plus-value produite par les 43 000 travailleurs qu’elle exploite dans le monde. L’an dernier, ses revenus ont atteint 5 milliards de francs suisses (soit l’équivalent d’environ 7,2 milliards de dollars canadiens selon le taux de change actuel) et ses « bénéfices d’exploitation » se sont élevés à 83,4 millions de francs suisses (environ 120 millions de dollars canadiens). Et rappelons qu’en 2015, le PDG Xavier Rossinyol a reçu à lui seul un salaire de 3,3 millions de francs suisses. On peut supposer que la multinationale et ses propriétaires possèdent d’importantes réserves financières pour faire face aux imprévus – contrairement aux travailleurs.
Les propriétaires et les dirigeants de l’entreprise feront-ils, eux aussi, des sacrifices à la hauteur de ceux qu’ils veulent imposer à leurs employés? Bien sûr que non : ils préféreront tenter de transférer entièrement le poids de la crise actuelle sur les épaules des ouvriers. D’ailleurs, même à l’échelle de l’usine de Dorval, les travailleurs l’ont constaté avec amertume. En effet, bien qu’une cinquantaine d’ouvriers aient été mis à pied depuis le début de la pandémie, le groupe des cadres n’a pas eu à subir une telle « cure minceur ». Ces coupures sélectives ont d’ailleurs mené à une situation complètement absurde : selon ce que rapportent les travailleurs, il y a maintenant deux gérants et un « big boss » (en plus de la secrétaire) pour seulement 13 ouvriers en activité!
De manière plus générale, même s’il était vrai que la multinationale « n’a plus les moyens » d’offrir les mêmes conditions de travail qu’avant à ses employés et qu’elle « doit » se débarrasser d’un certain nombre d’entre eux en raison de la pandémie, cela ne viendrait que confirmer à quel point le régime capitaliste actuel est limité et ne répond pas aux intérêts des travailleurs. Dans une société où les ouvriers seraient les maîtres de la production – c’est-à-dire où les usines, les moyens de transport et toutes les autres infrastructures appartiendraient collectivement à la classe ouvrière au lieu d’être la propriété de riches parasites –, les travailleurs de telle ou telle unité de production ne seraient pas brutalement appauvris ou sauvagement jetés à la rue au moindre imprévu comme c’est le cas présentement. En effet, la planification économique d’ensemble permettrait de s’ajuster selon les besoins des prolétaires lors de catastrophes ou de situations imprévues. Ainsi, elle permettrait d’assurer un travail et des revenus stables à tous les travailleurs.
Prenons les ouvriers de l’usine de Dorval qui produisent de la nourriture pour les compagnies aériennes. Lorsque la demande de ces compagnies baisse parce qu’il y a un ralentissement dans ce secteur, la production dans l’usine doit baisser également. Mais pourtant, il y a encore des gens qui ont besoin de se nourrir à Montréal (il y a même une partie de la population qui n’a pas les moyens de manger convenablement à chaque jour) et les plats préparés par les employés de Gate Gourmet ne sont pas uniquement comestibles à 10 000 mètres dans les airs! Sous le socialisme, même si le transport aérien cessait complètement à cause d’une pandémie, il n’y aurait aucune raison de réduire ou d’interrompre la production de nourriture à l’usine de Dorval : on pourrait simplement transférer les produits de l’usine vers d’autres secteurs de la société. Les possibilités seraient presque infinies. C’est le mode de production capitaliste qui rend l’économie inflexible et qui limite grandement la capacité des prolétaires à répondre productivement aux besoins de la société. À cause de la propriété privée et de la concurrence que se livrent entre eux les capitalistes pour l’obtention des contrats et pour l’accaparement des marchés, la production et la distribution des biens ne peut s’organiser de manière rationnelle. Des forces productives sont gaspillées, détruites. Et ceux qui en pâtissent, ce sont les prolétaires.
Ce n’est d’ailleurs pas seulement lors de situations exceptionnelles comme la pandémie actuelle que les ouvriers subissent les conséquences de la concurrence entre les grands monopoles et qu’ils sont victimes des attaques des capitalistes. Si l’on prend seulement la compagnie Gate Gourmet, elle est loin d’en être à ses premières attaques contre ses travailleurs. Par exemple, en 2005, la multinationale (alors en « restructuration » pour faire face à une forte concurrence) avait jeté sur le trottoir environ 700 ouvriers de son usine à l’aéroport de Londres Heathrow afin d’imposer un durcissement important des conditions de leur exploitation (réduction du temps de pause, diminution des congés de maladie et des vacances, abaissement du salaire versé lors du temps supplémentaire, etc.). Devant la résistance des travailleurs, la compagnie les avaient remplacés sans avertissement par des travailleurs d’agence encore moins bien payés qu’eux. Une partie des ouvriers avaient surpris ces scabs en train de faire leur travail au retour d’une pause. Ils s’étaient alors assemblés spontanément dans la cantine en guise de protestation. Les cadres de l’entreprise avaient immédiatement déclaré leur action illégale et leur avaient ordonné de retourner travailler, sans quoi ils seraient renvoyés. Suite à ce rassemblement spontané, 700 ouvriers avaient effectivement été mis à la porte. Une grève de solidarité avait alors été déclenchée par les travailleurs de British Airways, paralysant les opérations de la compagnie aérienne pendant 48 heures. Les ouvriers de Gate Gourmet, quant à eux, avaient passé plusieurs mois à se battre. En avril 2006, un piquet de grève avait été démantelé par la police de l’aéroport Heathrow. Finalement, un groupe de 56 ouvrières ayant refusé d’accepter le dénouement injuste du lock-out (notamment le renvoi définitif de 144 travailleurs et le départ volontaire de plusieurs autres en échange d’une « compensation ») ont continué à lutter pendant plusieurs années.
Ici à Montréal, les travailleurs de Gate Gourmet ont déjà été obligés de faire de nombreuses concessions et ils ont eux aussi subi de nombreuses attaques depuis que la multinationale a acheté l’usine de Dorval il y a dix ans. Notamment, des centaines de travailleurs ont été mis à la porte au fil des années, officiellement en raison de pertes de contrats (et plus récemment à cause de la COVID-19). En 2018, les travailleurs avaient été convoqués dans la cafétéria pour se faire annoncer qu’il y aurait entre 250 et 270 « mises à pied » étant donné que la compagnie avait perdu un important contrat avec Air Canada au profit du concurrent Newrest – une opération que le syndicat Unifor avait plutôt qualifié de « licenciement collectif ». Alors qu’il y a déjà eu autour de 600 ouvriers dans l’usine, il n’y en avait plus qu’une cinquantaine avant le début de la pandémie. Et au moment du déclenchement du lock-out, les ouvriers actifs n’étaient plus que treize. On le voit bien : la manœuvre actuelle contre les employés de l’usine de Dorval ne sort pas de nulle part et les agissements odieux des capitalistes ne peuvent s’expliquer uniquement par le contexte actuel.
Le pouvoir du capital doit céder la place à celui de la classe ouvrière
Ce sont toujours les ouvriers qui font les frais de la concurrence et qui paient le prix des affrontements entre les grands monopoles pour le contrôle des marchés. Bien que ce soient eux qui produisent toutes les richesses permettant aux grandes compagnies d’exister – et à leurs propriétaires de s’enrichir de manière illimitée! –, ils n’ont aucun mot à dire sur les orientations qu’elles prennent. Ils sont obligés de subir les conséquences des décisions d’affaires qui sont prises au-dessus d’eux et qui ne servent que les intérêts des bourgeois qui possèdent le capital. La façon dont Gate Gourmet traite ses employés en est un bon exemple : pour la bourgeoisie, les travailleurs ne sont rien d’autre que des machines, des numéros. Lorsque la course aux profits l’exige, les capitalistes n’ont aucun scrupule à les jeter sauvagement à la rue, même en pleine deuxième vague d’une pandémie qui, en plus de semer la maladie et la mort, a déjà accéléré l’appauvrissement d’un grand nombre de travailleurs dans la province. Et les prolétaires continueront d’être malmenés ainsi tant et aussi longtemps que le pouvoir du capital n’aura pas cédé la place à celui de la classe ouvrière.
Mardi dernier, des militants de notre organisation sont allés rencontrer les lock-outés sur leur piquet de grève pour en apprendre plus sur leur situation et pour leur faire connaître l’existence de notre journal. Lorsque le drapeau rouge du Parti communiste révolutionnaire a été déployé par nos militants, l’excitation a monté d’un cran parmi les ouvriers. Ceux-ci savaient que le fait de brandir un tel symbole devant leur usine constituait un affront – justifié – envers leurs patrons capitalistes. L’un des ouvriers, en saisissant le drapeau avec enthousiasme, s’est exclamé : « ça va brasser! ». Il avait parfaitement raison. Le communisme, c’est le mouvement général des travailleurs qui tend vers la destruction complète du mode de production capitaliste par la révolution. Et ce mouvement organisé est en train de renaître dans notre pays. Dans les prochaines années, ça va effectivement « brasser » au Québec et au Canada. Le prolétariat va recommencer à s’exprimer et à combattre comme une seule classe sociale pour ses propres intérêts fondamentaux et pour ses propres objectifs politiques. Une grande agitation va traverser la société : ça va brasser dans la rue, dans les quartiers des affaires, mais aussi dans les zones ouvrières et dans les quartiers populaires. Le peuple travailleur va se soulever contre l’injustice.
Pour mener ce grand affrontement jusqu’au bout, il faut construire dès maintenant l’organisation dont nous avons besoin, c’est-à-dire le parti politique prolétarien. Si nous y travaillons sérieusement, de vastes réseaux d’ouvriers révolutionnaires seront constitués d’ici quelques années afin de mener une lutte à finir contre la classe bourgeoise. Des actions combatives seront menées contre le pouvoir bourgeois et les institutions de la grande bourgeoisie. Et ultimement, les exploiteurs seront renversés. À ce moment, les travailleurs pourront enfin concrétiser le slogan : « La classe ouvrière prendra le pouvoir et dirigera la production! ».