Négociations du secteur public : de nouvelles actions contre le gouvernement Legault
Cela fait maintenant plus de sept mois que les conventions collectives des 550 000 travailleurs du secteur public sont échues, et plus d’un an que la plupart des grandes organisations syndicales représentant les employés de l’État capitaliste ont déposé leurs demandes au Conseil du trésor. Or, les négociations entre les syndicats et le gouvernement n’ont presque pas avancé, ce dernier refusant obstinément d’améliorer un tant soit peu les conditions de travail des centaines de milliers d’employés de l’appareil étatique bourgeois. En fait, alors que les syndicats ont accepté de faire des compromis depuis le début des négociations, le gouvernement, lui, n’a presque pas mis d’eau dans son vin depuis qu’il a déposé sa première offre salariale au mois de décembre dernier – une offre absolument méprisante, très éloignée du rattrapage salarial qui s’impose, et qui implique plutôt l’appauvrissement continu des travailleurs dans les prochaines années. Or, non seulement les travailleurs de la santé et de l’éducation méritent de pouvoir exercer leurs fonctions dans des conditions humaines et dignes, mais leur travail touche aux conditions de vie de l’ensemble des prolétaires québécois bénéficiant des services fournis par l’État bourgeois. Le refus du gouvernement de faire la moindre concession pour améliorer ces services – et les conditions de travail de ceux qui les allouent –, et ce, malgré les besoins criants des masses populaires, constitue ainsi une attaque contre tout le prolétariat du Québec.
Ce refus catégorique est d’autant plus odieux que les travailleurs de la santé et de l’éducation – que les politiciens bourgeois qualifiaient de « travailleurs essentiels » et qu’ils « remerciaient » hypocritement au printemps dernier – prennent des risques immenses et se démènent depuis le début de la pandémie pour réussir à accomplir les tâches insurmontables que les capitalistes leur imposent. Des milliers d’entre eux ont contracté le virus et certains en sont morts. Près de 8 mois après le début de l’épidémie, les travailleuses de la santé, dont les cris de détresse ont été ignorés, continuent d’être forcées de travailler dans des conditions dangereuses, sans masques N95. Et pour ajouter l’insulte à la blessure, on les accuse désormais publiquement d’être responsables des éclosions dans les établissements de soins. De leur côté, les enseignants et le personnel des écoles sont obligés depuis le début de l’automne de travailler en sous-nombre et dans les pires conditions sanitaires (classes surchargées et mal aérées, densité extrême dans les espaces communs, élèves sans masques, etc.), et ce, pour la seule raison de permettre la relance économique et l’accumulation capitaliste. Le traitement scandaleux réservé à tous ces travailleurs et l’entêtement du gouvernement à ne pas vouloir améliorer leur sort mettent en lumière le caractère véritable de François Legault (qui tente faussement de se présenter comme un politicien « proche du peuple » et différent de ses prédécesseurs libéraux) ainsi que l’hostilité fondamentale de l’État capitaliste envers les masses laborieuses.
La pandémie met une pression immense sur les réseaux de la santé et de l’éducation et sur les travailleurs qui y œuvrent, lesquels font présentement face à un épuisement grandissant. Plusieurs n’en peuvent tout simplement plus et démissionnent (sans parler de ceux qui sont temporairement mis hors service parce qu’ils ont contracté la COVID-19 ou bien parce qu’ils doivent s’isoler). Récemment, la Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec (FTQ) a lancé un cri d’alarme en avertissant que l’on était « sur le point de rupture de services » et que des investissements importants s’imposaient de manière urgente. Mais le gouvernement de la classe capitaliste continue d’ignorer ces avertissements. Déplorant le blocage des négociations par les autorités, le président de la FTQ, Daniel Boyer, a dit craindre que le gouvernement ne finisse par adopter une loi spéciale pour imposer unilatéralement les conditions de travail aux employés de l’État, comme l’avait fait le gouvernement Charest en 2005. « On est sensiblement devant le même scénario qu’à l’époque, devant des négociateurs qui ne veulent pas bouger », a-t-il déclaré.
Devant la stagnation du processus de négociations, les travailleurs et leurs syndicats commencent à intensifier leurs moyens de pression. Le 19 octobre dernier, des centaines d’infirmières et d’autres travailleuses de la santé membres de la Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec (FIQ) ont fait une action spectaculaire en bloquant le pont de Québec et le pont Jacques-Cartier à Montréal pour protester contre le refus du gouvernement d’entendre leurs revendications. Le 31 octobre, la FTQ a organisé une manifestation devant les bureaux montréalais du premier ministre François Legault pour dénoncer l’impasse dans laquelle se trouvent les négociations. Puis, le 3 novembre, une quarantaine de travailleuses de la santé affiliées à la Confédération des syndicats nationaux (CSN) ont bloqué pendant 45 minutes le boulevard des Forges sur le viaduc du pont Lejeune à Trois-Rivières pour dénoncer leur épuisement et le mépris dont elles font l’objet.
Commentant l’action des manifestantes à Trois-Rivières, Pascal Bastarache, le président du Syndicat du personnel paratechnique, des services auxiliaires et de métiers-CSN du CIUSSS de la Mauricie et Centre-du-Québec, a fait une déclaration traduisant bien l’état d’esprit actuel de l’ensemble des travailleurs du secteur public :
« En temps normal, on rappelle aux membres l’importance d’avoir une mobilisation bien structurée, mais tous les jours, nos membres nous demandent des actions supplémentaires et certains s’organisent en cellule d’actions indépendantes.
Plus récemment, le 9 novembre, des travailleurs des services publics membres de la CSN ont mené une action importante en occupant les bureaux du Conseil du trésor à Montréal pendant que d’autres militants manifestaient à l’extérieur pour exiger que les négociations débloquent. Ayant pris part à cette action, le président de la CSN, Jacques Létourneau, a déclaré :
« Pour qu’il n’y ait plus de pénurie de personnel dans nos réseaux, il faudra plus que des mercis en point de presse. Il doit y avoir de meilleures conditions de travail et de pratique et, pour y arriver, il faut s’attaquer sérieusement à la surcharge de travail qui est devenue insoutenable. Et ça prend aussi de meilleurs salaires, des augmentations significatives, particulièrement pour celles et ceux qui gagnent le moins. »
Parmi les enseignants, la colère et l’impatience montent également. Récemment, lors d’une action nocturne, des militants de la Fédération autonome de l’enseignement (FAE) ont tapissé d’affiches les bureaux du ministère de l’éducation à Montréal et à Québec, les bureaux du ministre Roberge ainsi que certains centres de services scolaires. Du côté de la Fédération des syndicats de l’enseignement (FSE-CSQ) – syndicat représentant la majorité des enseignants du réseau scolaire public au Québec –, on se prépare présentement à mener des « actions de perturbation » et des « coups d’éclat » pour intensifier la pression sur le gouvernement et mettre en lumière la détresse actuellement vécue par les enseignants. Le recours à la grève est même une option sur la table – le tiers des syndicats membres de la FSE s’étant récemment dits « prêts à envisager la grève à court terme ». Des consultations sur des mandats de grève pourraient avoir lieu avant le temps des fêtes.
L’affrontement avec le gouvernement pourrait donc prendre une nouvelle forme dans les prochaines semaines. Déjà, d’autres actions importantes ont été annoncées. Notamment, samedi le 14 novembre prochain, des manifestations régionales organisées par la CSN auront lieu en simultané un peu partout au Québec, soit plus précisément à Montréal, à Sherbrooke, à Trois-Rivières, à Québec, à Sept-Îles, à Gatineau, à Chicoutimi, à Amos, à Mont-Saint-Hilaire et à Gaspé. Les organisateurs invitent « toutes celles et ceux qui ont à cœur les services publics, travailleuses, travailleurs, familles, amis » à se joindre à ces manifestations. Ce sera donc l’occasion pour les prolétaires travaillant dans le secteur privé de venir exprimer leur solidarité envers leurs camarades du secteur public et dénoncer avec eux les agissements de la bourgeoisie.
Comme nous l’avons déjà dit, les travailleurs exploités par les capitalistes privés (dont un certain nombre ont également été qualifiés de « travailleurs essentiels » au début de la pandémie) sont eux aussi affectés indirectement par les conditions de travail lamentables que l’État bourgeois impose à ses employés, en plus d’être eux-mêmes victimes, en cette période de crise sanitaire, d’attaques particulièrement odieuses de la bourgeoisie (on n’a qu’à penser aux lock-out qui durent depuis des semaines à l’entrepôt central de Jean Coutu à Varennes, à l’usine WestRock à Pointe-aux-Trembles et à l’usine Demix Béton à Saint-Hubert). Malgré les tentatives du premier ministre Legault de « monter » une partie des masses populaires contre les travailleurs du secteur public – en répétant entre autres qu’il faut « respecter la capacité de payer des Québécois » pour faire apparaître leurs revendications comme étant opposées aux intérêts des autres travailleurs –, beaucoup de prolétaires savent que les gains obtenus par les employés de l’État capitaliste, loin d’être un fardeau pour eux, sont en fait des gains pour l’ensemble de leur classe sociale, dont l’intérêt réside dans l’unité des travailleurs de tous les secteurs contre la classe capitaliste. L’appui des prolétaires du secteur privé envers leurs camarades du secteur public ainsi que leur participation à la mobilisation actuelle contre le gouvernement vont donc de soi.
Une bataille nécessaire qui doit servir à développer le mouvement politique prolétarien dont nous avons besoin
La lutte des travailleurs du secteur public et de leurs représentants syndicaux pour arracher le plus de concessions possible à la bourgeoisie dans le cadre des négociations actuelles est absolument nécessaire et elle doit être menée jusqu’au bout – avec l’appui de l’ensemble des prolétaires de la province. Cela dit, même si les syndicats parviennent à faire des gains importants au terme de ce bras de fer, un grand nombre de problèmes qui affligent les travailleurs de la santé et de l’éducation ne seront pas réglés. L’affrontement économique actuel ne mettra pas fin à l’exploitation et la lutte des classes ne s’arrêtera pas avec la signature des nouvelles conventions collectives. Ce dénouement inévitable est susceptible de générer un sentiment de déception et d’impuissance parmi les travailleurs, ainsi qu’une certaine confusion quant à la marche à suivre dans les mois et les années à venir. Certains travailleurs, encouragés par des idéologues anti-syndicaux qui veulent « revitaliser » artificiellement le mouvement ouvrier, rejetteront peut-être la faute sur l’appareil syndical actuel. Ce serait une erreur.
La persistance de problèmes importants dans le réseau de la santé et de l’éducation ne résultera pas d’un « échec » des négociations et de la lutte actuelles, mais bien du fait que la bourgeoisie demeurera aux commandes de l’État et de la société. Tant et aussi longtemps que ce sera le cas, l’organisation du travail et l’allocation des ressources financières par les gouvernements continueront à servir les intérêts de la classe bourgeoise et non ceux des travailleurs. Cela ne signifie nullement qu’il ne faille pas s’engager à fond dans la lutte syndicale actuelle contre le gouvernement : cela signifie que les travailleurs ne doivent pas mettre toutes leurs énergies et fonder tous leurs espoirs dans ce genre d’affrontements. Au contraire, en plus de la lutte économique, il faut développer un mouvement de lutte politique pour en finir avec le pouvoir bourgeois, avec les classes sociales et avec l’exploitation capitaliste!
Comme l’a révélé plus clairement que jamais la crise sanitaire, l’État qui nous fait face est un appareil fondamentalement hostile aux intérêts du peuple. Il n’est là que pour servir les intérêts des bourgeois qui le contrôlent : c’est l’instrument de la dictature de la grande bourgeoisie. Eh bien, on ne peut pas se contenter de lutter éternellement pour arracher des miettes à cet État bourgeois qui nous exploite : il faut également se préparer à le détruire et à le remplacer par un nouveau pouvoir prolétarien au service de la majorité laborieuse. Autrement dit, il ne faut plus se contenter de lutter pour obtenir une petite part de toute la richesse que notre classe – le prolétariat – a produite : il faut lutter pour saisir l’ensemble des richesses que la classe capitaliste monopolise et pour les mettre à la disposition des masses populaires!
Les bourgeois s’accordent plutôt bien avec le fait que l’on se contente de la lutte revendicative immédiate sans chercher à aller plus loin, car non seulement cela leur garantit que leur pouvoir ne sera pas menacé à brève échéance, mais cela finit par favoriser, en plus, une certaine indifférence – voire parfois une certaine hostilité – vis-à-vis des organisations syndicales auxquelles l’on remet le fardeau de régler tous les problèmes des travailleurs (au grand plaisir des capitalistes qui voient ces organisations de défense du prolétariat comme des cailloux dans leurs souliers dont ils aimeraient bien se débarrasser). En fait, ce qui affolerait réellement la bourgeoisie, c’est le développement d’une organisation ouvrière révolutionnaire réussissant à entraîner des masses de prolétaires dans la lutte pour renverser le pouvoir capitaliste et pour transformer radicalement la société dans son ensemble. Or, ce ne sont pas les syndicats qui vont initier et diriger ce mouvement politique révolutionnaire : ce n’est pas leur rôle. Pour mener cette grande bataille, il nous faut un parti politique prolétarien indépendant de l’État bourgeois.
La mobilisation actuelle des travailleurs du secteur public contre le gouvernement Legault est nécessaire en elle-même. Mais elle doit aussi servir à favoriser le ralliement du plus grand nombre de prolétaires à la perspective de la lutte politique pour le pouvoir prolétarien et pour le socialisme, sans quoi les combats seront toujours à recommencer et les revendications populaires ne seront jamais satisfaites dans leur totalité. Des travailleurs – du secteur public comme du secteur privé – militent déjà activement pour le camp de la révolution et d’autres commencent à vouloir rejoindre leurs rangs. Ils seront présents et formeront un contingent communiste à la manifestation organisée par la CSN à Montréal samedi prochain à 13h00.
Le journal ISKRA du Parti communiste révolutionnaire invite ses lecteurs à marcher aux côtés des syndiqués du secteur public et à se joindre au contingent rouge. Ce sera l’occasion, pour plusieurs travailleurs cherchant à sortir des limites de l’activité purement syndicale, de discuter avec des militants communistes de la perspective du développement d’un mouvement politique prolétarien visant à établir le socialisme au Québec et au Canada!