Haut-Karabakh : le peuple arménien a le droit à l’autodétermination
Depuis un mois et demi déjà, la population du Haut-Karabakh subit une fois de plus les affres d’une guerre injuste, dont les hostilités ont été déclenchées par le gouvernement de l’Azerbaïdjan. Ce dernier souhaite rétablir sa mainmise sur ce petit territoire, qu’il a perdu dans les faits en 1991 lorsque la population de la région s’est massivement prononcée en faveur de la création d’un État indépendant, la République de l’Artsakh, qui a depuis ce temps réussi tant bien que mal à garder le contrôle du territoire, bien que n’ayant jamais été reconnu par la « communauté internationale ».
Coincé entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan, le Haut-Karabakh est très majoritairement peuplé d’Arméniennes et d’Arméniens, à 95%. Depuis le début de la récente offensive azerbaïdjanaise le 27 septembre, on évalue que les bombardements et tirs d’artillerie ont forcé le déplacement de plus de 75 000 personnes, soit la moitié de la population totale qui y vit. Il faut savoir que le conflit entre Arméniens et Azerbaïdjanais pour le contrôle du territoire s’est poursuivi sans interruption, de manière ouverte ou latente, depuis la dislocation de l’URSS en 1991.
Jusque-là, le Haut-Karabakh était reconnu comme une région autonome au sein de la République d’Azerbaïdjan. Celle-ci, tout comme l’Arménie voisine, faisait partie de l’Union soviétique. Historiquement, le fait que le Haut-Karabakh était peuplé majoritairement d’Arméniennes et Arméniens n’avait jamais vraiment causé de problème, dans la mesure où l’égalité des langues et des nations restait relativement assurée. À l’occasion du passage du capitalisme d’État au capitalisme privé amorcé durant le règne du renégat Gorbatchev, les capitalistes bureaucratiques au pouvoir dans les diverses républiques ont systématiquement recouru au chauvinisme et au nationalisme pour consolider leurs assises. C’est dans ce contexte que les autorités de la République d’Azerbaïdjan ont amorcé un processus d’azérisation du Haut-Karabakh et de stigmatisation de la population arménienne. Un large mouvement populaire en faveur de l’autonomie du Haut-Karabakh a alors émergé. En 1988, la région autonome s’est ainsi autoproclamée « république socialiste soviétique », au même titre que l’Arménie et l’Azerbaïdjan. Mais cette dernière s’y est violemment opposée : des pogroms anti-arméniens ont alors fait des centaines de victimes, notamment à Bakou, la capitale azerbaïdjanaise.
Avec l’effondrement de l’Union soviétique en 1991, les lignes de fracture se sont accentuées : des centaines de milliers d’Arméniens ont été contraints de fuir l’Azerbaïdjan, tandis que le phénomène inverse se produisait alors que les Azerbaïdjanais d’Arménie et du Haut-Karabakh prenaient la direction de l’Azerbaïdjan. La sécession du Haut-Karabakh, proclamée le 2 septembre 1991 et consacrée par référendum quelques semaines plus tard, a accentué une guerre déjà sanglante et jamais résolue. Au total, la période de guerre ininterrompue entre 1988 et 1994 aura fait au moins 30 000 morts et des centaines de milliers de réfugiés. Depuis, le cessez-le-feu décrété en 1994 a été régulièrement mis à mal, l’Azerbaïdjan n’ayant jamais renoncé à reprendre le contrôle de la région. Les tentatives de médiation menées par Moscou, Washington et Paris – les puissances impérialistes désignées par l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe pour essayer de trouver une solution qui préserverait l’équilibre des forces en présence – sont demeurées vaines. Par-dessus l’expression légitime du droit à l’autodétermination de la population arménienne du Haut-Karabakh, au coeur du conflit, se trament les intérêts de l’impérialisme russe, allié de l’Arménie, et de la Turquie expansionniste, qui soutient l’Azerbaïdjan.
Pour quelle raison l’Azerbaïdjan a-t-elle décidé de se lancer dans une nouvelle offensive meurtrière le 27 septembre 2020? Certains diront qu’avec la crise et l’effondrement de ses revenus pétroliers, ses dirigeants ont senti le besoin de faire vibrer la fibre patriotique, afin de garder le contrôle sur leur population. Pas plus tard qu’en juillet, plusieurs manifestations ont d’ailleurs été organisées, à Bakou, pour réclamer une intervention militaire contre le Haut-Karabakh. Le « grand frère turc », qui encadre et équipe l’armée azerbaïdjanaise, y est sans doute aussi pour quelque chose, lui qui n’a de cesse d’étendre son influence dans la région. La Turquie aurait d’ailleurs assuré le déploiement en Azerbaïdjan de centaines de djihadistes ayant combattu le régime de Bachar Al-Assad en Syrie, désormais protégés par Ankara – entre 300 et 1 200 selon différentes sources – pour se battre aux côtés de l’armée azerbaïdjanaise.
Une chose est sûre, c’est que ce sont les populations civiles, de part et d’autre, qui en paient le prix. Les trois « cessez-le-feu » intervenus au cours du mois d’octobre ne l’ont été que de nom; ils n’ont jamais duré plus que quelques minutes avant que les bombardements reprennent. Officiellement, on rapporte un peu plus de 1 000 morts depuis le 27 septembre, dont une centaine de civils. Mais alors que chaque partie se targue d’avoir fait plusieurs milliers de victimes dans le camp ennemi, le nombre réel de morts est sans doute beaucoup plus élevé – le président russe, Vladimir Poutine, a récemment évoqué le chiffre de 5 000. Comme dans la plupart des conflits régionaux, le « droit de la guerre » bourgeois a rapidement montré ses limites. L’ONG Amnesty International a d’ailleurs dénoncé l’utilisation de bombes à sous-munitions, interdites depuis 2010 par une convention internationale, à laquelle, il faut dire, ni l’Arménie, ni l’Azerbaïdjan n’ont adhéré. Ses observateurs disent avoir identifié des bombes à sous-munitions M095 DPICM de fabrication israélienne dans les zones résidentielles de Stepanakert, la capitale du Haut-Karabakh, qui auraient été tirées par les forces azerbaïdjanaises.
Aux dernières nouvelles, et bien qu’il demeure difficile de départager les faits réels de ce qui relève de la propagande de guerre, il semble que les forces azerbaïdjanaises aient réussi à reconquérir des territoires qui échappaient jusque-là à leur contrôle. Fin octobre, les autorités arméniennes ont reconnu avoir perdu le contrôle de la ville de Goubadly, au sud, permettant ainsi aux troupes azerbaïdjanaises de se rapprocher d’une importante route reliant l’Arménie et le Haut-Karabakh. L’Azerbaïdjan réussira-t-elle à reconquérir l’entièreté du territoire? Le cas échéant, ça signifiera qu’elle aura réussi à en expulser la majorité de la population arménienne qui y habite, dont la moitié, comme on l’a vu, a déjà été contrainte de s’enfuir. Cette opération de nettoyage ethnique s’avérerait une calamité de plus pour les Arméniennes et les Arméniens, victimes il y a un siècle d’un génocide perpétré par l’Empire ottoman.
Lors d’une cérémonie tenue en avril dernier au Rojava, les combattants arméniens du Parti communiste de Turquie/marxiste-léniniste (TKP/ML) et du Parti communiste marxiste-léniniste (MLKP) ont commémoré de façon solennelle le génocide arménien, perpétué de nos jours par l’État turc et sa politique de suppression de la population kurde. Les survivants du génocide ayant été soumis à une politique d’arabisation ou de « kurdisation » forcée sur le territoire de ce qui allait devenir la Turquie, plusieurs kurdes revendiquent des origines arméniennes.
S’adressant aux camarades communistes d’Azerbaïdjan, de Géorgie, d’Arménie, du Daghestan et de la République des peuples du Caucase du Nord en 1921, Lénine, le grand dirigeant de la révolution d’Octobre, écrivait : « En saluant chaleureusement les Républiques soviétiques du Caucase, je me permets d’exprimer l’espoir que leur étroite union créera un modèle de paix nationale inconnue sous la bourgeoisie et impossible en régime bourgeois. Mais si importante que soit la paix nationale entre les ouvriers et les paysans des nationalités peuplant le Caucase, il importe infiniment plus de maintenir et de développer le pouvoir des Soviets qui constitue la transition au socialisme. »
Ce pouvoir des Soviets – l’Union des républiques socialistes soviétiques – a assuré la cohabitation harmonieuse des peuples et des minorités nationales de la région pendant trois bonnes décennies; dans une certaine mesure, cette cohabitation s’est prolongée, après la fin du socialisme et l’instauration du capitalisme d’État en URSS. Toutefois, le triomphe du capitalisme privé et la consolidation d’une nouvelle bourgeoisie au pouvoir sont venus confirmer, a contrario, les propos de Lénine voulant que le modèle de paix nationale qu’il espérait tant pour les peuples du Caucase fut « impossible en régime bourgeois ». Un siècle plus tard, c’est encore le socialisme – le renversement des régimes bourgeois et la montée du prolétariat au pouvoir – qui mettra fin à la barbarie.