Blocages de ponts par la FIQ : une riposte justifiée aux actions de l’État capitaliste!
Lundi, la Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec (FIQ) a mis en œuvre des actions de blocage sur le pont de Québec et sur le pont Jacques-Cartier à Montréal en guise de protestation contre le gouvernement Legault et son refus d’entendre les revendications actuelles des infirmières et des autres travailleuses représentées par le syndicat. Du côté de Québec, entre 100 et 150 travailleuses de la santé sont parties de Lévis et ont réussi à manifester sur le pont jusqu’à l’autre rive en brandissant les drapeaux de leur organisation syndicale, forçant la fermeture temporaire de l’infrastructure. À Montréal, vers 11h du matin, une centaine d’infirmières, avec à leur tête la présidente de l’organisation Nancy Bédard, ont emprunté la bretelle d’accès au Pont Jacques-Cartier et se sont dirigées vers le sud dans le but de traverser le pont jusqu’à Longueuil. Elles se sont malheureusement heurtées à un cordon de policiers du SPVM qui les ont empêchées d’accéder au pont. L’entrée de ce dernier a néanmoins été bloquée en direction sud pendant environ une demi-heure, générant du trafic sur l’avenue Papineau.
La convention collective des 76 000 infirmières, infirmières auxiliaires, inhalothérapeutes et perfusionnistes cliniques membres de la FIQ est échue depuis le 31 mars dernier (comme le sont les conventions collectives de l’ensemble des travailleurs du secteur public). Les négociations traînent depuis des mois. Évidemment, avec la pandémie, les enjeux relatifs au renouvellement de la convention collective se sont rapidement trouvés entremêlés avec ceux liés à l’état d’urgence sanitaire. En effet, les problèmes que dénoncent depuis longtemps les travailleuses de la santé ont été aggravés par la pandémie, et surtout, par la gestion désastreuse de cette dernière par les autorités. Le manque de personnel et la surcharge de travail sont désormais plus criants que jamais. Aussi, les travailleuses doivent lutter depuis des mois pour leur sécurité et pour défendre leurs droits, lesquels ont été brimés par le gouvernement et par les directions du réseau de la santé avec l’état d’urgence.
Dans le cadre des négociations autour du renouvellement de la convention collective, la FIQ revendique notamment des ratios infirmière-patients sécuritaires, des équipes de travail complètes et stables, des mesures visant à rendre attractifs les postes à temps complet, la fin du temps supplémentaire obligatoire (TSO) ainsi que l’harmonisation des heures de travail hebdomadaires à 37,5 heures pour toutes. Ces demandes n’ont rien de déraisonnables, mais le gouvernement s’entête à ne pas vouloir les satisfaire. Ainsi, le 17 septembre, les déléguées de la FIQ ont dû rejeter les dernières offres gouvernementales touchant aux conditions de travail, offres qu’elles ont qualifiées de « méprisantes, insultantes et odieuses ». Trois semaines plus tard, le syndicat lançait un ultimatum au gouvernement, lui donnant cinq jours pour acquiescer à certaines demandes importantes sans quoi « des moyens d’action et de visibilité drastiques » seraient mis en œuvre. Le 14 octobre, faisant suite à cet ultimatum, le syndicat a annoncé que les infirmières et les autres travailleuses qu’il représente allaient refuser de se soumettre au temps supplémentaire obligatoire les 24 et 25 octobre. Puis, mettant à exécution sa menace d’employer des moyens d’action plus robustes, la FIQ a bloqué deux ponts lundi dernier.
Expliquant le sens de l’action menée par les infirmières, Nancy Bédard a déclaré : « Tant au sens propre qu’au sens figuré, c’est un signal de détresse que nous lançons une fois de plus au gouvernement Legault. Au cours des derniers jours, nous avons été claires : le gouvernement retrouvera les professionnelles en soins où il n’a pas l’habitude de les voir. Nous n’avons plus d’autre choix. Depuis trop longtemps, et sur toutes les tribunes, nous répétons que l’épuisement a raison des professionnelles en soins et les pousse vers la maladie, la retraite ou la démission. Nous sommes à la table de négociation depuis des mois et nos propositions concrètes continuent d’être ignorées. Si nos mots ne sont plus entendus, nos actions, elles, devront l’être. Aujourd’hui, nous voulons que tout le Québec sache que nous en avons assez, nos conditions de travail doivent changer. »
Les réactionnaires dénoncent en bloc le geste des infirmières
Les blocages de ponts ne constituent pas une forme de lutte courante dans le mouvement syndical québécois. Mais ce n’est pas la première fois pour autant qu’une telle action est organisée. Le 1er mai 2015, dans le contexte de la mobilisation massive du Front commun, les syndicats du secteur public avaient tenté de tenir une action de perturbation sur le pont de Québec afin de souligner la Journée internationale des travailleurs. Une quinzaine d’autobus remplis de syndiqués de la CSN, de la FTQ et du SFPQ s’étaient dirigé vers le pont pour y manifester, mais les policiers de la SQ leur avaient malheureusement bloqué le passage. Cet « échec » montre que ce genre d’opération n’est pas facile à exécuter et rend la réussite de la FIQ d’autant plus impressionnante. Mais surtout, considérant le caractère inhabituel de ce type d’action, les blocages de lundi témoignent du degré d’exaspération des travailleuses de la santé et de l’intensité de l’antagonisme entre le syndicat et le gouvernement actuel.
La ministre responsable des négociations avec les employés du secteur public, Sonia Lebel, n’a d’ailleurs pas tardé à réagir en déclarant sur Twitter qu’elle était « déçue du choix de la FIQ dans ses actions pour manifester ». Évidemment, les commentateurs réactionnaires, laquais de la bourgeoisie, ont eux aussi dénoncé en chœur l’action des syndiquées, affirmant que bloquer des ponts était un moyen illégitime pour se faire entendre, peu importe la cause défendue, puisque cela nuisait à la vie des gens ordinaires qui les empruntent. Par exemple, le chroniqueur Éric Duhaime a déclaré sur Facebook : « Même si elles ont raison sur certaines de leurs revendications, les infirmières ont TOTALEMENT tort de bloquer des routes ou des ponts. Les travailleurs qu’elles prennent en otage ne sont nullement responsables de leurs mauvaises conditions ». Interviewant Nancy Bédard sur les ondes du 98.5 FM, l’animateur vedette Paul Arcand a quant à lui déclaré de manière provocatrice : « Je sais que les infirmières et autres professionnelles de la santé ont un énorme capital de sympathie. Vous n’avez pas peur d’effriter ce capital-là quand vous prenez un pont d’assaut, [quand] vous laissez les gens prisonniers dans leurs autos et qu’ils doivent faire des détours et que ça les emmerde plus qu’autre chose? »
Si on suit la logique de ces commentateurs, faire la grève serait également illégitime puisque cela entraîne des conséquences « désagréables » pour d’autres travailleurs. Les manifestations en général seraient aussi à proscrire puisqu’elles perturbent toujours plus ou moins la circulation automobile. En fait, peu importe les moyens utilisés, les réactionnaires trouveront toujours le moyen de les dénoncer. Rappelons que le premier ministre François Legault avait vivement attaqué la FIQ au printemps dernier pour avoir simplement tenu un rassemblement (qui n’avait pas perturbé grand-chose) devant son bureau. Et dans les semaines précédentes, avant même que des actions militantes ne soient organisées par la FIQ, le syndicat et sa présidente étaient accusés d’égoïsme dans les médias pour la simple raison qu’ils « osaient » dénoncer verbalement la situation aberrante dans laquelle les infirmières étaient plongées au moment où il fallait – selon les porte-paroles de la bourgeoisie – que toute la population s’unisse dans la lutte contre la pandémie! Bref, les représentants de la bourgeoisie ne s’opposent pas simplement à certains moyens utilisés par les infirmières : ils s’opposent carrément au fait que les infirmières revendiquent des améliorations. Pendant des mois, les cris de détresse des travailleuses de la santé ont été ignorées par le gouvernement. Il n’est donc pas surprenant qu’elles haussent désormais le ton et qu’elles entreprennent des actions plus percutantes pour se faire entendre.
Ces actions peuvent certes être qualifiées de « dérangeantes » pour une partie de la population. Mais c’est également le cas de la plupart des moyens de lutte employés par les prolétaires pour combattre les capitalistes. Cela est vrai pour les blocages, mais ce l’est également vrai pour les grèves et pour les manifestations, voire même pour l’affichage, le tractage, l’agitation publique, etc. Surtout, il faut comprendre que ces moyens de lutte constituent une réponse à l’exploitation que la bourgeoisie fait subir aux travailleurs. Dans le cas de l’action de la FIQ, il s’agissait d’une réponse à l’intransigeance du gouvernement Legault et à son refus catégorique de satisfaire des revendications parfaitement rationnelles et raisonnables. C’est donc le gouvernement, et lui seul, qui doit être dénoncé pour cette situation. D’ailleurs, il faut admettre que les répercussions « négatives » de ce genre d’actions pour la population sont infimes, surtout lorsqu’on les compare aux effets dramatiques des décisions que les bourgeois prennent constamment et qui affectent la vie de l’ensemble des prolétaires. Par exemple, le refus de la bourgeoisie de financer adéquatement le système de santé – refus que dénonce précisément la FIQ – empêche tous les prolétaires qui en ont besoin de recevoir des soins adéquats, soit un « désagrément » infiniment plus important que celui causé par n’importe quel blocage ou n’importe quelle grève!
Plus largement, les luttes économiques qui éclatent ici et là sont le produit d’une contradiction réelle qui ne disparaîtra pas tant que les classes sociales existeront. S’il y a des perturbations, c’est parce que la société capitaliste est une société chaotique caractérisée par l’exploitation du plus grand nombre. D’ailleurs, même lorsqu’il n’y a pas de grèves ou de luttes ouvertes, la vie sociale n’en demeure pas moins chaotique: il y a toujours des problèmes, des situations aberrantes, des crises. Bref, ce qui pourrit la vie des travailleurs, ce ne sont pas les luttes syndicales et populaires, c’est l’organisation anarchique de la société bourgeoise!
Le peuple est derrière la FIQ!
Bloquer des ponts, cela peut être une forme de lutte parfaitement légitime si la cause défendue est juste et s’il est clair que ce ne sont pas les masses elles-mêmes qui sont ciblées. C’était bien le cas du blocage organisé par la FIQ. Non seulement leurs revendications (obtenir des conditions de travail humaines et améliorer la qualité des soins à la population) sont parfaitement sensées, mais la manière dont leur action était organisée envoyait un message sans ambiguïté aux masses. Par ailleurs, les blocages de la FIQ n’ont pas été planifiés dans le but d’entraver pendant plusieurs heures la circulation : on ne voulait pas nuire exagérément aux prolétaires qui doivent emprunter les ponts pour se rendre au travail. L’objectif était plutôt de faire un coup d’éclat pour augmenter la pression sur le gouvernement et pour montrer à quel point les travailleuses de la santé sont déterminées à se battre.
Pourtant, en interviewant Nancy Bédard à QUB Radio, l’animatrice Geneviève Pettersen a interpelé son interlocutrice sur un ton agressif en disant : « Là vous savez que quand vous faites ça, madame Bédard, les gens [ne] sont pas contents ». Pour appuyer ses propos, elle a comparé l’action de la FIQ à celle menée l’an dernier par le groupe écologiste Extinction Rebellion (dont des militants avaient escaladé la structure du pont Jacques-Cartier à Montréal, forçant sa fermeture complète pendant plus d’une heure et demie en pleine heure de pointe matinale), une action qui avait été perçue négativement par la population. Or, si ce geste n’avait pas reçu l’approbation des masses populaires, c’est surtout parce que la cause défendue par Extinction Rebellion (la lutte pour la « décroissance » économique afin d’empêcher un « effondrement écologique et climatique » relevant du fantasme) est réactionnaire et ne représente en rien les intérêts de la majorité! Aussi, le blocage organisé par ce groupe anti-pétrole et anti-voitures donnait l’impression de cibler spécifiquement les prolétaires qui empruntent quotidiennement leur automobile pour aller au travail, ce qui n’était pas du tout le cas de l’action de la FIQ.
Contrairement à la façon dont les masses avaient perçu l’an dernier le blocage d’Extinction Rebellion, il y a fort à parier qu’une grande partie, voire la majorité des travailleurs approuvent l’action des infirmières. En effet, leurs revendications sont parfaitement compréhensibles et leur détresse résonne avec celle vécue par l’ensemble des prolétaires – lesquels forment, après tout, une seule et même classe sociale subissant l’exploitation capitaliste. D’ailleurs, comme l’a rapporté Nancy Bédard, les manifestantes ont constaté pendant leur action qu’une bonne partie des automobilistes coincés dans le trafic approuvaient leur geste. Aussi, dans les heures qui ont suivi, les messages d’approbation ont fusé de toutes parts sur les réseaux sociaux, y compris sur la page de Radio X, un média réputé pour tenir un discours anti-syndical particulièrement virulent.
En fait, les commentateurs réactionnaires qui affirment que « les gens ne sont pas contents » ne font que répéter leur cassette dans le vide, sans tenir compte de l’opinion réelle des masses. En vérité, un grand nombre de prolétaires ont été enthousiasmés par le fait de voir les infirmières se tenir debout! Les commentateurs bourgeois sont d’ailleurs eux-mêmes obligés de reconnaître que le peuple appuie leurs revendications (bien qu’il n’appuierait pas, selon eux, les moyens employés, ce qui n’a pas de sens). En effet, avec la pandémie, les masses populaires réalisent de plus en plus à quel point les travailleuses de la santé sont placées dans une situation intenable par l’État capitaliste. Et elles savent que le combat de ces travailleuses est conforme à leurs propres intérêts de classe.
La lutte pourrait s’intensifier dans les prochains jours et les prochaines semaines
Selon ce qu’a déclaré la FIQ, les blocages de lundi ne sont qu’une première salve dans une série d’actions qui commencent cette semaine. D’autres actions sont prévues dès le week-end prochain, au moment où les infirmières et les autres travailleuses de la santé représentées par le syndicat refuseront de se soumettre au temps supplémentaire obligatoire comme elles l’ont annoncé. On peut également s’attendre à des actions encore plus vigoureuses si la situation ne s’améliore pas et si le gouvernement continue à faire la sourde oreille.
La volonté de lutter des travailleuses de la santé est à son plus haut niveau depuis longtemps. Les conditions de travail qui prévalent depuis plusieurs années dans le réseau de la santé et les offres insultantes présentées par le gouvernement dans le cadre des négociations actuelles y sont pour quelque chose. Mais la pandémie – et surtout sa gestion désastreuse par les autorités bourgeoises – a exacerbé la tension qui existait déjà. Le traitement que le gouvernement a réservé aux travailleuses dans le contexte de la crise sanitaire en les forçant à travailler dans des conditions dangereuses et en les privant de leurs droits à coups d’arrêtés ministériels a jeté de l’huile sur le feu. Désormais, la flamme de leur colère sera difficile à éteindre! Surtout que la deuxième vague (que les autorités bourgeoises ont laissé se produire pour ne pas nuire à la relance des profits capitalistes) menace de créer une situation tout simplement infernale dans le réseau de la santé.
D’ailleurs, la même chose se produit à peu près partout dans le monde. Les gouvernements capitalistes font peser le poids de leur relance économique meurtrière sur les épaules des travailleuses de la santé, qu’ils envoient au front sans aucune considération pour leur sécurité et leur bien-être – ni pour celui de tous les prolétaires malades qui s’apprêtent à subir les conséquences de la faillite complète des systèmes de santé. Et dans plusieurs pays (France, Espagne, Pérou, etc.), on voit les travailleuses de la santé se mobiliser, manifester, faire la grève et se battre pour résister aux actions inhumaines de la bourgeoisie. Avec l’aggravation de la pandémie, cette résistance est appelée à grandir partout sur la planète!