Lock-out chez Demix à Saint-Hubert : les chauffeurs de bétonnière contre le cartel du béton

Les ouvriers de l’usine Demix à Saint-Hubert ont été cavalièrement placés en lock-out, il y a un peu plus de deux semaines, après avoir tenu un piquet de grève pendant trois heures seulement. Leur convention est échue depuis mai dernier. À présent, ils sont prêts à se battre jusqu’au bout, d’autant plus qu’ils revendiquent d’atteindre « l’équité salariale », sans plus, et que cette équité leur est refusée catégoriquement. En effet, leurs homologues de la grande région de Montréal travaillant pour le même fournisseur de béton, mais dans les usines de LaSalle et de Longueuil, gagnent trois dollars de l’heure de plus qu’eux. Pourtant, ils ont non seulement le même employeur, mais ils assument exactement les mêmes tâches, dans les mêmes installations, auprès des mêmes clients. Plus encore, les travailleurs de Demix à Saint-Hubert se voient verser des salaires horaires inférieurs à ceux des ouvriers travaillant pour les fournisseurs compétiteurs que sont les géants Lafarge et Unibéton. Les vingt-cinq chauffeurs de bétonnière, le mécanicien de machinerie lourde et le préposé à l’entretien de Demix à Saint-Hubert ont même délaissé certaines autres revendications pour ne miser que sur l’ajustement des salaires. Par exemple, ils n’ont pas d’horaires fixes de travail et leur qualité de vie en souffre, mais ils se sont abstenus de réclamer de meilleures conditions de travail à cet égard pour ne pas faire de l’ombre à leur objectif principal. Il ne fait donc aucun doute qu’en ces temps de négociations, leur employeur agit de manière scandaleuse en refusant leur modeste demande : Demix s’est contenté de répliquer avec une offre indécente d’un dollar d’augmentation salariale et de cinquante sous en rétroactivité.

L’industrie du béton au Québec : une industrie cartellisée dominée par trois grands capitalistes

Les ouvriers de Demix à Saint-Hubert travaillaient autrefois pour l’usine Promix, un petit fournisseur de béton qui n’était pas coté en bourse. Or, depuis un moment, la filiale Demix de la multinationale Groupe Holcim, tout comme ses vis-à-vis Lafarge et Unibéton, rachète les petits fournisseurs pour prendre le contrôle total du marché. C’est ainsi qu’en 2015, Demix a acheté Promix sur la Rive-Sud. Elle a donc hérité de l’avantageuse convention collective déjà signée par Promix, convention qu’elle n’a d’ailleurs même pas eu la décence de respecter intégralement dans les dernières années. Cette convention n’était pourtant pas difficile à honorer, puisque les chauffeurs de bétonnière de Saint-Hubert gagnaient bien moins que ceux des usines de LaSalle et de Longueuil qui appartenaient déjà à Demix. Et il apparaît encore plus injuste pour les ouvriers de Saint-Hubert d’enregistrer un tel manque à gagner par rapport à leurs homologues des autres villes qu’ils doivent, depuis le rachat de Promix par Demix, charger le béton dans leurs camions autant à Saint-Hubert qu’à LaSalle ou Longueuil, et décharger la matière sur les chantiers qui ne se trouvent pas à proximité de Saint-Hubert. Jour après jour, depuis une demi-décennie, ils croisent des travailleurs qui effectuent le même travail qu’eux, dans les mêmes installations qu’eux, sur les mêmes territoires qu’eux, mais à de meilleurs salaires.

Demix, Lafarge et Unibéton sont des monopoles capitalistes et ensemble, ils forment un cartel au Québec : ils se livrent en partie à une fausse concurrence et s’entendent bien souvent entre eux pour mieux dominer le marché et pour mieux exploiter les masses populaires de la province. D’abord, ils accaparent tous les contrats en faisant des offres alléchantes à bas prix aux clients, mais le plus souvent, ils ne fournissent pas le service vendu, car ils n’ont même pas la capacité d’honorer ces contrats dans des délais raisonnables. Les chantiers qui nécessitent des déchargements de gros volumes de béton, eux, se multiplient. On n’a qu’à penser aux tours à condos qui poussent comme des champignons à Montréal et dans les environs, ou encore au Réseau express métropolitain (REM). Il y a des retards de livraison un peu partout à cause de requins comme Demix. Les masses populaires paient le prix de cette lenteur et de ces entraves absurdes à la construction des infrastructures. La cartellisation engendre le pourrissement de la société et freine artificiellement le développement économique au profit d’une poignée de parasites bourgeois qui s’en mettent plein les poches.

Pire encore, Demix et les autres se retrouvent souvent déficitaires en raison de mauvais contrats et ils font payer la note à leurs employés en les rémunérant à rabais et en ne leur accordant que des miettes. Ce vol organisé de la force de travail a de quoi lever le cœur des observateurs et de ceux qui le subissent; la situation doit être dénoncée haut et fort.

Pour revenir aux événements récents, la direction de Demix s’est entendue avec Lafarge, avant le déclenchement de la grève puis de la mise en lock-out, pour que des bétonnières de Lafarge viennent faire leur chargement à l’usine de Saint-Hubert. Ainsi, Demix s’assurait de pouvoir continuer à sortir son béton même si ses employés cessaient de travailler. Pour les ouvriers en négociations, cette entente sentait la manœuvre à plein nez. D’ailleurs, le 9 octobre, ils apprenaient avoir eu gain de cause auprès du Tribunal administratif du travail. Une injonction venait de tomber : Demix ne pourra plus vendre son béton à Lafarge pendant la durée du conflit, sans quoi, il fera l’objet de sanctions. La cour a tranché en faveur des lock-outés sur cet enjeu, ce qui, espérons-le, mettra du plomb dans l’aile de leur adversaire capitaliste.

Les revendications des lock-outés doivent être appuyées par tous ceux ayant à cœur la cause du prolétariat

La parité salariale revendiquée comporte deux volets : 1) l’ajustement du salaire horaire, et 2) la tarification du temps supplémentaire, le tout pour rejoindre les conditions des employés des deux autres usines sœurs. Les ouvriers de Saint-Hubert sont tout aussi lésés en ce qui concerne le deuxième volet de la revendication que le premier. En effet, les ouvriers des autres usine Demix sont payés temps double après cinquante heures de travail; ceux de Saint-Hubert sont payés temps et demi… L’iniquité est décidément grossière à tous les points de vue. Et ce fossé salarial risque de se creuser, car dans quatre ans, ce sera au tour des chauffeurs de LaSalle et de Longueuil de renégocier leur convention – et espérons qu’ils obtiendront les augmentations escomptées et qu’ils feront des gains. Mais pour les ouvriers de Saint-Hubert, si leur employeur continue de tenir la ligne dure, la pente à remonter sera plus abrupte que jamais.

Comme tous les monopoles capitalistes, Demix se comporte de manière absolument odieuse avec ses ouvriers. Les griefs se multiplient à l’usine de Saint-Hubert. Cette entreprise bafoue même la convention qui était en place, convention comportant des clauses des plus ordinaires. Avec la tournure que prend la négociation et devant l’intransigeance de l’entreprise, les travailleurs de Demix à Saint-Hubert ne fermeront plus jamais les yeux sur les manquements de leur employeur qui tente constamment de faire des économies de bout de chandelle sur leur dos, en lésinant, par exemple, sur l’installation de pancartes de signalisation dans l’environnement de travail. La négligence de Demix a assez duré.

Par ailleurs, les travailleurs se souviennent qu’avant même l’assemblée qu’ils ont tenue pour voter sur leur départ en grève, Demix avait fait livrer des clôtures amovibles sur le terrain de l’usine. L’employeur était bien au fait que son offre était irrecevable et que tout indiquait qu’elle serait rejetée… à l’unanimité! La direction s’apprêtait visiblement à jouer les durs et à refuser de rouvrir la discussion à la demande de ses employés qu’elle attendait plutôt avec une brique et un fanal. Le lock-out ne s’est d’ailleurs pas fait attendre et a été décrété au bout d’à peine quelques heures de grève. Demix a jeté à la rue les travailleurs en toute impunité alors que la pandémie reprend de plus belle et que les cas augmentent en Montérégie. Comme l’a exposé Annette Herbeuval, présidente du Conseil central de la Montérégie (CCM-CSN), syndicat qui représente les travailleurs de Demix, « [a]lors qu’il faut toutes et tous se serrer les coudes, Demix décide de placer 25 travailleurs dans la précarité et dans l’incertitude et choisit de maintenir l’inégalité qui est au cœur du litige. » « Mettre à la rue les chauffeurs alors que nous entrons dans une deuxième vague de la pandémie, qui laissera des séquelles pour tout le monde, c’est inacceptable. »

Le prolétariat a déjà été appauvri par la crise et donc, les attaques à son endroit pendant cette période difficile sont d’autant plus scandaleuses. L’on voit bien qu’à la moindre occasion, la bourgeoisie s’en prend aux travailleurs, et ce, même si elle faisait semblant de se solidariser avec eux au début de la pandémie. De leur côté, les employés de Demix n’avaient que la grève pour exercer un rapport de force, car le zèle leur est légalement interdit : ils ne peuvent pas ralentir la production sous peine d’amendes sévères. Et aujourd’hui, avec les GPS installés dans les camions, l’employeur n’aurait pas de mal à démontrer que le chauffeurs conduisent plus lentement qu’à l’habitude ou qu’ils ont fait des détours inutiles. Le 1er octobre dernier, ces travailleurs durement traités ont lancé un cri en manifestant leur mécontentement devant l’usine afin de susciter la solidarité de classe face à un capitaliste qui fait la sourde oreille et qui nie le traitement inadmissible qu’il réserve aux travailleurs qu’il exploite.

Les chauffeurs de Demix dénoncent l’organisation du travail dans leur industrie

Chez Demix, il n’est pas rare que le chaos règne, et ce sont les ouvriers qui en subissent les conséquences. Par exemple, Demix a pleinement honoré un contrat de deux millions de dollars auprès d’un client qui n’a pas encore payé pour le béton fourni. Plus encore, Demix n’avait pas contracté une hypothèque légale pour se protéger contre la défaillance de son débiteur avant de procéder aux livraisons de béton. Il est clair pour les ouvriers en lock-out que la mauvaise gestion de Demix se fait sur leur dos.

Plus encore, la multinationale s’est équipée d’un « système d’optimisation » du travail cherchant à augmenter la productivité de la masse de travailleurs répartie dans les différentes usines du fournisseur. Ainsi, comme mentionné précédemment, les ouvriers de Saint-Hubert sont appelés à aller charger leurs bétonnières ailleurs qu’à leur port d’attache et à livrer du béton un peu partout sur le territoire, autant sur la rive-sud que sur la rive-nord, à l’est comme à l’ouest. Les trajets qu’on leur impose sont souvent incongrus. Les chauffeurs font sans cesse des va-et-vient, et souvent, ils ne peuvent pas venir luncher à l’usine de Saint-Hubert avec leurs confrères comme ils avaient l’habitude de le faire auparavant. L’usure sur les camions s’accroît. La dépense en essence monte en flèche. Les chauffeurs se retrouvent souvent coincés dans des embouteillages. Pire, ils circulent dans des secteurs qu’ils ne connaissent pas, empruntent des chemins qui ne sont pas adaptés à la taille de leurs véhicules lourds, se butent à des quartiers résidentiels, empruntent des petites rues où les virages sont impraticables ou encore, se retrouvent pris sous des viaducs dont les hauteurs libres ne leur permettent pas de passer. Et ce sont les chauffeurs qui sont pointés du doigt pour ces incongruités alors qu’ils n’y sont pour rien. Les capitalistes, qui ont des exigences intenables, passent sous le radar. Bien des maux de tête accablent ces travailleurs à qui l’ont fait faire l’impossible pour que Demix continue de s’enrichir.

Seule la classe ouvrière connaît les rouages de la production et de l’économie!

Le lock-out en cours chez Demix ainsi que les conditions de travail des chauffeurs de bétonnière nous renseignent non seulement sur la voracité des grands monopoles et leur impitoyabilité envers les travailleurs, mais également sur l’organisation capitaliste de la production à notre époque au Québec. Comme le montre l’exemple du cartel formé par Demix, Lafarge et Unibéton, l’existence de groupements monopolistes dominant des industries entières – comme celle du béton – aggrave le chaos et l’anarchie qui caractérisent le mode de production capitaliste dans son ensemble, en plus d’entraîner le pourrissement de la société bourgeoise actuelle.

Ce sont les ouvriers qui expérimentent le plus directement ce chaos en constatant chaque jour les limites de l’organisation actuelle de la production et de l’économie – limites fixées par le maintien de la propriété privée bourgeoise – et l’impossibilité pour eux de réaliser leur travail de manière optimale et rationnelle, malgré leur volonté de le faire. Ainsi, la classe ouvrière – et elle seule – détient des connaissances cruciales sur les fondements de la société actuelle et sur l’ennemi à combattre pour transformer cette société. Aussi, ce sont les ouvriers – et eux seuls – qui connaissent leur travail et qui savent comment il devrait être accompli dans une société qui ne serait pas organisée en fonction des profits.

Pour combattre adéquatement les monopoles et transformer la société actuelle en faveur des intérêts du prolétariat, il ne faut pas chercher à revenir en arrière et à protéger les entreprises de taille inférieure qui subissent la concurrence impitoyable du grand capital : il faut aller de l’avant et viser à collectiviser complètement les moyens de production qui sont présentement détenus par la bourgeoisie! L’existence des cartels et des monopoles n’est pas le fruit du hasard : c’est le produit nécessaire de l’époque historique dans laquelle nous sommes et du fait que le capitalisme est entré dans son stade suprême de développement, le stade impérialiste. Or, ce stade prépare l’avènement du socialisme, c’est-à-dire d’une société dans laquelle les monopoles ont été remis entre les mains de la classe ouvrière, dans laquelle la propriété privée des moyens de production a été supprimée et dans laquelle l’économie est planifiée rationnellement selon les intérêts et avec les connaissances des travailleurs eux-mêmes!