Élections provinciales : l’opportunisme éhonté des partis bourgeois
Après le Nouveau-Brunswick, ce sera au tour de la Colombie-Britannique et de la Saskatchewan de tenir des élections dans les prochains jours, les 24 et 26 octobre respectivement. Dans ce dernier cas, il s’agit de la date à laquelle le scrutin devait de toutes façons avoir lieu, quatre ans après le précédent. Au Nouveau-Brunswick et en Colombie-Britannique toutefois, les élections ont été déclenchées de façon anticipée par les partis au pouvoir, qui dirigeaient dans les deux cas des gouvernements minoritaires. Qu’il s’agisse du Parti conservateur au Nouveau-Brunswick ou du Nouveau parti démocratique en Colombie-Britannique, les partis de droite et « de gauche » partagent les mêmes réflexes et utilisent toutes les possibilités offertes par le système parlementaire bourgeois pour profiter de la situation et assurer leurs prébendes dès que l’occasion se présente.
Dans les deux cas, ces partis ont évalué que le contexte créé par la COVID-19 allait leur être favorable pour se faire réélire et former des gouvernements majoritaires. Dans toutes les provinces comme sur la scène fédérale, la crise sanitaire et le climat d’insécurité qu’elle a généré – et continue de générer – parmi la population ont favorisé le ralliement autour des décisions prises par les gouvernements. Cela fut particulièrement le cas au printemps, dans les débuts de la première vague, alors que les sondages ont rapporté une forte augmentation du taux de satisfaction à l’endroit des gouvernements. Ceux-ci ayant tous depuis adopté le même programme, qui fait passer la relance des profits de la bourgeoisie au-dessus de la santé des masses populaires, la cote de popularité des gouvernements a baissé, mais elle demeure globalement plus élevée qu’elle l’était avant la pandémie. Dans certaines provinces comme le Québec, où la pandémie a été gérée avec une incohérence et une incompétence particulières par les autorités, des voix s’élèvent pour condamner les responsables de la crise. Mais dans les provinces où les gouvernements ont agi avec plus de vigueur pour limiter la propagation du virus, la remontée des taux de satisfaction s’est poursuivie jusqu’à ce jour. C’est le cas, tout particulièrement, en Colombie-Britannique et au Nouveau-Brunswick.
Dans cette province, le gouvernement du premier ministre Blaine Higgs en a profité pour déclencher des élections anticipées. Il y a deux ans, son parti était arrivé en tête avec 22 élus (mais seulement 32% des voix), contre 21 pour le Parti libéral (38%). La balance du pouvoir était détenue depuis lors par le Part vert et l’Alliance des gens – une formation politique opposée au droit à l’égalité pour les communautés francophones. Prenant prétexte de la pandémie et du besoin de « stabilité » dans la conduite des affaires de l’État, Blaine Higgs a demandé à la lieutenant-gouverneure de dissoudre l’assemblée législative et de déclencher des élections à la mi-août, soit deux ans plus tôt que le prévoit la loi sur les élections à date fixe dans cette province. Le chef conservateur a remporté son pari puisque son parti a fait élire 27 députés le 14 septembre, sur une possibilité de 49. Il pourra ainsi continuer à régner pendant quatre ans, à moins d’une crise politique imprévue. De toute évidence, c’est la remontée des intentions de vote pour son parti constatée dans les sondages qui l’a convaincu d’aller en élection, beaucoup plus qu’un prétendu besoin de « stabilité » dans le contexte de la COVID – son gouvernement n’ayant éprouvé jusque-là aucune difficulté majeure à gérer la situation.
En Saskatchewan, où l’élection aura lieu à la date prévue le 26 octobre, l’enjeu pour le premier ministre sortant, Scott Moe, est moins important : son parti – le Parti Saskatchewan (ça tombe bien!) – détenait déjà 46 sièges sur les 61 que compte l’assemblée législative, avant sa dissolution. Au printemps dernier, il avait néanmoins songé à la possibilité de déclencher des élections anticipées mais il s’était ravisé devant le tollé que cette idée avait suscité, alors que sévissait la première vague de la pandémie. Au moment où la campagne électorale s’est amorcée en septembre, les sondages indiquaient que les trois quarts des Saskatchewanais étaient satisfaits de la gestion de la crise par le gouvernement, qui compte bien en profiter. Selon les dernières projections du professeur Philippe J. Fournier, qui anime le site Web qc125.com, le Parti Saskatchewan obtiendrait la faveur de plus de 62% des électeurs, contre 33% pour le Nouveau parti démocratique et des broutilles pour les tiers partis.
Preuve que les manœuvres politiciennes et les calculs douteux ne sont pas l’apanage de quelques politiciens retors mais qu’ils sont inhérents au processus politique associé au système parlementaire bourgeois, le gouvernement du NPD en Colombie-Britannique a lui aussi choisi de faire comme son homologue conservateur au Nouveau-Brunswick et de déclencher des élections anticipées, qui auront lieu le 24 octobre, soit un an avant le terme prévu dans la loi sur les élections à date fixe dans cette province.
Au terme du dernier scrutin en 2017, son chef John Horgan avait réussi à former le gouvernement, même si le NPD a remporté deux sièges de moins (41) que son adversaire libéral (43). Les deux partis avaient obtenu un score à peu près identique en terme de votes exprimés (796 672 pour le Parti libéral comparativement à 795 106 pour le NPD). Au lendemain des élections, Horgan avait réussi à s’entendre avec les trois députés du Parti vert pour former une coalition et diriger la province. Or, invoquant lui aussi le besoin de « mettre fin à l’instabilité dans une période de turbulences », le chef néo-démocrate a fait fi de ses engagements et annoncé la tenue d’une élection générale – une décision que la cheffe du Parti vert a vivement dénoncée y voyant la preuve que le NPD « préfére le pouvoir à la santé et la sécurité des Britanno-Colombiens ». Encore là, il semble que le manipulateur en chef remportera lui aussi son pari : les projections du vote populaire accordent en effet 47,6% des intentions de vote au NPD, contre 37,1% au Parti libéral et 13,6% au Parti vert – une baisse de 3% pour ce dernier. Le NPD pourrait donc se retrouver à la tête d’un gouvernement majoritaire avec 52 élus sur un total de 87 sièges.
Il s’en trouvera plusieurs parmi les partisans de la « gauche » bourgeoise pour excuser le NPD d’avoir décidé de tenir des élections, alors même que déferle la deuxième vague de la pandémie et que les autorités interdisent ou découragent les rassemblements populaires. Il est vrai que pour tout ce que la bourgeoisie considère comme « essentiel » à la réalisation de ses profits, il n’est plus question depuis plusieurs mois déjà d’interrompre ou de ralentir les activités : si la relance prime pour les activités économiques, pourquoi la même logique ne s’appliquerait-elle pas pour celles qui relèvent du système parlementaire? Il est quand même assez ironique d’entendre les meneuses de claque du NPD défendre la légitimité d’une élection en contexte de pandémie alors qu’elles s’indignaient, il y a à peine quelques mois, de ce que le président Emmanuel Macron ait choisi de ne pas reporter les élections municipales en France, qui ont eu lieu en plein coeur de la crise…
En l’espace d’un mois et demi, soit entre le 14 septembre et le 26 octobre, trois provinces auront donc tenu des élections et des centaines de milliers de Canadiennes et Canadiens auront été invités à porter un couvre-visage pour aller voter! Et il s’en est fallu de peu pour que tout le pays soit appelé aux urnes : sentant le vent favorable, le gouvernement Trudeau, à Ottawa, a lui aussi jonglé avec l’idée d’aller en élection au cours de la période estivale, avant d’opter finalement pour la prorogation du Parlement.
Toutes ces minables tractations et jeux de coulisses qui animent les appareils et institutions politiques vouées à la gestion de l’État bourgeois sont aux antipodes d’une démocratie authentique pour les masses prolétariennes, qui ferait primer les intérêts et la santé du peuple sur tout le reste. Les maoïstes ont certes raison de dénoncer le système parlementaire comme étant un cirque, dans lequel les travailleurs et les travailleuses ne trouveront jamais leur intérêt.