Les 700 ouvriers de l’entrepôt central de Jean Coutu se butent à l’intransigeance de Metro

Jeudi le 24 septembre, les 700 ouvriers du centre de distribution central de Jean Coutu à Varennes, en Montérégie, ont été mis en lock-out par les capitalistes de la compagnie Metro, qui possèdent le Groupe Jean Coutu depuis 2017. Cette décision arrogante de l’entreprise constituait une riposte à la grève de 24 heures que les employés de l’entrepôt avaient menée la veille pour obliger l’employeur à négocier avec le syndicat.

Depuis plusieurs mois, le camp patronal fait preuve d’une mauvaise foi complète dans le processus de négociations visant à renouveler la convention collective, laquelle est échue depuis la fin de l’année dernière. Dès le premier jour, l’employeur a refusé de s’entretenir face à face avec les représentants du Syndicat des travailleurs et travailleuses de l’entrepôt Pharmacie Jean Coutu (CSN) et a préféré se cacher derrière un conciliateur du ministère du Travail. Plus récemment, pendant tout le mois de septembre, les représentants de la compagnie ont refusé de répondre aux demandes répétées du syndicat qui réclamait des dates pour négocier. Le conciliateur a finalement dû convoquer les deux parties à une rencontre le 21 septembre, mais celle-ci s’est mal déroulée, ce qui a poussé les ouvriers (qui avaient un mandat de grève en main depuis la mi-juin) à débrayer pendant une journée.


Le lendemain, lorsque les employés sont se présentés sur le site de l’entrepôt pour rentrer au travail, ils se sont heurtés à des portes closes et se sont fait ordonner par des gardes de sécurité de quitter le terrain. Déployant l’artillerie lourde, le Groupe Jean Coutu est allé chercher une injonction de la Cour supérieure pour empêcher les ouvriers d’entraver la circulation des camions et des autobus de cadres – ce que les travailleurs avaient commencé à faire, avec raison – et pour limiter grandement le nombre de piqueteurs sur le site de l’entrepôt. Encore une fois, l’appareil juridique de la bourgeoisie s’est précipité pour défendre le droit illimité des capitalistes de faire du profit et pour restreindre la capacité des travailleurs à se mobiliser pour améliorer leur sort. On peut parier que l’État bourgeois ne fera pas preuve d’autant de zèle pour faire respecter le Code du travail s’il s’avère que la compagnie fait appel à des scabs pour maintenir ses opérations en dépit du lock-out, comme le soupçonnent les syndiqués…


En raison de l’injonction, les ouvriers ont commencé à se rassembler chaque jour sur la voie publique devant le terrain de l’entrepôt, à l’extérieur de la zone touchée par l’ordonnance. Comme l’a expliqué un employé rencontré par notre journal, ils doivent néanmoins respecter scrupuleusement les directives des autorités bourgeoises – y compris les consignes de la Santé publique qui pourraient être instrumentalisées pour saboter leurs efforts de mobilisation –, puisqu’ils sont filmés en permanence. Le syndicat a également annoncé qu’un piquetage symbolique serait organisé devant certaines pharmacies et que des manifestations auraient lieu bientôt. Étant donné que l’employeur reste campé sur ses positions et qu’il continue d’entraver délibérément le processus de négociations (sans parler du fait que les discussions n’ont porté jusqu’à maintenant que sur les questions normatives et que les enjeux salariaux n’ont pas encore été abordés), il se pourrait bien que le conflit se prolonge, ce qui demandera une mobilisation soutenue et créative de la part des lock-outés ainsi que la solidarité de tout le prolétariat québécois et canadien.

Contrairement à ce qu’a laissé entendre la vice-présidente aux affaires publiques et aux communications de Metro, Marie-Claude Bacon, en affirmant de manière démagogique que l’employeur aurait acquiescé à 140 demandes syndicales sur 250 – tout en évitant de mentionner qu’il s’agissait d’éléments mineurs, voire même de modifications à des clauses qui ne s’appliquaient tout simplement plus à la nouvelle réalité des syndiqués depuis le déménagement de l’entrepôt il y a quelques années –, la compagnie demeure complètement fermée aux principales revendications de ses employés et elle ne prend même pas la peine de justifier ses décisions auprès de leur syndicat.

Les ouvriers revendiquent notamment la création d’une classe unique d’employés impliquant le respect de l’ancienneté intégrale dans l’attribution des tâches ainsi qu’un meilleur accès à la formation, l’objectif étant que les travailleurs ne soient plus « enfermés » dans un poste de travail comme c’est le cas présentement. Les syndiqués revendiquent également la fin du recours à la sous-traitance par la compagnie, en plus de s’opposer à l’imposition du travail de fin de semaine aux employés permanents à temps complet (y compris à ceux ayant 30 ans d’ancienneté). Or, sur ces enjeux centraux, la compagnie se montre intraitable. Pour justifier l’intransigeance de l’employeur et pour faire passer les demandes syndicales comme déraisonnables, Marie-Claude Bacon a récemment affirmé qu’augmenter le temps de formation, « ça représente énormément d’argent ». Pourtant, ce n’est pas comme si la compagnie n’avait pas les moyens financiers de satisfaire les revendications de ses employés…

Metro : une vaste entité économique servant à générer d’énormes profits au lieu de bénéficier aux travailleurs canadiens

L’entreprise québécoise Metro constitue une immense concentration de capital commercial générant un chiffre d’affaires annuel d’environ 16 milliards de dollars, employant 85 000 personnes et opérant plus de 600 magasins d’alimentation (sous les bannières Metro, Metro Plus, Super C, Food Basics et Adonis, etc.) ainsi que plus de 650 pharmacies (sous les bannières Jean Coutu, Brunet, Metro Pharmacy, CliniPlus et Drug Basics) au Québec, en Ontario et au Nouveau-Brunswick. L’an dernier, le bénéfice net de cette grande entreprise monopoliste s’est élevé à 714,4 millions de dollars. En 2018, les profits de la compagnie ont même atteint 1,7 milliards. Comme on le voit, Metro est une grosse machine à accumuler de l’argent, et ce, même si les travailleurs exploités par l’entreprise n’en voient jamais la couleur.

Comme si ce n’était pas suffisant, les profits de Metro ont augmenté de manière considérable cette année en raison de la pandémie (laquelle a incité de nombreux consommateurs à faire des provisions et à cuisiner à la maison). À la fin du deuxième trimestre de l’année en cours, la compagnie a dévoilé un bénéfice net de 176,2 millions de dollars pour la période de 12 semaines terminée le 14 mars, soit une hausse de 45 % par rapport à la même période l’an dernier. Puis, au cours du troisième trimestre, Metro a engrangé des profits de 263,5 millions (comparativement à 222,4 millions l’année précédente).

Ces profits supplémentaires proviennent surtout des hausses de revenus dans les magasins d’alimentation détenus par l’entreprise (15,6% au troisième trimestre). Les ventes des pharmacies, quant à elles, ont seulement progressé de 1% pendant la même période (les ventes de médicaments d’ordonnance ont augmenté de 2,7% tandis que les ventes de produits de la section commerciale ont diminué de 2,5%). D’ailleurs, le syndicat de l’entrepôt Jean Coutu se demande s’il n’y aurait pas un lien entre la décision de Metro de déclencher un lock-out et les résultats de l’entreprise au troisième trimestre : la disparité importante entre les ventes des magasins d’alimentation et celles des établissements pharmaceutiques détenues par l’entreprise pourrait avoir motivé ses dirigeants à couper dans les dépenses liées à l’approvisionnement des pharmacies – au mépris des familles des 700 ouvriers travaillant au complexe de Varennes.

Metro pourrait continuer à engranger des profits particulièrement élevés dans les prochains mois, alors que les restaurants doivent à nouveau fermer leurs salles à manger dans trois régions importantes de la province québécoise et alors que les dépenses supplémentaires de l’entreprise liées à la pandémie ont commencé à diminuer pendant l’été. Notamment, Metro a cessé de verser la fameuse « prime COVID » de deux dollars de l’heure à ses employés en juin dernier (à l’instar de ses concurrents Loblaw et Sobeys), prime dont bénéficiaient d’ailleurs les employés de l’entrepôt de Varennes. À cet égard, notons que le déclenchement d’un lock-out par l’entreprise, quelques semaines après le retrait de la prime, illustre bien l’hypocrisie des capitalistes qui offraient ce « cadeau » à leurs employés. Pendant le confinement, ces capitalistes cherchaient à se donner une belle image en faisant semblant d’être reconnaissants du travail des prolétaires qui prenaient des risques chaque jour. Or, maintenant que nous sommes dans la phase de la relance économique (phase pendant laquelle le risque de contracter la COVID-19 est encore plus grand qu’avant!), non seulement ils n’ont plus de cadeau à donner, mais ces mêmes capitalistes n’hésitent plus à écraser les travailleurs avec lesquels ils prétendaient être solidaires il y a quelque mois.

Mais il ne faut pas s’attendre à autre chose de la part de monopoles aussi avides de richesses et de puissance. Rappelons que la position dominante de l’entreprise Metro au sein du marché de la distribution alimentaire et pharmaceutique au Québec et au Canada s’est consolidée en 2017 lorsqu’elle a acquis le Groupe Jean Coutu (et ses 420 pharmacies) pour la somme de 4,5 milliards, une transaction qui l’a amenée à contrôler plus de 28% des magasins de produits pharmaceutiques dans la province québécoise. Cette transaction s’inscrivait dans l’important mouvement de centralisation de capitaux ayant traversé ce secteur au Canada pendant la dernière décennie, mouvement auquel ont également participé Loblaw (qui a mis la main en 2013 sur la chaîne torontoise Shoppers Drug Mart et son réseau de 176 pharmacies Pharmaprix au Québec), ainsi que McKesson Canada, filiale du géant californien du même nom (qui a acheté le groupe Uniprix et ses 330 pharmacies en 2017).

Les processus de centralisation de ce genre découlent de la nature même de la production et de l’accumulation capitaliste. Ils font en sorte que des dizaines de milliers de travailleurs se trouvent rassemblés dans le combat direct contre les mêmes entités capitalistes et que la masse du prolétariat se retrouve face à un nombre de plus en plus restreint de grands monopoles. Ainsi, d’un côté, cette centralisation confère une puissance inégalée aux grands capitalistes qui contrôlent ces regroupements monopolistes, mais d’un autre côté, elle renforce l’unité du mouvement ouvrier tout en préparant le terrain à la collectivisation des moyens de production et à la planification de l’économie par la classe ouvrière. Par exemple, chez Metro, la distribution interne des marchandises est fortement centralisée et planifiée. L’immense centre de distribution de Varennes, avec ses machines sophistiquées et les 700 ouvriers qui les opèrent, occupe une place centrale dans l’approvisionnement des pharmacies du Québec (il approvisionne déjà tout le réseau de pharmacies Jean Coutu et pourrait bientôt approvisionner les pharmacies Brunet que détient également Metro). Pour l’instant, cette forme de socialisation économique sert à enrichir une poignée de capitalistes. Mais elle pourrait éventuellement être mise au service du peuple si la propriété privée bourgeoise était supprimée et si la planification s’étendait à toute la société au lieu de se limiter aux opérations internes des monopoles.

Parce que les ouvriers des grands centres de distribution comme celui de Varennes occupent une position névralgique dans l’économie capitaliste actuelle – et parce qu’ils occuperont, par le fait même, une position importante dans l’économie socialiste à venir –, leurs combats et leurs revendications revêtent une importance particulière. La combativité et la détermination de ces travailleurs formeront une composante essentielle de la lutte générale pour le pouvoir prolétarien et le socialisme. Pour cette raison, le bras de fer en cours à l’entrepôt central de Jean Coutu mérite toute notre attention. Les ouvriers et leur syndicat doivent recevoir l’appui le plus solidaire des masses populaires canadiennes!