Les ouvriers canadiens de l’automobile contre le Big Three de Détroit
L’industrie automobile au Canada est un important secteur industriel qui représente à lui seul plus de 10% du PIB du pays et 23% du secteur manufacturier canadien. Avec une production annuelle de 2,37 millions de voitures, dont la plupart (85%) sont exportées, et avec de nombreuses usines qui sont installées principalement en Ontario (82% du secteur) au cœur de ce qui est appelé le « superamas » (car l’on y trouve plus de 36 usines de grande capacité dans un rayon de 500 kilomètres autour de la frontière entre Windsor et Détroit, usines qui à elles seules produisent 45% de la masse totale des véhicules), l’industrie de l’automobile revêt une importance stratégique pour le capitalisme canadien. Elle rapporte annuellement près de 107,3 milliards de dollars en revenus d’usines.
Un secteur stratégique pour le capitalisme canadien
Ce sont les 20 usines d’assemblage de véhicules principalement situées en Ontario, ainsi que les 800 usines de fabrication de pièces de voitures qui permettent à l’industrie automobile d’organiser l’exploitation de centaines de milliers de travailleurs, soit 125 000, si l’on inclut les usines se situant dans d’autres provinces comme le Québec représentant 6,5% des emplois avec une usine comme celle de Paccar (fabricant de camions) ou encore, comme le Manitoba avec l’usine de Motor Coach (fabricant d’autocars), mais aussi 380 000 autres travailleurs œuvrant dans le domaine de la distribution et du service après-vente.
Cependant, avant d’aborder la question du renouvellement de contrat, il faut rappeler que l’industrie automobile canadienne est fortement liée à la production de véhicules aux États-Unis. Du fait de cette intégration, les problèmes politiques et économiques d’un côté comme de l’autre de la frontière ont une incidence sur les cycles de production de véhicules motorisés. Par exemple, l’industrie automobile a connu un cycle de croissance entre 2001 et 2005 (une progression de plus de 17%). S’en est suivi, pour la période entre 2005 et 2009, une chute radicale de près de 62% (15% en 2007, 19% en 2018, 22% au début de 2009, et 13% au printemps 2009) de la production. Par la suite, à partir de 2010, la production s’est lentement rétablie. Au total, l’industrie automobile emploie moins de monde qu’auparavant, en partie à cause des épisodes de crise économique que l’on a connus, mais aussi, et en grande partie d’ailleurs, à cause des gains de productivité réalisés sur le dos des travailleurs. À titre d’illustration, si l’on considère que la production en mai 2015 était à peu près identique à celle de janvier 2001, mais qu’elle avait été réalisée avec 30% de moins de travailleurs, l’on peut déduire que la productivité a fortement augmenté dans ce secteur (37% de gains de productivité). Plus concrètement, en 2012, le secteur de l’automobile employait près de 115 000 personnes au Canada, ce qui représentait près de 8% de tous les emplois du secteur de la fabrication au pays. De ce nombre, 64 000 travailleurs œuvraient dans la fabrication de pièces d’automobiles, 37 000 dans la fabrication de véhicules, et 14 000 dans la fabrication de carrosseries et de remorques. De 2007 à 2009, un total de 43 500 emplois ont été perdus (une baisse de 28,5%) dans le secteur tout entier. À partir de 2009, l’emploi s’y est stabilisé, affichant une mince progression entre 2009 et 2012. Malgré cette progression, le taux d’emploi en 2012 est demeuré de 25% inférieur à son niveau pré-récession de 2007, et de 33% inférieur à son niveau de 2000.
En tant que prolétaires engagés dans la production, les travailleurs de l’automobile font partie d’un des 10 grands groupes qui composent le prolétariat, à savoir le groupe des opérateurs et des ouvriers spécialisés (qui regroupe plus de 1 200 000 travailleurs au Canada), c’est-à-dire des prolétaires œuvrant dans la production à qui l’on confie une tâche, qui opèrent une machine du matin au soir, ou encore qui occupent un poste spécialisé sur une chaîne de montage. En général, ils n’ont pas de formation particulière sinon qu’ils ont la maîtrise de la machine qu’ils doivent opérer, maîtrise qui doit s’acquérir au fil de l’expérience. Les travailleurs de ce grand groupe sont présents dans l’extraction, la transformation et la fabrication, dans la métallurgie, les produits chimiques, l’électronique, les pâtes et papiers, le textile, le plastique, l’emballage ou encore l’alimentation. Globalement, ce grand groupe est celui qui est lié le plus directement aux machines, ces moyens de production collectifs permettant une productivité décuplée. En cela, les opérateurs et les OS représentent déjà une base matérielle à la réalisation du socialisme.
Renouveler les contrats
L’industrie de la fabrication automobile est névralgique pour le capitalisme canadien et elle fonctionne sur des effectifs à la baisse, question d’accroître au maximum les profits. C’est dans ce contexte, mais aussi dans celui de la pandémie de COVID-19, que le 12 août dernier se sont entamées les négociations entre le syndicat des travailleurs de ce secteur, Unifor, et les trois constructeurs automobiles de Detroit (Ford, General Motors et Fiat Chrysler). Unifor représente plus de 20 000 travailleurs spécialisés chez ces trois géants de l’automobile. Le syndicat représente également plusieurs milliers d’autres travailleurs chez les fournisseurs de pièces automobiles dans tout le Canada. Pour en revenir aux négociations, chacun des trois constructeurs en question a débuté les pourparlers en organisant une réunion distincte au centre-ville de Toronto lors de laquelle étaient conviés les représentants du comité central de négociation d’Unifor et le président national du syndicat, Jerry Dias. L’objectif d’Unifor est de marquer une progression sur un certain nombre de questions dont 1) la sécurisation de la production existante et la stimulation d’une nouvelle production pour l’ensemble des installations; 2) l’amélioration des salaires et des pensions; 3) l’embauche de nouveaux ouvriers, ainsi que 4) la bonification des avantages sociaux incluant les régimes d’assurance collective. La renégociation affecte les employés concernés par la convention cadre de même que le personnel de sécurité, les employés administratifs, de bureau et techniques, de même que les employés des différents centres de distribution de pièces, tous regroupés sous le syndicat national, et répartis dans plusieurs sections locales et villes canadiennes. Il est à noter que dans l’industrie automobile, l’organisation du travail et la force syndicale sont telles que les négociations se déroulent au niveau de la branche industrielle entière et non au niveau des usines (bien que des aspects de la négociation soit du ressort local). C’est pourquoi les conventions collectives viennent toutes à échéance au même moment. La coordination entre les travailleurs (peu importe la taille de leur lieu de travail) et le sentiment de classe s’en trouvent plus forts. Dans le même ordre d’idées, la négociation par branche d’industrie donne aux organisations ouvrières la possibilité d’établir un rapport de force à leur avantage. Dans cette dynamique, l’on se réfère à ce qui est communément appelé « l’entente type », soit l’entente négociée qui sert de modèle de convention collective pour les renégociations de tout un secteur industriel donné. Pour la ronde de négociation actuelle dans l’industrie automobile, c’est Ford qui a été choisi comme cible par le syndicat pour en arriver à une entente.
La lutte à venir sera difficile
C’est le 21 septembre qu’a pris fin la convention collective jusqu’alors en vigueur. Les négociations seront assurément difficiles considérant que les grosses multinationales de l’automobile et tous les constructeurs se sont lancés dans des opérations de restructurations majeures, annonçant du même souffle des suppressions d’emplois et des fermetures d’usines, le but étant d’assurer une marge de profit suffisante pour satisfaire leurs investisseurs, de même que des investisseurs à venir, et ce, afin d’amorcer la transition vers l’électrification des flottes de véhicules. Dans cet esprit, Ford a annoncé que l’activité de son usine d’assemblage d’Oakville prendrait fin en 2023. La menace plane aussi sur l’usine de moulage d’aluminium de Fiat Chrysler à Etobicoke et sur l’usine de moteurs de General Motors à St. Catharines.
Entre temps, l’écrasante majorité des travailleurs du « Big Three » au Canada ont voté pour le déclenchement d’une grève si un règlement n’était pas signé avant l’expiration du contrat de travail (96,4% chez Ford, 98,5% chez Fiat Chrysler et 95,3% chez General Motors). Ces votes de grève massifs démontrent que les ouvriers de l’automobile sont prêts à se battre afin de défendre leurs emplois, leurs salaires et leurs conditions de travail. Surtout, ils occupent une place importante dans la production des richesses. Ultimement, ce sont eux qui seront au cœur de la lutte pour le socialisme au Canada, une lutte pour enfin mettre la production au service du peuple travailleur. C’est pourquoi les révolutionnaires soutiennent avec enthousiasme leurs revendications.
Véhicules fabriqués au Canada (en date de décembre 2018)
Entreprise |
Emplacement |
Produits principaux |
---|---|---|
Fiat Chrysler Canada Inc. |
Brampton, Ontario |
Chrysler 300, Dodge Challenger, Dodge Charger |
Windsor, Ontario |
Dodge Grand Caravan, Chrysler Pacifica, Pacifica hybrides rechargeables |
|
Ford Canada Ltd. |
Oakville, Ontario |
Ford Edge, Flex, Ford GT* (Édition limitée), Lincoln MKT, MKX |
General Motors Canada Ltd. |
Oshawa, Ontario |
Chevrolet Impala, Cadillac XTS, Silverado, Sierra |
Ingersoll, Ontario |
Chevrolet Equinox |
|
Honda Canada Inc. |
Alliston, Ontario |
Honda Civic |
Alliston, Ontario |
Honda CR-V |
|
Toyota Canada |
Cambridge nord, Ontario |
Toyota Corolla |
Cambridge sud, Ontario |
Lexus RX350, Lexus RX450h hybride |
|
Woodstock, Ontario |
Toyota RAV4 |