COVID-19 : Cessez de parler des « complotistes »! L’ennemi, c’est la bourgeoisie!

Dans les dernières semaines, au Québec et ailleurs dans le monde, les politiciens et les médias bourgeois ont mis beaucoup d’emphase sur les mouvements « conspirationnistes » et « anti-masques » que l’on a vu émerger ici et là, lesquels compromettraient soi-disant les efforts de lutte contre la pandémie et constitueraient même un danger pour « la démocratie ». Une bonne partie de la petite-bourgeoisie bien-pensante (intellectuels, artistes, etc.) et des militants pseudo-progressistes se sont également mis à développer une sorte d’obsession pour ces mouvements, y voyant l’ennemi de l’heure à combattre et considérant la réfutation des idées qu’ils véhiculent comme une tâche urgente à accomplir. Dans les faits, non seulement ces petits-bourgeois n’ont aucunement barré la route aux idées contre lesquelles ils tentent de lutter, mais cela les a surtout amenés à renforcer la légitimité des autorités capitalistes en place et à colporter de graves illusions sur la nature du régime bourgeois sous lequel nous vivons – un régime qui, bien que se présentant sous un vernis « démocratique » et respectable, est basé sur l’exploitation de la majorité par une minorité de possédants.

Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si les politiciens et leurs laquais médiatiques ont accordé autant d’importance à ces groupes et aux idées qu’ils véhiculent dans la population. En fait, la dénonciation des « complotistes » ou encore de toutes personnes croyant que l’ampleur de la crise sanitaire est plus ou moins exagérée (ce qui n’est pas forcément du « conspirationnisme » bien qu’il s’agisse d’une idée fausse) est très utile aux dirigeants en place et à l’ensemble de la classe capitaliste qu’ils représentent. Premièrement, cela leur permet d’apparaître comme les représentants du camp « de la raison » faisant face au camp des « irresponsables » et des « fous » qui veulent nuire à la santé des gens. Par le fait même, cela leur permet d’assimiler toute dénonciation de leur gestion de l’épidémie (ainsi que toute forme d’hostilité vis-à-vis du gouvernement et de la Santé publique) à la négation du danger du virus. Ainsi, cela fait en sorte de détourner l’attention de l’opposition prolétarienne qui se développe partout, notamment dans les milieux de travail et à travers les syndicats, en réponse à la relance économique et au manque de restrictions et de mesures de protection contre le virus. Deuxièmement, cela leur permet de renforcer l’idée que la population est incapable de supporter les mesures restrictives nécessaires à la lutte contre l’épidémie, ce qui contribue à justifier le processus de réouvertures et de retour au travail forcé que les capitalistes ont lancé malgré les risques pour la santé des prolétaires. Finalement, cela leur permet de se décharger de la responsabilité de la recrudescence actuelle de l’épidémie, laquelle serait causée par les « anti-masques » et par les « irresponsables ». Ce sont toutes ces idées (chéries par les capitalistes) que les petits-bourgeois et les militants faussement progressistes nourrissent en dénonçant à outrance les mouvements « complotistes ». À les entendre, si ce n’était des « anti-masques » qui viennent saboter les efforts de lutte contre le virus, la pandémie serait déjà un souvenir du passé… Mais mettons les choses au clair.

D’abord, ces mouvements demeurent somme toute relativement marginaux à l’échelle de la société et ne représentent nullement les idées et les comportements de la majorité des prolétaires. Leur impact sur la société (et sur la propagation du virus) est donc tout à fait limité. Et de toute manière, ce ne sont aucunement les gestes individuels des « anti-masques », des sceptiques et des récalcitrants qui sont en train de produire la deuxième vague de contamination : c’est le mouvement de déconfinement et de relance économique initié par la classe dominante qui est en train de la produire en forçant les prolétaires par millions à prendre des risques et à entrer en contact quotidiennement les uns avec les autres! Si les gestes de protection individuels ont effectivement un certain rôle à jouer dans la lutte contre le virus, c’est la relance économique qui constitue le véritable moteur, la base matérielle, de la deuxième vague.

Ensuite, le potentiel des « conspirationnistes » d’influencer les décisions politiques importantes est complètement nul. Dire que ces mouvements représenteraient une menace à la « démocratie » (qui, par ailleurs, n’est que la forme que prend actuellement la dictature de classe de la bourgeoisie, ce que le discours des petits-bourgeois en lutte contre les « conspirationnistes » tend à occulter complètement) est encore plus absurde : la démocratie bourgeoise est encore très solide dans les pays impérialistes – et en particulier au Canada. Si les représentants de la bourgeoisie agitent souvent le spectre de l’effondrement de la « démocratie », ce n’est pas parce qu’ils craignent la « dictature » (au sens où ils emploient ce mot) : c’est parce qu’ils cherchent à prévenir le rejet des institutions bourgeoises par les masses populaires et qu’il est utile pour eux de renouveler régulièrement la légitimité du régime politique actuel. En réalité, il n’y a présentement aucune menace sérieuse à cette « démocratie », puisqu’il n’y a aucune raison objective qui pousserait le capital à recourir à une autre forme étatique de domination de classe. Cette vérité importante, les petits-bourgeois qui considèrent l’émergence de mouvements « complotistes » comme un péril pour la « démocratie » ne veulent pas la reconnaître (comme ils ne veulent pas reconnaître non plus le caractère de classe de cette démocratie). Fait révélateur, les « complotistes » qu’ils combattent en ce moment commettent exactement la même erreur : eux aussi croient que la « démocratie » serait présentement en danger – la seule différence étant que selon eux, la menace viendrait de l’état d’urgence sanitaire et d’une « élite » qui serait en train de détourner les institutions actuelles! En réalité, les petits-bourgeois bien-pensants comme les « conspirationnistes » qu’ils dénoncent à outrance luttent pour le même objectif, c’est-à-dire pour la préservation de la démocratie bourgeoise.

Finalement, il faut dire que ce sont les autorités bourgeoises elles-mêmes qui ont alimenté et renforcé les « mouvements complotistes » par la manière complètement incohérente et anarchique dont elles ont géré l’épidémie. Notamment, le contraste flagrant entre la fermeté des mesures prises par les gouvernements pendant la pause économique de mars-avril et le relâchement presque total des mois suivants (sans parler des nombreuses déclarations contradictoires et mensongères des politiciens au pouvoir pour justifier leurs décisions irrationnelles) ne pouvait que générer une énorme confusion parmi les masses. Chez plusieurs prolétaires, cette confusion initiale a créé un état d’esprit propice à des révélations politiques justes et profondes et a laissé la place à une plus grande clarté qu’avant : pour eux, il est devenu évident que l’État et le gouvernement actuels sont hostiles aux intérêts des masses puisqu’ils les obligent à s’exposer à un virus dangereux et mortel. Mais inévitablement, certains devaient aboutir à la conclusion inverse, c’est-à-dire à l’idée selon laquelle puisque les agissements des autorités sont aussi contradictoires, cela doit être parce que le danger n’existe pas et qu’il s’agit d’une vaste mascarade depuis le début.

Dans certains cas, cette confusion dans le peuple générée par les agissements réels de la bourgeoisie, combinée au sentiment légitime d’un grand nombre de prolétaires d’être victimes d’un système injuste (ce qui est le cas), a été canalisée dans un sens réactionnaire par des idéologues et des orateurs « complotistes » marginaux qui savent profiter de l’ignorance dans laquelle sont maintenues les masses exploitées au sein de la société bourgeoise. Ironiquement, le discours véhiculé par ces leaders « complotistes » représente un concentré des idées émanant… de la petite-bourgeoisie (individualisme exacerbé, défense de la petite entreprise, localisme, méfiance vis-à-vis des grandes entités, hostilité devant certaines formes de contrainte étatique, etc.), soit de la même classe sociale dont sont issus, pour la plupart, les militants qui font de la lutte contre le « complotisme » leur cheval de bataille! D’ailleurs, ces militants propagent eux aussi ces idées, bien que sous une autre forme – un peu plus subtile, mais en même temps plus pernicieuse.

En plus d’être inutile – puisque le « complotisme » n’est rien d’autre qu’un sous-produit plutôt insignifiant du capitalisme –, ce combat idéologique mené par les militants bien-pensants est néfaste, car il alimente lui-même un grand nombre de préjugés petits-bourgeois. Et par-dessus le marché, il est voué à l’échec. On ne peut faire disparaître par la pensée des courants qui constituent en quelque sorte un déchet idéologique de la société de classes elle-même et qui, présentement, sont alimentés par un processus social matériel et objectif, c’est-à-dire par la relance économique opérée par la bourgeoisie et par la gestion incohérente de l’épidémie par les gouvernements. Et surtout, l’on ne peut faire disparaître la confusion dans les masses populaires – confusion qui permet aux idéologues « conspirationnistes » d’influencer une partie (très minoritaire) du prolétariat – qu’à travers la lutte contre la classe capitaliste qui les exploite.


La petite-bourgeoisie dans son ensemble, et non seulement ses éléments « complotistes », appuie la relance économique meurtrière des capitalistes


Les « théories du complot » qui circulent actuellement à propos de la pandémie représentent essentiellement des intérêts petits-bourgeois, en plus de servir indirectement ceux du grand capital. Par exemple, l’hostilité vis-à-vis des mesures sanitaires imposées par l’État bourgeois exprime en quelque sorte l’exaspération égoïste des petits propriétaires d’entreprises (restaurateurs, tenanciers de bars, commerçants, etc.) qui ont vu leur chiffre d’affaire diminuer ou tomber à zéro en raison de ces mesures et qui, dans certains cas, craignent la faillite de leur business. De la même manière, elle exprime la frustration de certains « travailleurs autonomes » et de certains « artisans » qui ne peuvent plus exercer leur occupation comme avant à cause de la crise sanitaire. Pour ces gens poussés vers l’individualisme le plus étroit par leur situation sociale, il devient tentant de minimiser ouvertement le danger, voire de le nier purement et simplement en clamant que la crise sanitaire aurait été amplifiée (voire inventée) par les médias et les gouvernements.

Les idéologues « complotistes » actuels expriment en quelque sorte une version « radicale » de ce point de vue petit-bourgeois. Par exemple, lorsqu’on examine les déclarations de Lucie Laurier, cette actrice en déclin représentant l’une des figures de proue du « mouvement complotiste » actuel au Québec, on se rend compte que son discours aboutit rapidement à la défense des petits patrons (contre « l’élite mondiale » et les multinationales) : « Si vous ne vous rendez pas compte de l’effort mondial concerté de nous contrôler par la peur, d’anéantir les petites entreprises, de se débarrasser de ceux qu’ils ne jugent plus utiles, vous vous réveillerez trop tard. » Alexis Cossette-Trudel, un autre leader du mouvement, se porte également à la défense de la petite propriété. Lors d’une manifestation tenue le 15 août dernier, il a par exemple déclaré que le gouvernement Legault serait « en train de détruire la classe moyenne, à travers les faillites d’entreprises en cascades ».

Cela étant dit, la petite-bourgeoisie n’est nullement obligée de recourir à une rhétorique aussi caricaturale pour défendre ses intérêts et promouvoir ses objectifs étroits. En fait, le discours « complotiste » est loin d’être son véhicule de prédilection pour faire valoir son point de vue : il est généralement plus avantageux pour les membres de cette classe sociale d’apparaître comme étant sensés, raisonnables et respectueux des autorités en place, malgré certains désaccords. Par exemple, au moment où le gouvernement du Québec autorisait la réouverture des restaurants au mois de juin dernier, on entendait des restaurateurs qui, sans nier ouvertement l’existence ou la dangerosité du virus, affirmaient tout bonnement dans les médias qu’ils n’appliqueraient pas les mesures sanitaires prescrites par la Santé publique (port du masque, distance de deux mètres, etc.) parce que cela allait faire fuir leurs clients et que cela ne serait pas bon pour leurs affaires! On les entendait dire, par exemple, « qu’il faut accepter de vivre avec le risque », que les restaurants sont censés être des lieux « conviviaux », que l’adoption des mesures devrait être une question de « choix personnel », etc…

Dans un texte publié dans La Presse le 12 juin dernier, le propriétaire d’un restaurant familial et touristique du Bas-Saint-Laurent affirmait qu’« un restaurant étant un lieu de rencontre et de convivialité où l’on offre de profiter des plaisirs de la table dans une ambiance décontractée et chaleureuse, le port d’un masque et d’une visière par le personnel en salle à manger et les restrictions de mouvement des convives vont à l’encontre de notre principal mandat ». Après avoir énuméré l’ensemble des mesures demandées par le gouvernement et après avoir expliqué en quoi elles étaient impossibles à faire respecter, l’auteur du texte déclarait :

« J’en conclus que la Santé publique, étant consciente de l’impossibilité de prémunir les clients contre tout risque de contagion, considère que ce risque est mineur pour la population. Plutôt que d’imposer autant de restrictions, qu’elle admette simplement que les restaurants, dans leur essence, seront sans aucun doute des zones où le virus sera présent. […] Si tel est le cas, je leur prie de nous donner l’heure juste et leur aval pour une ouverture beaucoup moins restrictive, quitte à restreindre l’accès des salles à manger et des terrasses aux individus plus à risque. »

Des discours semblables ont également été tenus par les propriétaires de petites entreprises dans d’autres champs d’activité. Un peu partout, on a réclamé que les réouvertures surviennent plus rapidement ou encore que les règles soient assouplies. Certains petits patrons sont même allés jusqu’à défier la loi. Par exemple, toujours au mois de juin dernier, des propriétaires de bars s’estimant victimes d’une injustice et affirmant être « à bout de souffle » financièrement se sont mis à menacer le gouvernement en disant qu’ils allaient faire de la « désobéissance civile » en rouvrant leurs portes malgré l’interdiction encore en vigueur – ce que certains ont effectivement fait. Des propriétaires de gyms ont également brandi la même menace. L’un d’entre eux, Dan Marino (qui a fait les manchettes pour avoir mis sa menace à exécution), a déclaré : « Si j’ai des amendes je vais les prendre, mais je vais les contester, car selon moi ce n’était pas dangereux pour la santé publique de rouvrir ». Résumant avec éloquence le sens de sa démarche, il a également dit : « Je ne suis pas le sauveur du peuple, mais je tente simplement de sauver ma business ». Et le pire, c’est que ce propriétaire délinquant, bien qu’il ait reçu une visite de la police, s’en est tiré sans aucune conséquence – contrairement aux nombreux prolétaires qui ont reçu des amendes de plusieurs milliers de dollars pour ne pas avoir respecté les consignes sanitaires pendant le confinement.

Les petits propriétaires n’ont pas été les seuls, parmi les couches petites-bourgeoises, à se plaindre de la lenteur du déconfinement au printemps dernier et à réclamer le retrait des mesures sanitaires les plus importantes pour faire valoir leur liberté, au détriment du combat contre le virus. La petite-bourgeoisie intellectuelle et artistique (qui, par ailleurs, constitue une bonne partie de la clientèle des restaurateurs mentionnés plus haut), incapable de tolérer la contrainte et les entraves à son mode de vie décadent, s’est rapidement mise de la partie en exigeant qu’on la laisse reprendre ses activités normales, autant sur le plan professionnel que sur le plan « social ». Notamment, vers la fin du mois de mai dernier, une importante offensive a été menée par les artistes de la province pour exiger le déconfinement des « arts vivants », c’est-à-dire la réouverture des salles de spectacle, des salles de répétition et des théâtres. Le 26 mai, un texte intitulé Pour les arts vivants et signé par plus de 250 artistes réputés (tels que Christian Bégin, France Castel, Anne-Marie Cadieux, Sébastien Richard, Dominic Champagne, Serge Denoncourt, etc.) a été publié dans le journal bourgeois Le Devoir. Dans ce texte pompeux et pédant, on laissait entendre que l’arrêt temporaire des arts de la scène, ce « rouage essentiel à la vie démocratique » contribuant à « l’affirmation d’un peuple » et à la définition de « l’âme de la population », constituait une véritable tragédie mettant littéralement l’avenir de la nation en péril – rien de moins! Incapables d’assumer le caractère purement mercantile de leurs revendications, les artistes les ont enrobées hypocritement d’un épais manteau idéologique, se présentant par exemple comme des « subversifs » et des « opposants », au moment même où ils réclamaient l’accélération du processus meurtrier lancé par la classe dominante! Pire encore, alors que leur démarche allait contribuer à l’aggravation de l’épidémie dans la province, ils laissaient entendre qu’au contraire, elle était nécessaire pour sortir de la crise sanitaire :

« Nous tenons simplement à rappeler qu’en maintenant les salles fermées, nous ne faisons pas que mettre des milliers de gens sur la paille : nous mettons collectivement en berne le drapeau de l’imagination. Dans les arts de la scène, la fiction et la création ne peuvent se déployer que par la convocation et la rencontre. Tant que nous ne pourrons rouvrir nos salles, nous n’arriverons pas à nous projeter dans un ailleurs, dans un futur, dans un monde meilleur. Nous sommes en train d’entraver la capacité de rêver. Et si nous ne pouvons plus rêver, nous ne sortirons jamais de ce cauchemar. »

Entre les « conspirationnistes » qui affirment que la pandémie n’existe pas et les artistes prétentieux qui croient que c’est en rêvant (et en remplissant des salles de spectacle) que l’on parviendra à y mettre fin, difficile de dire qui est pire…

Comme les autres membres de leur classe sociale, les petits-bourgeois pseudo-progressistes qui se croient « responsables » parce qu’ils font confiance à « la science » et qui ne cessent de dénoncer les « complotistes » appuient également depuis des mois la relance économique capitaliste, c’est-à-dire le principal moteur de l’épidémie actuelle. Par exemple, les militants petits-bourgeois « pro-masques » véhiculent eux-mêmes des illusions importantes en faisant reposer la lutte contre l’épidémie presque exclusivement sur le port du masque généralisé et, par le fait même, en niant qu’il existe une contradiction objective entre les intérêts capitalistes et la préservation de la santé des masses. En vérité, bien qu’elle soit efficace et nécessaire, cette mesure (la généralisation du port du masque) est loin d’être suffisante pour empêcher le virus de se répandre dans la population et d’y faire des dégâts importants, comme en témoignent les deuxièmes vagues qui frappent présentement des pays ayant imposé depuis longtemps le port du couvre-visage (Autriche, Tchéquie, Israël, etc.) et comme le démontrent les mesures de reconfinement que la bourgeoisie est obligée de mettre en place à plusieurs endroits dans le monde. Les données brandies par les militants « pro-masques » eux-mêmes le révèlent également. Pour n’en donner qu’un exemple, un article du New York Times publié le 4 septembre dernier et rapportant les résultats d’une projection réalisée par le réputé Washington’s Institute for Health Metrics and Evaluation a récemment été partagé sur les réseaux sociaux par la militante « pro-masque » Nancy Delagrave (une figure respectée et ayant une certaine visibilité dans des médias « de gauche » au Québec) afin de démontrer le rôle central des masques dans la lutte contre la pandémie. Selon les résultats de la projection (au moment où l’article a été rédigé), le nombre de morts liés à la COVID-19 aux États-Unis allait passer de 185 000 à 410 000 d’ici le 1er janvier 2021, soit une augmentation de 225 000. Or, selon le Washington’s Institute for Health Metrics and Evaluation, si le port du masque devenait « universel » dans ce pays (ou, pour le dire autrement, s’il s’étendait à 95% de la population), l’augmentation du nombre de morts d’ici le 1er janvier 2021 pourrait être réduite de 122 000 – une réduction relativement importante, mais qui impliquerait tout de même la mort de 103 000 personnes supplémentaires en seulement quatre mois!

En fait, d’une certaine manière, les illusions propagées par ces militants sont encore plus dangereuses que celles entretenues par les idéologues « anti-masques », puisque contrairement à ces dernières, elles ont un verni « rationnel » et « scientifique ». Surtout, elles laissent entendre qu’une relance économique sécuritaire serait possible dans le contexte actuel, soit une idée particulièrement pernicieuse. Alors que l’accès aux masques de protection était à l’origine une revendication légitime du peuple (notamment des travailleuses de la santé qui en étaient privées), le masque est devenu une manière particulièrement efficace de justifier le déconfinement et le retour à la vie « normale » – c’est-à-dire le retour au travail des prolétaires. Les petits-bourgeois « pro-masques » qui dénoncent les « anti-masques » révèlent aussi le caractère réactionnaire de leur démarche par la manière dont ils insistent surtout sur l’imposition légale du port du masque aux individus, au lieu de revendiquer une distribution gratuite et universelle de masques de qualité à la population. Ainsi, ils ne démontrent souvent aucune compassion pour les familles prolétariennes pour lesquelles les masques représentent des coûts et des complications supplémentaires. Finalement, leur manière de cibler les personnes (souvent des prolétaires) qui ne portent pas le masque ou qui ne le font pas correctement en les accusant de « ne penser qu’à eux-mêmes » est tout à fait stérile et dénote elle-même une autre forme d’individualisme. Surtout, elle détourne l’attention du vrai problème, c’est-à-dire du fait que la bourgeoisie force des millions de travailleurs à adopter des comportements risqués quotidiennement!

En somme, qu’il s’agisse des « conspirationnistes » purs et durs, des petits propriétaires défendant leur liberté de faire fonctionner leur entreprise ou encore des artistes et des fractions intellectuelles de la petite-bourgeoisie « qui se prennent pour le cerveau de la nation » (comme disait Lénine), tous s’entendent sur l’essentiel et appuient le processus initié par la grande bourgeoisie pour satisfaire ses intérêts de classe, à savoir la relance de l’économie capitaliste et de la production de plus-value. Malgré les divergences en son sein et malgré qu’elle puisse parfois sembler exprimer des désaccords avec les décisions des autorités, toute la petite-bourgeoisie appuie ce mouvement lancé par le capital consistant à renvoyer des millions de prolétaires au travail en pleine pandémie, un processus meurtrier qui ne peut conduire qu’à la deuxième vague de propagation et à la contamination massive de la population.

Les « mouvements complotistes » actuels ne sont qu’une version un peu plus « extrême » de cet appui général de la petite-bourgeoisie aux actions et à la volonté du grand capital. Rappelons, par exemple, que lorsque les « conspirationnistes » manifestaient contre le confinement le 25 avril dernier devant le parlement, ils n’avaient que quelques jours d’avance sur ce que le gouvernement du Québec allait effectivement faire, c’est-à-dire entamer le déconfinement de la province malgré que l’épidémie n’était pas sous contrôle! Et lorsque les « complotistes » incitent les gens à « se libérer de la peur », ils ne font qu’exprimer d’une manière caricaturale l’idée dominante au sein de la petite-bourgeoisie selon laquelle « la vie normale doit reprendre un jour ou l’autre », une idée qui profite tout spécialement au capital. En effet, malgré que le discours officiel des autorités bourgeoises puisse parfois laisser croire le contraire, le fait que les prolétaires n’aient pas peur du virus est entièrement dans l’intérêt de la classe dominante, puisque que cela lui permet de les renvoyer plus facilement au travail. Les grands médias bourgeois, depuis le début de la pandémie, n’ont d’ailleurs pas cessé de minimiser les risques (en martelant par exemple l’idée mensongère que les enfants n’étaient pas contagieux, que le virus était seulement virulent chez les personnes âgées, etc.). Cela dit, contrairement aux idéologues marginaux, la grande bourgeoisie ne peut pas nier purement et simplement l’existence de la pandémie, puisqu’elle a une société entière à reproduire et à diriger!


La lutte petite-bourgeoise contre le « complotisme » dénote un mépris de classe et trahit une soumission complète au pouvoir du capital


Si la petite-bourgeoisie intellectuelle est aussi horrifiée devant les mouvements « conspirationnistes » et « anti-masques », c’est en grande partie parce qu’elle méprise profondément les masses populaires. Comme nous l’avons vu, cette fraction intellectuelle de la petite-bourgeoisie est tout aussi réactionnaire que les représentants des courants auxquels elle s’oppose. Or, pour elle (et même si ce n’est pas le cas), le « complotisme » représente la bêtise du peuple au-dessus duquel elle cherche à s’élever constamment. D’ailleurs, les grands médias le répètent : les gens sans éducation seraient ceux qui adhèrent aux « théories du complot ». Pour cette raison, même si ces théories n’entrent pas fondamentalement en contradiction avec leurs propres aspirations, les petits-bourgeois intellectuels ne peuvent s’empêcher de s’en distancer avec ostentation.

Dénoncer les leaders « complotistes » (souvent des petits-bourgeois eux-mêmes) qui profitent de l’ignorance et de la souffrance du peuple est une chose. Mais la petite-bourgeoisie intellectuelle ne se limite pas du tout à cela. En fait, elle éprouve un malin plaisir à pointer du doigt les prolétaires confus qui ont été manipulés et qui se joignent aux manifestations organisées par ces idéologues réactionnaires. Or, le fait que les petits-bourgeois soient incapables de comprendre que certains prolétaires puissent adhérer à ces théories montre à quel point ils sont eux-mêmes remplis d’illusions sur la société actuelle. Comme nous l’avons dit, c’est la gestion incohérente de l’épidémie et la relance économique (que la petite-bourgeoisie intellectuelle appuie entièrement) qui génèrent la confusion à laquelle on assiste dans les masses. Dans ces conditions, il ne faut pas se surprendre que certains prolétaires finissent par adhérer à des thèses (plus ou moins douteuses) prenant la forme de révélations profondes sur la société actuelle et ayant l’air d’expliquer pourquoi les gouvernements ont agi de manière aussi incohérente qu’ils l’ont fait. En plus, ces thèses ont l’avantage de permettre aux prolétaires de travailler et de renvoyer leurs enfants à l’école – ce que la bourgeoisie les oblige à faire – sans être rongés d’inquiétude du matin au soir. En d’autres mots, les « théories du complot » liées à la pandémie (ou simplement l’idée selon laquelle le virus n’est pas particulièrement dangereux) agissent comme une sorte de baume, comme une forme « d’opium du peuple » – pour reprendre l’expression que Marx avait utilisée pour caractériser la ferveur religieuse des masses exploitées. Comme il le disait en parlant de la religion, ces idées permettant aux prolétaires d’échapper en pensée à la dureté de la réalité sont « le soupir de la créature accablée par le malheur, l’âme d’un monde sans cœur, de même [qu’elles sont] l’esprit d’une époque sans esprit. »

Finalement, il faut dire que les prolétaires qui adhèrent aux « théories du complot » n’ont pas entièrement tort et qu’ils ont tout de même le mérite de chercher à se révolter contre l’ordre actuel, contrairement aux petits-bourgeois qui les dénoncent avec pédanterie. D’ailleurs, la manière dont ces petits-bourgeois combattent le « complotisme » ne fait qu’ajouter de la confusion et renforcer l’adhésion de certains prolétaires à ces thèses erronées. En effet, en réponse à ces idées, les petits-bourgeois libéraux sont incapables de faire autre chose que de régurgiter l’idéologie démocratique bourgeoise dominante : ils vantent les institutions politiques actuelles, ils rejettent du revers de la main l’idée selon laquelle la société serait dirigée en fonction d’intérêts contraires à ceux de la majorité, ils affirment que le gouvernement agit pour le bien de la population, ils répètent que le docteur Arruda fait son possible (ou qu’il n’est qu’un « incompétent », ce qui n’est guère mieux), etc.

Mais les prolétaires ont raison de penser que le monde ne tourne pas rond. Ils ont raison de sentir qu’ils sont victimes d’un système injuste et qu’on ne leur dit pas « toute la vérité ». Et contrairement à ce que pense la petite-bourgeoise intellectuelle complètement soumise à la démocratie bourgeoise, ils ont raison de penser que la société actuelle est dirigée par une « élite » hostile à leurs intérêts. Cependant, cette « élite », ce n’est pas seulement Bill Gates et son entourage, ce n’est pas un petit groupe caché dans un bunker au milieu d’un désert, ce n’est pas une organisation occulte flottant au-dessus des nations et utilisant l’OMS pour instaurer une « dictature mondiale » : c’est une classe sociale entière qui est présente dans chaque pays, dont le caractère est pleinement national et qui est composée de millions de personnes! Ici au pays, cette classe a un nom : elle s’appelle la bourgeoisie impérialiste canadienne. Elle représente environ 7% de la population (c’est-à-dire autour de 2,6 millions d’individus), elle se trouve à la tête des grandes entreprises et de l’appareil étatique et elle habite dans des quartiers que l’on peut visiter aisément comme Westmount, Ville Mont-Royal ou encore Outremont à Montréal… Pour venir à bout de cette « élite », on ne pourra pas seulement s’arranger pour l’écarter des institutions actuelles (comme on pourrait s’imaginer pouvoir faire s’il s’agissait d’un groupe restreint de comploteurs qui aurait pris le contrôle de l’État) : il faudra la renverser par une révolution qui bouleversera la société entière, qui détruira l’État bourgeois pour le remplacer par un nouveau pouvoir prolétarien et qui transformera les rapports sociaux pour faire émerger une société sans exploitation et sans classes!