La fétichisation des vélos à Montréal : des entraves à la qualité de vie des travailleurs

L’aménagement de pistes cyclables dans la métropole a semé la grogne dans les derniers mois. Les projets estivaux des autorités municipales qui dirigent la Ville de Montréal ont fait l’objet de nombreuses critiques. L’implantation des voies actives sécuritaires (VAS) un peu partout dans les arrondissements centraux ou encore du futur Réseau express vélo (REV) sur la rue Saint-Denis, l’une des principales artères nord-sud de l’île, est loin de faire l’unanimité. L’on pourrait croire que le mécontentement ne provient que des commerçants, grands et petits, qui voient l’accès à leurs points de vente empêché (alors que tout de même, certains commerçants se réjouissent de pouvoir agrandir leurs terrasses, ou encore de voir des flâneurs déambuler sur des rues nouvellement piétonnes et faire du lèche-vitrines). En vérité, ceux et celles qui font réellement les frais des projets municipaux de cet ordre sont les prolétaires montréalais qui, chaque jour, se lèvent et se déplacent pour aller travailler. Le plan d’ensemble de la mairie n’améliore pas leur qualité de vie, bien au contraire : il rend leur vie plus pénible qu’elle ne l’était déjà. Pendant ce temps, la mairesse se targue de verdir les espaces et de sécuriser les déplacements en favorisant le transport piétonnier ou à vélo au détriment du transport motorisé.

Les conséquences des VAS de l’été 2020 et des autres aménagements routiers sont bien réelles, à commencer par l’élimination d’un nombre considérable de places de stationnement pour les résidents, avec ou sans vignettes, et pour les gens qui souhaitent fréquenter les commerces d’un secteur. Par exemple, 800 places de stationnement sont parties en fumée sur la rue Bellechasse cet été. Et les Montréalais qui avaient l’habitude de se stationner sur les nombreuses rues qui on été converties n’ont pas bénéficié d’aide pour relocaliser leur véhicule. Un peu plus et les élus leur proposaient, le plus sérieusement du monde, la cour à scrap! Plus encore, le travail des livreurs et des facteurs était rendu parfois impossible. Et que dire du trafic qui a été induit par le rétrécissement des rues! Et de la dangerosité de la cohabitation des automobiles avec les vélos, peu importe la multiplication des pistes cyclables! Le 14 août dernier, plus de 200 personnes âgées d’une résidence sur le boulevard Gouin à Montréal-Nord ont courageusement pris la rue pour dénoncer le retrait d’un arrêt d’autobus causé par l’installation de nouveaux passages piétons et cyclables. La ville exigeait de ces personnes en perte de mobilité qu’ils gravissent une pente pour se rendre sur le boulevard Henri-Bourassa afin de prendre leur autobus beaucoup plus loin qu’auparavant. Plusieurs ont dû renoncer à leurs sorties et à leurs achats quotidiens, ce qui est d’autant plus scandaleux lorsque l’on apprend que cette décision inhumaine servait à accommoder… des cyclistes! C’est qu’en plus du mépris petit-bourgeois envers les prolétaires, mépris encouragé par la mairesse, les décisions municipales portent la signature de l’absence de planification propre à l’administration bureaucratique capitaliste qui, le plus souvent, n’a que faire de l’arrimage d’un projet avec la vie des gens, et spécialement lorsqu’il ne s’agit que de la vie des « gens simples et sans histoire », d’où l’absence de consultation et de participation des masses aux changements apportés au paysage routier montréalais. C’est sans compter que l’apparition des VAS s’est conjuguée avec des travaux de réfection routière d’envergure, ce qui a rendu les déplacements en ville impraticables tout au long de l’été qui vient de passer.

Le développement urbain tel qu’il est envisagé par les élus de Montréal ne répond pas aux intérêts (qu’ils soient immédiats ou à long terme) du prolétariat de la région métropolitaine : il cherche à satisfaire les aspirations de la petite-bourgeoisie citadine. En effet, cette couche de la population prône avec pédanterie un mode de vie « de proximité » selon lequel l’on consomme « localement », en petite quantité, et selon lequel l’on travaille de chez soi ou près de chez soi. Bien entendu, la capacité d’en faire autant n’est pas donnée à tout le monde. D’abord, le type de position dans la division sociale du travail qui permet de ne pas emprunter un véhicule ou de ne pas faire de longs trajets en transport en commun pour aller gagner sa vie est réservé à la petite-bourgeoisie. Aussi, les boutiques, boucheries, fruiteries ou autres commerces bio et équitables n’ont pas pignon sur rue dans tous les quartiers et quand c’est le cas, y faire les emplettes, ça demande des moyens financiers et du temps. Espérons aussi que ceux qui s’adonnent à ce type de magasinage n’ont pas beaucoup de bouches à nourrir.

À vrai dire, la grande majorité de la population montréalaise est prolétarienne et elle vit en famille. Une partie de cette population s’est installée dans des quartiers excentrés (Mercier, Pointe-aux-Trembles, LaSalle, Lachine, Ville Saint-Laurent, Montréal-Nord, Rivière-des-Prairies, Anjou, etc.), voire en périphérie de la ville (Laval, Longueuil, Saint-Hubert, Repentigny, Châteauguay, Saint-Eustache, etc.) pour se loger dans des espaces plus spacieux et moins dispendieux que ceux que l’on retrouve dans des quartiers centraux (Plateau Mont-Royal, Ville-Marie, Saint-Henri, Verdun, Centre-Sud, Hochelaga, Rosemont, Villeray, etc.), bien qu’il y ait encore beaucoup de travailleurs qui y résident. Aussi, les lieux de travail des prolétaires peuvent nécessiter de traverser la ville pour se rendre dans des quartiers industriels, sur des chantiers et dans des centres commerciaux à plusieurs kilomètres des lieux d’habitation. C’est le développement même du capitalisme (grande industrie et moyens de production modernes de grande envergure) qui est à l’origine de ces déplacements de population irréversibles. Aussi, les familles veulent pouvoir magasiner dans des grandes surfaces (Walmart, Costco, Maxi, Super C, Canadian Tire, Tigre Géant, etc.) pour pouvoir se procurer des marchandises abordables et variées afin de répondre à l’ensemble de leurs besoins, ce qui est tout à fait compréhensible. D’autres considérations entrent en ligne de compte comme le travail de nuit, les horaires de travail morcelés, ou encore les horaires d’écoles et de garderies, ce qui requiert des moyens de locomotion flexibles et efficaces. Bref, la plupart des prolétaires ont besoin de se déplacer et voiture, que cela plaise ou non aux petits-bourgeois remplis de dédain pour les « gens ordinaires » et rongés par « l’éco-anxiété », le fruit de leur imagination. Ce qui est un progrès historique objectif est considéré, par les petits-bourgeois intellectuels et artistiques des grands centres, comme étant une chose venant « dénaturer le vivant ». Dans le contexte de cette mouvance abjecte, Projet Montréal a le vent dans les voiles et la population prolétarienne de la région métropolitaine de Montréal souffre des initiatives méprisantes pilotées par les conseillers municipaux.

C’est au nom de la sauvegarde de l’environnement que Projet Montréal réalise ses abominations routières pro-vélos. En novembre 2019, la mairesse a annoncé que d’ici 2030, elle viendrait à bout de 55% des émissions urbaines de GES à coups de pistes cyclables, de trottoirs et d’élargissement du transport en commun. Aussi, il y a quelques jours, elle n’a pas manqué l’occasion de rappeler aux Montréalais mécontents de sa gestion qu’un demi million de manifestants étaient descendus dans les rues de la ville le 27 septembre 2019 pour signaler leur inquiétude face au réchauffement climatique, et donc, qu’il fallait être « conséquents ». Encore faudrait-il se demander qui a arpenté les rues de Montréal aux côtés de Greta Thunberg il y a un an… La petite-bourgeoisie montréalaise aime donner l’exemple. Elle adopte un écologisme en pratique et se voit comme une avant-garde. En vérité, elle opère un retour en arrière fictif. Elle glorifie des manières de vivre dépassées et individualistes : l’agriculture urbaine, les fermettes familiales, le transport actif, l’artisanat, le zéro déchet, le « do it yourself », la simplicité volontaire, etc. Elle cultive ainsi un sentiment de supériorité envers la classe ouvrière qu’elle considère indigne et arriérée alors que justement, le prolétariat vit en phase avec le niveau de développement actuel des forces productives en n’ayant d’autres choix, plus souvent qu’autrement, de se déplacer sur de longues distances pour travailler et pour se procurer des biens, et ce, en empruntant des moyens de locomotion modernes et pratiques. Pour la plupart des travailleurs, posséder une voiture et s’en servir, ce n’est pas un « privilège » comme le clament les artistes et les intellectuels urbains : c’est une nécessité. Hélas, c’est aux exigences d’une minorité (très plaintive, cela dit) que les décisions municipales récentes en matière de circulation routière répondent. Mais cette minorité est bien risible, car pendant que nous sommes à l’époque de la maîtrise de l’énergie nucléaire, elle élabore des projets de société basés sur des pédaliers et des brosses à dent en bambou. La petite-bourgeoisie ne réalise pas que son combat contre les combustibles fossiles et contre « la dictature de l’automobile » n’entre pas en contradiction avec les objectifs de la grande bourgeoisie qui doit de toute façon passer incessamment à de nouvelles formes d’énergie, étant sur le point de venir à bout du pétrole. La bourgeoisie, penchée sur le problème du virage énergétique forcé par la fin du cycle du carbone, n’est pas dérangée par la petite-bourgeoisie délirante qui croit que l’avenir de l’humanité se trouve dans l’ajout de pistes cyclables, ou encore dans un retour à la terre et à la petite production dont elle serait la représentante. Et tout en se croyant révolutionnaire et subversive (alors qu’elle est réactionnaire et convenue), la petite-bourgeoisie jette la pierre au prolétariat dont elle veut se distinguer à tout prix.

Valérie Plante prétend, depuis le printemps dernier, que les mesures liées à la gestion sanitaire de la pandémie de COVID-19 l’ont obligée à « repenser le partage de l’espace public » : le confinement aurait entraîné une diminution de la circulation automobile de 50% et une hausse de l’achalandage des pistes cyclables de 75% la fin de semaine. Détrompons-nous, malgré une accélération qui peut être attribuée aux opportunités que le contexte de la pandémie a offert, l’équipe de Projet Montréal défend et mène à bien des initiatives de voies cyclables depuis des années. Depuis plus d’une décennie, les entraves à la circulation automobile dans l‘arrondissement du Plateau Mont-Royal, véritable fief du régime municipal actuel, en est un bon exemple… et il aura certainement servi de modèle pour toutes les entraves à l’automobile qui ont vu le jour un peu partout en ville dernièrement! Seulement depuis juin 2020, ce sont près de 327 kilomètres supplémentaires de voies piétonnes et cyclables qui ont été aménagées sur l’île!

Pendant que Valérie Plante s’attaque à de faux problèmes, les problèmes réels à Montréal persistent. Il n’y a pas que les VAS et les REV de ce monde qui constituent des nananes pour la petite-bourgeoisie. Les fausses améliorations, c’est la manne de Valérie Plante et de tous ses semblables. L’on a qu’à penser à des déclaration solennelles sur l’existence du « racisme systémique », à l’adoption de l’écriture inclusive à l’hôtel de ville, ou encore au changement de nom de la rue Amherst pour Atateken. Tout cela est chose bien peu coûteuse, mais ô combien chère aux idéologues verts et post-modernes qui transpirent le snobisme! Mais qu’en est-il des taxes foncières qui ne cessent d’augmenter, du prix exorbitant des loyers, de l’insalubrité des logements et des lieux publics, des problèmes de vermine, du plomb dans l’eau, des bouchons de circulation, de la pauvreté, des tarifs à la hausse de la STM, etc.?

En sommes, rappelons-nous que les nouvelles entraves à la circulation routière doivent être considérées pour ce qu’elles sont réellement : des attaques décomplexées contre les travailleurs.