COVID-19 : De la PCU à l’assurance-emploi, un ajustement exigé par la bourgeoisie

En annonçant la fin de la Prestation canadienne d’urgence (PCU) et le passage à un régime d’assurance-emploi simplifié à compter du 27 septembre, le gouvernement fédéral est venu répondre positivement au concert des organisations patronales et de certains gouvernements provinciaux – dont celui de la CAQ – qui dénonçaient depuis déjà plusieurs semaines la « trop grande générosité », à leurs yeux, de la PCU. Avec un taux de prestation de 500 $ brut par semaine, soit un peu moins qu’un emploi à temps plein au salaire minimum, la PCU a été grossièrement décriée comme étant un « désincitatif » au travail, surtout pour les jobs à bas salaires ou à temps partiel. Cela alors que pratiquement rien, dans ce programme, n’obligeait les prestataires à accepter ce type d’emploi. La grande chorale des porte-parole patronaux, des chroniqueurs économiques et des éditorialistes des médias bourgeois, qui occupent tous des emplois à gros salaires, fut unanime à dénoncer cet impact supposé de la PCU, tout en se félicitant en même temps que sa mise en place ait eu un effet globalement positif pour soutenir la demande et assurer la poursuite des affaires pour bon nombre de capitalistes.

Renouvelée à chaque cycle de quatre semaines depuis le début de la pandémie, la PCU a vu quelque 8,75 millions de demandeurs uniques y recourir, ce qui témoigne de l’ampleur de la crise subie par les travailleurs et travailleuses du Canada tout au long des derniers mois. En date du 6 septembre, la valeur totale des prestations versées s’élevait à 76,4 milliards $ – une dépense qui s’est avérée nécessaire non seulement pour soutenir la demande globale mais aussi pour éviter ce qui aurait pu s’avérer une crise sociale difficilement gérable pour l’État bourgeois, avec ces millions de personnes ayant soudainement perdu leur emploi et leur principal moyen de subsistance.

Le gouvernement savait très bien que le régime d’assurance-emploi ne serait pas en mesure de répondre à la situation causée par l’introduction de l’état d’urgence sanitaire. Avec des seuils d’admissibilité trop élevés, un taux de prestations insuffisant (55 % du salaire brut), un nombre de semaines payables ridiculement bas (aussi peu que 14 semaines pour certains) et l’exclusion des millions de travailleurs dits « autonomes » ou « indépendants », le régime d’assurance-emploi est délibérément conçu pour placer les travailleurs dans une situation de vulnérabilité telle qu’ils doivent accepter des conditions réduites à leur plus simple expression. Le président du Conseil du Trésor, Jean-Yves Duclos, antérieurement responsable du régime d’assurance-emploi, l’a d’ailleurs avoué avec candeur au moment où la PCU a été introduite : « On savait que le filet de l’assurance emploi était un peu trop percé, ne couvrait pas assez grand, mais on n’a pas procédé assez rapidement à sa réforme. » De fait, le gouvernement évalue à plus de 40 % le nombre de personnes ayant reçu la PCU qui auraient été autrement inadmissibles à l’assurance-chômage, si la PCU n’avait pas été mise en place.

La fin annoncée de la PCU, le 27 septembre, verra donc la mise en place d’un régime d’assurance-emploi plus souple, mais seulement de façon temporaire, soit pour un an. Trois autres prestations temporaires sont également censées être offertes, pour ceux et celles qui ne se qualifieront pas à l’assurance-emploi. En gros, le nombre d’heures assurables pour avoir droit à l’assurance-emploi, qui varie normalement entre 420 et 700, sera réduit à 120, que ce soit pour les prestations régulières ou spéciales (maladie, parentales, etc.). Un taux de prestations minimum (400 $) sera également introduit, alors qu’aucun seuil de ce genre n’est prévu dans le régime « normal » – le maximum étant par ailleurs de 573 $ par semaine. Enfin, le nombre minimum de semaines payables sera porté à 26, au lieu de 14.

Ceux et celles qui ne se qualifieront tout de même pas à ce régime d’assurance-emploi dit « simplifié » – ce sera le cas notamment de la plupart des travailleurs et travailleuses autonomes – pourront dans certains cas se prévaloir d’une nouvelle prestation de la relance économique, qui offrira quant à elle un montant fixe de 400 $ par semaine pour un maximum de 26 semaines. Une prestation de maladie de deux semaines, à hauteur de 500 $ par semaine, sera par ailleurs disponible pour les personnes n’étant pas en mesure de travailler parce qu’elles sont malades ou dans l’obligation de s’isoler en raison de la COVID-19. Enfin, une dernière prestation, destinée celle-là à des personnes proches aidantes devant s’absenter du travail pour prendre soin d’un enfant de moins de 12 ans ne pouvant aller à l’école ou au service de garde pour une raison liée à la COVID-19 ou d’un proche handicapé offrira elle aussi un montant fixe hebdomadaire de 500 $ pendant un maximum de 26 semaines.

Même si certains auraient souhaité que la PCU soit purement et simplement abolie et qu’aucune mesure transitoire ne soit implantée, la bourgeoisie dans son ensemble a salué l’annonce du gouvernement Trudeau. Voyons ce pourquoi elle s’en est réjouie :

  1. Avec un taux fixe de 400$ pour la prestation de relance économique et un taux minimum du même ordre dans le régime d’assurance-emploi simplifié, la majorité des quelque 1,5 million de personnes qui touchent actuellement la PCU et feront la transition à compter du 27 septembre subiront du jour au lendemain une importante baisse de revenu, de l’ordre de 20%. Ceux et celles, plus tard durant l’année, qui perdront leur emploi – quand la deuxième vague s’amènera, par exemple – se retrouveront dans une situation financière encore plus précaire que ce qu’on a connu dans les derniers mois, ce qui les placera dans une situation où elles seront contraintes d’accepter des emplois à des conditions souvent inférieures à celles qu’elles connaissent habituellement.
  2. Dans le cas du régime d’assurance-emploi simplifié, les exclusions totales en cas de départ volontaire « non justifié » ou de congédiement pour « inconduite » seront maintenues. Pour qu’un départ volontaire soit considéré justifié par la Commission de l’assurance-emploi, la personne salariée doit démontrer que dans les circonstances, sa démission était « la seule solution raisonnable »;  cette disposition est au coeur du régime d’assurance-emploi depuis qu’elle a été imposée par le gouvernement Mulroney en 1993, en ce qu’elle place les travailleurs et travailleuses dans une situation de dépendance quasi totale face aux exigences de leurs patrons.
  3. Dans le même esprit, les personnes non admissibles au régime d’assurance-emploi seront exclues de la prestation de relance économique, lorsqu’elles auront quitté leur emploi volontairement.
  4. Surtout, et contrairement à la PCU, les prestataires d’assurance-emploi sont tenues de produire à toutes les deux semaines une déclaration faisant état de leur capacité et leur disponibilité à travailler. Le régime exige des prestataires qu’ils fassent une recherche active d’emploi ; s’ils ne le font pas, ou s’ils refusent un emploi disponible jugé « convenable » selon les critères de la Commission de l’assurance-emploi, ils sont rendus inadmissibles, voire exclus des prestations. Ainsi, une personne ayant perdu temporairement son emploi pour un motif lié à la COVID-19 et qui s’attend à être rappelée au travail pourra se voir contrainte d’accepter un autre emploi, éventuellement assujetti à des conditions inférieures, sous peine de perdre ses prestations. Avec les mesures de contrôle en vigueur, la bourgeoisie se dit confiante qu’il n’y aura plus de situation où certains refuseront de retourner au travail préférant « toucher la PCU », comme ses porte-parole n’ont cessé de le claironner ces derniers mois, sans toutefois donner de chiffres pour appuyer leurs dires. (Dans les faits, l’immense majorité des prestataires de la PCU ont repris le travail dès qu’ils l’ont pu, comme en témoigne le fait que 7,25 millions des 8,75 de prestataires ont cessé de la réclamer : on ne vit pas dans l’opulence avec une pitance de 500 $ brut par semaine.)

Clairement, avec son régime d’assurance-emploi simplifié et sa prestation de relance économique, le gouvernement Trudeau vise à maintenir cet équilibre entre la nécessité de soutenir la demande globale et d’éviter une crise sociale, tout en évitant ce faisant de remettre en cause « l’arrangement » qui prévaut depuis plusieurs années déjà dans la plupart des pays capitalistes avancés et qui fait des régimes d’assurance-chômage des outils de régulation des rapports entre le travail et le capital, au profit de ce dernier. Dans la phase actuelle de gestion de la pandémie, qui voit les classes bourgeoises mettre l’accent sur la relance et donc l’arrêt ou la suspension des mesures de confinement, la fin de la PCU et son remplacement temporaire par un régime d’assurance-emploi certes assoupli, mais plus chiche, est un passage obligé pour le gouvernement Trudeau. Cela, qu’importe le sort de ceux et celles qui en souffriront.