Grèves tournantes des RSE : une mobilisation courageuse à soutenir!

Cette semaine, les 10 000 Responsables en services éducatifs en milieu familial (RSE) membres de la Fédération des intervenantes en petite enfance du Québec (FIPEQ-CSQ) ont entamé des grèves rotatives à l’échelle de la province pour dénoncer leurs conditions de travail et pour faire pression sur le gouvernement Legault afin d’obtenir une meilleure rémunération. On estime à 60 000 le nombre de familles québécoises – pour la plupart prolétariennes – qui seront touchées par ces moyens de pression. Le coup d’envoi de la série de grèves a été donné mardi dernier à Québec, où une centaine de manifestantes se sont rassemblées au parc de l’Amérique-Française avant de marcher vers l’Assemblée nationale. Par la suite, les grèves se sont déplacées à Laval-Lanaudière, puis dans le Bas-Saint-Laurent et la Gaspésie, où d’autres manifestations ont également eu lieu. Elles se déplaceront ainsi de région en région jusqu’au 21 septembre, date à laquelle une grève générale illimitée doit être déclenchée si aucune entente n’est conclue avec le gouvernement d’ici là.

En fait, la grève générale était censée avoir lieu le 1er avril dernier, mais avec le début de la crise sanitaire dans la province à la mi-mars, les moyens de pression avaient été suspendus complètement. Avec la fermeture de plusieurs services de garde en milieu familial et avec la transformation de certains d’entre eux en services de garde d’urgence pour les travailleurs essentiels, le mandat de grève générale illimitée qui avait été appuyé à 97,5% lors d’un vote sans précédent le 8 mars dernier (soit quelques jours seulement avant la déclaration de l’état d’urgence sanitaire) n’avait pas été appliqué comme prévu. Mais ce n’était que partie remise.

Rappelons que les RSE sont sans entente collective depuis le 31 mars 2019. Depuis lors, elles se butent au mépris du gouvernement. Leur revendication principale porte sur leur rémunération. Bien que les RSE ne sont pas à proprement parler des prolétaires (puisqu’elles ne sont pas soumises au régime du salariat et ne prennent pas part à un procès de travail socialisé), elles ne peuvent pas être considérées non plus comme des entrepreneures capitalistes puisqu’elles n’ont aucune possibilité de faire grossir leur « entreprise » et d’accumuler du capital. En fait, le gouvernement est en quelque sorte leur « employeur », puisque la majeure partie des revenus des RSE provient des subventions qui leur sont accordées par l’État bourgeois. Or, lorsque l’on prend en considération toutes les heures réellement travaillées par les responsables (c’est-à-dire au moins 55 heures par semaine) et non seulement celles officiellement reconnues par le gouvernement, leur rémunération correspond à un salaire horaire misérable de 12,42 dollars de l’heure, soit moins que le salaire minimum (qui est de 13,10$ depuis le 1er mai 2020). Pour se sortir de cette situation aberrante, les RSE revendiquent que leur rémunération soit haussée pour atteindre l’équivalent de 16,75 dollars de l’heure, soit le même salaire qu’une éducatrice non formée au premier échelon dans les centres de la petite enfance (CPE). Or, les offres du gouvernement se situent bien en deçà de cette demande plus que légitime. Au départ, les capitalistes du ministère de la Famille proposaient une augmentation équivalent à seulement six cennes de l’heure! Puis, ils ont accepté de revoir leur proposition initiale pour finalement déposer leur offre finale le 2 juin dernier. Si cette proposition était acceptée, la rémunération des RSE atteindrait désormais… 12,83 dollars de l’heure. Cette offre insultante confirmait ainsi la détermination du gouvernement à maintenir dans la pauvreté les quelque 13 000 éducatrices en milieu familial qui prennent soin quotidiennement d’une bonne partie des jeunes enfants de la province.

À vrai dire, cela ne devrait surprendre personne, puisque le développement des services de garde en milieu familial (notamment à l’initiative du gouvernement libéral de Jean Charest en 2006) était, en soi, une manière pour l’État bourgeois québécois de réduire ses dépenses liées à la prise en charge des enfants des prolétaires de la province (ou en d’autres mots, de réduire les coûts de la reproduction de la force de travail et du maintien d’une main d’œuvre « libérée » et active). En effet, pour l’État capitaliste, le réseau des services de garde en milieu familial est beaucoup moins onéreux que celui des CPE, ne serait-ce que parce qu’il ne nécessite aucun investissement sur le plan immobilier, contrairement à ce dernier. Puisque les services de garde en milieu familial étaient, dès le départ, destinés à coûter moins cher à l’État capitaliste, les politiciens bourgeois ne voient évidemment pas d’un bon œil l’idée de hausser la rémunération de leurs responsables au niveau de celle des éducatrices dans les CPE. Pour ces politiciens, les milliers de femmes (dont la plupart sont elles-mêmes issues du prolétariat) qui offrent ces services de garde à domicile ne sont qu’un moyen d’alléger le fardeau financier de l’État bourgeois québécois.

En réalité, bien qu’elles le font dans des conditions et dans un cadre qui sont loin d’être idéaux, ces éducatrices fournissent une activité socialement indispensable et elles devraient être rétribuées correctement pour le faire. Plus encore, alors qu’elles doivent présentement travailler dans des conditions dangereuses en raison de la pandémie de coronavirus, elles méritent d’autant plus d’être compensées adéquatement pour les risques qu’elles encourent quotidiennement et pour les dépenses supplémentaires liées à l’épidémie qu’elles doivent faire. Notons d’ailleurs qu’elles n’ont même pas eu droit à une prime COVID-19 lorsqu’elles fournissaient des services d’urgence pour les travailleurs essentiels pendant le confinement du printemps dernier… La manière dont l’État bourgeois traite ces milliers d’éducatrices est déjà scandaleuse en temps normal. Elle devient tout simplement ignoble en ce moment, alors que les capitalistes font reposer en partie sur elles leur relance économique en comptant sur leurs services bon marché pour permettre aux prolétaires de retourner au travail.

Le mépris du gouvernement envers les RSE entraîne une riposte imposante

Le 18 juin dernier, l’offre finale du gouvernement – une offre absolument méprisante comme nous l’avons vu – a été rejetée à 82% par les membres de la FIPEQ-CSQ. Le même jour, le plan de grèves rotatives qui s’est mis en branle le 1re septembre dans la province a été adopté. Dans les semaines qui ont suivi, le syndicat a néanmoins continué de démontrer son ouverture et sa volonté de poursuivre les négociations. Mais le ministère de la Famille a décidé unilatéralement de rompre les pourparlers pendant l’été. Il faut dire que les rapports entre le syndicat et le gouvernement étaient devenus particulièrement tendus lorsque le ministre Mathieu Lacombe, trois jours après avoir déposé son offre minable, avait annoncé que le gouvernement ne rembourserait pas les parents ayant fait le choix, en raison du virus, de garder leurs enfants à la maison. Rompant une promesse qu’il avait faite plus tôt, le gouvernement laissait ainsi les familles prolétariennes ou les RSE débourser de leur poche pour compenser le retrait financier de l’État. Le mépris total du ministre de la Famille pour… les familles du prolétariat ne pouvait pas être plus patent!

D’ailleurs, l’entêtement du gouvernement à maintenir la rémunération des RSE sous le salaire minimum n’affecte pas seulement ces dernières : il s’agit également d’une attaque indirecte contre tout le prolétariat. En effet, en raison des piètres conditions dans lesquelles les RSE sont obligées de travailler, plusieurs services de garde en milieu familial finissent par fermer leurs portes et des milliers de postes demeurent à combler, ce qui a pour effet de priver de nombreuses familles prolétariennes de places pour leurs enfants. Comme l’a souligné Sonia Éthier, la présidente de la Centrale des syndicats du Québec (CSQ) : « Malheureusement, le ministre fait le choix de prendre les parents en otage. En raison des piètres conditions de travail, il prive chaque année les parents du Québec de plus de 13 000 places à 8,35$/jour en raison du manque de main-d’œuvre. Depuis l’arrivée de la CAQ au pouvoir, le nombre de places occupées à contribution réduite a régressé ».

Devant la mauvaise foi du ministre Lacombe et en préparation de la série de grèves qui allait avoir lieu à l’automne, le syndicat a repris les moyens de pression pendant l’été. Des actions de visibilité (distribution de tracts dans le comté du ministre Lacombe, envoi de cartes postales à ses électeurs, campagnes publicitaires à la télévision et sur le web, etc.) ont été organisées. Par ailleurs, les RSE de la FIPEQ-CSQ n’ont pas été les seules à se mobiliser. Au mois du juin, leurs 3 000 consœurs de la FSSS-CSN – qui luttent essentiellement pour les mêmes revendications – ont tenu deux journées de grève lors desquelles elles ont organisé des manifestations importantes et d’autres actions de mobilisation dans la province. Puis, le 26 août, la FIPEQ-CSQ a tenu un rassemblement devant le bureau du ministre Lacombe afin de l’implorer – en vain – de revenir à la table de négociations avant que les 10 000 syndiquées n’entament leur série de grèves tournantes. À cette occasion, la présidente de la FIPEQ-CSQ, Valérie Grenon, a déclaré :

« Je tiens à m’adresser aux 60 000 familles touchées par ce conflit. Le seul et unique responsable du fiasco de ces négociations, c’est le ministre de la Famille, Mathieu Lacombe. Il s’entête à vouloir maintenir 10 000 femmes et hommes sous le salaire minimum. Nous avons besoin de vous pour faire bouger les choses. Nos membres sont épuisées et à bout de souffle par le manque de reconnaissance. Elles quittent la profession par centaines. Aujourd’hui, il est minuit et une : nous n’avons plus rien à perdre et les parents doivent se préparer à un arrêt de service qui pourrait se prolonger. »

Une volonté de combattre que les ouvriers doivent saluer et appuyer pleinement

La classe ouvrière doit s’unir avec tous les secteurs du peuple qui ont des aspirations progressistes, qui luttent pour des revendications légitimes et qui démontrent une volonté de combattre la bourgeoisie. Depuis plusieurs mois, les RSE font partie des éléments les plus mobilisés parmi les masses populaires. Leurs conditions d’existence médiocres, doublées du mépris du gouvernement à leur endroit, ont favorisé l’émergence d’un fort mouvement de lutte revendicative parmi elles. Les ouvriers et les prolétaires de la province, en particulier ceux dont les enfants sont pris en charge par les RSE en lutte, doivent montrer ouvertement leur appui au combat légitime qu’elles mènent contre le gouvernement capitaliste de François Legault. Cet appui devra demeurer ferme et s’élargir à mesure que la lutte avancera, dans les prochains jours, vers le déclenchement de la grève générale illimitée. Par la suite, si la grève générale doit avoir lieu, il devra se maintenir et continuer à s’étendre à des couches encore plus nombreuses de la population.

La solidarité entre différents secteurs du peuple peut permettre de gagner des batailles contre la classe dominante. Mais surtout, cette solidarité qui se consolide à travers les luttes actuelles est une arme puissante qui servira un jour à renverser le pouvoir des exploiteurs et à transformer radicalement la société en faveur des intérêts du plus grand nombre. C’est l’unité du peuple au sein du front uni le plus large possible, c’est-à-dire l’unité de l’immense majorité de la société, qui conduira éventuellement à l’émancipation des exploités et à la défaite définitive de la bourgeoisie!