Projet de loi 32 en Alberta : Une attaque contre les syndicats
Le projet de loi 32, déposé à l’Assemblée législative de l’Alberta le 6 juillet 2020 par Jason Kenney et le Parti conservateur uni, est une attaque frontale contre les travailleurs de la province. Le projet de loi entend réaliser des transformations profondes dans le code des relations de travail et dans le code général de l’emploi albertain. S’il est adopté, les syndicats, leurs membres ainsi que la classe ouvrière dans son ensemble subiront des pertes importantes sur les plans juridique et économique. Ce projet de loi, sous-tendu par les intérêts des capitalistes, est à combattre sans compromis.
Ce projet omnibus, dont le nom officiel est « Projet de loi pour rétablir l’équilibre dans les lieux de travail », contient nombre d’amendements défavorables à la classe ouvrière et affaiblissant la législation de l’emploi. Il s’en prend directement au droit de grève et d’organisation syndicale ainsi qu’aux normes générales du travail. Les propositions de modification qu’il met de l’avant sont précises et réfléchies. Elles prennent racine dans l’expérience pratique accumulée par la bourgeoisie albertaine, expérience d’affrontement contre les travailleurs. Le projet de loi entend soulager le capital du poids de l’activité syndicale dans sa forme actuelle.
Les travailleurs albertains n’en sont pas à la première offensive lancée par la bourgeoisie. Depuis 2019, ils ont assisté à des coupures importantes en éducation et dans le système de santé. Leurs régimes de pension ont aussi été menacés. De plus, près de 50 000 emplois ont été perdus depuis l’été dernier. Cela n’augure rien de bon pour la province détenant le plus faible taux de syndicalisation au pays. Plus encore, la volatilité du prix du pétrole et les difficultés entourant l’industrie pétrolière au Canada causent des bouleversements dans l’économie albertaine, ce qui contribue à renforcer les contradictions entre le capital et la masse des ouvriers de cette province.
Une liste exhaustive de mesures antisyndicales et rétrogrades
Le projet de loi 32 va dans tous les sens. Par exemple, il entend sabrer dans les payes de vacances et les congés fériés provinciaux de même que réduire l’âge minimal du travail à 13 ans (une proposition scandaleuse tout droit sortie du musée des horreurs capitalistes!). Le projet omnibus pousse aussi la note en prévoyant modifier, à l’avantage des capitalistes, les indemnités de départ et les préavis de licenciement (incluant l’exclusion des travailleurs saisonniers pour tout préavis de congédiement!). Il donne aussi la possibilité aux employeurs d’amortir beaucoup plus facilement les heures de travail hebdomadaires sur 52 semaines plutôt que 12 (comme le prévoit la loi courante), et ce, afin de ne pas payer d’heures supplémentaires (à un tarif plus élevé). L’obtention du consentement de l’employé victime d’une telle manœuvre ne serait, par ailleurs, plus requise.
Dans la même veine, avec l’adoption de cette loi odieuse, les capitalistes obtiendraient le droit d’élargir le principe de variance. Ce principe permettait déjà aux capitalistes de ne pas entièrement respecter le code de l’emploi albertain. Avec le projet de loi 32, la variance est élargie à des industries entières. Les conditions à satisfaire pour appliquer le principe de variance seraient donc largement assouplies (suppression des procédures de vérification d’admissibilité et de régulation!). La gestion du principe de variance passerait essentiellement aux mains du gouvernement et de son ministère du Travail, ces deux mêmes instances qui pilotent actuellement le dépôt et l’adoption du projet de loi 32, une charge sans précédent des capitalistes envers les travailleurs.
Certaines des modifications les plus dangereuses et nuisibles pour le mouvement syndical albertain sont celles affectant les cotisations syndicales et la nature légale de l’activité syndicale. Le projet de loi 32 entend forcer, sous certaines conditions, l’obtention d’une autorisation formelle des membres pour qu’un syndicat puisse prélever leurs cotisations individuelles. L’obtention de cette autorisation deviendrait obligatoire pour tout syndicat dépassant la stricte fonction de représentation auprès des employeurs une fois la convention collective échue, ce qui reviendrait à affaiblir le poids de l’activité syndicale et à restreindre les différentes formes de luttes complémentaires à la grève légale. Avec l’adoption de ces nouvelles mesures légales, les syndicats seraient appelés à comptabiliser le temps et le coût de chacune de leurs activités, de même qu’à rapporter de quels travailleurs proviennent les fonds à leur disposition et à quel escient ils sont utilisés. En plus d’être paralysés par une lourdeur bureaucratique nouvelle, les syndicats se verraient interdits de prendre part à des mobilisations contre le gouvernement et à des actions de solidarité et de convergence. Ils se verraient aussi interdits de tenir des piquets pour bloquer le passage à des fournisseurs ou des clients de l’employeur lors de grèves ou de lock-outs. Le projet de loi modifierait aussi défavorablement les délais et prescriptions entourant les votes de syndicalisation et de grève. Des syndicats reconnus coupables de pratiques illégales comme des grèves en dehors des périodes permises seraient passibles de poursuites et se verraient empêchés d’obtenir la certification requise pour ouvrir de nouveaux locaux syndicaux.
Dans les faits, le projet de loi 32 entre en contradiction avec la formule Rand. La formule Rand (Cour suprême du Canada, 1946) établit le prélèvement automatique des cotisations syndicales à la source chez tous les syndiqués. De pair avec les lois entourant les conventions collectives et le droit de grève, la formule Rand constitue l’ossature de toute la période historique actuelle du mouvement syndical. C’est donc dire que si le projet de loi 32 est adopté, il sera l’amorce de longues batailles légales et juridiques. Déjà, plusieurs experts questionnent la constitutionnalité des changements proposés dans la loi et entendent mener le combat pour faire valoir qu’elle contrevient à la Charte canadienne des droits et libertés. Au final, les tribunaux bourgeois n’auront sûrement d’autres choix que de trancher en faveur du maintien de l’intégralité de la formule conformément à l’intention du juge Ivan Rand. En 1991, la Cour suprême du Canada a d’ailleurs rendu le jugement Lavigne en faveur de la formule Rand alors qu’elle était contestée. Il n’en demeure pas moins qu’aujourd’hui, l’important pour le mouvement ouvrier au pays est de suivre avec attention l’émergence d’un tel mouvement capitaliste cherchant à opérer des modifications légales aux codes du travail. Qui plus est, les travailleurs canadiens doivent examiner avec attention les nécessités économiques à l’origine d’une telle offensive des capitalistes à leur endroit.
Appuyer les combats et les mobilisations légitimes
Le projet de loi 32 est une attaque ouverte et grave contre les travailleurs albertains. Il est certain que dans les prochains mois, une contestation du projet de loi se mettra en branle. Ces mobilisations seront entièrement légitimes et fondées. Il est tout à fait conséquent et justifié pour le mouvement ouvrier de combattre cette attaque capitaliste sur tous les fronts possibles. Malheureusement, la pandémie de COVID-19 risque d’être brandie par la bourgeoisie pour freiner le mouvement de contestation. Aussi, la crise sanitaire risque de rendre la mobilisation et l’organisation syndicales plus ardues qu’à l’habitude. Mais la créativité de la classe ouvrière lui permettra de triompher : elle s’emparera de tous les moyens nécessaires pour se faire entendre et pour contre-attaquer.
L’Alberta est une province où une part importante de la plus-value du pays est produite. C’est là aussi que l’industrie pétrolière tente de maintenir un taux de profit national élevé. Il faudra donc s’attendre à des combats particulière virulents. Il est impératif que tous les ouvriers aux quatre coins du Canada soutiennent la lutte contre le projet de loi 32 et prennent acte de l’influence que ce projet capitaliste odieux pourrait avoir sur la bourgeoisie et les exécutifs des autres provinces canadiennes.