Lock-out à l’usine Lactancia de Victoriaville : les ouvriers ont raison!
Les 450 ouvriers de l’usine de fromage Lactancia à Victoriaville sont en lock-out depuis le 15 juillet dernier. En plein milieu d’un processus de conciliation visant le renouvellement de la convention collective, les capitalistes du Groupe Lactalis (la multinationale française qui détient l’usine à travers sa filiale Parmalat) ont décidé d’interrompre la production et de mettre les travailleurs dehors. Ils privaient ainsi les ouvriers de leurs salaires (les travailleurs se trouvant obligés de recourir au soutien financier offert par leur syndicat ainsi qu’à un fonds spécial de Lactancia), espérant que cette manœuvre leur permettrait de briser la volonté de leurs salariés de faire des gains et d’améliorer leur sort. Et pour ajouter l’insulte à la blessure, malgré cette attaque flagrante en provenance de leur camp, les capitalistes clament depuis le début qu’il ne s’agit pas d’un lock-out, mais bien d’une grève, prétextant que des moyens de pression (tels que l’usage d’autocollants…) avaient débuté la veille de la fermeture de l’usine et qu’un certain nombre d’ouvriers s’étaient absentés du travail! Évidemment, les travailleurs ne se sont pas laissés intimider ainsi et se sont mobilisés énergiquement pour faire face à leur adversaire. Tout de suite après avoir été expulsés de leur lieu de travail, les ouvriers, avec l’aide de leur syndicat, ont formé des lignes de piquetage sur le site de l’usine et se sont organisés pour qu’elles soient maintenues en permanence. Ils ont reçu l’appui de leur centrale syndicale – la Centrale des syndicats démocratiques (CSD) –, dont le président est venu leur rendre visite dans les jours qui ont suivi. Aussi, peu de temps après le début du lock-out, ils ont reçu un don de la part de leurs confrères de Plessisville Agropur, une autre usine de produits laitiers de la province. La solidarité est forte dans le mouvement ouvrier : ce qui se passe présentement à Victoriaville en est un nouvel exemple!
Une confrontation qui se développait depuis un moment à l’usine
Les travailleurs de l’usine de Victoriaville étaient sans convention collective depuis le 14 octobre 2019. Quelques rencontres de négociation avec l’employeur avaient eu lieu, mais elles s’étaient avérées complètement infructueuses : le fossé entre les exigences des capitalistes et les demandes de leurs salariés était trop grand. Par exemple, la compagnie visait une convention collective de sept ans, alors que le syndicat souhait négocier une convention de cinq ans (finalement, en raison de la pandémie, il a été entendu plus tard que les négociations porteraient sur une convention collective écourtée, soit d’une durée de 18 à 30 mois). Le refus des capitalistes de montrer de l’ouverture par rapport aux revendications – légitimes – des travailleurs concernant les vacances, les salaires, le recours à la sous-traitance et le mouvement de la main-d’œuvre (incluant la question des horaires) a placé le processus de négociations dans une impasse. Il faut savoir que la tension entre les ouvriers et leurs patrons était particulièrement vive depuis un moment et que de nombreux griefs avaient été émis par les travailleurs dans les derniers mois. Par ailleurs, alors que les travailleurs étaient prêts à négocier, les négociations ont été interrompues et repoussées par l’employeur pour des raisons plus ou moins valables : d’abord parce qu’un représentant de la compagnie est tombé malade, puis en raison de la COVID-19. Depuis le début de la crise sanitaire, deux ou trois séances de négociation par téléphone ont néanmoins eu lieu et des propositions ont été mises sur la table. Le 20 juin dernier, voyant que les négociations n’avançaient pas et que la compagnie ne semblait pas intéressée à négocier sérieusement, les ouvriers de l’usine se sont réunis en assemblée générale virtuelle et ont voté à 94,6% en faveur « de moyens de pressions pouvant aller jusqu’à la grève », en plus de rejeter à 98% la proposition la plus récente de l’employeur. Cela dit, à ce moment, Cédric Vallerand, le coordonnateur de la région Mauricie et Centre-du-Québec à la CSD, affirmait que « les moyens de pression [allaient] commencer sous peu, mais [que] la grève [était] mise de côté pour l’instant ». L’intervention d’une conciliatrice était prévue à partir du 8 juillet et le syndicat s’engageait notamment à ne pas déclencher de grève avant cette date. L’engagement a été tenu et les séances de conciliation ont commencé à l’hôtel Le Victorin de Victoriaville. Le 13 juillet, le syndicat a déposé une offre à l’employeur. Or, au lieu de poursuivre les négociations et de présenter une contre-proposition, les capitalistes ont plutôt décidé de sortir l’artillerie lourde et de déclencher un lock-out deux jours plus tard, soit le 15 juillet.
La veille, les ouvriers avaient commencé à exercer certains moyens de pression pour tenter de forcer leurs patrons à accélérer le processus de négociations, dont la lenteur exaspérait les travailleurs depuis des mois. Des autocollants ont été posés sur les installations de l’usine; certains travailleurs ont apporté des pancartes et des discours ont été prononcés dans un micro. Par ailleurs, plusieurs employés ont décidé de ne pas se présenter au travail en guise de protestation contre l’attitude de leur employeur. L’entreprise a utilisé ces gestes comme prétexte pour déclencher un lock-out tout en prétendant que le syndicat avait entamé une grève. Or, l’absentéisme, ce n’est pas du tout la même chose qu’une grève : c’est une forme d’action beaucoup moins percutante et de moindre ampleur. D’ailleurs, si le syndicat avait voulu déclencher un débrayage (c’est-à-dire mettre en branle le processus par lequel l’ensemble des salariés qu’il représente cesseraient de travailler en même temps), il aurait pu le faire puisqu’il avait justement un mandat de grève en main! La responsable des relations publiques chez Lactalis, Anita Jarjour, a déclaré dans les médias qu’elle déplorait que les moyens de pression aient débuté le 14 juillet, alors que la compagnie avait jusqu’au 16 juillet pour soumettre son offre finale. Pourtant, si la compagnie avait véritablement eu l’intention de déposer une offre le 16 juillet, les moyens de pression dont elle parle ne l’empêchaient nullement de le faire. Au lieu de cela, elle a riposté aux gestes des ouvriers en employant une arme beaucoup plus puissante qu’eux. Et cette arme a un nom. Comme l’a souligné Cédric Vallerand : « Quand l’employeur met le monde dehors et installe des agents de sécurité à l’entrée, c’est un lock-out ».
En vérité, les capitalistes ont simplement décidé de voler l’initiative aux ouvriers et de les placer sur la défensive. Ce n’est d’ailleurs pas la première fois que Parmalat emploie la tactique du lock-out pour prendre l’offensive contre les ouvriers de son usine de Victoriaville : cela s’était également produit en 2004. En réponse au geste des capitalistes, les ouvriers se sont rapidement mobilisés pour regagner un certain contrôle sur la situation, c’est-à-dire en dressant des lignes de piquetage et en bloquant les accès à l’usine. La presse bourgeoise a rapporté qu’ils auraient « utilisé des clous au sol, des chaises, des tables et des camions garés de travers pour bloquer la voie ». Bref, ils ont pris les moyens nécessaires pour empêcher que l’usine puisse fonctionner sans eux. Toujours selon les médias bourgeois, une intervention de la Sûreté du Québec aurait eu lieu, mais cela n’aurait pas suffi à libérer l’accès. La compagnie allègue que deux cadres se seraient trouvés coincés à l’intérieur de l’établissement, ce qui aurait eu pour effet « de mettre en péril [leur] santé et [leur] sécurité ». Les laquais des capitalistes récoltent ce qu’ils sèment! Malheureusement, dès le lendemain, la Cour supérieure du Québec a ordonné la fin des entraves mises en place par les syndiqués sur le terrain de l’employeur. Encore une fois, l’appareil juridique de la bourgeoisie a été mobilisé pour défendre la propriété privée et le profit contre des ouvriers en lutte. Cela dit, les lignes de piquetage sont demeurées en place et jusqu’à maintenant, le combat se poursuit!
Des accusations odieuses et mensongères contre les travailleurs
Face à la solidarité et à la détermination de leurs salariés, les capitalistes du Groupe Lactalis se sont empressés de répandre des mensonges sur eux dans les médias afin de les disqualifier aux yeux de la population. D’abord, afin de renforcer l’idée que ce sont les ouvriers qui ont ouvert les hostilités – et que la fermeture de l’usine résulte d’une grève et non d’un lock-out –, l’entreprise les a accusés d’avoir commis des actes de sabotage la veille de leur expulsion. Elle soutient avoir constaté « la présence de corps étrangers (morceaux de tapis de caoutchouc, washers, couteaux) dans les bassins destinés à la transformation du lait et à la fabrication du fromage » et avoir trouvé un bâtonnet de Ficello contenant une rondelle (washer). Ces allégations ont été immédiatement réfutées par le syndicat. Selon Cédric Vallerand, l’explication est fort simple : la présence d’objets dans les bassins résultait de « bris qui arrivent tous les mois, toutes les années » et non de gestes intentionnels. Cette version des faits a également été corroborée par un ouvrier de l’usine qui a écrit une lettre pour commenter le lock-out et dénoncer son employeur (lettre publiée dans le journal local La Nouvelle Union). Voici ce qu’a dit l’ouvrier :
« Faites une enquête avec les employés sur le plancher cette journée-là avec les gens de la maintenance, les chefs d’équipe, les opérateurs et ils vont vous dire qu’un appareil a brisé cette journée-là et des pièces sont tombées dans le fromage. Au lieu de dire la vérité ou de ne pas en parler, on aime mieux nous salir encore plus. On accuse les employés d’avoir commis des actes de sabotage. Pourtant, il y a eu un incident avec un couteau et l’employeur a immédiatement été avisé, après on crie au sabotage. La personne aurait vraiment été se dénoncer? […] Les employés sont en colère de ça, de se faire traiter comme des voyous. Tout le monde prend sa job à cœur ici. Personne n’aurait mis un washer pour blesser peut-être un enfant, une personne, j’ai honte de Lactalis, car en plus de m’accuser, ils le savent que ce n’est pas vrai, ils mentent à tout le monde. »
Le sabotage des moyens de production dans les usines est une forme d’action qui a été utilisée à plusieurs moments et dans différents pays dans l’histoire du mouvement ouvrier international et de la lutte des classes. Souvent, l’emploi de cette forme d’action est légitime, bien qu’elle soit évidemment illégale. Mais les moyens de lutte de ce genre doivent être dirigés contre les exploiteurs et non pas contre les autres prolétaires qui consomment les fruits de la production. Or, la manière dont le fromage a été gâté à l’usine Lactancia ne semble pas correspondre à ce critère – ce qui rend d’autant plus absurde l’accusation du Groupe Lactalis contre ses employés. Les ouvriers ne sont pas des êtres amoraux : ils sont conscients de la valeur d’usage des marchandises qu’ils fabriquent et ils ne poseraient pas de gestes susceptibles de mettre inutilement en danger la vie de leurs frères, de leurs sœurs et de leurs enfants qui consomment ces marchandises. Par ailleurs, ils sont fiers de participer au processus de production qui permet à la société de vivre et ne détruiraient pas gratuitement les produits de leur propre travail, contrairement à ce que laisse entendre la compagnie qui tente de présenter ses employés comme des brutes aux agissements erratiques et insensés. Mais surtout, il faut rappeler qu’historiquement, le sabotage des moyens de production est une forme de lutte qui a été dépassée par l’apparition généralisée de la grève comme arme de la classe ouvrière pour défendre les salaires en frappant les profits des capitalistes. Avec ces considérations en tête, on se demande bien pourquoi les ouvriers de l’usine Lactancia auraient décidé de saboter une partie du fromage qu’ils produisent, alors qu’ils pouvaient tout simplement interrompre la production en déclenchant une grève, une forme de lutte supérieure qu’ils avaient la possibilité d’employer légalement!
Par ailleurs, afin de convaincre la population que les revendications des ouvriers de l’usine de Victoriaville sont exagérées, le Groupe Lactalis a propagé de fausses informations sur leurs conditions de travail, affirmant que leur salaire annuel moyen avant bénéfices se situait à 64 467$. Présenter les ouvriers en lutte comme des égoïstes se plaignant le ventre plein est une vieille tactique de la bourgeoisie pour miner la solidarité de classe du prolétariat en favorisant la division entre ceux qui gagnent un peu plus et ceux qui gagnent un peu moins. En ce moment même, les capitalistes de l’Association des employeurs maritimes emploient exactement la même tactique contre les débardeurs du Port de Montréal qui ont entamé récemment un mouvement de grève. Il y a quelques jours, à l’instar des capitalistes de Parmalat, ils ont fait une sortie médiatique consistant à « dévoiler » les salaires et les conditions de travail des débardeurs afin de démontrer que leur lutte est illégitime. C’est également cette tactique qui avait été utilisée l’an dernier par le premier ministre François Legault contre les travailleurs d’ABI en lock-out. En effet, dans une déclaration ouvertement anti-syndicale et anti-ouvrière, le chef de l’exécutif gouvernemental bourgeois avait affirmé que les salariés d’ABI gagnaient 90 000$ par année, que « beaucoup de québécois aimeraient être à leur place » et qu’ils devraient par conséquent s’empresser d’accepter les offres patronales. À chaque fois, l’objectif est le même : convaincre la population que les ouvriers en lutte gagnent déjà trop d’argent pour revendiquer de meilleures conditions de travail (comme si les prolétaires ayant de faibles salaires recevaient davantage l’appui des politiciens et du patronat lorsqu’ils cherchent à améliorer leur sort…) et surtout, détourner l’attention du fait que les capitalistes qui les exploitent gagnent des sommes d’argent immensément plus élevées! En fait, ce qu’on reproche aux ouvriers qui ont de « bons » salaires, c’est d’être trop payés pour des ouvriers – c’est-à-dire, selon les bourgeois, pour les moins-que-rien à qui l’on demande d’accomplir les tâches manuelles les plus avilissantes! Les revenus des bourgeois, eux, ne connaissent aucune limite. Ils atteignent souvent des sommets tellement élevés que leur hauteur est difficile à concevoir pour le commun des mortels. Et pourtant, les bourgeois n’accomplissent à peu près rien d’utile, contrairement aux ouvriers qui font fonctionner la société!
Revenons aux travailleurs de l’usine Lactancia de Victoriaville. D’abord, l’affirmation de leur employeur est tout simplement fausse – comme c’est souvent le cas, d’ailleurs, lorsque les capitalistes « révèlent » les salaires de leurs employés pour impressionner la population. En réponse aux mensonges du Groupe Lactalis, le Syndicat des salariés de la production de Lactancia a rectifié les faits :
« Pour un mécanicien de machinerie fixe, le plus haut salarié, et les techniciens d’instruments de contrôle (des gens de métier), calculé avant l’augmentation renégociée pour eux en 2018 on parle de 61 000 $! Là, ils approchent le 64 500 $, mais il s’agit des plus hauts salariés. La moyenne est très en deçà s’établissant à environ 53 000 $. »
Le syndicat rappelle que la plupart des salariés de Lactancia ne sont pas des ouvriers qualifiés, mais bien des journaliers qui gagnent le salaire le plus bas de l’entreprise. Ce salaire se situait en 2018 à 21,83 $ de l’heure (alors que le même poste chez Agropur est payé 26,21 $ de l’heure). Et encore une fois, les informations fournies par le syndicat sont confirmées par la lettre de l’ouvrier publiée dans La Nouvelle Union :
« J’ai beau regarder toutes mes paies, calculer les primes, faire 40 heures toutes les semaines, jamais je ne vois comment je peux atteindre un tel salaire. Presque personne ne gagne un salaire s’approchant de ça à part quelques travailleurs qui ont des métiers ou qui font du temps supplémentaire accoté. En étant sur appel constamment, ne jamais savoir mon horaire, ne pas avoir de qualité de vie, quand je vois que Lactalis, dans les journaux, parle d’un salaire moyen de 64 500 $, ça me lève le cœur et j’ai honte. »
Mais en fait, même si les ouvriers de l’usine gagnaient le salaire que la compagnie affirme (ce qui n’est pas le cas), cela ne changerait rien au fait qu’ils ont raison de lutter contre les capitalistes. D’abord, comme le rappelle la citation précédente, il n’y a pas que le salaire qui compte : il y a aussi les conditions de travail. Souvent, les petits-bourgeois (intellectuels, artistes, etc.) trouvent que les ouvriers sont « trop payés » pour faire ce qu’ils font, mais eux-mêmes n’oseraient jamais se salir les mains et faire le travail de ces ouvriers à leur place – et ce, même si on leur offrait le double de ce qu’ils gagnent présentement! Les ouvriers ne se battent pas que pour des augmentations de salaire : ils se battent aussi pour rendre leur travail moins pénible et pour avoir de meilleures conditions d’existence de manière générale. D’ailleurs, le combat actuel des ouvriers de Lactancia ne porte pas principalement sur les salaires, mais plutôt sur la question des horaires et de la stabilité d’emploi ainsi que sur la question des vacances.
Mais il y a plus important encore. L’antagonisme général entre les ouvriers et les capitalistes ne découle pas simplement du fait que ces derniers veulent abaisser les salaires en deçà d’un certain seuil « acceptable ». Si c’était le cas, les ouvriers pourraient cesser de lutter lorsqu’ils parviendraient à obtenir des salaires dépassant ce seuil fixé arbitrairement. En vérité, ce qui est fondamental dans le rapport entre les ouvriers et les capitalistes, ce qui est au cœur de la lutte qu’ils se livrent, c’est que les premiers sont exploités par les seconds. Cela signifie qu’une partie plus ou moins grande du temps de travail fourni par les ouvriers est accaparée gratuitement par les propriétaires des usines, ce qui permet à ces derniers d’accumuler des sommes d’argent gigantesques sans avoir à produire quoi que ce soit eux-mêmes. Dans le langage courant, on dit que les ouvriers sont payés pour leur travail. Mais en réalité, ce n’est pas le cas : la valeur des marchandises qu’ils produisent (dans le cas des ouvriers de Lactancia, il s’agit de la valeur du fromage) est bien plus grande que la valeur qu’ils reçoivent en échange du temps de travail qu’ils cèdent aux capitalistes. En fait, ce qu’il faut comprendre, c’est que le salaire ne correspond pas à la valeur du travail, mais bien à celle de la force de travail. Le prix de cette force de travail (une marchandise que les capitalistes achètent afin de l’utiliser à leur guise pour produire de la plus-value) tend à osciller autour de la valeur des moyens de subsistance permettant aux ouvriers de vivre et de se reproduire (logement, nourriture, transport, loisirs, etc.), valeur qui est elle-même déterminée par le temps de travail socialement nécessaire pour produire ces marchandises. Or, les capitalistes font travailler les ouvriers pendant plus de temps qu’il ne leur en faudrait pour produire eux-mêmes, dans les conditions sociales actuelles, les marchandises que leur salaire leur permet d’acheter. Ce temps de travail supplémentaire qui n’est pas payé aux ouvriers permet aux capitalistes d’extraire de la plus-value, c’est-à-dire une valeur d’échange supérieure à celle qu’ils doivent céder pour mettre en branle le processus de production (en achetant les moyens de production et en payant les salaires des travailleurs). C’est cette plus-value qui se trouve à la source du profit capitaliste et de l’enrichissement parasitaire de toute la classe bourgeoise.
Bien sûr, le niveau des salaires dépend aussi du rapport de force entre les ouvriers et les capitalistes. Alors que ces derniers voudraient faire baisser les salaires jusqu’à leur seuil minimal (c’est-à-dire le seuil en deçà duquel les ouvriers ne seraient tout simplement plus capables de survivre et de se reproduire) pour pouvoir bénéficier d’un taux de profit maximal, les ouvriers exercent constamment une pression dans le sens contraire. Conséquemment, il existe une échelle assez large de variations salariales possibles. Mais quoi qu’il en soit, il n’existe pas de salaire « juste » et « équitable » pour les ouvriers puisqu’ils doivent toujours fournir une certaine quantité de temps de travail gratuitement pour engraisser le capital (sans quoi les capitalistes cesseraient de les embaucher). Un ouvrier a beau gagner 80 000, 90 000 ou même 100 000 dollars en une année, s’il est employé par un capitaliste qui fait du profit privé sur son dos, il demeure un ouvrier exploité, c’est-à-dire un prolétaire à qui l’on vole une partie des fruits de son labeur et que l’on fait travailler sans compensation pour entretenir une classe de riches parasites. Et cet ouvrier – qu’il fasse 80 000, 90 000 ou 100 000 dollars par année – a entièrement raison de lutter contre le capital qui l’exploite!
Pendant que la classe exploiteuse accuse les travailleurs d’avoir des salaires trop élevés, elle amasse des montants d’argent inimaginables sans rien produire. Elle dilapide de manière complètement égoïste les richesses produites par la classe ouvrière alors que ces richesses pourraient servir à l’accroissement du bien-être de toute la société. Prenons l’exemple des capitalistes qui contrôlent le Groupe Lactalis, la multinationale à qui appartient l’usine Lactancia de Victoriaville. Cette vaste entité capitaliste est présentement la propriété des trois petits-enfants du fondateur de l’entreprise André Besnier. En 2019, Emmanuel Besnier, le président actuel de la compagnie, était classé au 7e rang des personnes les plus riches de France et sa fortune était évaluée à 14,3 milliards de dollars par le magazine Forbes. Jean-Michel Besnier et Marie Besnier Beauvalot, détenaient quant à eux une fortune de 5 milliards de dollars chacun et étaient classés en 13e position ex-aequo. Or, le grand mérite de ces personnages richissimes, c’est d’avoir hérité de la compagnie de leur père et d’avoir su poursuivre l’exploitation des ouvriers qu’elle embauche aux quatre coins de la planète (la multinationale possède quelque 250 sites industriels et est présente dans 50 pays)! Mais l’on ne parle ici que de la fortune de la famille Besnier. Pour avoir une idée de l’ampleur véritable des richesses arrachées au fil des années aux prolétaires qui façonnent les produits laitiers vendus par le Groupe Lactalis, il faudrait ajouter les montants versés à tous les bourgeois et petits-bourgeois aux différents paliers de l’entreprise, la plus-value cédée aux créanciers de la compagnie ou encore aux capitalistes commerciaux qui distribuent les produits aux consommateurs, la plus-value gaspillée en frais de publicité et de marketing, etc. Avec une telle vue d’ensemble, on voit bien que dans le monde actuel, 64 500 dollars par année, ce n’est rien!
Les ouvriers de l’usine Lactancia de Victoriaville, tout comme les débardeurs du Port de Montréal et l’ensemble des prolétaires exploités, ont raison de réclamer une plus grande part du gâteau et de se battre pour l’obtenir. Et ils auront raison de le faire tant que le système du salariat sera en place, c’est-à-dire tant qu’ils seront obligés de vendre leur force de travail aux capitalistes. Ainsi, pour faire aboutir ces luttes, c’est le système lui-même que les ouvriers doivent supprimer. Comme l’a écrit Karl Marx en 1865 dans un rapport au Conseil Général de l’Association Internationale des Travailleurs : « Au lieu du mot d’ordre conservateur: « Un salaire équitable pour une journée de travail équitable », ils doivent inscrire sur leur drapeau le mot d’ordre révolutionnaire: « Abolition du salariat ». »