Un débrayage plus que justifié dans sept résidences pour aînés Chartwell
Les travailleurs de sept résidences pour aînés du Groupe Chartwell – situées dans les régions du Saguenay-Lac-Saint-Jean et de la Capitale-Nationale au Québec – ont déclenché vendredi dernier une grève illimitée en réponse au mépris de leur employeur et à son refus de négocier de bonne foi avec ses employés. Près de 500 prolétaires prennent part à ce mouvement de lutte : des préposées aux bénéficiaires, des infirmières et des infirmières auxiliaires, mais également des employés travaillant aux cuisines, au service aux tables, à l’entretien ménager et à la réception. L’organisation syndicale qui les représente est le Syndicat québécois des employées et employés de service (SQEES-FTQ), un syndicat qui compte 25 000 membres partout au Québec – principalement dans le secteur de la santé et des services sociaux – et qui constitue le plus important syndicat parmi les employés des résidences privées pour aînés de la province.
Le syndicat était en négociations depuis plusieurs mois pour renouveler les conventions collectives – dont certaines sont échues depuis décembre 2018 – dans quinze résidences Chartwell. Des journées de grève avaient d’ailleurs déjà eu lieu dans certaines de ces résidences. Le 16 juin dernier, déplorant le manque de respect flagrant de l’entreprise pour ses employés, le syndicat lui a lancé un ultimatum en faisant parvenir au Tribunal administratif du travail des avis de grèves illimitées pour sept résidences situées en « zone froide », grèves qui allaient être déclenchées le 10 juillet si une entente ne survenait pas d’ici là. Les syndiqués n’avaient plus d’autre choix puisque Chartwell refusait tout simplement de négocier : dans la plupart des cas, l’employeur n’avait même pas fait de contre-offre aux demandes syndicales. Le syndicat espérait tout de même que la compagnie finirait par plier devant la menace de grève avant que celle-ci ne soit mise à exécution. Si Chartwell entendait raison et faisait preuve d’un minimum de bonne volonté, les négociations pourraient se conclure sans que les travailleurs ne soient obligés de débrayer. Ainsi, la présidente du SQEES-FTQ, Sylvie Nelson, déclarait à ce moment : « D’ici le 10 juillet, il est possible, nous en sommes convaincus, d’éviter la grève. Nous sommes disponibles pour négocier tous les jours, les soirs et même les nuits. La balle est dans le camp de Chartwell. Qu’il nous revienne avec des offres qui ont du bon sens et là nous pourrons négocier ». Mais la compagnie n’a pas démontré davantage d’ouverture dans les jours et les semaines qui ont suivi. Notamment, le 20 juin, les représentants de Chartwell se sont présentés à une rencontre de conciliation, mais ils se sont abstenus de négocier et ont quitté sans retour sur les propositions syndicales! À ce moment, il est devenu clair que la grève était inévitable.
Des revendications parfaitement légitimes
Les travailleurs réclament un salaire d’au moins 15 dollars de l’heure à l’embauche et une augmentation de 1 dollar par année par la suite. Rappelons que les employés des résidences privées pour aînés – et notamment les préposées aux bénéficiaires – font partie des prolétaires les plus mal payés au Québec : leurs salaires se situent souvent entre 13,50 et 14 dollars de l’heure (le salaire minimum dans la province est de 13,10 dollars de l’heure). Il faut aussi souligner qu’il existe un décalage important entre le secteur privé et le secteur public dans ce domaine. Par exemple, dans le secteur public, les préposées aux bénéficiaires sont payées entre 20,55 et 22,35 dollars de l’heure (en excluant les primes accordées par le gouvernement dans le cadre de la pandémie de COVID-19), ce qui est déjà très peu. Augmenter les salaires à 15 dollars de l’heure dans les résidences privées, ce n’est donc vraiment pas grand chose. Mais il semble que ce soit déjà trop pour les gloutons de Chartwell, lesquels ne proposent, au mieux, que quelques cents d’augmentation. En fait, la compagnie se montre complètement fermée aux revendications légitimes du syndicat, affirmant qu’« [a]ucune entreprise ne peut assumer des hausses de plus de 25% sur trois ans ».
Tout d’abord, contrairement à ce que pensent les dirigeants de l’entreprise, si cette affirmation est vraie – à savoir que Chartwell est financièrement incapable d’accorder autre chose que des salaires de misère à ses employés –, cela ne constitue pas un argument contre les grévistes, mais bien un argument contre l’existence même des résidences privées pour aînés, voire contre le système capitaliste dans son ensemble! Si ce système implique de maintenir des travailleurs dans la misère – et c’est effectivement le cas –, alors il doit être renversé. Sous le socialisme, la question ne se poserait même pas : les travailleurs prenant soin des personnes âgées auraient droit à des conditions de travail humaines et toutes les ressources nécessaires seraient mobilisées pour atteindre cet objectif au lieu de servir à enrichir des parasites. Mais même dans les conditions actuelles, les employés de Chartwell peuvent certainement forcer la compagnie à leur céder une plus grande part des profits qu’elle fait sur leur dos. Aux déclarations de l’entreprise, la présidente du SQEES-FTQ, Sylvie Nelson, a répondu en affirmant que les hausses demandées sont de 21,6% et non de 25%, et surtout, que ce pourcentage s’applique à des salaires de 13,50 à 14 dollars de l’heure, c’est-à-dire à des montants dérisoires. On pourrait également ajouter que le pourcentage serait moins élevé si les salaires n’avaient pas été aussi bas durant toutes les années précédentes! Plus encore, le Groupe Chartwell est loin d’être une petite entreprise en difficulté financière : c’est une entreprise cotée en bourse capitalisée à plus de deux milliards de dollars, qui détient près de 200 résidences à travers le Canada (au Québec, en Ontario, en Colombie-Britannique et en Alberta) et qui emploie environ 15 000 personnes. Alors que leurs employés reçoivent des salaires de crève-la-faim, les actionnaires et les dirigeants de Chartwell s’en mettent plein les poches. Cette année, le salaire du nouveau PDG de l’entreprise, Vlad Volodarski, a été établi à 659 750 dollars. À eux seuls, les quatre principaux dirigeants de la compagnie se partagent un généreux montant de 2,5 millions de dollars. Et c’est probablement sans compter tous les avantages payés aux frais de l’entreprise dont ils bénéficient… Aussi, en 2018, les bénéfices nets de la compagnie se sont établis à 18,5 millions de dollars. Décrivant le « modèle d’affaires » de l’entreprise Chartwell, la présidente du SQEES-FTQ a déclaré : « Ce modèle consiste à : acheter des terrains, construire des bâtisses, les remplir à ras bord, réduire les coûts jusqu’à la moindre cenne et faire un maximum de profit pour leurs actionnaires de la bourse de Toronto. Tout ça aux dépens de celles – soit 80% de femmes – qui s’assurent jour après jour, souvent au détriment de leur vie familiale, du bien-être de nos personnes aînées. C’est aussi aux dépens des personnes résidentes de Chartwell qui doivent contester des hausses de loyer indécentes. » Résumant les conditions déplorables auxquelles la compagnie soumet ses employés ainsi que les résidents de ses établissements, Sylvie Nelson a affirmé : « Il y a quelque chose de pourri au royaume de Chartwell. Les loyers grimpent sans cesse, les appels aux agences se multiplient et les salaires stagnent à un niveau ridiculement bas, qu’il n’y a qu’un seul mot pour décrire les pratiques de cet employeur : exploitation! »
Chartwell tente de profiter de la pandémie pour discréditer les grévistes
Comme on pouvait s’y attendre, les capitalistes de Chartwell tentent de monter la population contre les grévistes et de discréditer leur mouvement en laissant entendre que la grève va mettre les résidents en danger dans le contexte de l’épidémie de COVID-19. Ainsi, la vice-présidente des opérations et des ventes de la compagnie, Marie-France Lemay, a déclaré : « La période pour exercer les mandats de grève nous semble très mal choisie, alors que la priorité de Chartwell est de lutter contre la COVID-19 qui demeure une menace sans précédent. » Cette déclaration de l’entreprise est absolument révoltante. Premièrement, ce sont les dirigeants de Chartwell qui ont forcé les travailleurs à recourir à la grève, non seulement en refusant de leur offrir de meilleures conditions de travail (c’est-à-dire en tentant de les obliger à accepter le maintien de salaires de misère), mais aussi en refusant de négocier tout court avec le syndicat. Bref, les vrais responsables de la perturbation engendrée par la grève, ce ne sont pas les travailleurs, mais bien les capitalistes qui imposent des conditions de travail tout simplement scandaleuses à leurs employés. Deuxièmement, il est particulièrement odieux de la part de Chartwell de prétendre que la priorité de l’entreprise est de lutter contre la COVID-19 et de laisser entendre que ses employés seraient prêts à compromettre les efforts de lutte contre l’épidémie. D’abord, la vraie priorité de Chartwell n’est pas le bien-être de ses résidents (que la compagnie n’hésite pas à faire souffrir en siphonnant leurs portefeuilles), mais bien l’accumulation de profits : c’est d’ailleurs la priorité de toutes les entreprises privées dans le système capitaliste. Ensuite, ce sont précisément les employés de l’entreprise qui prennent soin des résidents et qui combattent concrètement l’épidémie depuis des mois : contrairement à ce que laisse entendre Chartwell, les travailleurs ont à cœur la sécurité des personnes dont ils s’occupent (et la leur!) et ne poseraient jamais délibérément des gestes susceptibles de les mettre en danger. Il faut d’ailleurs souligner que le syndicat s’est engagé à interrompre la grève dans toute résidence où un cas de COVID-19 serait détecté. Aussi, il faut comprendre que les tâches essentielles (par exemple la désinfection des lieux ou encore les soins de base aux résidents) continuent d’être effectuées par les employés malgré le débrayage.
À ce propos, mentionnons au passage que les travailleurs des résidences privées pour aînés sont soumis à la Loi sur les services essentiels et que leur droit de grève est fortement limité par l’État bourgeois. Lors des grèves précédentes dans ce type de résidences, 90% du temps de travail devait être maintenu par les salariés. Mais juste avant le déclenchement de la présente grève, malgré une entente survenue entre le syndicat et l’employeur selon laquelle ce pourcentage s’appliquerait à nouveau, le Tribunal administratif du travail, au grand plaisir des capitalistes de Chartwell, a statué que bien que certaines tâches spécifiques (telles que l’archivage de dossiers) allaient pouvoir cesser d’être effectuées par les employés qui octroient des soins aux résidents, « aucun temps de grève » ne leur serait permis! Le Tribunal a jugé que même 10% de temps de travail en moins « risquait de porter atteinte à la santé ou à la sécurité des résidents » dans le contexte de la crise sanitaire actuelle – et ce, même s’il n’y a aucun cas de COVID-19 dans les établissements en question. Les cuisiniers et les serveurs, quant à eux, seraient obligés d’assurer 80% de leur temps de travail habituel. On voit comment la bourgeoisie utilise à sa guise son appareil juridique contre les prolétaires qui cherchent à améliorer leurs conditions : sous le prétexte de protéger la population, l’État s’empresse de limiter le droit de grève des exploités, mais il n’oblige aucunement les capitalistes de Chartwell, en contrepartie, à accorder des conditions de travail décentes à leurs employés et à assurer des services adéquats et sécuritaires à leurs résidents…
D’ailleurs, attardons-nous un peu à la qualité de ces services et revenons à la lutte contre le virus. Malgré ce qu’ils prétendent, les dirigeants de Chartwell, loin de jouer un rôle positif dans le combat contre l’épidémie, ont plutôt fait partie du problème dans les derniers mois. Notamment, en ayant eu massivement recours, pendant toute la crise, aux agences de placement pour pallier le manque de personnel dans leurs établissements (manque de personnel lui-même dû aux salaires dérisoires offerts par l’entreprise), Chartwell a grandement facilité la propagation du virus en contribuant au déplacement des travailleurs d’un établissement à l’autre. D’ailleurs, cette pratique douteuse est à l’origine de l’éclosion survenue à la résidence Chartwell Manoir et Cours de l’Atrium de Québec. Cette situation déplorable avait amené Paul-André Caron, un conseiller syndical pour le SQEES-FTQ, à déclarer : « Le personnel d’agence, [ce sont] des gens qui se promènent d’une résidence à une autre. On ne sait pas nécessairement où ils ont travaillé la journée d’avant. C’est exactement ça qui s’est produit au Manoir et Cours de l’Atrium. C’est quelqu’un qui est venu travailler de l’extérieur et puis qui a apporté le virus avec lui. » Le conseiller syndical avait également déploré le manque de mesures de protection prises par Chartwell, affirmant que l’entreprise ne faisait pas passer de tests de dépistage à ses employés, lesquels se faisaient uniquement demander, avant d’entrer dans les établissements, s’ils avaient des symptômes, s’ils faisaient de la température ou s’ils avaient récemment voyagé dans un pays étranger…
Les travailleurs ne sont pas dans le camp de ceux qui nuisent à la santé de la population et qui participent à la propagation du virus. Contrairement à la bourgeoisie, qui n’est aucunement motivée à faire les dépenses nécessaires pour assurer au peuple une protection adéquate (et qui profite présentement du maintien irrationnel des activités économiques non essentielles), le prolétariat a tout intérêt à ce que les mesures sanitaires les plus strictes soient appliquées et maintenues jusqu’à la fin de la pandémie. C’est pourquoi depuis le début de la crise sanitaire, les luttes menées par les prolétaires et par leurs organisations syndicales (par exemple celles menées par les travailleuses de la santé ou encore par les ouvriers de la STM) vont dans le sens d’accroître les mesures de protection et de limiter au maximum la transmission du virus. Ces luttes se développent en opposition aux actions des capitalistes (réouvertures précipitées, directives absurdes et dangereuses, mesures de protection insuffisantes, intensification de l’exploitation menant à l’épuisement extrême des travailleurs, etc.) qui vont dans le sens contraire, c’est-à-dire qui ont pour effet d’accélérer le développement de l’épidémie. La grève dans les résidences Chartwell ne fait pas exception. En effet, le mouvement de lutte qui a pris forme dans ce secteur s’est développé en réponse aux piètres conditions de travail que les capitalistes imposent aux travailleurs. Or, ce sont justement les conditions de travail misérables qui prévalent depuis des années dans le réseau des établissements pour personnes âgées de la province (mais également dans le réseau de la santé dans son ensemble) qui ont conduit à la catastrophe que l’on a connue. Notamment, les salaires extrêmement bas dans les centres pour personnes âgées constituent l’une des causes principales du manque de personnel dans ces établissements ainsi que du recours de leurs directions aux agences de placement – deux problèmes qui ont eu des effets dévastateurs parmi la population vieillissante de la province dans les derniers mois. De manière plus générale, les mauvaises conditions de travail (manque de personnel, manque de ressources, etc.) dans les établissements pour personnes âgées ont précisément pour effet de diminuer la qualité des services fournis à leurs résidents. Lutter pour l’amélioration de ces conditions de travail, même si cela peut provoquer quelques inconvénients à court terme, c’est lutter pour de meilleurs soins et de meilleurs services pour les personnes âgées. Et dans le contexte de la pandémie, c’est lutter pour obtenir davantage de moyens pour combattre le virus. Comme le démontrent les grévistes des résidences Chartwell à tous les prolétaires de la province, il est possible de confronter ouvertement les exploiteurs et c’est précisément de cette manière que l’on peut espérer obtenir des améliorations à nos conditions de travail et d’existence!
Les résidences privées pour aînés : une aberration complète qui sera balayée par la révolution socialiste!
Si la grève des employés des résidences Chartwell démontre une chose, c’est bien que l’existence de résidences privées pour aînées – des établissements dont le but est de permettre à leurs propriétaires d’encaisser des profits sur le dos de personnes vulnérables – constitue un produit particulièrement aberrant du système capitaliste. Dans ce système, n’importe quoi peut devenir une source d’enrichissement privé pour la bourgeoisie, y compris des choses aussi vitale et essentielles que les soins de santé et l’hébergement de personnes en perte d’autonomie. Il est évident que sous le socialisme, lorsque la classe ouvrière aura le pouvoir, les soins aux personnes âgées et leur hébergement seront pris en charge entièrement par l’État prolétarien et seront fournis gratuitement à toute la population. Plus encore, tenter de faire du profit sur le dos des malades et des personnes vieillissantes sera un crime sévèrement puni par la loi. C’est ni plus ni moins le sort que méritent les parasites bourgeois du Groupe Chartwell – ainsi que tous leurs semblables – qui s’enrichissent grassement en exploitant leurs employés et en vendant des services hors de prix à leurs clients vulnérables : ils méritent d’être jetés en prison par le peuple. Aujourd’hui, c’est à une simple grève que ces parasites ont affaire. Mais demain, c’est à la toute-puissance de la révolution socialiste qu’ils devront se soumettre. En attendant que le prolétariat se soit emparé du pouvoir d’État et que justice soit enfin rendue, la résistance à l’exploitation doit continuer : c’est cette résistance qui servira à bâtir le mouvement menant à la répression des exploiteurs et à la libération définitive des prolétaires!