Le Canada et le Conseil de sécurité de l’ONU

Les élections annuelles pour combler les sièges non-permanents au Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations unies (ONU) se tenaient le 17 juin dernier. Le Canada était en compétition avec l’Irlande et la Norvège. Il n’a pas remporté le siège qu’il convoitait. Il a obtenu 108 voies alors que la Norvège en a remportées 128 et l’Irlande, 130. En 2010, alors que les Conservateurs étaient au pouvoir, le Canada avait également subi une défaite. Cependant, dans son histoire, le pays a obtenu six mandats à ce conseil, soit de 1948 à 1949, de 1958 à 1959, de 1967 à 1968, de 1977 à 1978, de 1989 à 1990 et de 1999 à 2000.

Cette défaite constitue un fait relativement mineur pour l’impérialisme canadien : elle ne revêt pas l’importance que lui accordent les commentateurs et les journalistes. D’ailleurs, l’ONU a une importance somme toute limitée en ce qui concerne les décisions nationales et internationales prises par les États dans le monde : c’est bien plus en dehors de cette organisation, ancrés dans la vie des sociétés, que les rapports entre les États et les économies nationales s’expriment. Ceci étant dit, cette « défaite » mérite notre attention, ne serait-ce que pour comprendre les remous de la politique bourgeoise qui touchent la société actuelle dans son ensemble et les classes sociales qui la composent.

L’Organisation des Nations unies : un tour d’horizon

Dix des quinze postes au Conseil de sécurité de l’ONU sont non-permanents. À chaque année se tiennent des élections pour combler 5 sièges, et ce, pour un mandat de 2 ans. Pour ce faire, le monde entier est réparti en 5 groupes, soit l’Asie-Pacifique, l’Afrique, l’Amérique latine, l’Europe de l’Est, l’Europe de l’Ouest et autres. À chaque année, 4 des 5 groupes sont éligibles aux élections et l’un de ces groupes a droit à 2 sièges plutôt qu’un. Les pays membres de chacun des groupes ont alors la possibilité de soumettre leur candidature. À l’aube des élections, un énorme jeu de coulisses, de réseautage et de diplomatie se met en branle afin d’obtenir des appuis. Les votes étant secrets, il arrive parfois que les résultats soient surprenants. Dans le cas où plusieurs candidats d’un même groupe sont en compétition pour le même poste, il arrive qu’un deuxième et qu’un troisième tour soit soient requis, la majorité exigée étant de 120 votes.

Les 5 autres sièges au Conseil de sécurité sont des postes permanents. Leurs titulaires détiennent un droit de veto sur l’adoption finale de toute proposition et résolution. Ces sièges sont détenus par la Chine, la Russie, la France, le Royaume-Uni et les États-Unis depuis la fondation du Conseil de sécurité, soit les pays victorieux au sortir de la Deuxième Guerre mondiale. Dans toute son histoire, cette instance n’a connu que deux changements : la reconnaissance de la République populaire de Chine (1971) et celle de la Fédération russe comme successeur légitime à l’Union soviétique (1991). L’ONU est un outil politique et diplomatique issu de la guerre latente entre les forces alliées, en particulier de la concurrence entre l’impérialisme américain et l’Union soviétique. L’ONU (1945) atteste des transformations qui ont eu cours dans les rapports de force depuis la Révolution d’Octobre (1917) et la fin de la Première Guerre mondiale (1918). Elle fait suite à la création de la Société des Nations (1920), une organisation mise en place pour procéder au nouveau partage du monde entre les puissances impérialistes victorieuses au sortir de la Première Guerre mondiale et pour mener la lutte active contre le communisme. La création de l’ONU et les développement qu’elle a connus ont beaucoup moins d’importance que des événements comme la conférence de Yalta (1945), le débarquement des forces armées américaines en Europe en vue de la fin de la guerre (1944), la victoire des communistes contre les nazis sur le front de l’Est et leurs avancées vers l’Allemagne, la défaite de l’impérialisme Japonais et la fin de son emprise sur la région de l’Asie-Pacifique, la libération de la France occupée, et l’injection massive de capitaux américains en Europe à travers le plan Marshall (1947).

Aujourd’hui l’ONU rassemble 193 pays membres. Elle est composée de 6 organes principaux : l’Assemblée générale, le Conseil de sécurité, le Conseil économique et social, le Conseil de tutelle, la Cour internationale de Justice, et le Secrétariat. Le Conseil de sécurité est l’équivalent du conseil exécutif de l’ensemble de l’organisation. Les postes importants à l’ONU sont ceux du secrétaire général, du vice-secrétaire général, du président de l’Assemblé générale, du président du Conseil économique et social, et du président du Conseil de sécurité. Les forces armées de l’ONU sont composées de militaires envoyés par les différents pays membres; elles sont aujourd’hui déployées dans le monde à travers 13 missions.

Le poids réel du Canada

L’objectif du Parti libéral du Canada et la volonté du premier ministre d’obtenir une place au Conseil de sécurité de l’ONU fait partie du soi-disant « grand retour » du Canada sur la scène internationale. Dans son discours de victoire, lors de son élection à titre de premier ministre en 2015, Justin Trudeau avait lancé avec émotion « Canada is back! ». Il faisait alors référence à la fin de « l’ère Harper » et de la gestion « unilatérale » des relations internationales et diplomatiques, gestion qui aurait supposément mené à la défaite du Canada dans la course de 2010 à l’accession au Conseil de sécurité. En réalité, il alimentait des conceptions erronées et des illusions. Il n’y a aucune différence fondamentale entre la politique étrangère du Canada sous le règne des Conservateurs et celle sous celui des Libéraux. Aujourd’hui, ce mensonge se retourne contre Trudeau : ses détracteurs s’en donnent à cœur joie en comparant la défaite des Libéraux de 2020 avec celle des Conservateurs en 2010. Mais au fond, leurs reproches ne font que porter sur des éléments parfaitement secondaires comme le respect des ententes environnementales internationales. En somme, le jeu auquel se prête l’opposition parlementaire et les commentateurs politiques est propre à la démocratie libérale bourgeoise.

L’enflure autour de cette élection s’est entre autres manifestée lorsque l’ancien premier ministre du Québec Jean Charest (2003-2012) et l’ancien premier ministre du Canada Joe Clark (1979-1980) ont publié, dans les jours qui ont précédé le vote, une lettre ouverte dans le journal Le Devoir portant sur l’importance de remporter le scrutin, lettre intitulée « Le Canada, un partenaire efficace du multilatéralisme ». Dans cette lettre, l’on dit espérer que le Canada puisse à nouveau jouer son rôle de médiateur, qu’il puisse mettre son expérience à profit et qu’il puisse regagner du poids politique à l’international. En vérité, les capitalistes canadiens sont préoccupés de l’avenir économique (et général) du pays. Mais la défaite politique mineure que constitue l’élection perdue est loin d’être symptomatique d’une défaite économique profonde.

En vérité, le poids politique du Canada à l’international est déterminé par son poids économique réel sur l’échiquier mondial. Par exemple, la capacité de l’impérialisme américain d’exporter la guerre et de maintenir de la valeur monétaire refuge témoigne de l’énorme poids économique (avantages financiers, force militaire, etc.) des États-Unis dans le monde. Aujourd’hui, des événements comme la guerre commerciale entre la Chine et les États-Unis, les guerres de proxy et d’influence en Afrique et au Moyen-Orient, le Brexit, la chute du prix du pétrole après que la Russie et l’OPEP aient refusé de s’entendre, et la crise liée à la pandémie de COVID-19 ne font qu’attester des rapports des force, des tendances, des réorganisations et des luttes entre les impérialistes. Le Canada, comme les autres pays, a des concurrents. Chacun tente de gagner du terrain; certains en perdent. Par exemple, la France était autrefois une puissance dominante à l’échelle mondiale : elle ne l’est plus autant qu’avant. Les États-Unis, eux, en arrachent toujours plus devant la Chine. Les pertes enregistrées par le Canada sont donc bien relatives si on les compare à celles d’autres pays. La défaite quant au siège non-permanent au Conseil de sécurité de l’ONU n’a pas changé la position occupée par le Canada dans le monde. Le poids économique national est toujours le même – et d’ailleurs, il est important, si l’on considère la petitesse de la population canadienne. En ce sens, il serait erroné de croire que l’Irlande et la Norvège, vainqueurs de l’élection du 17 juin 2020, sont des puissances montantes. En somme, l’ONU demeure une institution politique mineure dans les décisions nationales réelles. Ce sont plutôt les mouvements entre puissances impérialistes concurrentes qui sont la scène des affrontements véritables dans le monde. Les débats, les élections et les résolutions à l’ONU ne font que refléter ces mouvements.