COVID-19 : Des travailleurs d’Olymel s’unissent pour défendre les primes!
Aux alentours du 8 juin dernier, le monopole du secteur alimentaire Olymel annonçait qu’il allait mettre fin, le 22 juin, à la « prime Covid-19 » de deux dollars de l’heure dont bénéficiaient les quelque 14 000 salariés de ses usines, de ses entrepôts et de ses réseaux de transport au pays depuis le 23 mars. Au Québec, ce sont près de 10 000 ouvriers qui apprenaient ainsi qu’ils allaient perdre cette rémunération additionnelle liée à la pandémie. Cette annonce révoltante arrivait à peu près au même moment où d’autres grands monopoles des secteurs qui avaient été jugés « essentiels » pendant le confinement, notamment ceux possédant les supermarchés et les pharmacies, annonçaient également qu’ils allaient mettre fin à la prime qu’ils versaient aussi à leurs employés depuis le mois de mars. C’est notamment le cas de l’entreprise Metro (qui regroupe entre autres les supermarchés Metro, Metro Plus, Adonis, Super C et les pharmacies Brunet et Jean Coutu), de l’entreprise Sobeys (qui possède les magasins d’alimentation IGA), ainsi que de l’entreprise Les Compagnies Loblaw Limitée (qui regroupe quant à elle les supermarchés Loblaw, Provigo, Maxi et les pharmacies Pharmaprix), compagnies qui retireront toutes la prime qu’elles donnaient à leurs employés en guise de « reconnaissance » pour le travail qu’ils ont continué à exercer pendant la pause économique.
Ce retrait généralisé des « primes Covid-19 » après seulement quelques semaines, alors que l’épidémie n’est pas du tout terminée (en fait, malgré ce que le gouvernement et les médias bourgeois laissent entendre, tout porte à croire qu’elle ne fait que commencer), montre à quel point la soi-disant gratitude des bourgeois pour les travailleurs des secteurs essentiels n’était rien d’autre qu’un vulgaire coup de publicité. D’ailleurs, ce n’est pas un élan soudain de générosité de la part des capitalistes qui les avaient menés à accorder des primes aux prolétaires qu’ils exploitent : les primes dans les magasins et dans les usines d’alimentation ont été négociées par les syndicats – notamment par les Travailleurs et travailleuses unis de l’alimentation et du commerce (TUAC) et par la Fédération du commerce de la CSN (FC-CSN) – au début de la crise pour que les travailleurs des secteurs jugés essentiels (dont un bon nombre reçoivent un salaire particulièrement bas) puissent recevoir une compensation financière minimale pour les risques qu’ils étaient obligés de prendre. Plus encore, comme le rappelle la CSN, les travailleurs des entreprises essentielles ont même dû se battre au début de l’état d’urgence afin que des mesures de protection élémentaires (plexiglas, gants, masques, etc.) soient mises en place par les employeurs. En fait, le retrait des primes est représentatif de ce qui adviendra dans les prochains mois de tous les prolétaires qui ont été encensés publiquement par le gouvernement et par les médias dans les premières semaines de l’épidémie : ils seront oubliés aussi vite qu’ils ont été mis sur un piédestal et leur rôle indispensable dans la société sera ignoré à nouveau. En vérité, les louanges de la bourgeoisie envers les prolétaires des secteurs essentiels, par exemple celles de François Legault envers ses « anges gardiens » du secteur de la santé, ne servaient qu’à les encourager à se sacrifier volontairement pour les intérêts des capitalistes. D’ailleurs, le mépris de la bourgeoisie pour les travailleurs n’a pas attendu très longtemps pour se manifester : on se souviendra par exemple de la façon dont le premier ministre a attaqué publiquement les infirmières de la FIQ qui ont osé manifester pour réclamer le droit de prendre des vacances, ou encore de son refus d’assurer la régularisation de leur statut aux demandeurs d’asile ayant travaillé comme préposés aux bénéficiaires dans les CHSLD.
Le retrait des primes participe aussi au processus de normalisation de la pandémie opéré par les capitalistes depuis qu’ils ont initié le mouvement actuel de déconfinement et de relance de l’économie capitaliste. Depuis plusieurs semaines, l’ensemble de la classe dominante (gouvernement, propriétaires et dirigeants d’entreprises, médias, spécialistes bourgeois, etc.) parlent et agissent comme si le virus était sur le point de disparaître de lui-même, alors que rien ne permet d’affirmer une telle chose. L’objectif de la bourgeoisie est clair : il s’agit de relancer les profits au plus vite pour ne pas que les bourgeoisies des pays concurrents prennent de l’avance et volent des parts de marché aux entreprises nationales. Or, la seule manière de justifier la réouverture des entreprises et le retour au travail, c’est de faire comme si la pandémie n’était en fait qu’un mauvais rêve dont on viendrait de se réveiller. Les capitalistes d’Olymel, de Metro, de Sobeys et de Loblaw ajoutent présentement leur pierre à l’édifice en ramenant les salaires à leur niveau habituel, ce qui envoie le message que la situation est revenue à la normale (tout en leur permettant bien sûr d’augmenter leurs profits). Toutefois, ils laissent en place des mesures de protection minimales pour éviter le plus possible de se trouver désavantagés par rapport aux entreprises concurrentes à cause d’éclosions qui seraient plus importantes qu’ailleurs – une incohérence que n’ont pas manqué de faire remarquer plusieurs travailleurs qui voient là la preuve que le danger est encore présent. Certains ont d’ailleurs relevé avec inquiétude le message dangereux que les directions d’entreprise envoyaient à leurs employés en retirant la prime alors que la pandémie meurtrière est loin d’être terminée. Par exemple, Stéphane Bélenski, un opérateur-mélanger de l’usine Olymel de Sainte-Rosalie, a affirmé : « S’ils l’enlèvent, le monde va ôter leur masque et leur visière. Il n’y aura plus de protection. Ça va planter solide. »
Les sept syndicats FC-CSN des usines Olymel organisent un front commun afin de faire pression pour le maintien des primes
En réaction à la décision des dirigeants d’Olymel de retirer les primes, les ouvriers de l’entreprise qui sont membres de la FC-CSN (fédération qui rassemble environ 3 500 salariés dans six usines et un entrepôt appartenant à la compagnie) se sont regroupés dans un front commun et ont lancé une campagne pour faire reculer les capitalistes. Leur objectif est de faire en sorte que la prime soit maintenue jusqu’à ce qu’un vaccin contre la Covid-19 soit disponible. Les ouvriers font valoir que l’épidémie n’est pas terminée et que les dangers sont toujours là, comme en témoigne l’obligation persistante de porter des équipements de protection individuelle (lunettes, masques, visières, etc.) dans leurs lieux de travail. Plus encore, ils rappellent que les abattoirs, en raison des conditions dans lesquelles la production est organisée et se déroule, font partie des milieux de travail les plus dangereux en ce moment. Comme l’a rappelé le président de la FC-CSN, David Bergeron-Cyr, « plusieurs exemples, au Québec et ailleurs, ont démontré que les travailleuses et les travailleurs du secteur de la transformation de la viande sont parmi ceux qui sont le plus à risque durant la pandémie ». Rappelons qu’une éclosion importante de Covid-19 avait eu lieu au début de la crise sanitaire à l’usine d’abattage et de transformation de porc ATrahan à Yamachiche (un abattoir d’Olymel employant 1 000 travailleurs), éclosion qui avait mené à l’infection de 129 ouvriers de l’usine et à l’hospitalisation de sept d’entre eux, dont deux aux soins intensifs. De plus, ces cas en avaient engendré une vingtaine d’autres parmi les proches des ouvriers, ce qui avait mené à la mort d’au moins une personne. Pour limiter les dégâts, la direction de l’usine avait été obligée de fermer les portes de l’établissement pendant deux semaines. L’abattoir de Saint-Esprit avait également été touché et avait dû réduire ses activités de 50% pour éviter le scénario de Yamachiche. Les ouvriers de l’usine Cargill de Chambly avaient également été touchés. Cet abattoir, qui emploie 500 travailleurs, avait lui aussi dû cesser temporairement ses activités après que 64 employés aient été déclarés positifs à la Covid-19 et que plusieurs aient été renvoyés à domicile. Ce n’est donc pas surprenant que les ouvriers d’Olymel aient été particulièrement choqués d’apprendre que les primes allaient leur être retirées : « Les gars sont en furie. Ils sont parmi les plus à risque, et on s’en va leur enlever ça », a affirmé David Bergeron-Cyr. Le président du syndicat de l’usine de Sainte-Rosalie, Denis Boulanger, a quant à lui déclaré : « C’est un manque de respect. On travaille fort. On veut rester en santé et en sécurité. À 450, si quelqu’un attrape le virus ici, ça va se propager vite ». La décision de l’entreprise est d’autant plus choquante qu’Olymel (un géant de l’alimentation dont le chiffre d’affaire annuel avoisine les 4 milliards de dollars et qui détient la presque totalité des usines d’abattage, de désossage et de transformation de porc et de volaille au Québec) a continué à encaisser des profits importants pendant le confinement. Et ces profits ne proviennent pas des dirigeants et des gros investisseurs assis dans leur bureau : ils proviennent de la plus-value que les ouvriers des usines de l’entreprise ont produite en façonnant les aliments vendus par les capitalistes. C’est donc dire que la lutte pour le maintien de la prime de deux dollars est plus que légitime! En plus d’estimer, avec raison, que les ouvriers méritent d’être minimalement compensés pour le risque supplémentaire qu’ils prennent en travaillant en ce moment, David Bergeron-Cyr souligne également que le port des équipements de protection rend leur travail – déjà difficile en temps normal – encore plus pénible : « Ce sont les travailleuses et les travailleurs qui risquent leur santé et doivent composer avec des mesures sanitaires et de l’équipement de protection qui rendent leur travail encore plus laborieux. Pendant ce temps, Olymel continue de s’en mettre plein les poches. » Les développements de la campagne de la FC-CSN sont à suivre. Déjà, les ouvriers se sont rassemblés devant deux usines pour scander des slogans avec vigueur et réaliser des vidéos d’éducation visant à promouvoir leur combat.
Un exemple inspirant d’unité ouvrière
L’unité, la solidarité et la détermination dont font preuve les ouvriers du front commun de la FC-CSN sont inspirantes et sont riches d’enseignements. Alors que les capitalistes et leurs porte-paroles médiatiques ne cessent depuis des mois de nous rebattre les oreilles avec la reconnaissance factice qu’ils expriment envers le travail des prolétaires, les ouvriers d’Olymel n’ont pas hésité à se lever tous ensemble pour rappeler à leurs patrons que leurs belles paroles ne valaient rien. Plutôt que de se laisser endormir par les discours hypocrites et trompeurs de la bourgeoisie, plutôt que de demeurer englués comme les petits-bourgeois dans le verbiage inutile, ils se sont mobilisés pour quelque chose de concret : pour tenter de garder entre leurs mains une partie de la valeur qu’ils produisent et que les capitalistes veulent leur retirer à nouveau. Voilà le réel enjeu au cœur de la lutte pour le maintien ou le retrait des primes : au-delà de la « reconnaissance » morale et abstraite de la société bourgeoise envers les travailleurs, la vraie bataille est celle pour le contrôle des richesses matérielles produites par la classe ouvrière. Les primes n’ont jamais été données par les capitalistes, comme un cadeau que l’on donne à quelqu’un en guise de remerciement : elles ne constituaient en fait qu’une petite partie de toute la valeur volée aux ouvriers au cours du procès de production, plus-value qui sert à enrichir une poignée de parasites (dirigeants, gros investisseurs et créanciers des entreprises, hauts fonctionnaires de l’administration publique, etc.) au lieu de servir à l’amélioration du bien-être de la majorité. Les ouvriers ont parfaitement raison de se battre pour conserver la plus grande part possible de toute cette richesse entre leurs mains, puisque ce sont eux – et seulement eux – qui l’ont générée par leur travail. D’ailleurs, même après la pandémie, le retrait du deux dollars sera illégitime et constituera encore un vol supplémentaire par les capitalistes. C’est pourquoi le combat se poursuivra sous d’autres formes : la lutte sur les salaires continuera. Les ouvriers seront toujours en droit d’en vouloir plus. En fait, c’est l’ensemble des richesses détenues par la bourgeoisie qui devra éventuellement revenir entre les mains du prolétariat. Mais pour cela, il faudra une révolution!
Le front commun des sept syndicats de la FC-CSN est un exemple qui montre toute la force du mouvement ouvrier et de ses ramifications organisationnelles. Grâce à leurs syndicats, non seulement les ouvriers ne sont pas isolés les uns des autres en tant qu’individus, mais les collectifs de différentes usines se trouvent rassemblés au sein d’une même entité organisationnelle. Cela leur permet d’agir de manière coordonnée pour défendre leurs intérêts de classe et de frapper plus fort contre leurs exploiteurs afin de leur reprendre la plus grande part possible de la plus-value qu’ils ont accaparée. Mais le potentiel de cette vaste toile d’organisations et de toute cette énergie militante n’a encore été que partiellement utilisé. Les réseaux, les organisations et les liaisons du mouvement ouvrier, véritable force sociale dans la lutte économique actuelle, doivent également devenir une force dans la lutte politique pour renverser la classe capitaliste, mettre en place un nouveau pouvoir socialiste et remettre toutes les richesses de la société entre les mains du prolétariat!