COVID-19 : Retour sur la pause économique en Ontario

L’Ontario est la province la plus populeuse du Canada. Elle contient en son sein un bonne partie du cœur financier et manufacturier du capitalisme canadien. En ce sens, il est intéressant de s’arrêter sur la situation qui a prévalu dans cette province pendant la pause économique des premiers mois de l’état d’urgence sanitaire au pays. Plus précisément, nous réalisons très clairement que parmi les secteurs que le gouvernement ontarien a identifié comme « essentiels », et donc pour lesquels il n’a pas ordonné un arrêt de travail, l’on retrouvait une très grande majorité de prolétaires. Plus encore, l’on y retrouvait des travailleurs de huit de ce que nous avons appelé Les 10 grands groupes du prolétariat (https://www.iskra-pcr-rcp.ca/les-10-grands-groupes-du-proletariat/), soit les manœuvres et journaliers, les opérateurs et ouvriers spécialisés, les employés d’exécution, les employés dans les services publics, les ouvriers qualifiés dans les services publics, les ouvriers qualifiés dans la construction, les ouvriers qualifiés dans la production, et les techniciens dans la production et les services publics. Autrement dit, la notion de « grands groupes » se retrouve une fois de plus validée lorsque l’on examine les listes que l’exécutif national ontarien a dressées en début de crise pour maintenir le minimum requis afin 1) que les personnes ne meurent pas et que la force de travail puisse continuer de se reproduire, et 2) que le capital marchandise se transforme en capital argent et qu’il puisse y avoir un minimum de circulation pour ne pas que l’économie s’écroule. N’empêche que malgré le droit de poursuivre leurs activités, nombreuses sont les entreprises œuvrant dans ces secteurs qui ont du ralentir leurs activités, voire même fermer leurs portes. Par exemple, le 18 mars 2020, l’on apprenait que les constructeurs automobile General Motors, Ford, Fiat-Chrysler et Honda interrompaient jusqu’au 30 mars au moins leurs activités de production en Amérique du Nord, dont en Ontario près des Grands Lacs, en raison de l’état du marché et des ventes à la baisse. Au Canada, Honda a mis à pied 4 200 ouvriers dans les trois usines d’Alliston au nord de Toronto. Selon Jerry Dias, le président du syndicat d’Unifor, 40 000 travailleurs des chaînes d’assemblage d’automobiles au pays ont été touchés par ces suspensions. Il déplorait les difficultés financières auxquelles ces prolétaires étaient soumis tout en précisant que la priorité demeurait la santé et la sécurité des travailleurs. Quoi qu’il en soit, voici un aperçu de ce que le gouvernement ontarien a identifié comme « essentiel » en mars dernier :

Lieux de travail

Épiceries et dépanneurs; restaurants avec service de livraison et de plats à emporter; pharmacies; magasins d’alcools et de bières; magasins de cannabis; animaleries; vétérinaires; fermes et fournisseurs agricoles; stations-service; garages de réparation d’automobiles; agences de location de voitures; flottes de taxis; hôtels et motels; entreprises de services d’électriciens et de plombiers; ateliers de réparation de vélos; quincailleries; magasins de fournitures de bureau; firmes de services financiers (y compris les banques et les compagnies d’assurance); sociétés de construction et d’exploitation minière; fournisseurs médicaux; établissements de soins de santé et de services sociaux; cabinets d’avocats; firmes de comptables, buanderies et nettoyeurs à sec; agences immobilières, etc.

Maillons des chaînes d’approvisionnement

Soutien technique et de réparation des systèmes; télécommunications; informatique; sécurité; maintenance; conciergerie; exploration et mise en valeur des minéraux; approvisionnement en matières et en produits miniers (cuivre, nickel, or, etc.); extraction; fourniture de produits chimiques et de gaz; analyse en laboratoires; approvisionnement en produits forestiers (bois d’œuvre, pâte à papier, papier, bois de feu, etc.); culture; aquaculture; pêche industrielle; élevage; récoltes; transformation; emballage; fabrication d’aliments, de biens, de produits, d’équipements et de matériaux; distribution; livraison; vente au détail et en gros d’aliments et de produits de consommation domestique ou d’entreprises; travaux, construction et démolition; construction associée au secteur de la santé (installations, agrandissements, rénovations et conversions d’espaces en espaces de soins de santé); transport en commun; transports de marchandises; énergie; système judiciaire; etc.

Services publics et communautaires

Collecte des déchets; traitement et élimination des déchets; assainissement des eaux usées; eau potable; exploitation de décharges; élimination des déchets dangereux; production, transport, distribution et stockage d’électricité; distribution, transport et stockage de gaz naturel; construction et entretien des routes; etc.

Pandémie ou pas, il ne fait nul doute que ce sont des millions de prolétaires qui font fonctionner la société par leur travail. L’économie nationale repose entièrement sur cette force de travail exploitée au quotidien.

Travailleurs en danger au temps de la COVID-19

Pendant la pause économique, de nombreux prolétaires ontariens ont été exposés au virus dans leurs milieux de travail puisqu’ils œuvraient dans les nombreux secteurs jugés « essentiels ». De fait, il y a eu un nombre effarant de cas de COVID-19 signalés. Aussi, plusieurs travailleurs ont exercé leur droit de refus de travailler dans des conditions dangereuses, et ce, conformément à la législation sur la santé et sécurité au travail de la province. Par exemple, une douzaine de travailleurs de la Toronto Transit Commission (TTC) ont collectivement refusé de travailler dans une installation de tramway en raison de préoccupations sanitaires. De même, avant même la pause économique, le 12 mars 2020, plus de 166 travailleurs d’une usine de montage automobile Fiat-Chrysler à Windsor ont initié un refus de travail d’une journée en raison de l’exposition au virus à laquelle ils étaient soumis. Il s’avère que dans ces deux cas, un inspecteur du ministère du Travail de l’Ontario a déterminé que les refus de travailler ne répondaient pas aux critères législatifs et que tous les employés devaient regagner leurs postes sans rouspéter!

Dans un tel contexte de déni et de négligence envers la classe ouvrière, il n’est pas surprenant que les milieux de travail qui ont été à l’œuvre dans la province pendant la pause économique soient allés d’éclosion en éclosion. En mai dernier, l’on constatait une augmentation de l’infection chez les travailleurs de la santé ontariens qui représentaient 17% des personnes testées positives dans la province (contre 10% des cas au début du mois d’avril). En fait, c’était au moins 714 infirmières et plus de 2 700 préposées aux services de soutien à la personne qui ont officiellement contracté la COVID-19. Naturellement, les travailleuses en contact direct avec les personnes malades et vulnérables sont les plus exposées, mais de nombreux autres cas démontrent qu’elles n’étaient les seules. Par exemple, l’entreprise de volailles Maple Lodge Farms a enregistré 25 cas de COVID-19. Les ouvriers ont d’ailleurs dénoncé leurs conditions de travail dangereuses, notamment le manque de matériel de protection. L’on a aussi enregistré de nombreux foyers d’éclosions sur divers lieux de travail : chez Costco, Loblaws, Fab’s No Frills, Longos, Shoppers Drug Mart, Metrolinx, Poste Canada; à la TTC, l’aéroport international Pearson de Toronto, l’usine de Brampton Transit, la LCBO; aux serres Greenhill Produc de Kent Bridge, etc.

Si les éclosions ont été nombreuses pendant la durée du confinement, avec la relance économique, elles atteindront des sommets. De surcroît, en plus de l’exposition au virus que les travailleuses de la santé continueront de connaître, celle de nombreux autres prolétaires ira en grandissant. Aussi, plusieurs de ces prolétaires seront susceptibles de développer des complications en contractant la maladie et d’en mourir. Sur 7 millions de travailleurs en Ontario, environ 1,55 million (22,1%) travaillent dans la la vente et les services. De ce nombre, environ 180 000 travailleurs (11%) avaient 60 ans et plus, 344 000 travailleurs (23%) utilisaient le transport en commun pour se rendre au travail, et 175 000 autres faisaient du covoiturage. Ensemble, ces deux modes de transport ont été utilisés régulièrement par plus de 30% des travailleurs de ces secteurs. Sur ce 1,55 million de travailleurs dans la vente et les services, 1 million (67%) ont été maintenu au travail durant toute la durée du confinement. S’ils quittaient leur travail en raison d’un risque accru d’exposition au virus, ils se rendaient inadmissibles à la prestation canadienne d’urgence (PCU). Ils ont donc tous été forcés d’occuper des emplois susceptibles de compromettre leur santé, et ce, peu importe leur condition.

Ces prolétaires, comme tous ceux et celles qui viennent des autres secteurs économiques, sont les véritables héros de la situation critique. Cette force qui aujourd’hui sert à faire face à la pandémie de COVID-19 servira demain à construire un monde meilleur où cessera l’exploitation.