COVID-19 : Les effets de la trêve commune sur l’emploi canadien

Le 8 mai dernier, Statistique Canada publiait une de ses « Enquêtes sur la population active » particulièrement révélatrice sur l’ampleur de la pause économique décrétée par la bourgeoisie canadienne pour limiter la propagation du coronavirus et pour éviter d’être plus affectée que les bourgeoisies concurrentes à l’international. Les données fournies par l’État capitaliste canadien nous renseignent sur les pertes d’emploi survenues pendant cette période. En effet, les mesures prises par les gouvernements ont culminé avec l’arrêt d’une partie de l’activité économique, lequel a provoqué une importante « contraction du marché du travail » au Canada que nous allons examiner sommairement.

Des pertes d’emploi effarantes, sans précédent

À la suite d’une première perte de plus de 1 million d’emplois enregistrée en mars, une nouvelle perte de près de 2 millions d’emplois a été enregistrée en avril, ce qui a porté à plus de 3 millions le nombre d’emplois perdus depuis le début de la crise économique liée à la COVID-19. De plus, le nombre de personnes qui étaient en emploi, mais qui ont travaillé moins de la moitié de leurs heures habituelles pour des raisons liées à la COVID-19 a augmenté de 2,5 millions de février à avril. En somme, toujours selon les chiffres de la bourgeoisie, au cours de la semaine du 12 avril, l’effet cumulatif de la crise économique liée à la COVID-19 (c’est-à-dire le nombre de Canadiens sans emploi ou ayant travaillé des heures « considérablement réduites ») s’est établi à 5,5 millions, soit plus du quart du niveau d’emploi de février.

Plus précisément, pour l’ensemble du Canada, au moins d’avril, l’emploi à temps plein (-1 472 000; -9,7%) ainsi que l’emploi à temps partiel (-522 000; -17,1%) ont significativement reculé. L’ajout des pertes d’emploi de février et mars porte les pertes cumulatives à plus de 1 946 000 emplois à temps plein (-12,5%) et 1 059 000 emplois à temps partiel (-29,6%). L’ampleur de la baisse de l’emploi observée depuis février (-15,7%) demeure inégalée, si l’on examine les ralentissements du marché du travail antérieurs. Pour ne donner qu’un exemple, l’importante « récession » de 1981-1982 avait entraîné une baisse totale de l’emploi de 612 000 (-5,4%), et ce, sur un période longue de 17 mois.

Selon les calculs de la bourgeoisie, le nombre total de chômeurs a augmenté de 285 000 (+113,3%) entre février et avril 2020. À titre de comparaison, toujours en 1981-1982, le nombre de chômeurs avait augmenté de 763 000 (+88,6 %) au cours d’une période de 16 mois. Au Québec, en avril, le taux de chômage a grimpé à 17,0%, taux inégalé depuis 1976, année où des données comparables ont commencé à être publiées. Gardons en tête que ces chiffres ne comptabilisent pas l’ensemble des travailleurs qui ont perdu leur emploi, loin de là.

Bien que des prolétaires de toutes les provinces aient connu des pertes d’emploi, ce sont ceux des grandes régions métropolitaines canadiennes qui ont subi les plus importantes répercussions économiques de la COVID-19 de février à avril. En proportion de l’emploi de février, Montréal a enregistré la baisse la plus prononcée (-18,0% ; -404 000), suivie de Vancouver (-17,4%; -256 000) et de Toronto (-15,2%; -539 000). Aussi, à Montréal, le taux de chômage s’est établi à 18,2% en avril, en hausse de 13,4 points de pourcentage depuis février. À titre de comparaison, le taux de chômage à Montréal a atteint un sommet de 10,2% pendant la « récession » de 2008-2009. À Toronto, le taux de chômage s’est établi à 11,1% en avril (en hausse de 5,6 points de pourcentage depuis février), et à Vancouver, il s’est établi à 10,8% (en hausse de 6,2 points de pourcentage).

En avril, plus du tiers (36,7%) de la population active potentielle n’a pas travaillé ou a travaillé moins que la moitié de ses heures habituelles, ce qui illustre l’ampleur de la pause économique. Ce taux combine les chômeurs, les personnes inactives qui voulaient travailler, mais qui n’ont pas cherché d’emploi, et les personnes en emploi qui ont travaillé moins de la moitié de leurs heures habituelles. À titre de comparaison, ce taux s’est établi à 11,3% en février.

Une crise qui s’étend à tous les secteurs d’activité du prolétariat

Les effets de la crise se sont non seulement étendus à tout le pays, mais aussi à tous les secteurs de l’économie. Cela dit, ce qui fait particulièrement mal aux capitalistes, ce sont les atteintes aux secteurs liés à la production de plus-value, donc à la production des profits. À ce titre, toujours selon les données de Statistique Canada, alors qu’en mars, la baisse de l’emploi a été principalement observée dans « le secteur des services », en avril, en revanche, la diminution de l’emploi a été proportionnellement plus prononcée dans « le secteur des biens » (-15,8%; -621 000) que dans « le secteur des services » (-9,6%; -1,4 million). Plus précisément, la construction (-314 000; -21,1%) et la fabrication (-267 000; -15,7%) ont enregistré les diminutions les plus marquées dans « le secteur des biens ». La construction au Québec a été particulièrement touchée : l’emploi dans ce domaine a diminué de 38,6% en avril. En effet, le gouvernement du Québec a ordonné la fermeture de tous les chantiers de construction le 23 mars, avant de permettre à certains chantiers de construction résidentielle de reprendre leurs activités le 20 avril, soit après la fin de la semaine de référence d’avril. Comparativement à février, l’emploi dans la fabrication a diminué de 302 000 ou de 17,3%; la baisse a presque entièrement eu lieu en avril. L’emploi dans le matériel de transport, les machines et les produits métalliques ouvrés a connu la diminution la plus prononcée depuis février, ce qui laisse entrevoir un engorgement dans la chaîne d’approvisionnement et une baisse de la demande pour certains produits. Parallèlement, l’emploi dans la fabrication d’aliments est demeuré relativement stable. Dans « le secteur des services », l’emploi a continué de reculer, et particulièrement dans le commerce de gros et de détail (-375 000; -14,0%) ainsi que dans les services d’hébergement et de restauration (-321 000; -34,3%). D’ailleurs, l’emploi dans les services d’hébergement et de restauration a reculé de 50,0% (-615 000) de février à avril. L’emploi a particulièrement diminué dans les professions liées au service des aliments et des boissons ainsi que dans le personnel de cuisine. Le nombre de gestionnaires a reculé dans une moindre mesure. En avril, le nombre d’heures travaillées dans les services d’hébergement et de restauration a diminué de 38,6% après avoir déjà reculé en mars. Depuis février, le nombre d’heures travaillées dans ce secteur a diminué de 63,8 %. Dans le commerce de gros et de détail, l’emploi a reculé de 582 000 ou de 20,2% au cours des deux mois ayant pris fin en avril. Au cours de la même période, le nombre d’heures travaillées a diminué de 31,0%. L’emploi dans les sous-secteurs liés aux aliments et aux boissons a reculé depuis février, mais proportionnellement moins que dans les sous-secteurs n’offrant pas de services jugés essentiels. Au cours de la période de deux mois qui a suivi février, l’emploi a diminué de 17,8% parmi l’ensemble des employés rémunérés. À des fins de précision, une baisse plus importante que la moyenne a été enregistrée chez les employés occupant un emploi temporaire (-30,2%), chez les employés occupant leur emploi depuis un an ou moins (-29,5%), et chez les employés non syndiqués ou non couverts par une convention collective (-21,2%). Des reculs prononcés ont également été observés chez les employés qui ont gagné moins des deux tiers du salaire horaire médian de 2019, lequel s’élevait à 24,04$ (-38,1%), et chez ceux qui sont rémunérés à l’heure (-25,1%). Ces résultats concordent avec les baisses observées dans les services d’hébergement et de restauration ainsi que dans le commerce de gros et de détail, qui comprennent des proportions plus élevées de travailleurs ayant ces caractéristiques. Depuis février, plus de la moitié de la diminution de l’emploi observée dans « le secteur des services » s’est concentrée dans les services d’hébergement et de restauration ainsi que dans le commerce de gros et de détail, deux des secteurs où la rémunération est la plus faible. Parallèlement, une proportion relativement plus élevée de personnes a conservé leur emploi dans des secteurs compatibles avec le travail à domicile, comme celles des administrations publiques et des services professionnels, scientifiques et techniques, deux des secteurs offrant les salaires les plus élevés. En somme, les baisses de l’emploi observées dans « les secteurs des biens et des services » dépassent celles enregistrées au cours des « ralentissements » antérieurs du marché du travail. En effet, dans ces secteurs, les baisses de l’emploi observées au cours des deux mois qui ont suivi février ont été proportionnellement plus prononcées que les diminutions enregistrées pendant chacun des trois principaux « ralentissements du marché du travail » enregistrés depuis 1980.

Par ailleurs, malgré les défis importants auxquels sont confrontés les travailleurs de la santé de première ligne qui traitent les patients atteints de la COVID-19, l’emploi est demeuré stable dans les hôpitaux et dans les établissements de soins infirmiers et de soins pour bénéficiaires internes depuis février. Le secteur des soins de santé a toutefois connu des diminutions, entre autres dans les soins ambulatoires, qui comprennent les cabinets de médecins et de dentistes, ainsi que les laboratoires médicaux et d’analyses diagnostiques. De fortes baisses ont également été observées dans « l’assistance sociale », qui comprend les services de garderie, ce qui a porté la diminution nette de l’emploi dans le secteur des soins de santé et de « l’assistance sociale » à 129 000 (-5,3%) depuis mars, et à 229 000 (-9,1%) depuis février.

Ajoutons à ce tour d’horizon le secteur de l’extraction. En mars et en avril, la demande intérieure et internationale de pétrole a diminué de façon prononcée, ce qui a entraîné des prix plus bas que jamais. Au cours de la semaine du 12 avril, l’emploi dans l’industrie pétrolière et gazière « à forte intensité de capital » s’est avéré résilient, mais des répercussions pourraient être observées au cours des mois à venir. Depuis février, l’emploi dans le secteur élargi des ressources naturelles a reculé de 7,4%; les mines et l’exploitation en carrière ont enregistré la plus grande variation de l’emploi et des heures travaillées.

Les prolétaires ont fait les frais de la pause économique… et feront les frais de la relance!

Le 25 mars, le gouvernement fédéral a annoncé le lancement de la Prestation canadienne d’urgence (PCU) « qui vise à compléter le programme d’assurance-emploi et à atténuer les répercussions de la perte d’un emploi en raison de la crise économique liée à la COVID-19 ». En fait, la PCU, c’est la forme qu’a développé le gouvernement pour aider à la circulation du capital, c’est-à-dire qu’elle permet aux prolétaires canadiens ayant perdu leur emploi de continuer minimalement à acheter des marchandises (en plus d’assurer leur survie). En date du 19 avril, c’est-à-dire le premier jour des interviews de l’« Enquête sur la population active » d’avril 2020, 6,7 millions de Canadiens avaient présenté une demande de PCU depuis le 15 mars. Bien entendu, les pertes d’emploi qu’ont connues les prolétaires canadiens et la maigre PCU qui leur a été offerte en compensation ont contribué à leur appauvrissement scandaleux. En effet, selon les informations fournies par Statistique Canada, la rémunération hebdomadaire moyenne de l’ensemble des employés salariés rémunérés à l’heure au pays était de de 774,89$ en 2019. Or, la PCU ne représente que 500$ par semaine.

Avec la relance économique qui va de bon train depuis le mois de mai, la santé des prolétaires est mise en danger… et les prolétaires vont continuer de faire les frais de la crise même si certains ont retrouvé leurs emplois! Par exemple, l’ensemble des travailleurs canadiens connaîtront des hausses de tarifs en tout genre et des diminutions de services. Au fond, le remboursement de la dette massive que contracte les gouvernements en ce moment ne sera pas remboursée par les capitalistes; elle sera refilée aux prolétaires qui ont déjà été mis à mal pendant la pause économique. La bourgeoisie prétextera que la relance n’est pas robuste et qu’il ne faut pas fragiliser les entreprises. Mais en vérité, ce sont les finances personnelles des prolétaires qui ne sont pas robustes et qui ont été durement fragilisées dans les derniers mois!