COVID-19 : Le projet de loi 61, un renforcement du pouvoir exécutif

Déposé à l’Assemblée nationale la semaine dernière, le projet de loi 61, intitulé Loi visant la relance de l’économie du Québec et l’atténuation des conséquences de l’état d’urgence sanitaire déclaré le 13 mars 2020 en raison de la pandémie de COVID-19, vise à renforcer le pouvoir exécutif. Il s’agit d’un projet de loi omnibus couvrant un spectre d’objectifs et de modifications législatives. Dans les circonstances actuelles, le dépôt d’un tel projet de loi n’a rien de surprenant. Partout dans le monde, les parti politiques au pouvoir ont proposé ce même type de mesures législatives. Partout dans le monde, les exécutifs nationaux ont la volonté de prendre en charge de manière planifiée et centralisée la relance généralisée de l’économie capitaliste.

Avec le projet de loi 61, le gouvernement ne se contente plus seulement de rouvrir les secteurs encore fermés : il cherche à abattre un certain nombre de murs risquant de ralentir la reprise. La liste des 202 travaux d’infrastructures publiques contenue dans le projet de loi doit, dans le même esprit, permettre de stimuler l’économie québécoise. Le gouvernement est donc résolument tourné vers l’élargissement, l’accélération et l’expansion de l’activité économique, ce qui marque un changement avec la réouverture que nous avons connue dans les dernières semaines. Et encore un fois, la « santé » du capitalisme passe loin devant la santé des travailleurs.

Des débats parlementaires houleux marquant le retour à la normale de la démocratie bourgeoise

Le projet de loi 61 est une réponse organisée aux nécessités objectives du rétablissement du fonctionnement normal de l’économie. Les capitalistes se donnent ainsi toute la marge de manœuvre possible et se dotent de tous les outils requis pour remettre en ordre l’économie et l’accumulation de profit. Pour ce faire, ils créent les conditions les plus propices à la relance et se débarrassent d’un certain nombre de blocages légaux et d’entraves bureaucratiques. En définitive, le projet de loi 61 permet de bien positionner l’économie nationale sur l’échiquier de la lutte internationale pour les marchés.

Bien que ce programme réponde aux intérêts de la bourgeoisie, cela n’a pas empêché que son dépôt déclenche des débats houleux à l’Assemblée nationale. La contestation fuse de partout : partis d’opposition, commentateurs politiques et organismes. Le dénominateur commun de ces critiques, c’est la crainte de l’accroissement du pouvoir de l’exécutif gouvernemental. D’ailleurs, la prolongation de l’état d’urgence sanitaire est vertement contestée, car ce décret éclipse les partis d’opposition en les écartant des débats et des prises de décision de l’exécutif. Quoi qu’il en soit, il semble qu’il y ait un retour à la normale de la démocratie bourgeoise. Ses mécanismes internes sont remis à l’œuvre : l’affrontement général entre les diverses formations politiques (partis, blocs, etc.), voire même entre les divers politiciens bourgeois (carrières, parcours individuels, etc.).

Le dépôt du projet de loi et la contestation qu’il a provoquée marque un changement majeur dans la vie politique bourgeoise. Souvenons-nous que tous les partis et tous les commentateurs s’étaient rangés docilement derrière le gouvernement Legault en mars dernier, alors que la trêve commune était décrétée partout sur le globe. Or, la mise en place du programme défensif commun déployé à l’échelle de la planète est un objectif accompli et désormais largement dépassé. Le Québec s’est positionné par rapport aux standards internationaux afin d’éviter d’être plus affecté que ses adversaires et afin de ne pas se retrouver en décalage avec la gestion de l’épidémie la plus répandue dans le monde. C’est donc dire qu’aujourd’hui, le mouvement unifié n’est plus : l’appui au gouvernement a pu céder sa place à la critique, car la lutte politique pour accéder à l’exécutif de l’État bourgeois anime à nouveau tous les parlementaires. Et en vérité, aucun d’entre eux ne désapprouve réellement les fondements du projet de loi 61. En plus, ce retour à la vie politique bourgeoise normale n’a pu se faire que par la normalisation concertée des conséquences anormales de l’épidémie qui continue de faire des ravages.

Au-delà de la prolongation de l’état d’urgence sanitaire, les députés sont choqués par des éléments secondaires contenus dans la loi soumise. Certains sont sortis dans les médias pour dénoncer que des articles du projet invitaient à ne pas se soumettre aux normes environnementales adoptées dans la dernière décennie. Ils ont aussi décrié la restriction de la contestation des expropriations, des explosions de coûts, etc. Cependant, une fois ces critiques superficielles enlevées, il est clair que le projet de loi 61 est un projet unificateur pour la bourgeoisie en tant que classe sociale, ce qui n’exclut pas qu’il est un peu malmené par des représentants politiques de la bourgeoisie pour cause de carriérisme… et parce que le fonctionnement habituel de la démocratie bourgeoise l’exige, tout simplement.

Les débats autour du projet de loi 61 sont donc à prendre avec un grain de sel. Ce qui doit nous importer dans notre analyse, c’est l’unité de la bourgeoisie en tant que classe derrière la relance de l’économie capitaliste. D’ailleurs, si certains secteurs de la bourgeoisie sont insatisfaits ou ont l’impression d’être laissés pour compte, nous pouvons être certains qu’ils se feront entendre et que des modifications seront apportées à la loi pour les accommoder. C’est d’ailleurs ce à quoi nous avons assisté pour les restaurants et les PME : un amendement a été déposé pour interdire l’éviction d’un locataire d’un bail commercial en défaut de paiement. Un autre amendement a aussi été déposé pour permettre aux restaurants de vendre et de livrer de l’alcool sans qu’il y ait d’achat de nourriture. Les mécanismes réels de la démocratie bourgeoise viennent d’ailleurs tempérer l’unification de la bourgeoisie derrière la relance et la consolidation de l’économie capitaliste. Les critiques des opposants politiques bourgeois et les débats parlementaires permettent de préserver sur le long-terme l’État et le pouvoir exécutif en général. C’est sur cette base que le projet de loi est passé au peigne fin pour départager les objectifs (ceux qui répondent aux nécessités objectives de la relance de ceux qui sont purement partisans). Après tout, le projet de loi 61 a été modelé subjectivement par un parti politique spécifique.

En trame de fond de ces déchirements à l’Assemblée nationale se trouve aussi la lutte perpétuelle pour la reproduction dans le temps des différents partis. L’opposition est d’ailleurs piquée à vif par la Coalition avenir Québec (CAQ) qui tente de la discréditer en la tenant responsable du bureaucratisme (lenteur et lourdeur décisionnelle). En bon tacticien, le gouvernement a aussi promis de ne pas imposer de bâillon. Il a même laissé entendre qu’il pourrait prolonger la session parlementaire censée prendre fin le 12 juin.

Les objectifs et le contenu du projet de loi 61

Le projet de loi 61, comme son titre l’indique, vise à atténuer les effets qu’ont eu la pause économique et le confinement (« l’état d’urgence sanitaire ») sur l’économie capitaliste; les effets de la trêve commune et du mouvement défensif unifié international de mars 2020. Pour sa part, le gouvernement a présenté le projet de loi comme une façon de réduire les délais entre la prise de décision et la réalisation des projets. En effet, pour donner un essor à la relance de l’économie, une liste de 202 travaux est annexée au projet de loi : la prolongation du REM, l’étude du prolongement de certaines lignes de métro, le développement général du réseau de transport collectif (16 chantiers), la réparation et la construction d’écoles (39 chantiers), la construction de « Maisons des aînés » (48 chantiers), la réparation et la prolongation de routes, la rénovation de CHSLD (42 chantiers), l’agrandissement de certains hôpitaux, de même que le développement d’infrastructures publiques telles que le réseau ferroviaire de la Gaspésie et la ligne Appalaches-Maine d’Hydro-Québec.

Le projet de loi contient aussi de nombreuses modifications législatives permettant d’accélérer la mise en œuvre de ces travaux : l’accélération des procédures d’expropriations en restreignant les contestations (ce qui s’applique notamment à l’expansion de la ligne bleu et du Réseau express métropolitain – REM), le commencement des travaux avant l’obtention des droits requis, le remplacement de certaines dispositions sur la loi sur l’environnement, la compensation monétaire au ministère de l’environnement lorsque l’État autorise la réalisation de travaux dans des habitats d’espèces menacées ou vulnérables, l’assouplissement des règlements entourant les poissons et les parc nationaux, et l’inapplicabilité de la loi sur les aménagements et l’urbanisme quant à l’intervention du gouvernement. Plus encore, selon les dispositions de la loi, il reviendrait au gouvernement de déterminer les conditions applicables à tout contrat d’un organisme municipal de même que les procédures d’appel d’offres. Il s’octroie aussi le droit de reporter tout contrat public échu depuis le 13 mars 2020. Le projet de loi contient également une mesure très large permettant finalement au gouvernement de prendre toute disposition qu’il juge nécessaire pour affronter les contrecoups de la pandémie sur l’économie.

En somme, le projet de loi permet de modeler sur mesure les prescriptions légales entourant les contrats, les normes environnementales et municipales, les procédures administratives, les échéanciers, et plus encore, et ce, dans le but de faire face aux nécessités actuelles. Il est à noter que la loi confère l’immunité de poursuite judiciaire aux ministres et aux dirigeants d’organismes publiques, un refuge inespéré pour les hauts fonctionnaires et les cadres impliqués, entre autres, dans le fiasco des CHSLD.

Un simple outil de relance pour les capitalistes

Au final, le projet de loi 61 constitue une énorme manœuvre de la CAQ à l’intérieur de la vie politique bourgeoise. Les représentants de la bourgeoisie sont donc inutilement outrés par son contenu. C’est pourtant un projet de loi qui répond à une situation objective et qui défend les intérêts de la classe dominante au sortir de la pause économique. Et l’adoption de cette loi controversée aura un impact réel.

Contrairement aux partis d’opposition et aux commentateurs dans la presse bourgeoise, il ne faut pas être offensé ou renversé devant le dépôt d’un tel projet de loi. Il ne s’agit que d’un outil de transition que se donne la bourgeoisie, un outil parcellaire dans l’ensemble du programme de relance de l’économie capitaliste. Ce que nous devons décrier, c’est la nature de cette relance économique, ce sont les contradictions du capitalisme et c’est la concurrence internationale ayant provoquée cette relance forte et précipitée malgré les dangers sanitaires encourus. L’on peut critiquer des énoncés précis du projet de loi qui sont susceptibles de nuire aux prolétaires de manière spécifique (comme le droit d’exproprier facilement le propriétaire d’une maison), mais nous ne devons pas oublier que ce projet de loi est au service des capitalistes et que la bourgeoisie en tant que classe sociale est unifiée derrière son dépôt et son adoption.