COVID-19 : Non, le déconfinement n’est pas une fatalité!
La réouverture de l’économie ordonnée par les gouvernements des pays impérialistes est présentée dans les médias bourgeois comme une nécessité indiscutable. Comme l’a dit François Legault, « la vie doit continuer! » On ne peut quand même pas s’opposer à l’évidence! Au Québec, les seules voix discordantes dans le bourdonnement médiatique quotidien – et elles sont peu nombreuses – proviennent de commentateurs qui critiquent la forme du plan gouvernemental de déconfinement, tout en acceptant son contenu à 100%. On critique le calendrier de réouverture des écoles, tout en appuyant l’idée que les enfants doivent retourner en classe au plus vite, même en pleine pandémie. On émet des doutes sur la vitesse du déconfinement de Montréal, tout en approuvant le déconfinement des régions. On dit que les conditions ne sont pas encore atteintes pour la réouverture des magasins de la métropole, mais on accepte sans broncher celle des chantiers et des usines! Personne, dans les médias, ne remet en question le bien-fondé de cette vaste opération de relance économique, opération lancée dans un contexte où le coronavirus se répand toujours et où l’épidémie est loin d’avoir été stoppée. Personne ne dit qu’en l’absence de moyens efficaces pour protéger la population et pour freiner le virus, le déconfinement ne peut qu’avoir des conséquences catastrophiques. Les représentants officiels de la bourgeoisie s’entendent tous sur l’essentiel : il n’y a pas d’alternative.
Mais en fait, c’est l’organisation actuelle de la société qui génère cette illusion. Car en réalité, sous une autre forme d’organisation sociale, nous pourrions très bien prendre les décisions les plus sensées du point de vue de nos besoins collectifs et choisir de tout mettre en œuvre pour vaincre le virus. Mais parce que nous sommes enchaînés aux rapports de production capitalistes – rapports fondés sur l’intérêt privé, la concurrence, l’exploitation et le profit –, nous ne pouvons pas faire ce qui est le plus rationnel. Nous sommes obligés d’agir en fonction des intérêts bourgeois. Dans une société qui ne serait pas basée sur la propriété privée des moyens de production, relancer l’activité économique en pleine pandémie meurtrière, comme le fait présentement la bourgeoisie, ne serait pas une obligation. Étant donné que le travail servirait à répondre aux besoins des masses plutôt qu’à générer de la plus-value et du profit pour les propriétaires des entreprises, nous pourrions très bien décider de concentrer nos efforts sur la lutte contre l’épidémie plutôt que sur une relance économique irrationnelle ne servant que les intérêts de la classe dominante. Malheureusement, sous le capitalisme, ce n’est pas comme cela que les choses se passent. Dans ce type de société, ce sont les bourgeois qui décident de quand et de comment nous devons travailler. C’est ainsi qu’actuellement, les capitalistes nous renvoient au travail malgré les risques immenses pour notre santé, et ce, simplement pour regarnir leur portefeuille. Ce retour au travail initié par la classe dominante va inévitablement accélérer la propagation du virus et provoquer une augmentation considérable du nombre d’infectés et de morts. Mais la bourgeoisie n’en a rien à faire, puisque tout ce qui l’intéresse, c’est son propre enrichissement.
Protéger le portefeuille des riches au lieu de protéger les travailleurs
On entend dire que l’État n’aura plus d’argent si le travail ne reprend pas maintenant. Que les coffres des entreprises seront complètement vides. Que « le gouvernement ne peut quand même pas payer les travailleurs à ne rien faire éternellement ». Que ce sont les « contribuables » qui vont devoir éponger la facture si l’activité économique n’est pas réactivée au plus vite. Mais ce qu’on ne nous dit pas, c’est que la société contiendrait en fait assez de richesses pour assurer la subsistance des travailleurs confinés pendant toute la durée de la pandémie, et ce, sans qu’ils n’aient à être pénalisés par la suite. Le discours de la bourgeoisie nous donne l’impression qu’il n’y aura tout simplement plus d’argent nulle part si les prolétaires ne se remettent pas à l’ouvrage au plus vite. Mais ce discours masque une grande partie de la réalité : l’ampleur des écarts de richesses qui caractérisent la société capitaliste dans laquelle nous vivons. En réalité, si les prolétaires doivent recommencer à travailler (et s’ils doivent par conséquent s’exposer aux dangers du virus), ce n’est pas parce qu’il n’y a plus de ressources, mais simplement parce que les bourgeois veulent continuer à pouvoir vivre grassement sur le dos du peuple. Il est vrai qu’une fois la crise sanitaire passée, la bourgeoisie va chercher de toutes les manières à en rejeter le fardeau financier sur les prolétaires. Notamment, pour rembourser ses dépenses extraordinaires, l’État bourgeois va fort probablement imposer aux travailleurs des mesures d’austérité brutales (coupures dans les services, hausses d’impôts et de tarifs, etc.). Par ailleurs, les capitalistes chercheront probablement à abaisser les salaires des employés qu’ils n’auront pas licenciés. Mais ces mesures contre les masses populaires ne découleront pas du fait qu’il n’y aura plus d’argent : elles seront le produit de l’existence d’une classe capitaliste parasitaire qui refuse de remettre les richesses qu’elle monopolise entre les mains des travailleurs.
Examinons rapidement quelques données pour se donner une petite idée de l’ampleur des richesses accumulées au fil des années par les capitalistes. Selon Statistiques Canada, en 2013, les entreprises non financières incorporées opérant au Canada détenaient 604 milliards de dollars d’épargne en « actifs liquides », c’est-à-dire en actifs assimilables à de l’argent comptant et s’entassant dans les comptes bancaires. Cette masse d’argent thésaurisé (provenant de la part des profits n’ayant pas été versée en dividendes aux actionnaires, n’ayant pas été versée en impôts à l’État bourgeois et n’ayant pas non plus été investie en moyens de production et en salaires) avait alors était qualifiée, par certains économistes bourgeois, « d’argent qui dort ». Il n’y a pas de raison de penser que ces stocks de liquidités ont diminué depuis. En fait, si on se fie à la tendance observée depuis les années 1990, il y a fort à parier qu’ils ont plutôt augmenté. Cela veut dire que les grandes entreprises canadiennes, contrairement à la masse des travailleurs, sont entrées dans la crise actuelle en étant assises sur des centaines de milliards de dollars en réserve. Or, distribuer une somme équivalent à la Prestation canadienne d’urgence (PCU) à 8 millions de travailleurs canadiens (on estime environ à 7,8 millions le nombre de personnes qui la reçoivent présentement) si elle n’était pas imposable, et ce, pendant une année complète, coûterait 192 milliards de dollars, soit moins du tiers du magot de 604 milliards de dollars détenu en 2013 par les entreprises canadiennes.
En jetant un coup d’œil aux revenus annuels des individus, on constate également le gouffre qui sépare les travailleurs de la minorité de bourgeois. Toujours selon Statistiques Canada, en 2018, au Québec, 173 200 personnes (soit 2,5% des personnes âgées d’au moins 16 ans) ont gagné 100 000 dollars et plus après impôts. Étant donné que des données plus précises sur les tranches de revenus supérieures ne sont pas disponibles, admettons que les revenus de ces 173 200 personnes n’ont été que de 100 000 dollars en 2018 – ce qui est très loin de la réalité puisqu’une fraction importante de ces 173 200 personnes gagnent bien plus que cela annuellement (par exemple, en 2017, selon l’Institut de la statistique du Québec, 10 595 personnes ont eu des revenus avant impôts se situant entre 500 000 et 999 999 dollars, et 3 587 personnes ont gagné un million de dollars et plus) –, leurs revenus après impôts additionnés auraient néanmoins représenté un montant de 17,3 milliards de dollars. Or, distribuer 2 000 dollars par mois (l’équivalent de la PCU si elle n’était pas imposable) pendant une année complète aux quelque 500 000 travailleurs québécois que le gouvernement Legault cherche présentement à remettre au travail coûterait 12 milliards de dollars. Évidemment, ces chiffres ne visent pas à donner des indications précises, mais seulement à donner des ordres de grandeur. Le but n’est pas non plus d’élaborer des scénarios susceptibles de se réaliser dans les conditions actuelles. En effet, sous le capitalisme, il n’est pas possible d’envisager que la bourgeoisie accepte qu’un nombre aussi important de prolétaires cessent de travailler pendant toute une année. Cela dit, ce qu’il faut comprendre, c’est que les richesses contenues dans la société, richesses que la bourgeoisie accapare, sont bien plus grandes qu’on nous le laisse entendre. En fait, ce qui « coûte cher », ce n’est pas l’aide accordée aux travailleurs, mais plutôt le fait que la société soit obligée d’entretenir une classe de riches.
Par ailleurs, il est important de préciser que toute la richesse (ou encore toute la valeur) contenue dans la société a été produite par la classe ouvrière au fil des décennies. Même si les travailleurs étaient entretenus pendant une année complète en restant confinés chez eux, cela ne voudrait pas dire qu’ils seraient payés à ne rien faire : cela voudrait simplement dire qu’on leur redonnerait une partie de ce qu’ils ont produit et que les capitalistes ont accaparé pendant toutes les années précédentes. Les bourgeois, qui ne vivent qu’en s’appropriant les fruits du labeur des prolétaires, n’ont absolument rien produit. En effet, bien que les travailleurs puissent avoir l’impression d’être payés pour leur travail, ce n’est pas comme cela que les choses se passent sous le capitalisme. En réalité, ce n’est pas le fruit de leur travail qui est payé en salaires par les capitalistes : c’est leur force de travail qui est achetée par eux. Et le prix de cette force de travail ne correspond qu’à une fraction de toute la valeur qu’ils créent en travaillant – l’autre fraction se retrouvant dans les poches des exploiteurs. Ainsi, les prolétaires peuvent légitimement réclamer la totalité des richesses contenues dans la société. Et c’est d’ailleurs ce qui se déroule spontanément : le prolétariat lutte en permanence pour arracher des mains de la bourgeoisie la plus grande part possible de la valeur qu’il a créée. En d’autres mots, les capitalistes et les prolétaires mènent un affrontement permanent sur la plus-value, affrontement qui se manifeste notamment lors de n’importe quelle grève ouvrière. Et l’expérience démontre qu’en luttant contre la bourgeoisie, il est parfois possible de la forcer à lâcher des morceaux de la masse de plus-value qu’elle accapare. Cela dit, c’est seulement lorsque les travailleurs détiendront collectivement les moyens de production et que la bourgeoisie aura été éliminée en tant que classe sociale exploiteuse que l’ensemble des richesses qu’ils produisent sera entre leurs mains.
Plus encore, sous le capitalisme, nous laissons le mouvement de l’argent dicter toutes nos décisions. C’est ce mouvement qui décide du déclenchement ou de la conclusion des guerres, qui décide de qui peut vivre et de qui doit mourir, qui détermine qui a accès aux ressources vitales et qui en est privé. Mais l’argent, ce n’est pas une puissance surnaturelle face à laquelle il n’y aurait pas d’autre choix que de se soumettre pour l’éternité. L’argent, ce sont les êtres humains qui l’ont créé! Par conséquent, accepter de se soumettre au mouvement de l’argent, c’est comme accepter de se soumettre à la volonté de Dieu. Si nous avons créé l’argent, nous pouvons aussi l’abolir, comme nous pouvons nous libérer des superstitions et des croyances religieuses que les hommes ont inventées. Au fil des siècles, l’humanité a développé des forces productives formidables (machines, infrastructures, force de travail, sciences et techniques, etc.) ayant le potentiel d’améliorer son sort de manière considérable. Tout est en place pour servir nos besoins: usines, chaînes de production, chaînes d’approvisionnement, entrepôts, réseaux de transport, etc. Ces forces productives, elles sont déjà, pour ainsi dire, entre nos mains. Par conséquent, il n’y a pas de raison que nous ne puissions pas nous en servir directement et consciemment, sans la médiation de l’argent et des échanges marchands. Il n’y a pas de raison que nous ne puissions pas soumettre à notre volonté les instruments que nous avons créés au lieu d’être dominés par eux. En d’autres mots, il n’y a pas de raison que nous ne puissions pas maîtriser collectivement les conditions de la reproduction de notre existence. Mais pour cela, il faut transformer les rapports de production, c’est-à-dire les rapports que nous entretenons entre nous pour produire tout ce qui est nécessaire à la vie humaine. Les rapports sociaux capitalistes nous empêchent de dompter les forces productives. C’est seulement par la révolution prolétarienne que nous pourrons y parvenir.
Produire tout et n’importe quoi au lieu de produire pour vaincre le virus
Avec la relance économique actuelle, la bourgeoisie cherche à renvoyer un maximum de prolétaires au travail, ce qui est en soi une décision complètement irrationnelle du point de vue de la santé publique. Mais pire encore, elle les déploie en ordre dispersé, sans aucune planification d’ensemble et sans autre but que celui de satisfaire la soif de profits des capitalistes privés qui dirigent les opérations économiques. Ainsi, la société va se remettre à produire tout et n’importe quoi au lieu de mobiliser l’ensemble des ressources qu’elle contient pour protéger les masses et pour vaincre le virus. On produira et on vendra aussi bien des choses nécessaires à la lutte contre la pandémie (blouses, masques, etc.) que des marchandises complètement inutiles socialement (voitures de collection, jets privés et autres objets de luxe destinés à une minorité de parasites), voire même nuisibles (armement, matériel militaire, etc.) en passant par des biens utiles (automobiles, ordinateurs, vêtements, etc.), mais dont la production en grande quantité et variété n’est pas absolument indispensable en cette période extraordinaire de crise sanitaire. Pire, la production de ce qui nous permettra de traverser la crise sera insuffisante alors que la production de ce qui sera superflu sera abondante. La production nationale ne sera pas organisée de manière consciente et rationnelle : au contraire, elle sera déterminée de manière complètement aléatoire et anarchique par la somme des décisions privées des entreprises qui monopolisent les moyens de production au pays. Aussi, on relancera des secteurs d’activité complètement stériles tels que la publicité, le marketing et les relations publiques, simplement pour accélérer la rotation du capital.
Chaque secteur de la bourgeoisie fera pression pour que son champ d’activité soit réactivé au plus vite, de peur de se faire devancer par d’autres dans la concurrence internationale. Par exemple, l’influent homme d’affaires Peter Sergakis et l’Union des tenanciers de bars du Québec (UTBQ) viennent de lancer une pétition pour réclamer la reprise des activités de tous les restaurants, resto-bars, bars et terrasses de la province à compter du 1er juin. En un avant-midi seulement, la pétition a récolté 9 000 signatures alors que son objectif était de 10 000. Aussi, le 17 mai dernier, François Roberge, le Président-directeur général des magasins La Vie en Rose, est venu se lamenter sur son sort de bourgeois à l’émission Tout le monde en parle et exiger la réouverture des centres commerciaux de la province au plus vite. Devant des millions de téléspectateurs, il a déclaré :
« Qu’est-ce que je déplore, c’est que, vous savez, on a des magasins, nous autres, en Égypte, en Arabie saoudite, à Dubaï, et les centres d’achats sont ouverts. Ils ont mis des protocoles. Vous savez, un centre d’achat, c’est large hein? Le passage est large, il y a des équipes de ménage, il y a des gardes de sécurité, puis on a un protocole [qui fait en sorte] qu’on peut fonctionner avec des entrées, des sorties puis contrôler. J’ai de la misère à comprendre pourquoi qu’on a peur tant que ça de rouvrir nos centres d’achats. C’est quand même un élément important qui fait rouler l’économie. On vend du cannabis, on est capable de vendre de l’alcool, on est capable de vendre des vélos dans certaines chaînes internationales. Je vois pas pourquoi que dans un centre d’achat, je serais pas capable de vendre des petites culottes en sécurité. C’est aussi simple que ça, puis j’ai de la misère à comprendre pourquoi que ça prend autant de temps que ça! […] Les autres provinces sont en train d’ouvrir. Tu sais, on a ouvert jeudi l’Alberta. »
Pour donner un exemple encore plus scandaleux, le Regroupement des fournisseurs de l’industrie des événements d’affaires, des congrès, des réunions et des expositions faisait récemment un plaidoyer dans les médias pour que le gouvernement aide le secteur du tourisme d’affaires (!) à redémarrer ses activités dès que possible, notamment par des incitatifs fiscaux visant à encourager les clients québécois à voyager et à prendre part à des événements haut de gamme à l’intérieur de la province. Dans un texte intitulé Le tourisme d’affaires au centre de la relance économique, publié le 5 mai dernier dans le journal La Presse, la présidente de la compagnie Agora opus3 et le directeur du développement des affaires à MCI Montréal écrivaient :
« Le tourisme d’affaires, moins visible et pourtant très lucratif, pourrait être l’une des activités au Québec les plus difficiles à redémarrer en raison des consignes sanitaires appelées à perdurer. […] Aujourd’hui, un nouveau regroupement de plus de 50 fournisseurs de l’industrie des événements d’affaires, des congrès, des réunions et des expositions souhaite que le secteur ait sa juste place dans la stratégie de relance économique du Québec. […] Le Québec ne peut se permettre de laisser cette industrie majeure prendre du retard au profit des marchés étrangers qui auront repris avant le sien. »
Dans une société où la propriété privée bourgeoise aurait été remplacée par la propriété collective des moyens de production, ce sont les travailleurs et leurs représentants qui décideraient de ce qu’il faut produire et de quelle manière. Et pour ce faire, ils n’auraient pas besoin de se soumettre au processus d’accumulation de profit et au mouvement de l’argent comme le font les capitalistes : ils pourraient faire leurs choix de manière consciente en se basant sur les besoins réels de la population. Il va sans dire qu’une telle société réagirait bien différemment de la société bourgeoise à la pandémie actuelle. D’abord, le confinement pourrait perdurer aussi longtemps que nécessaire pour une large fraction de la population. En priorité, les personnes les plus vulnérables au virus (personnes plus âgées, personnes ayant des problèmes de santé chroniques, femmes enceintes, etc.) seraient placées à l’abri pendant toute la durée de la pandémie. Pour toutes les personnes confinées, le logement, l’électricité, la nourriture, l’ensemble des produits essentiels comme les médicaments ainsi que l’accès à un certain nombre de divertissements seraient fournis gratuitement (d’ailleurs, ces choses seraient garanties pour tout le monde même en temps normal). Des équipes de travailleurs dotés des meilleurs équipements pour se protéger du virus pourraient être déployées pour livrer les denrées essentielles à domicile et pour s’occuper des personnes dans le besoin. Par ailleurs, si une partie des travailleurs les moins vulnérables et ne faisant pas partie des « secteurs essentiels » pourraient être mis à l’ouvrage, ce serait pour réaliser un plan d’ensemble visant en priorité à combattre l’épidémie et non pour effectuer des tâches déterminées aléatoirement par une multitude d’intérêts privés et contradictoires. En effet, dans une société socialiste, l’économie serait planifiée au lieu d’être organisée de manière anarchique et dominée par les échanges marchands comme c’est le cas sous le capitalisme. Devant la menace de la pandémie, le plan économique en cours aurait assurément été modifié pour que la lutte contre le virus en devienne le centre de gravité. La planification socialiste permettrait de concentrer toutes les ressources dont la société dispose pour remplir cet objectif. Ainsi, étant donné que certaines activités auraient été temporairement abandonnées et que plusieurs chaînes de production auraient été converties, des forces seraient disponibles pour produire rapidement et en quantités massives les équipements nécessaires. Des travailleurs pourraient par exemple être déployés pour construire de nouveaux centres hospitaliers, des bâtiments pour héberger les patients contagieux ainsi que de nouveaux espaces pour abriter les personnes âgées. On pourrait également construire en vitesse de nouvelles usines pour produire des dizaines de millions de masques respiratoires étanches anti-particules (du même type que les masques N95) afin que l’ensemble des travailleurs en aient à leur disposition. Des usines pour produire rapidement des dizaines de millions de doses de vaccins en prévision du moment où celui-ci serait disponible pourraient également être bâties.
Au Canada, nous avons eu un petit aperçu de ce qui serait possible de faire en matière de réorganisation de la production nationale dans un contexte de pandémie avec le « Plan canadien de mobilisation du secteur industriel pour lutter contre la COVID-19 ». À travers ce plan, l’État bourgeois canadien a cherché à faire augmenter la capacité de production de l’industrie canadienne en matière d’équipement médical (désinfectant, blouses, respirateurs, masques, gants, etc.), et ce, en incitant des entreprises à modifier leurs chaînes de production et en signant des contrats spéciaux avec elles. Bien que cette opération de l’État canadien ait effectivement permis de transformer la production de quelques entreprises (ce qui montre que la reconfiguration rapide des usines est tout à fait possible), ses effets actuels et potentiels demeurent somme toutes grandement limités et ne permettent pas de satisfaire les besoins réels de la société. En effet, sous le capitalisme, l’État bourgeois ne détient pas les leviers de commande de l’économie, lesquels demeurent entre les mains des entreprises et des monopoles capitalistes privés. Si l’État bourgeois peut créer des incitatifs financiers (subventions, allègements fiscaux, achats à prix avantageux, etc.) pour encourager tel ou tel secteur de la production, comme l’État canadien l’a fait récemment avec son « Plan canadien de mobilisation du secteur industriel pour lutter contre la COVID-19 », il ne peut pas mettre en place une véritable planification de la production nationale et se rendre maître de l’économie. Par ailleurs, les interventions de l’État bourgeois dans la production se font en versant des sommes d’argent élevées aux capitalistes, sommes d’argent ensuite remboursées en grevant d’impôts et de tarifs le prolétariat et en coupant dans les services qui lui sont destinés. Pour ces raisons, nous n’arrivons pas à fournir ce qu’il faudrait pour faire face au virus, malgré le fait que les forces productives contenues dans la société auraient le potentiel de solutionner le problème. Autrement dit, nous nous trouvons dans la situation absurde suivante : les moyens et les ressources sont devant nous (infrastructures, machines, force de travail, sciences et techniques, etc.), mais nous sommes incapables de les utiliser. Contrairement à ce qui se passe dans la société bourgeoise, l’État prolétarien, sous le socialisme, aura entre ses mains les principaux moyens de production du pays – puisque les capitalistes auront été expropriés par la force et que leurs entreprises auront été nationalisées –, ce qui lui permettra de planifier et de diriger la production à l’échelle de toute la société. En abolissant graduellement les rapports de production capitalistes, les travailleurs pourront enfin commencer à maîtriser les rapports qu’ils entretiennent entre eux dans la production des choses nécessaires à leur vie. À travers la planification socialiste, ils pourront commencer à maîtriser collectivement les conditions de leur existence. Cela veut dire qu’ils pourront agir rationnellement pour faire face à des défis comme celui que nous vivons présentement au lieu d’être forcés de s’adonner à des activités destructrices comme c’est le cas actuellement avec le déconfinement lancé par la bourgeoisie en pleine pandémie.
Pendant que les bourgeois encaisseront les profits, les travailleurs encaisseront la maladie
Loin d’être une nécessité dictée par le Saint-Esprit, le mouvement de déconfinement actuel n’est rien d’autre que le produit des rapports bourgeois de production. Plus précisément, c’est le produit de la nécessité économique, pour les capitalistes, de relancer le processus d’accumulation de profits afin de bien se positionner dans la concurrence internationale, et ce, dans un contexte où les contradictions sont exacerbées et où chaque bourgeoisie lutte plus durement qu’avant pour accaparer les marchés de ses adversaires. Contrairement à ce que le discours bourgeois laisse entendre, la « réouverture » de l’économie n’est pas une fatalité. Comme les guerres ou comme les hausses de prix provoquant des famines, il s’agit du résultat d’actions humaines posées dans des conditions matérielles et historiques déterminées, actions qui pourraient être remplacées par d’autres si la société était transformée.
Alors que les mesures de confinement des mois de mars et d’avril avaient permis de ralentir la pandémie et de limiter les dégâts causés par le virus, le retour forcé au travail risque d’annuler complètement les effets positifs de cette période et d’entraîner une augmentation foudroyante du nombre de morts. Les dernières projections de l’État bourgeois québécois lui-même ont annoncé que le nombre de morts à l’extérieur des CHSLD pourrait, dès le mois de juillet, atteindre 150 par jour uniquement dans le Grand Montréal (un chiffre très élevé considérant que la grande région montréalaise ne compte que 4,1 millions d’habitants et considérant que les décès dans les CHSLD ont composé jusqu’ici l’écrasante majorité de la mortalité due au virus au Québec). Et ce n’est pas étonnant : alors que les autorités bourgeoises ne disposent d’aucun moyen efficace pour protéger la population du virus et alors que celui-ci continue de se répandre et de semer la maladie, la classe dominante a décidé d’en finir avec la seule barrière qui l’empêchait de provoquer un raz-de-marée complet. C’est comme si l’on détruisait délibérément une digue mise en place pour empêcher l’inondation d’un territoire. À Montréal, le déconfinement est à peine commencé, mais déjà, des hôpitaux sont débordés depuis un moment. On a même dû aménager des hôpitaux de fortune en installant des tentes dans des arénas. Des spécialistes bourgeois commencent à dire ouvertement dans les médias que le pire est à venir. Par exemple, le Dr Gerald Evans, directeur médical du contrôle des infections au Kingston Health Sciences Centre, a récemment affirmé que la « seconde vague est inévitable » dans toutes les régions où le déconfinement ira de l’avant.
Nous n’avons pas à accepter de subir passivement les conséquences des actions criminelles de la bourgeoisie. Les choses ne sont pas obligées de se passer comme cela. Nous voulons travailler et produire pour faire vivre la société, mais nous voulons le faire sans avoir à mettre notre vie et notre santé en péril. Ainsi, les événements actuels doivent renforcer notre volonté de lutter pour une autre société, une société où les prolétaires auront le pouvoir et où ils commenceront à être maîtres de leur propre destin. Dans cette société, nous envisagerons le travail avec enthousiasme puisqu’il ne servira plus à engraisser une poignée de parasites bourgeois. Au contraire, il sera organisé rationnellement pour augmenter le bien-être de tous. Cette société a un nom : c’est le socialisme!