COVID-19 : Les écoles rouvrent pour que l’exploitation redémarre

Le 27 avril dernier, le gouvernement Legault annonçait son plan de réouverture des écoles et des garderies dans la province. Le plan prévoyait que les écoles primaires situées à l’extérieur de la région de Montréal allaient rouvrir leurs portes le 11 mai tandis que celles situées dans la grande région métropolitaine allaient le faire une semaine plus tard, soit le 19 mai. Quant aux écoles secondaires, elles allaient demeurer fermées jusqu’au mois de septembre. Par ailleurs, le gouvernement a spécifié que le retour en classe serait « volontaire ». Ces annonces ont suscité énormément d’angoisse parmi les masses prolétariennes de la province. En particulier, elles ont provoqué de nombreuses inquiétudes chez les enseignants et parmi le personnel du réseau de l’éducation. En effet, alors que l’épidémie s’accélère et que le système de santé est déjà aux prises avec de graves difficultés, la réouverture des écoles est vue par de nombreux travailleurs comme complètement irrationnelle, avec raison. La décision était tellement hâtive que le gouvernement s’est même attiré des critiques ouvertes de la part de certains éléments de la bourgeoisie et de la petite-bourgeoisie. Devant la contestation grandissante, le gouvernement a finalement annoncé, le 7 mai, que la réouverture des écoles de la région de Montréal serait reportée au 25 mai. Le gouvernement pourra désormais prétendre « être à l’écoute » et avoir fait preuve de flexibilité. Mais en réalité, ce n’est pas un report d’une semaine qui va changer la donne. Bien que le nouveau calendrier laissera un peu plus de temps au personnel des écoles montréalaises pour se préparer, la stratégie gouvernementale demeure inchangée. Surtout, la situation sera encore sensiblement la même le 25 mai : l’épidémie ne sera vraisemblablement toujours pas sous contrôle, mais le gouvernement forcera néanmoins des milliers d’enfants et d’adultes à entrer à nouveau en contact les uns avec les autres, ce qui aura inévitablement pour effet d’accélérer la propagation du virus.

Pour justifier sa décision, le premier ministre a énuméré cinq raisons : le bien des enfants, le fait que les risques seraient soi-disant limités, le fait que la situation serait sous contrôle dans les hôpitaux, le fait que la Santé publique aurait donné son aval et le fait que « la vie doit continuer ». Mais cette énumération ne servait à rien d’autre qu’à masquer la seule vraie raison derrière la décision de rouvrir les écoles : les enfants des prolétaires doivent être pris en charge pour que leurs parents puissent retourner au travail au plus vite. Bien entendu, le gouvernement ne pouvait pas le dire ouvertement, car cela aurait révélé de manière trop explicite qu’il ne gouverne pas en fonction du bien-être de la population, mais uniquement en fonction des intérêts du capital. Cela aurait également mis en lumière le fait que la réouverture des écoles n’a absolument rien de sécuritaire pour les enfants, pour leurs enseignants et pour les masses populaires en général. En fait, la réouverture des écoles et des garderies s’inscrit dans un programme plus large de réouverture de l’économie et de relance de l’exploitation salariale, programme qui se fonde uniquement sur les intérêts privés des grandes entreprises et que le gouvernement du Québec a adopté indépendamment de l’évolution réelle de l’épidémie. Ce programme est lui-même parfaitement en phase avec le mouvement de déconfinement auquel on assiste partout en Amérique du Nord et en Europe. Dans tous les pays impérialistes, les gouvernements sont poussés par la concurrence internationale à relancer l’économie et à relâcher les mesures qu’ils avaient mises en place pour limiter la propagation du virus, et ce, même si la pandémie est loin d’avoir été endiguée et si le danger est toujours aussi grand qu’avant. En conséquence, les prolétaires sont entraînés vers le désastre. C’est dans ce contexte que le gouvernement Legault a décidé de renvoyer les prolétaires au travail et de renvoyer leurs enfants en classe.


Des inquiétudes légitimes parmi les enseignants, parmi les travailleurs des écoles et au sein des masses en général

Il y a un mois jour pour jour, en quelques heures seulement, une pétition pour le report de la réouverture des écoles au mois de septembre avait récolté 62 000 signatures numériques après que le premier ministre Legault ait seulement évoqué la possibilité d’une réouverture en mai lors du point de presse du 10 avril. Les signataires s’entendaient pour dire que « la vie des enfants et des adolescents » serait mise « en danger » par une telle décision. Les instigateurs de cette pétition clamaient avec beaucoup de lucidité que « la pression économique ne devrait aucunement prendre le dessus sur la santé. » Nombreux sont ceux qui affirmaient refuser que leurs enfants « servent de cobayes » et soient « envoyés au front ». Pierre Avignon, le président du conseil d’établissement de l’école Notre-Dame-de-Grâce, une école primaire montréalaise fréquentée par environ 900 élèves, racontait aux médias qu’« une grosse vague d’émotions […] et d’incompréhension » avait déferlé sur les groupes Facebook de parents d’élèves et que « plusieurs [avaient] peur que ça aille trop vite et qu’on mette des gens à risque. »

Surtout, le plan de réouverture des écoles primaires du gouvernement Legault a provoqué de vives réactions chez les enseignants, en particulier ceux des écoles de la région de Montréal où le virus est actuellement en train de se propager de manière complètement incontrôlée. La confusion générée par les directives gouvernementales, le manque de réponses claires aux questions posées par le retour en classe ainsi que le chaos complet dans lequel la réouverture des écoles s’apprête à se dérouler ont été dénoncés de toutes parts. On a notamment fait valoir que plusieurs consignes ministérielles, telles que l’obligation de respecter une distance de deux mètres entre les personnes, l’application de mesures d’hygiène suffisantes et le respect d’un nombre maximal de 15 élèves par classe, allaient être difficiles, voire impossibles à respecter. De nombreux enseignants se sont mis à avoir peur pour leur santé et pour celle de leurs familles, craignant de devoir travailler dans des conditions non-sécuritaires et sans mesures de protection suffisantes.

Le 27 avril, suite à l’annonce officielle de la réouverture par le gouvernement, la Fédération autonome de l’enseignement (FAE) a émis un communiqué dans lequel on pouvait lire : « La FAE dénonce l’annonce du gouvernement de François Legault de rouvrir graduellement les écoles primaires du Québec ainsi que des centres de formation professionnelle à compter du 11 mai 2020, alors que les enseignantes et les enseignants n’ont pas été consultés et préalablement informés du contenu de ce plan. La FAE rappelle aussi que les avis scientifiques concernant le principe d’immunité collective, sur lequel le premier ministre François Legault lui-même nourrit des doutes, est remis en question et que de trop nombreuses interrogations concernant la sécurité du personnel enseignant et des élèves qui leur sont confiés demeurent sans réponse. » Le président du syndicat, Sylvain Mallette, a également déclaré : « De toute évidence, le premier ministre François Legault développe ce plan depuis un certain temps, alors que les profs n’ont pas été mis à contribution. Dans les faits, le gouvernement du Québec utilise le réseau des écoles primaires publiques et les centres de formation professionnelle pour construire une immunité collective et relancer l’activité économique du Québec. Nous n’accepterons pas que les profs ne soient pas protégés et qu’ils aillent au front sans armure ».

L’une des inquiétudes les plus importantes à avoir été exprimées par les enseignants concerne le fait que ceux vivant avec une personne ayant un facteur de risque (c’est-à-dire souffrant d’une maladie chronique ou ayant un âge avancé) seront néanmoins forcés de retourner au travail, en dépit du fait qu’ils pourraient ramener le virus chez eux et rendre leur proche gravement malade. Si le gouvernement autorise pour l’instant les membres du personnel qu’il juge à risque à ne pas se présenter au travail (cela comprenait au départ les personnes de plus de 60 ans, avant que le gouvernement ne décide au dernier instant de repousser la limite d’âge à 70 ans…), le ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur est clair : « Il n’y a pas de règles d’exemption applicables en raison de la santé des proches ». Les enseignants placés dans cette situation ont tout simplement été affolés par cette décision impitoyable, avec raison. La présidente de l’Alliance des professeures et des professeurs de Montréal, Catherine Beauvais-Saint-Pierre, a dit : « J’ai rarement vu autant d’anxiété et de panique chez les gens. On reçoit une quantité très importante d’appels de gens inquiets pour eux et pour leurs proches ». Le gouvernement prétend qu’il renvoie les prolétaires au travail pour des raisons de « santé mentale » et pour soulager les gens du stress que le confinement induirait prétendument. Mais en vérité, c’est le déconfinement, avec les dangers réels pour la santé qu’il implique, qui provoque une angoisse insupportable parmi les masses populaires.

Bien des enseignants affirment qu’eux-mêmes ne renverront pas leurs propres enfants sur les bancs d’école, craignant les éclosions avec raison. Plus encore, des enseignants ont envoyé des messages aux parents de leurs élèves pour leur faire part des leurs appréhensions et parfois même pour leur faire comprendre qu’ils désapprouvaient tout simplement l’idée de rouvrir les écoles. Par exemple, certains parents ont été avisés que le retour en classe allait se faire dans un contexte « contraignant », d’autres se sont carrément fait suggérer de garder leurs enfants à la maison. Aussi, plusieurs ont déclaré qu’il allait être impossible d’offrir des conditions d’apprentissage convenables aux élèves – ce qui contribue à démontrer que le retour en classe n’est pas réellement motivé par le désir de venir en aide aux élèves dans le besoin, comme le prétend le gouvernement. Par exemple, dans une lettre publiée dans le journal Le Soleil, une enseignante du secondaire a écrit ce qui suit pour critiquer la décision de rouvrir les écoles : « Aide aux élèves en difficulté : mes collègues du primaire feront sûrement des miracles comme d’habitude, mais en restant à deux mètres, sans toucher les feuilles et les crayons des élèves, sans manipulations? […] Désinfection des surfaces : elle sera faite par qui? Les concierges? Ils étaient déjà débordés avant la pandémie. Les enseignants? Pendant ce temps, ils n’enseigneront pas, ne surveilleront pas les élèves et n’aideront pas les élèves en difficulté. […] De plus, une école sans éduc, sans musique, presque sans arts (le matériel doit être partagé), sans bibliothèque, sans récré, sans travail d’équipe… Est-ce vraiment bon pour la motivation scolaire? »

Rapidement, les enseignants et leurs syndicats ont été accusés d’entraver le processus de réouverture des écoles, de faire preuve d’égoïsme et de nuire à la population. Le gouvernement a commencé à marteler l’idée que tout le monde devait se mettre « en mode solution », laissant entendre de manière à peine voilée que les enseignants et leurs syndicats faisaient du sabotage. Cette charge anti-syndicale n’était pas sans rappeler celle que le premier ministre avait lancée dans les semaines précédentes en affirmant que les centrales syndicales étaient responsables de la faible rémunération des préposées aux bénéficiaires. Les médias bourgeois ont également pris part aux attaques contre le mouvement syndical. Par exemple, le journal La Presse a publié un texte dénonçant ouvertement les syndicats d’enseignants et les accusant de manquer de solidarité envers le reste de la société, entre autres parce qu’ils revendiquent des mesures de protection élémentaires pour leurs membres! Ce climat d’anti-syndicalisme alimenté par le gouvernement ne sert à rien d’autre qu’à affaiblir la capacité des travailleurs à résister aux plans réactionnaires de l’État bourgeois. En effet, en attaquant les syndicats, le gouvernement s’en prend à la forme organisée de la contestation prolétarienne, celle qui est la plus à même, en ce moment, de nuire aux objectifs et aux intérêts de la bourgeoisie. Il ne faut donc pas tomber dans le panneau. En vérité, les enseignants ont parfaitement raison de dénoncer, à travers leurs syndicats, les conditions non-sécuritaires dans lesquelles ils vont être forcés de travailler. Ce n’est pas faire preuve d’égoïsme, bien au contraire : c’est lutter pour des revendications qui correspondent aux intérêts de l’ensemble des prolétaires, lesquels seront tous contraints, dans les semaines et les mois à venir, de travailler dans des conditions ultra-dangereuses en raison de l’épidémie. En fait, puisque la réouverture des écoles ne sert en rien le bien-être des masses et constitue même un grave danger pour leur santé, les enseignants auraient même raison de saboter complètement le processus de réouverture si le rapport de forces leur permettait de le faire. Cela serait non seulement dans leur intérêt particulier, mais également dans celui de tous les travailleurs de la province.

Le personnel de soutien dans les écoles a également été très ébranlé par l’annonce de la réouverture. Nombreux sont les secrétaires, les surveillantes, les concierges et les cuisiniers qui craignent pour leur sécurité. Les chauffeurs d’autobus scolaires ont aussi participé à la levée de boucliers sans précédent que cette annonce controversée a suscitée. Hélène Thibault, une chauffeuse d’autobus de 61 ans, présidente d’un syndicat de chauffeurs d’autobus dans la région de Québec, en s’adressant aux médias, disait : « On le voit avec les CHSLD, les gens tombent comme des mouches. On ne veut pas qu’il nous arrive la même chose. […] Il y a des chauffeurs qui parlent de ne pas revenir. On ne veut pas mettre notre vie en jeu. » Selon des données de 2015, la moitié des chauffeurs d’autobus scolaires au Québec avait plus de 55 ans et 14% avait atteint l’âge officiel de la retraite, soit 65 ans, ce qui représentait environ 1 400 travailleurs. Pour sa part, le syndicat des Teamsters rappelait que le tiers des 1 500 chauffeurs d’autobus qu’il représente avait 60 ans et plus et que 20% de leurs membres étaient des mères monoparentales qui ne pouvaient courir le risque d’être infectées et de ne plus pouvoir prendre soin de leurs enfants à charge. Stéphane Lacroix, le directeur des communications des Teamsters indiquait qu’ils recevaient « beaucoup d’appels de [leurs] membres qui exprim[ai]ent de l’incertitude et de l’inquiétude. » Il se disait aussi préoccupé pour les chauffeurs de berlines scolaires qui doivent approcher leurs passagers, notamment pour boucler leur ceinture de sécurité à bord des véhicules. À l’offensive, Stephen Gauley, le président du secteur scolaire de la Fédération des employées et employés de services publics (FEESP-CSN) qui représente pas moins de 3 000 chauffeurs d’autobus scolaires affirmait que « [s]i les équipements ne sont pas disponibles, pensez-y même pas! » et ajoutait qu’« [i]l faut que les gens se sentent en sécurité lorsqu’ils retourneront travailler. » Le 28 avril, Stephen Gauley déplorait que dans la documentation fournie par le ministre de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur sur l’imminent retour en classe, il n’y avait « qu’une ligne qui s’adress[ait] à eux », soit la consigne d’asseoir un élève par banc en utilisant un banc sur deux et de concevoir une zone de protection pour le chauffeur, sans plus. Devant ce peu de considération, Stephen Gauley ajoutait : « C’est tout ce que l’on a. On est très déçu. [On aurait aimé] les masques, les visières et les gants, si on doit intervenir. S’assurer qu’il y ait du désinfectant pour les chauffeurs, mais aussi pour les élèves. »

« Garder » les enfants des prolétaires pour que leurs parents puissent recommencer à travailler

Le gouvernement Legault essaie de nous faire croire que sa décision de rouvrir les écoles a été prise pour le bien de la population en général et pour celui des enfants en particulier, mais il s’agit d’un prétexte complètement fallacieux. En fait, voici ce qui est réellement en train de se produire. Depuis la fin du mois d’avril, la bourgeoisie québécoise et son exécutif gouvernemental ont lancé une vaste opération pour relancer l’économie nationale et redémarrer la machine à profits dans la province. Le moment choisi pour déclencher cette opération n’avait évidemment rien à voir avec la progression objective de l’épidémie au Québec, laquelle n’a jamais été aussi avancée qu’en ce moment. Il n’avait rien à voir non plus avec l’évolution des moyens à la disposition des autorités pour lutter contre le virus (par exemple la quantité de masques dans la province, la quantité d’écouvillons disponibles pour effectuer des tests ou encore l’état dans lequel se trouve actuellement le réseau de la santé), lesquels demeurent encore largement insuffisants pour protéger adéquatement la population. En fait, la progression réelle du virus demanderait qu’on prolonge encore longtemps les mesures de confinement adoptées au mois de mars. C’est ce qui arriverait si la société était organisée rationnellement en fonction des besoins de la population. Mais ce n’est pas cela qui est en train de se passer. Les capitalistes sont en train de « rouvrir l’économie » sans se soucier le moindrement des conséquences pour la santé des masses populaires. Ils le font uniquement pour servir leurs propres intérêts et ils le font maintenant parce que c’est ce qu’en a décidé l’affrontement économique entre les grandes entreprises, un jeu dont les règles sont fixées par des impératifs qui n’ont rien à voir avec le bien-être de la majorité de la population.

L’opération de relance économique déclenchée par la bourgeoisie implique évidemment de forcer le retour au travail des centaines de milliers de prolétaires qui avaient été confinés à domicile pour limiter la propagation du virus. En fait, il s’agit même du cœur de l’opération : les travailleurs doivent recommencer à créer des richesses pour que les capitalistes puissent recommencer à engranger des profits. Le but n’est pas de permettre à tout le monde de reprendre « une vie normale » (ce qui, de toute façon, n’arrivera pas tant que durera la pandémie), mais bien de redémarrer l’exploitation des ouvriers. Or, si les écoles primaires et les garderies demeurent fermées, un grand nombre de travailleurs seront obligés de rester à la maison pour s’occuper de leurs enfants. C’est uniquement pour cette raison que le gouvernement renvoie les enfants en classe : pour que les enfants des prolétaires se fassent « garder » pendant que leurs parents retournent au travail. D’ailleurs, ce n’est pas un hasard si la réouverture des écoles est presque parfaitement synchronisée avec celle des entreprises « non-essentielles ». En effet, certains magasins situés à l’extérieur de la région montréalaise ont repris leurs activités le 4 mai. Et c’est le 11 mai, soit le jour de la réouverture des écoles à l’extérieur de la région métropolitaine, qu’était prévue la réouverture de toutes les entreprises manufacturières, de tous les chantiers de construction encore fermés ainsi que des commerces montréalais ayant une entrée extérieure (avant que la réouverture des commerces de la métropole ne soit reportée une première fois au 18 mai et une deuxième fois au 25 mai).

L’objectif actuellement poursuivi par l’État bourgeois, soit celui de permettre aux prolétaires qui ont des enfants de retourner travailler, explique pourquoi les écoles secondaires resteront fermées, en dépit du fait que le gouvernement prétend se soucier de l’apprentissage des élèves en difficulté. En effet, les adolescents sont généralement capables de « se garder » eux-mêmes et leurs parents n’ont pas besoin qu’ils retournent en classe pour pouvoir s’absenter de la maison. Cela dit, on apprenait vendredi dernier que les écoles secondaires spécialisées qui prennent en charge des adolescents présentant une déficience intellectuelle ou physique devront rouvrir leurs portes en même temps que les écoles primaires. Or, ces établissements s’occupent justement d’élèves ayant un niveau d’autonomie inférieur à celui des jeunes de leur âge et dont une bonne partie ne peuvent pas être laissés seuls à la maison – ce qui constitue une preuve supplémentaire que le plan de réouverture des écoles ne vise à rien d’autre qu’à « libérer » les parents pour qu’ils retournent au travail. Soulignons au passage que le personnel des écoles en question (qui représentent tout de même 45 établissements dans la province) n’ont été avisés que quatre jours (!) avant la date de la réouverture hors Montréal, ce qui montre à quel point le ministère de l’éducation est déconnecté de la réalité sur le terrain et à quel point il se fiche des besoins des prolétaires et de leurs enfants. Cela montre aussi le peu de respect qu’il accorde aux enseignants qu’il envoie présentement au front.

Concernant le fait que le retour en classe sera « volontaire », il s’agit également d’un élément montrant que l’objectif actuellement poursuivi par le gouvernement est de renvoyer les prolétaires au travail et non pas de favoriser le « bien des enfants ». En effet, bien que le retour en classe soit formellement optionnel, le retour au travail, lui, ne l’est pas. Pour un prolétaire, le refus de se présenter au travail après avoir été rappelé par son employeur sera considéré comme un « départ volontaire », ce qui signifiera, entre autres, la fin de l’accès à la Prestation canadienne d’urgence (PCU), et donc la perte de toute forme de revenu. Cela pourrait également entraîner la perte définitive d’un emploi. Le ministre du Travail du Québec, Jean Boulet, a été clair à ce sujet : « Si la personne n’a pas de motifs raisonnables, c’est sûr que ça fragilise la relation, puis il y a des employeurs qui pourraient considérer la personne comme quittant volontairement son emploi ». C’est donc dire qu’en réalité, sauf exceptions, seuls les bourgeois et les petits-bourgeois qui font du « télétravail » ou qui vivent des revenus tirés de leur capital auront réellement le choix de renvoyer ou non leurs enfants à l’école. Et on peut parier que les plus conscients d’entre eux ne le feront pas, sachant que les risques sont bien trop élevés. D’ailleurs, si le retour en classe est sécuritaire et qu’il est nécessaire au bien-être des enfants, pourquoi est-il volontaire et non obligatoire?

Les actions récentes du gouvernement Legault ne sont pas surprenantes. En effet, prendre en charge les enfants des prolétaires durant le jour pour que leurs parents soient « libres » d’aller se faire exploiter à l’usine est l’une des raisons d’être de l’école publique sous le capitalisme. L’utilisation du réseau des écoles comme appareil de « gardiennage » à grande échelle n’est pas une « anomalie » produite par l’épidémie. Au contraire, la crise ne fait que révéler au grand jour l’un des rouages de la société bourgeoise, à savoir celui de la reproduction « socialisée » de la force de travail à travers les institutions d’enseignement publiques. Historiquement, la bourgeoisie ne pouvait pas laisser dans la sphère privée, c’est-à-dire dans la famille, la prise en charge et l’instruction des enfants, car elle avait besoin d’une force de travail disponible pendant une grande partie de la journée. Elle a donc mis sur pied des établissements où cette tâche allait être accomplie collectivement par des employés salariés, sous la direction de l’État bourgeois et à ses frais. Bien sûr, ces établissements n’allaient pas seulement servir à « libérer » les travailleurs du fardeau de s’occuper de leurs enfants. En effet, l’école publique a également pour fonction de former les futurs ouvriers, c’est-à-dire de les habituer à un certain degré de discipline et de leur inculquer le peu de connaissances nécessaires pour qu’ils soient éventuellement aptes à mettre en œuvre les moyens de production de l’époque dans laquelle ils se trouvent. En complément, elle sert aussi, quoique de manière secondaire, à inculquer aux enfants l’idéologie bourgeoise (compétition, individualisme, respect des figures d’autorité de la bourgeoisie, respect de la démocratie bourgeoise, etc.), non seulement à travers le contenu des programmes fixés par l’État bourgeois, mais également à travers le fonctionnement même de l’institution (par exemple, à travers les examens). Cela dit, la crise actuelle révèle que la fonction la plus immédiate de l’école publique, celle dont les capitalistes peuvent le moins se passer à court terme, c’est la garde des enfants. Tout le reste peut être temporairement écarté; la transmission de connaissances peut être interrompue ou entravée; mais les enfants doivent néanmoins continuer à être rassemblés dans des bâtisses publiques pour y être surveillés par des adultes payés pour le faire, et ce, afin que leurs parents continuent à être disponibles pour se rendre au travail. Pour la bourgeoisie, les conditions dans lesquelles s’effectuent ce « gardiennage » à grande échelle importent peu, en autant que l’appareil soit en place et qu’il « fonctionne ». On le voit plus clairement que jamais en ce moment : même si la situation dans les écoles sera complètement chaotique, même si la santé des enfants sera mise en jeu avec le retour en classe et même si les enseignants et les autres membres du personnel courront un grave danger, la réouverture va quand même de l’avant puisque les capitalistes ont absolument besoin de leur main-d’œuvre.

D’ailleurs, les mauvaises conditions qui prévalent dans les écoles publiques ne datent pas d’hier. En temps normal, les classes sont surchargées et les ressources sont manquantes. Les enseignants sont submergés de tâches. À bien des endroits, les bâtiments sont en mauvais état et les équipements sont endommagés. Plusieurs écoles sont aux prises avec des problèmes de moisissure. On apprenait même récemment que l’eau des fontaines d’un nombre important d’écoles primaires de la province contiennent des quantités de plomb très élevées et qu’elle est toxique pour les enfants. Et la liste pourrait s’allonger encore longtemps. Même si elle en aurait les moyens, la bourgeoisie n’agit pas pour régler tous ces problèmes parce que ceux-ci ne compromettent pas ses objectifs fondamentaux. En effet, les enfants des prolétaires sont tout de même pris en charge, ce qui permet à leurs parents d’aller travailler. Et au bout du compte, les capitalistes continuent de disposer d’un bassin de prolétaires ayant un niveau de formation suffisant pour être capables d’accomplir les différentes tâches dans le procès social de travail et de production. La bourgeoisie n’a donc aucun intérêt matériel à améliorer les conditions dans lesquelles sont placés les enfants des prolétaires et leurs enseignants. En fait, bien que ce soit probablement déjà le but poursuivi par la vaste majorité des professeurs, faire des écoles des lieux pleinement émancipateurs, au service du peuple, ne pourra être accompli que dans une société où l’exploitation et les classes sociales auront été supprimées. En attendant, l’école publique demeurera, malgré la volonté des enseignants de contribuer au bien-être des élèves, un outil entre les mains de la classe dominante pour exploiter le prolétariat – comme toutes les institutions de la société bourgeoise.

Les enfants, leurs enseignants ainsi que l’ensemble des prolétaires sont traités comme des cobayes

En plus de son volet pratique, l’opération de relance économique enclenchée par la bourgeoisie comporte aussi un volet propagandiste. Les capitalistes doivent convaincre les prolétaires que la réouverture des entreprises et des écoles est non seulement sécuritaire, mais qu’elle est même nécessaire d’un point de vue sanitaire. C’est ainsi que le gouvernement Legault a lancé une campagne de « communication » intensive pour garder la confiance des masses populaires et pour les persuader de renvoyer leurs enfants à l’école et de retourner au travail, malgré le fait qu’il avait insisté dans les semaines précédentes sur la dangerosité du virus et sur la nécessité absolue de rester confinés à la maison. On apprenait récemment que l’État bourgeois québécois se préparait à dépenser jusqu’à 45 millions de dollars dans les prochains mois, non pas pour acheter du matériel médical, mais pour embaucher une agence de communication dans le but relayer des messages publicitaires visant à « rassurer » la population. Dans son appel d’offres, le ministère du Conseil exécutif stipule que « l’assouplissement des mesures restrictives mises en place pour se protéger et protéger les autres pendant la pandémie pourrait créer de vives inquiétudes au sein de la population » et qu’« il faut conserver la confiance de la population envers les actions gouvernementales tant au regard de la santé publique que de la reprise des activités normales. » Les autorités bourgeoises sont donc parfaitement conscientes du fait que ce qu’elles demandent aux prolétaires est contraire à la raison et elles savent très bien que la pilule sera difficile à faire passer. En plus de ces millions de dollars en publicité, le gouvernement dépense également des centaines de milliers de dollars depuis le début de l’état d’urgence pour sonder la population et évaluer son niveau d’adhésion aux plans gouvernementaux. L’Institut national de santé publique (INSPQ) a par exemple accordé le 7 avril un contrat de gré à gré de 828 000 dollars à la firme Léger. Le ministère du Conseil exécutif a quant à lui accordé un contrat de gré à gré de 500 000 dollars à la firme SOM dès le début de la crise, le 10 mars, afin de « mesurer, en temps réel, la portée et la compréhension des messages de santé publique » et « afin d’ajuster les stratégies de communication et de peaufiner les messages ». Par ailleurs, pour donner de la crédibilité à ses mots d’ordre, le gouvernement est allé cherché l’appui de différentes forces dans la société, notamment l’Association des Pédiatres du Québec, laquelle a fait une sortie publique dans les jours précédant l’annonce de la date de réouverture des écoles pour convaincre les parents que le retour à l’école était nécessaire pour le développement des enfants. Le gouvernement a également fait appel à certains spécialistes bourgeois « vedettes » qui interviennent dans les médias depuis le début de la crise, comme par exemple la Dre Caroline Quach-Thanh, qu’on peut maintenant voir apparaître dans des publicités télévisées dans lesquelles elle nous assure que le retour en classe est sans dangers. Finalement, les grands médias bourgeois comme Radio-Canada ont évidemment suivi les décisions gouvernementales et se sont mis à présenter la réouverture actuelle des entreprises et des écoles comme quelque chose allant de soi et ne pouvant pas être remis en question.

Pour justifier sa décision de déconfiner la population, le gouvernement du Québec a d’abord misé sur le concept de « l’immunité collective naturelle ». Dans les jours précédant l’annonce de la date de réouverture des écoles, le premier ministre Legault a déclaré que l’atteinte de « l’immunité collective » était un objectif prioritaire de santé publique. L’objectif avoué du gouvernement était alors le suivant : les masses populaires allaient devoir être exposées progressivement au virus, et ce, jusqu’à ce qu’autour de 70% des gens finissent par avoir été infectés. De cette façon, la société dans son ensemble allait soi-disant finir par être immunisée et pourrait se remettre à fonctionner normalement. Le gouvernement avait même planifié la séquence de contamination de la population et avait décidé, en se basant sur les données actuellement disponibles selon lesquelles les enfants seraient moins vulnérables à la maladie, que ceux-ci seraient infectés en premier! Le 10 avril dernier, les propos de Horacio Arruda étaient sans équivoque : « Les jeunes qui pourraient attraper la maladie avec presque pas de symptômes, c’est comme si on les vaccinait. C’est la vaccination naturelle qui va s’installer. Et c’est important, dans la société, qu’une certaine partie de la population soit vaccinée. » Le « détail » que le gouvernement n’avait alors pas mentionné, c’est que l’infection de 70% de la population du Québec allait potentiellement entraîner des dizaines de milliers de morts si l’on se fie au taux de létalité estimé du virus, en plus du nombre encore plus élevé de personnes qui allaient tomber gravement malades! Plus encore, les scientifiques n’ont même pas prouvé que le fait d’avoir contracté le virus permet de développer une immunité durable. La manœuvre du gouvernement Legault était tellement peu subtile que celui-ci a été obligé de se rétracter quelques jours plus tard, sous la pression du gouvernement fédéral. Au moment de l’annonce de la date de réouverture des écoles, le premier ministre Legault a donc sorti de son chapeau cinq nouvelles justifications et a essayé de nous faire oublier que la stratégie de « l’immunité collective » était l’orientation officielle de la Santé publique moins d’une semaine plus tôt. Une contradiction aussi grave dans le discours de l’État bourgeois devrait suffire à nous convaincre que les nouvelles raisons invoquées pour rouvrir les écoles ont été inventées ad hoc pour sauver les meubles et qu’elles sont complètement malhonnêtes. La vérité, c’est que les autorités savent très bien que le déconfinement, aussi « progressif » soit-il, va provoquer une accélération de l’épidémie et qu’elles se préparent en conséquence à ce qu’une large fraction de la population soit infectée – et ce, malgré qu’elles insistent encore sur l’importance de la « distanciation sociale », une mesure qui, dans les faits, est pratiquement inapplicable dans les écoles, dans les garderies et dans bien des milieux de travail. Les autorités savent également que cette accélération de l’épidémie va rendre malades un très grand nombre de personnes et va causer la mort de milliers d’entre elles. D’ailleurs, les données des nouvelles projections émises le 28 avril par le Groupe de recherche en modélisation mathématique et en économie de la santé liée aux maladies infectieuses dirigé par Marc Brisson, et qui sont disponibles sur le site de l’Institut national de santé publique, en témoignent. Or, le gouvernement fait preuve d’une opacité de plus en plus grande, évitant par exemple de mentionner le nombre de morts annoncé par les projections, réduisant la fréquence de ses points de presse et tentant de nous convaincre que les risques sont contrôlés.

L’idée que la réouverture des écoles serait pratiquement sans dangers est l’une des cinq raisons que le gouvernement a invoquées pour justifier sa décision. Le ministre de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur, Jean-François Roberge, affirmait le 10 mai, sur le plateau de l’émission Tout le monde en parle, qu’il ordonne la réouverture des école au nom de la science. Le gouvernement martèle que seules les personnes âgées sont à risque et que les enfants ne sont presque pas affectés par le virus, une affirmation trompeuse qui cache une grande partie de la réalité. D’abord, il faut préciser que les effets réels du virus SARS-CoV-2 sur le corps humain sont encore très mal compris et que de nouvelles données émergent constamment, remettant en question ce qu’on prenait pour acquis quelques temps auparavant. Entre autres, les conséquences à moyen et à long terme de la COVID-19 sont encore inconnues, pour la simple raison que le virus est nouveau et qu’on manque de recul. Or, il est possible que le virus puisse laisser des séquelles. Par exemple, un article publié dans la revue Brain, Behavior, and Immunity par trois chercheurs américains de l’université de Californie à San Diego a alerté sur les potentiels effets neurologiques à long terme chez les patients infectés. Les chercheurs rappelaient que les données sur des épidémies virales respiratoires antérieures, par exemple celle du SARS-CoV-1 en 2002 et celle du MERS-CoV en 2012, ont montré des taux plus élevés de narcolepsie, de crises d’épilepsie, d’encéphalite et d’autres affections neuromusculaires chez les patients qui avaient été infectés. Suzi Hong, l’auteure principale de la publication, souligne que « des rapports font déjà état de symptômes aigus associés au système nerveux central chez les personnes touchées par la COVID-19, notamment une plus grande incidence d’accidents vasculaires cérébraux chez les patients gravement infectés à Wuhan, en Chine, ainsi que des cas de délire et de perte des sens de l’odorat et du goût ». Selon la publication, les conséquences neurologiques de la COVID-19 ne sont pas encore connues, mais elles pourraient être importantes et durer des années. Par ailleurs, des médecins s’inquiètent également des effets à long terme du virus sur d’autres parties du corps, craignant par exemple que la COVID-19 puisse entraîner des lésions pulmonaires ou cardiaques durables. Rien n’est encore sûr, mais dans les circonstances actuelles, ne pas prendre de précautions et exposer délibérément la population au virus revient tout simplement à jouer à la roulette russe avec la santé des prolétaires.

Concernant l’argument que le virus n’est dangereux que pour les personnes âgées, nous disposons déjà de données suffisantes pour savoir que c’est tout simplement faux. Bien que les risques de développer des complications suite à une infection au virus et d’en mourir semblent effectivement augmenter avec l’âge, les adultes plus jeunes sont loin d’être à l’abri des dangers de la COVID-19. Mais d’abord, il convient de mentionner que même des personnes « âgées » seront obligées de retourner travailler avec la réouverture des écoles. En effet, alors que l’État bourgeois avait d’abord fixé à 60 ans la limite d’âge au-delà de laquelle il estimait le retour au travail dangereux (puisqu’on observe effectivement une augmentation notable des décès chez les patients dans la soixantaine), il vient magiquement de la repousser à 70 ans, après avoir évalué qu’on allait manquer de personnel dans les écoles! Et après ce coup de baguette magique, on essaie encore de nous faire croire que la Santé publique est parfaitement indépendante et que l’exécutif gouvernemental ne fait que se soumettre à ses recommandations… Mais revenons au cas des jeunes adultes. Il suffit de jeter un œil aux statistiques disponibles sur les hospitalisations et la fréquentation des unités de soins intensifs pour se convaincre que leur santé est également menacée par le virus. Par exemple, selon des données dévoilées à la demande du journal Le Devoir par le Ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec, entre la fin février et le 28 avril, près de 70% des patients qui ont été traités aux soins intensifs en raison de la COVID-19 et qui y ont survécu avaient entre 19 et 70 ans. Selon l’article rapportant ces statistiques, « sur les 632 patients gravement atteints de la COVID-19 admis et souvent intubés dans les unités de soins intensifs, 385 avaient entre 41 et 70 ans. Du lot, 37 n’ont pu être sauvés. Une soixantaine de patients de cette tranche d’âge sont aussi décédés dans d’autres unités des hôpitaux. Pas moins de 46 patients de moins de 41 ans ont séjourné aux soins intensifs et un petit nombre — que le MSSS refuse de dévoiler pour des raisons de confidentialité — n’a pas survécu. » Des données compilées par Santé Canada pour l’ensemble du pays avaient également révélé qu’au 30 mars, près de 40% des patients hospitalisés en raison de la COVID-19 avaient moins de 60 ans, 28% avaient entre 40 et 59 ans et 10% avaient moins de 40 ans. Au Québec, une préposée aux bénéficiaires de 31 ans et une travailleuse sociale de 33 ans sont décédées de la COVID-19. Aussi, un adjoint administratif du CHSLD Providence Saint-Joseph âgé dans la quarantaine en est également mort. Par ailleurs, des liens commencent à être établis entre l’infection au virus et la formation de caillots de sang, y compris chez de jeunes patients en bonne santé. À New York, des médecins ont observé une augmentation inquiétante, potentiellement liée au coronavirus, de cas d’accidents vasculaires cérébraux graves chez des patients en parfaite santé âgés dans la trentaine et dans la quarantaine. Cela dit, même si des jeunes en bonne santé pourraient être gravement atteints par la maladie, il semble de plus en plus clair que le fait de souffrir de maladies chroniques, comme par exemple l’hypertension, le diabète et les problèmes cardiovasculaires, augmenterait considérablement les chances de développer des complications graves et d’en mourir. Or, une fraction considérable de la population adulte souffre de tels problèmes de santé. Par exemple, en 2013-2014, une enquête a montré que 17,3% de la population québécoise âgée de 12 ans et plus souffrait d’hypertension, 6,9% de diabète et 5,4% de maladies cardiaques. C’est donc dire qu’au moins 17,3% des personnes âgées de plus de 12 ans (soit près d’une personne sur cinq dans cette vaste tranche de la population) courent des risques importants de mourir du virus si elles l’attrapent!

Attardons-nous maintenant sur le cas des enfants. Le gouvernement laisse entendre que ceux-ci n’ont pratiquement aucune chance de développer des symptômes sévères après avoir été infectés par le virus. Or, s’il est vrai que les données actuelles semblent montrer que les enfants sont moins enclins à tomber gravement malades, il ne faut pas en conclure que cela n’arrive pas. D’ailleurs, dans une étude dont les résultats ont été publiés dans le journal Pediatrics Researchers, des chercheurs chinois ont retracé 2 135 enfants infectés en Chine et ont noté que 6% d’entre eux avaient eu des symptômes « sévères » ou « critiques » (contre 18,5% chez les adultes, selon la même étude). Sur le lot, un enfant était même décédé. Ce pourcentage de 6% peut paraître faible, mais sur l’ensemble des élèves susceptibles de contracter le virus avec le retour en classe, cela pourrait quand même représenter un nombre d’enfants important. Pourquoi le gouvernement ne mentionne-t-il pas ces données? Par ailleurs, des médecins britanniques, français, américains et canadiens ont commencé dernièrement à s’inquiéter de l’apparition de symptômes inflammatoires graves (s’apparentant à la « maladie de Kawasaki ») chez plusieurs enfants hospitalisés, symptômes qui pourraient être liés au SARS-CoV-2. Même si le lien avec le virus n’a pas encore été établi formellement, plusieurs scientifiques jugent l’hypothèse tout à fait plausible. Dans l’État de New York, des dizaines de cas d’enfants présentant de tels symptômes ont été rapportés jusqu’à maintenant et au moins trois d’entre eux (dont un qui avait cinq ans) en sont morts. À Montréal, des cas ont également été rapportés. Une pédiatre spécialiste des maladies infectieuses à l’hôpital Sainte-Justine, la Dre Fatima Kakkar, a indiqué récemment que la COVID-19 pourrait être la cause de plus d’une dizaine de cas associés au syndrome de Kawasaki dans l’établissement, soulignant que ces cas avaient été signalés en l’espace de trois ou quatre semaines et qu’il est plutôt inhabituel d’en constater autant en si peu de temps. Et rappelons qu’à New York comme à Montréal, ces cas surviennent dans un contexte où les écoles sont encore fermées et où les gens sont confinés chez eux! S’il n’est pas encore prouvé que le virus est en cause, le moins qu’on puisse dire est que la plus grande prudence serait de mise. Surtout, rappelons qu’une grande partie des effets du SARS-CoV-2 sur la santé des êtres humains sont encore inconnus. Par ailleurs, même si les risques que les enfants développent des symptômes importants suite à l’infection au virus étaient inexistants, cela ne voudrait pas dire qu’ils ne pourraient pas transmettre la maladie aux adultes (à leurs enseignants, à leurs éducatrices, à leurs parents, etc.) et contribuer à une accélération importante de l’épidémie. On a laissé entendre dernièrement que les enfants ne constituaient pas des vecteurs de transmission. Mais la vérité est que la question n’a pas encore été tranchée par les scientifiques. Certaines données tirées d’études épidémiologiques ont montré qu’on trouvait peu (ou pas) d’enfants dans les chaînes de transmission, mais certains scientifiques disent que cette observation est simplement liée au fait que les enfants sont confinés à la maison et ont très peu de contacts (encore moins que les adultes) avec d’autres personnes. Par ailleurs, dans une étude allemande menée par le chercheur Christian Drosten et portant sur la charge virale des porteurs du SARS-CoV-2, les chercheurs n’ont pas relevé de différence entre la charge virale des enfants porteurs du virus et celle des adultes, ce qui laisserait entendre que les enfants seraient potentiellement aussi contagieux que les adultes. Mais l’étude était limitée et le nombre de cas d’enfants étudiés était trop faible pour le prouver. Bref, la question demeure sans réponse claire. Mais une chose est sûre : il n’y a rien qui démontre que les enfants seraient des vecteurs de transmission moins importants que les adultes. La réouverture des écoles primaires, dans les circonstances, est hautement imprudente. En agissant ainsi, l’État bourgeois québécois traite ni plus ni moins les enfants des prolétaires et leurs enseignants comme des cobayes.

Un mouvement de déconfinement unifié à l’échelle internationale

La décision du gouvernement Legault de rouvrir les écoles de la province dès la mi-mai était tellement « audacieuse » qu’elle a provoqué – en plus de la contestation qui s’est développée au sein des masses populaires – une opposition au sein de certains secteurs de la bourgeoisie et de la petite-bourgeoisie québécoise et canadienne. Par exemple, les Commissions scolaires anglophones de Montréal ont ouvertement défié le gouvernement Legault et ont annoncé qu’elles allaient décider elles-mêmes de la date de réouverture de leurs écoles (avant de se faire répondre par le gouvernement que cette décision ne relevait pas d’elles). Dans le reste du Canada, le premier ministre Legault s’est fait attaquer dans les médias pour sa gestion de la relance économique. Aussi, même au Québec, certains commentateurs politiques bien en vue, comme Michel C. Auger, se sont mis à émettre des critiques envers le gouvernement. Selon ces commentateurs, la réouverture des écoles serait « prématurée ». Il est vrai que la manœuvre actuelle du gouvernement du Québec est particulièrement agressive. En effet, le Québec est la province qui compte le plus grand nombre de morts et de loin (sur les 4 871 décès que comptait le Canada en date du 10 avril, 2 928 se trouvaient au Québec), tout en étant la seule à avoir annoncé le retour des élèves en classe avant la fin de l’année scolaire – si l’on exclut la Colombie-Britannique qui envisage une réouverture partielle des écoles primaires en juin. Mais la critique bourgeoise ne s’attarde généralement qu’à la réouverture des écoles en tant que telle et elle ne porte que sur le calendrier adopté par le gouvernement Legault. Dans certains cas, on accuse simplement le gouvernement de manquer de transparence, mais on ne remet pas en question les orientations qui ont été prises.

Or, si l’on veut réellement s’opposer aux manœuvres réactionnaires de la bourgeoisie québécoise, on ne peut se contenter de critiquer les « décisions récentes du gouvernement Legault », comme s’il s’agissait d’erreurs, de choix mal avisés ou encore de problèmes d’orientation politique et idéologique. Si l’on s’en tient à cela, on en vient inévitablement à opposer différentes tactiques bourgeoises entre elles au lieu de défendre le point de vue prolétarien. En d’autres mots, on en vient inévitablement à accepter l’offensive générale que les différentes bourgeoisies impérialistes ont lancé au lieu de s’y opposer radicalement. Bien que certains États capitalistes soient plus agressifs que d’autres et bien qu’il y ait une situation particulière dans chaque pays, c’est cette offensive générale, internationale, qu’il faut mettre en lumière et dénoncer. Plus encore, il faut comprendre que cette offensive est le produit non pas d’un complot machiavélique ou encore d’une erreur de jugement généralisée à l’ensemble des gouvernements, mais bien de conditions matérielles et économiques précises, conditions auxquelles aucun État bourgeois ne peut échapper. Pour le résumer simplement, le mouvement de déconfinement unifié auquel on assiste est le produit des rapports de production capitalistes et de la concurrence internationale. Les différentes bourgeoisies impérialistes, qui avaient implicitement convenu d’une « trêve » à la mi-mars pour combattre le virus sur leurs territoires respectifs, sont désormais engagées dans une course pour relancer leurs économies nationales et accaparer les marchés de leurs adversaires. Les grandes entreprises capitalistes doivent repartir la production au plus vite, sous peine de se faire « voler » leurs parts de marchés par leurs concurrents, voire de se faire racheter par le capital étranger. Les profits doivent recommencer à s’accumuler et les coffres des entreprises doivent se remplir à nouveau, sans quoi elles n’auront pas les munitions nécessaires pour faire face aux compagnies adverses. Chaque gouvernement se retrouve ainsi poussé à déconfiner sa population plus rapidement que les autres, peu importe les risques pour la santé publique et sans aucune considération pour la vie des prolétaires. Cette nécessité s’impose aux États capitalistes comme une loi implacable, indépendante de la volonté des différents politiciens bourgeois (ce qui ne veut pas dire que leur participation pleinement assumée à ce jeu sordide est moins criminelle pour autant). C’est dans ce contexte que les actions du gouvernement du Québec doivent être replacées si on veut bien les comprendre et ne pas se contenter de les critiquer de manière superficielle. Pour ne pas se faire devancer pas ses adversaires aux États-Unis, en France, en Allemagne et ailleurs, la bourgeoisie québécoise doit remettre en marche au plus vite ses usines et son industrie. Elle doit forcer les prolétaires à retourner au travail, en dépit du danger. Pour ce faire, elle doit « libérer » les prolétaires qui ont des enfants pour qu’ils puissent aller se faire exploiter à nouveau et générer du profit pour les capitalistes.

Le gouvernement du Québec a donc décidé de rouvrir les écoles primaires avant la fin de l’année scolaire, jugeant qu’une attente prolongée aurait des conséquences désastreuses pour le capital québécois et refusant d’opter pour des solutions plus coûteuses pour prendre en charge les enfants. À l’échelle internationale, il n’est d’ailleurs pas le seul gouvernement à avoir pris cette décision. Par exemple, dès le 12 avril, la France a annoncé la réouverture progressive des écoles à partir du 11 mai, soit exactement le même jour qu’au Québec. En Allemagne, des enfants fréquentent l’école depuis le 27 avril et plusieurs centaines de milliers d’élèves sont retournés en classe le 4 mai dans certains Länder, comme en Rhénanie-Palatinat. En Autriche, des élèves sont également retournés en classe le 4 mai. Dans ce pays, ce sont d’abord les 100 000 élèves en fin d’études au lycée qui ont repris les cours afin de préparer leurs examens. Mais dès le 15 mai, 700 000 enfants âgés entre 6 et 14 ans seront à nouveau admis en classe. Au Danemark, les jardins d’enfants et les classes primaires ont été ré-ouvertes le 15 avril. Là-bas, la prochaine phase de déconfinement est prévue le 11 mai. Au Royaume-Uni, le pays comptant le plus grand nombre de décès en Europe, le premier ministre Boris Johnson a annoncé que les écoles primaires pourraient rouvrir dès le 1er juin. Il est vrai qu’en Amérique du Nord, le Québec est le seul État à avoir décidé de rouvrir ses écoles aussi hâtivement, comme l’ont fait remarqué certains commentateurs bourgeois. Toutefois, il est loin d’être le seul à s’être engagé sur la voie du déconfinement et de la relance économique. Par exemple, en Ontario (province dont le premier ministre conservateur Doug Ford a récemment été salué par certains critiques petits-bourgeois du gouvernement Legault), certaines entreprises, telles que les centres de jardinage et les compagnies d’aménagement paysager, ont commencé à reprendre leurs activités le 4 mai. Dans cette province, les commerces de détail ayant une entrée sur la rue seront également autorisés à rouvrir dès le 11 mai. En Colombie-Britannique, les mesures de déconfinement annoncées vont encore plus loin : il sera possible dès la mi-mai d’envoyer les enfants à la garderie, de magasiner, d’aller chez le coiffeur, d’aller au restaurant, de visiter les musées et les galeries d’art, de retourner au bureau, de pratiquer des sports et d’aller à la plage. Plus encore, les hôtels, les centres de villégiature et les parcs pourront accueillir des clients dès le mois de juin, puis certains lieux de divertissements suivront en juillet. Aux États-Unis, la bourgeoisie est également bien engagée sur la voie du déconfinement et des réouvertures. En Californie, certains commerces de détail et certaines entreprises manufacturières ont repris leurs activités le 8 mai. En Floride, les restaurants et les commerces de détail pourront rouvrir à 25% de leur capacité. Même dans l’État de New York, l’épicentre de l’épidémie américaine, la réouverture de certaines entreprises dans le secteur manufacturier et dans celui de la construction est prévue pour la mi-mai. En somme, la même pression se fait sentir partout pour redémarrer la machine à profits. Des décisions du même genre sont prises par tous les gouvernements, indépendamment de la progression objective de l’épidémie dans chaque région et dans chaque pays. Si les gouvernements déconfinent maintenant leur population, ce n’est pas parce que les risques sont moins grands qu’avant, mais simplement parce que le jeu de la concurrence internationale en a décidé ainsi. Partout, les prolétaires sont progressivement forcés de retourner au travail en dépit des dangers réels posés par le virus.

La réouverture des écoles du Québec n’est qu’une simple roue dans cet immense engrenage qui broiera des centaines de milliers de vies humaines. Les prolétaires doivent rejeter l’ensemble du programme de relance économique réactionnaire de la bourgeoisie québécoise ainsi que l’ensemble du programme de déconfinement adopté par les différents États impérialistes. Tant qu’il n’y aura pas de moyens de protéger efficacement la population du virus, la réouverture des écoles ainsi que le relance de toutes activités « non-essentielles » constitueront ni plus ni moins un crime à grande échelle contre les masses. Les prolétaires ne peuvent accepter que la bourgeoisie mette en jeu leur santé comme elle le fait présentement. Ils ne peuvent accepter que des décisions portant sur des questions de vie ou de mort soient prises en fonction de ce qui est le plus profitable pour les capitalistes. Plus largement, les prolétaires doivent condamner la société bourgeoise dans son entièreté – cette société profondément injuste qui permet que soient commises les pires exactions contre le peuple!