COVID-19 : Les abus de la STM, un exemple de l’anti-syndicalisme ambiant
L’affrontement survenu au mois d’avril dernier entre le Syndicat du Transport de Montréal (STM-CSN) et la direction de la Société de transport de Montréal (STM) est emblématique de l’ensemble des conflits de travail qui surviendront dans les prochaines semaines, alors que le déconfinement ira de bon train. Les travailleurs de la STM sont exposés à des conditions de travail dangereuses depuis le début de l’épidémie. Ces conditions sont appelées à se détériorer avec la relance économique.
Que la résistance dont fera preuve le mouvement ouvrier devant la situation sanitaire incorrecte à laquelle il se butera soit organisée ou spontanée, elle prendra des formes qui pourront s’apparenter à ce qu’on a vu chez les travailleurs de la STM dernièrement. Déjà, à bien des endroits, la tension est palpable : une crise politique est en latence. Le gouvernement est ouvertement accusé d’incohérence, d’imprudence et d’incompétence par de larges masses. La qualité des points de presse se dégrade et leur quantité diminue. Les travailleurs sont de plus en plus nombreux à se rendre compte que le trio Legault-Arruda-McCann jongle de moins en moins bien avec la santé publique et les intérêts de l’économie capitaliste. Nous assisterons donc à des événements de lutte en tout genre, allant de la résistance silencieuse aux coups d’éclat. Mais tous ces événement comprendront un lot de colère et de désespoir face la situation insensée dans laquelle les prolétaires sont plongés.
Le Syndicat du Transport de Montréal (STM-CSN) compte 2 485 membres, dont les travailleurs des services d’entretien et les mécaniciens. Il est affilié à la Fédération des employées et employés de services publics (FEESP-CSN) qui rassemble plus de 425 syndicats affiliés assurant la représentation de près de 60 000 membres œuvrant dans le domaine des services publics et parapublics. En date du 5 mai dernier, on recensait 83 employés de la STM infectés de la COVID-19. De ce nombre, plus de 45 malades étaient des chauffeurs d’autobus. Tout semblait indiquer que la grande majorité d’entre eux avaient contracté le virus dans le cadre de leurs fonctions, n’ayant pas été en contact avec un infecté parmi leurs proches. Si ces chauffeurs constituaient 54% des infectés de la STM, ils ne constituent pourtant que 37% des effectifs de cet employeur négligent et méprisant. En date du 8 mai, les employés infectés de la STM étaient au nombre de 92. Fidèle à son habitude, plutôt que de se remettre en cause, la direction de la STM a trouvé le moyen de blâmer les passagers, les exhortant de cesser d’utiliser le transport en commun s’ils croient être infectés. Mais les prolétaires qui sont rappelés de force au travail avec la reprise économique n’y sont pour rien quant aux risques qu’ils font prendre à autrui en recommençant à circuler. Les coupables, ce sont les gouvernements et les capitalistes dans leur ensemble. Toute l’organisation de la société est défaillante. Par exemple, le simple fait de se rendre sur un site de dépistage sur l’île de Montréal exige qu’on prenne les transports en commun si l’on n’a pas de véhicule personnel. Et que dire de tous les travailleurs essentiels qui ont continué de se rendre sur leur lieu de travail chaque jour, et de tous les porteurs asymptomatiques de la COVID-19 qui se promènent sans se douter qu’ils sont des vecteurs de contamination! Il n’y a pas de doute que la situation s’aggravera avec le déconfinement. D’ailleurs, le 1er mai dernier, la direction de la STM parlait de mesures post-déconfinement « exploratoires », et rien n’était encore déterminé pour assurer la sécurité des usagers et des employés. Il aura d’ailleurs fallu attendre à la dernière semaine d’avril pour que la STM se décide à installer 224 distributeurs de désinfectant à main à l’entrée des stations de métro. En date du 1er mai, on n’en n’était qu’à l’appel d’offre pour la fabrication de deux couvre-visages lavables par employés. Pire encore, dans les semaines qui ont précédé le 1er mai, la direction de la STM ne recommandait pas le port du masque et menaçait même de mesures disciplinaires ceux qui le portaient, craignant que le fait que les travailleurs arborent une protection nuise à « l’image » de la société de transport. Accusée d’avoir été négligente et impertinente, la direction de la STM a rejeté le blâme sur la Direction de la Santé publique (DSP) « qui disait que le masque n’était vraiment pas nécessaire. » Le syndicat a lui-même dû lancer sa propre campagne publicitaire pour demander aux usagers de porter le masque afin de protéger les autres usagers de même que les employés. C’est dire à quel point l’employeur se fichait du bien-être collectif. Le 11 mai, plusieurs usines reprendront leurs activités. L’achalandage du réseau de transport bondira. Deux semaines plus tard, ce sont les commerces qui se mettront de la partie. À ce jour, l’ajout de plexiglas pour protéger les chauffeurs d’autobus « est à l’étude » au nom de la « visibilité » pour la conduite. Déjà, pendant le confinement, même si l’achalandage général du réseau avait connu une baisse de 82% dans les autobus et de 91% dans le métro, il n’était pas rare que les passagers se retrouvent « coude à coude » pour certains itinéraires, à l’intérieur de certaines plages horaires. Il n’y avait pas de contrôle au niveau de la répartition et du nombre d’usagers à bord d’un véhicule, seulement des recommandations. Pourtant, Renato Carlone, le président du Syndicat des chauffeurs d’autobus, opérateurs de métro et employés des services connexes de la STM, affirmait avoir demandé à la direction du transporteur de limiter l’accès des autobus à 15 passagers et les rames de métro à 150 usagers. Toutes ces aberrations ont amené son homologue Gleason Frenette, le président du Syndicat du Transport de Montréal (STM-CSN), à laisser tomber que « [leur] meilleur client, c’est la COVID-19, c’est lui qu’[ils] transporte[nt] le plus » et qu’ »[o]n aurait dû fermer ça, ce transport en commun-là ». D’ailleurs, il disait ne pas s’étonner qu’avec une gestion pareille du transport en commun, il y ait beaucoup plus de cas à Montréal que partout ailleurs dans la province et au pays.
La suspension injuste du président du syndicat et une réplique des syndiqués qui ne se fait pas attendre
Cela faisait un moment déjà que la direction de la STM s’en prenait ouvertement aux employés de l’entretien et de la maintenance des machines et des installations. Un long conflit avait eu lieu en 2018 et en 2019 sur les horaires et les conditions de travail. L’employeur avait donc déclenché une campagne de salissage contre les ouvriers déterminés à lutter. Disons que l’éclosion de COVID-19 à Montréal a accéléré la dégradation des relations de travail : désormais, les ouvriers de la STM travaillent dans des conditions nouvelles et dangereuses ne répondant même pas aux normes de santé et sécurité. Le conflit a culminé le 16 avril quand le président du Syndicat du Transport de Montréal (STM-CSN), Gleason Frenette, a vu son salaire être suspendu pour une durée de 25 jours pour cause « d’intimidation et de violence verbale ». Dès lors, les membres du syndicat ont spontanément débrayé par solidarité avec leur président injustement traité. Les revendications portées par Gleason Frenette étaient celles des travailleurs qu’il représentait. Le lendemain, le Tribunal administratif du travail déclarait illégal le débrayage de la veille, et tous ceux qui seraient susceptibles d’être déclenchés ultérieurement. Il a donc ordonné « à tous les salariés membres de Syndicat du transport de Montréal de fournir leur prestation normale de travail de la manière usuelle ».
En entrevue, Gleason Frenette a indiqué aux médias que sa suspension était le résultat « d’une compilation des fois où [il se] serai[t] montré désagréable dans les rencontres de coordination des mesures d’urgence mises en place pour lutter contre la COVID-19 à la STM. » Il a aussi dit : « À un moment donné, je leur ai dit que je prenais des notes à tous les jours sur des cas de laxisme qui nous sont rapportés par des syndiqués, et je leur ai dit que s’il fallait qu’il y ait un mort parmi nos membres à cause de cela, il y a des têtes qui vont rouler. Ça pourrait aller jusqu’à de la négligence criminelle. » Il a poursuivi en disant : «Ils m’ont répondu que je les menaçais et qu’ils allaient me gérer. » Gleason Frenette explique ensuite qu’au début du mois d’avril, l’atelier de grande révision Youville, dans le secteur d’Ahuntsic, atelier où sont réparées les voitures du métro, a été en arrêt de travail durant une journée et demie « parce qu’il n’y avait pas de mesures pour la distanciation et la désinfection ». À la mi-avril, on lui rapportait pourtant « [qu’]il y a[vait] encore des lieux de travail où la consigne de distanciation physique de deux mètres n’[était] pas respectée » et « [qu’]il y a[vait] du laxisme dans la surveillance des espaces communs, comme la cafétéria ou l’horloge de pointage ».
Avec la relance économique, les choses ne peuvent qu’aller en se détériorant davantage. Déjà, une soixantaine de travailleurs de la STM ont fait avancer leur cause en faisant valoir leur droit de refus (de travailler) auprès de la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST). Cette dernière a donc émis une liste de recommandations et de dérogations à l’attention de la STM. Et pourtant, encore, les mesures tardent à être mises en place. À cet effet, Gleason Frenette s’est indigné avec raison : « Ce n’est pas le temps d’engorger les services de la CNESST. On ne va tout de même pas régler les problèmes de l’entretien à la STM à coup de droits de refus, 60 personnes à la fois! On s’attend donc à ce que la STM applique les recommandations de l’inspecteur et celles de la Santé publique à l’ensemble des travailleuses et des travailleurs de l’entretien et des mécaniciens. »
Une offensive plus large que subissent les syndicats
Ce conflit de travail nous fait entrevoir l’ampleur de l’offensive anti-syndicale en cours, offensive qu’on a vu poindre dans les dernières semaines. Pour ne nommer que ceux-là, l’ensemble des travailleurs du secteur public ont été mis à mal. Par exemple, les préposées aux bénéficiaires et leurs organes de représentation ont été traînés dans la boue. Leurs syndicats ont été lâchement accusés d’être en partie responsables du fiasco des CHSLD. Dans les médias bourgeois, on dénonce le soi-disant « corporatisme » des syndicats des travailleurs de la santé. Pendant ce temps, les véritables coupables s’en tirent.
Derrière les attaques anti-syndicales qui fusent de partout se trouve l’idée qu’il existerait des intérêts organisés qui iraient à contresens des intérêts généraux de la société, à contresens du bien commun. En temps d’épidémie, un objectif commun semble unir tout le monde, indistinctement. Il est donc habile pour la bourgeoisie de nier l’existence des classes sociales et d’ériger en ennemis des groupes donnés de travailleurs. En les désignant comme des corporations, la bourgeoisie laisse entendre que ces groupes ne protègent que les intérêts de ceux qui en font partie, et ce, sans égard au sort du reste de la population. C’est en surfant sur cette vague que le premier ministre Legault s’est permis d’accuser les syndicats d’avoir empêché le gouvernement d’accorder des hausses de salaire aux préposées aux bénéficiaires, ce qui pourtant ne fait absolument aucun sens. Il est fondamentalement contraire à la raison d’être d’un syndicat de ne pas négocier le prix de vente de la force de travail à la hausse. Ce ne peut être que le vis-à-vis capitaliste qui tire vers le bas. Legault a ajouté à ses propos farfelus que la seule erreur qu’il aurait commise, c’est de ne pas avoir été plus dur à l’endroit des syndicats… De quoi faire tomber n’importe qui en bas de sa chaise.
Qu’on se le tienne pour dit, les syndicats ne sont pas des organisations d’intérêts qui vont à l’encontre de ceux de l’ensemble de la société, bien au contraire. Les revendications des préposées aux bénéficiaires, tout comme celles du personnel d’entretien de la STM, n’entrent en rien en conflit avec les revendications du reste des travailleurs. Plus encore, les travailleurs de la santé, comme ceux des transports en commun, se sont mis à risque, pendant toute la durée du confinement, acceptant à contrecœur des conditions de travail ignobles, et ce, pour la simple raison qu’ils veillaient à l’intérêt général de la population, soit celui d’être soigné ou transporté, même en temps de crise sanitaire. Dans la société, ce sont les capitalistes qui ne veillent pas au bien-être collectif; ils n’en ont que pour eux-mêmes et pour leur propre classe. C’est d’ailleurs eux qui ont retardé la mise en place de mesures de santé publique pour faire face à la pandémie. Ce sont eux qui forcent la relance économique et le déconfinement hâtif, conduisant ainsi des milliers de travailleurs à l’abattoir.
D’autres groupes de travailleurs seront mis à mal comme ceux de la STM
En plus de s’exposer à des dangers multiples en temps d’épidémie, les employés de la STM ont été privés de service de garde d’urgence. Il en est allé de même pour les employés de la SAQ, de la SQDC de même que pour les travailleurs dans le commerce de détails essentiel, soit les épiceries, les pharmacies, les stations-service et les quincailleries, ce qui a été vivement dénoncé.
Le chaos généré par la négligence des capitalistes à tous les points de vue a généré beaucoup de mécontentement dans le prolétariat. Il nous faudra répertorier toutes les doléances des travailleurs et tâcher de les relier les unes aux autres. Ce sera un grand exercice de révélation sur la nature de l’État bourgeois et de la crise, mais aussi sur la résistance aux attaques de la bourgeoisie et sur la lutte des classes. Pour commencer, il faut vivement s’opposer au mouvement d’anti-syndicalisme qui s’est développé depuis le début de l’épidémie au pays et qui se généralisera tôt ou tard à tous les secteurs.
Tous ces conflits de travail récents et à venir sont des éléments parcellaires de la contradiction entre le travail et le capital. Chaque fois, l’existence de ces conflits confirme la nécessité de construire un mouvement révolutionnaire cherchant à transformer la société. Les organisations de travailleurs existantes et les grands bassins de travailleurs sont des maillons fondamentaux de ce mouvement en devenir. Plus que jamais, en temps de pandémie meurtrière, ils font ressurgir l’affrontement perpétuel entre les classes, affrontement qui n’a pas encore débouché sur une lutte ouverte pour le pouvoir, mais qui prend néanmoins place dans la vie économique et sociale réelle.