COVID-19 : l’hécatombe dans les CHSLD est la conséquence des décisions criminelles de l’État bourgeois québécois
Au Québec, les derniers jours ont été marqués par la perte de contrôle totale des administrateurs bourgeois et des autorités provinciales sur la situation dans les Centres d’hébergement de soins de longue durée (CHSLD), où le coronavirus est en train de provoquer une véritable hécatombe parmi les résidents. Dans ces établissements, qui abritent une fraction importante des prolétaires âgés de la province, c’est désormais le chaos complet. Depuis le début de la pandémie, les équipements de protections font cruellement défaut et les gestionnaires n’arrivent pas à mettre en place de protocoles sanitaires adéquats. En conséquence, un grand nombre de préposées aux bénéficiaires et d’infirmières ont été infectées par le virus et l’ont propagé malgré elles parmi les résidents. À présent, la quantité de personnel disponible, déjà largement insuffisante en temps normal, est tombée à un niveau tellement bas que les travailleuses ne peuvent même plus fournir les soins de base aux résidents et que ceux-ci sont laissés à eux-mêmes dans des conditions épouvantables. Pour les travailleuses comme pour la population des CHSLD, c’est l’horreur la plus totale. Les patients meurent dans des conditions atroces et les corps s’accumulent à un rythme qu’on n’aurait jamais cru possible dans un pays capitaliste avancé comme le Canada à notre époque. Depuis plusieurs jours, le gouvernement du Québec cherche désespérément des volontaires pour aller travailler dans les établissements pour personnes âgées. Lors de ses points de presse quotidiens, le premier ministre a enchaîné les solutions broche à foin, comme l’envoi de médecins spécialistes dans les CHSLD pour accomplir le travail des infirmières et des préposées aux bénéficiaires. Incapable de solutionner le problème d’une façon convenable et rationnelle, le gouvernement s’est finalement résigné à embaucher massivement des personnes sans aucune formation et sans aucune expérience en soins ainsi qu’à demander au gouvernement fédéral l’envoi de 1 000 soldats de l’armée canadienne!
Alors que depuis le début de la crise, le gouvernement Legault, dans un élan de nationalisme décomplexé, ne cessait de se targuer de faire partie des gouvernements maîtrisant le mieux la progression de l’épidémie et de se vanter d’avoir mis en place les mesures les plus responsables imaginables pour combattre le virus, le nombre de morts officiellement déclarés dans la province, en proportion du nombre d’habitants, avoisine maintenant celui qu’on rencontre aux États-Unis – pays considéré comme « l’épicentre » de la pandémie et dont le président avait pourtant été amplement critiqué et ridiculisé dans les médias bourgeois québécois et canadiens pour sa gestion de la crise. Alors qu’il est de plus en plus difficile pour le gouvernement du Québec de nier que le désastre vers lequel l’État québécois a mené les masses populaires de la province est du même ordre que celui qui a cours dans les autres pays impérialistes (France, Italie, Royaume-Uni, États-Unis, etc.), le premier ministre Legault cherche désormais de nouveaux moyens de faire diversion. Afin de détourner l’attention de sa gestion désastreuse de la crise ainsi que de l’ensemble des décisions passées de l’État capitaliste québécois, il s’est mis à désigner des boucs émissaires. Notamment, il a attaqué publiquement les syndicats en les accusant de manière complètement démagogique d’avoir empêché les gouvernements successifs de hausser les salaires des préposées aux bénéficiaires, ce qui serait la cause du manque actuel de personnel dans les CHSLD. Il a ensuite fait un pseudo mea-culpa dans lequel il s’est essentiellement excusé de ne pas avoir imposé plus tôt sa volonté aux centrales syndicales dans ce dossier! Finalement, le premier ministre a invité l’ensemble de la société québécoise à faire un auto-examen collectif de la manière dont les personnes âgées sont traitées depuis des années au Québec. Il a affirmé sur un ton faussement émotif et de manière complètement hypocrite qu’il allait falloir « revoir », au sortir de la crise, les conditions dans lesquelles ces personnes sont plongées – comme si tout cela n’était pas parfaitement connu depuis toujours et surtout, comme si la santé des prolétaires vieillissants allait soudainement devenir une préoccupation importante pour la grande bourgeoisie dans les années à venir.
En vérité, ce n’est pas l’ensemble de la société qui est responsable du sort réservé aux prolétaires âgés et du cauchemar digne des pays du tiers-monde auquel on assiste présentement au Québec, mais bien la bourgeoisie québécoise et son appareil d’État. Sous le capitalisme, les masses prolétariennes n’ont aucun mot à dire sur l’organisation de la société dans laquelle elles vivent : elles ne sont donc aucunement responsables des grandes orientations que prend la société. Au contraire, elles ne font que subir les conséquences des décisions de la classe dominante. Ainsi, il n’y pas de « réflexion collective » à faire sur les conditions dans lesquelles se trouvent les prolétaires âgés au Québec. Il faut simplement dénoncer la bourgeoisie qui n’a jamais réglé le problème, et ce, malgré que les ressources pour le faire sont disponibles. D’ailleurs, il n’y a aucune raison de croire qu’elle le fera dans le futur, malgré les discours larmoyants du premier ministre.
Le problème du manque de personnel et les attaques de Legault contre les syndicats
Dernièrement, le manque de personnel dans les CHSLD (et dans le réseau de la santé en général) est devenu le problème le plus criant dans la lutte contre le virus dans la province. Alors que les préposées aux bénéficiaires et les infirmières travaillent déjà en sous-nombre en temps normal, la pandémie de coronavirus a aggravé la situation. En effet, en raison du manque de matériel de protection disponible et de la persistance de pratiques non-sécuritaires demandées par les gestionnaires du réseau de la santé (déplacements de personnel entre les établissements, mauvaise organisation de l’espace pour séparer les patients infectés des patients non-infectés, rappel au travail de travailleuses en quarantaine, etc.), un grand nombre de travailleuses ont contracté le virus et ont donc dû s’absenter de leur poste. Dans le réseau de la santé dans son ensemble, à la mi-avril, on recensait 9 500 membres du personnel absents, sur lesquels 4 000 avaient officiellement été contaminés par le virus (en réalité, sur le nombre total de travailleuses manquant à l’appel, la proportion infectée par la COVID-19 était probablement bien plus grande que ce que les chiffres officiels laissaient transparaître). De son côté, le gouvernement affirme que plusieurs travailleuses auraient quitté le navire parce qu’elles craindraient pour leur santé – ce qui est tout à fait compréhensible considérant les conditions extrêmement pénibles et dangereuses dans lesquelles l’État bourgeois les a placées. Le manque de personnel dans les établissements est devenu si dramatique que dans certains cas, des résidents se sont retrouvés laissés à eux-mêmes pendant de longues périodes de temps dans leurs excréments, affamés, déshydratés et en insuffisance rénale. Plusieurs sont même littéralement morts de faim et de soif. Une préposée aux bénéficiaires du CHSLD Fernand-Larocque à Laval a rapporté : « On nous a dit de ne plus donner de bains. On laisse les résidents en jaquette toute la journée et on ne les lève plus de leurs lits. » Cette même employée a aussi révélé que pratiquement tous les patients ont été mis en contention : « Pendant un certain temps, on mettait même des bureaux devant leurs portes pour ne pas qu’ils sortent ». Une autre préposée du même établissement a dit : « Il y a des patients qui ont de grosses plaies qui s’agrandissent. C’est épouvantable. Leurs ongles sont devenus tellement longs, beaucoup ont la diarrhée et on les retrouve le matin dans leur caca. » Elle ajoute au sujet des résidents : « Ils ont peur. Il y en a même qui shakent. » Au CHSLD LaSalle, une étudiante qui s’est portée volontaire a rapporté que plusieurs patients lui criaient : « Je veux mourir, laissez moi mourir en paix, je suis en train de mourir, je n’en peux plus. » Dans un CHSLD privé à Laval, une bénévole a rapporté que les patients souffrant d’errance ont été attachés à leurs lits. Elle a aussi indiqué que les repas étaient servis en retard et qu’il manquait de mains pour nourrir les patients incapables de le faire par eux-mêmes.
Devant l’ampleur du désastre, plusieurs gestionnaires bourgeois paniqués se sont mis à prendre des décisions complètement insensées. Par exemple, au CHSLD Manoir-de-Verdun à Montréal, la direction a séquestré les travailleuses à l’intérieur de l’établissement pour les forcer à prolonger leur quart de travail et pour les empêcher de quitter leur poste. À plusieurs endroits, des travailleuses ayant été en contact avec le virus et s’étant placées en isolement ont été rappelées au travail avant la fin de leur quarantaine. Au CHSLD Sainte-Dorothée, l’un des établissements les plus touchés par le virus, des employées présentant des symptômes de la COVID-19 ont même été forcées de travailler par la direction, ce qui a vraisemblablement contribué à l’éclosion fulgurante et meurtrière dans cet établissement puisque les tests passés par les employées en question se sont révélés positifs quelques temps après. Après s’être présentées au CHSLD Drapeau Deschambault à Sainte-Thérèse, à l’appel de préposées aux bénéficiaires en détresse qui s’étaient plaintes du fait qu’elles n’avaient pas le matériel de protection adéquat, deux militantes du syndicat STT-Laurentides en santé et services sociaux-CSN ont été contactées par la police – visiblement à la demande de la direction de l’établissement – pour se faire dire qu’elles n’avaient plus le droit de revenir sur place. Un peu partout, les travailleuses subissent des menaces, de l’intimidation et du chantage émotif de la part des gestionnaires qui les culpabilisent, les accusent d’être responsables du problème et leur mettent de la pression. Par ailleurs, depuis quelques semaines, plusieurs employées des CIUSSS/CISSS travaillant dans les hôpitaux, les CLSC et à domicile sont déployées ponctuellement dans des CHSLD considérés « zones chaudes ». Elles reviennent ensuite dans leurs installations mères, et ce, sans se placer en isolement pendant 14 jours. Pour une même employée, les va et viens sont multiples et peuvent se faire dans plus de deux établissements. Il est à noter que ces renforts ne subissent pas de tests de dépistage comme il a été commandé de le faire pour tous les employés des CHSLD – une consigne qui, par ailleurs, a été appliquée de manière inégale d’un établissement à l’autre.
La crise sanitaire a obligé le gouvernement Legault à admettre qu’il y avait un grave problème dans les CHSLD et à reconnaître que ce problème n’était pas apparu avec la pandémie. Or, au lieu de fournir une véritable explication à la population, le premier ministre a préféré la mystifier davantage en passant sous silence les actions passées de son propre gouvernement de même que celles des gouvernements précédents et en jetant le blâme sur les syndicats. Selon le gouvernement, la pénurie de personnel dans les CHSLD est attribuable à la faible rémunération associée aux postes de préposées aux bénéficiaires, laquelle ferait en sorte que les établissements n’arrivent pas à attirer de candidates et à inciter leurs employées à conserver leur emploi. Il est vrai qu’il s’agit d’une partie importante de l’explication : les préposées aux bénéficiaires gagnent effectivement des salaires de crève-la-faim pour effectuer un travail extrêmement difficile. Dans les CHSLD publiques, elles gagnent 20,55$ de l’heure au premier échelon et jusqu’à 22,35$ au dernier échelon. Notamment, dans les CHSLD privés non-conventionnés et dans les résidences privées pour aînés sous-traitantes du réseau ou ayant une offre de soins, elles ne gagnent souvent que 13$ à 14$ de l’heure, soit à peine plus que le salaire minimum, et elles sont surexploitées par des propriétaires véreux qui empochent d’importantes sommes d’argent en profits. Or, cela fait des années que les préposées aux bénéficiaires et les syndicats qui les représentent luttent pour des augmentations de salaires significatives – une revendication que les gouvernements successifs, y compris celui de Legault, n’ont jamais voulu satisfaire. L’attaque du premier ministre contre les syndicats était donc particulièrement odieuse. Les centrales syndicales n’ont d’ailleurs pas tardé à réagir. Le président de la FTQ, Daniel Boyer, a par exemple déclaré : « Qu’est-ce qui empêche le gouvernement de bien payer les préposées aux bénéficiaires ? Rien. Ça fait des années que nous décrions les conditions d’exercice d’emploi et de rémunération de ces travailleurs et travailleuses et que nous disons aux élus que c’est tout le système qui va éclater si rien n’est fait. Eh bien on est rendu là ». Pas plus tard qu’au mois de décembre dernier, la FTQ revendiquait d’ailleurs des hausses de salaires pour les préposées aux bénéficiaires alors que le gouvernement faisait la sourde oreille : « Québec aime bien parler de la négociation en cours, mais encore faudrait-il que le Conseil du trésor réponde à nos demandes. Le 11 décembre dernier, nous avons présenté au gouvernement une structure salariale qui répond très exactement à la problématique des préposées aux bénéficiaires. Oui, le 11 décembre, soit bien avant toute la crise de la COVID-19. Alors, que le gouvernement ne vienne pas nous dire que c’est notre faute. Québec devrait plutôt s’excuser auprès des travailleuses et travailleurs qui prennent soin de nous. » Le président de la CSN, Jacques Létourneau, a quant a lui tenu à rappeler qu’en dépit des propos du premier ministre selon lesquels les syndicats auraient refusé des augmentations de salaires plus élevées pour les préposées aux bénéficiaires, le syndicat réclame depuis plus de dix ans des mesures spéciales pour hausser leur rémunération : « Depuis plus de dix ans, nous réclamons des mesures particulières pour augmenter le salaire des préposé-es aux bénéficiaires. Aucun gouvernement, y compris celui de M. Legault, n’a voulu répondre à nos demandes de façon adéquate. » Rétorquant aux accusations trompeuses du premier ministre, le président de la CSN a ajouté : « M. Legault répète que les organisations syndicales sont allergiques aux augmentations différenciées. J’aimerais lui rappeler que nous avons convenu, lors de la dernière négociation, de revoir l’ensemble de la structure salariale du secteur public et d’ainsi remanier plus de 135 échelles salariales. Les augmentations différenciées entraînées par ces travaux de relativité salariale se comptent par centaines. »
Dans ses récentes déclarations, le premier ministre s’est exprimé comme s’il venait de découvrir que les prolétaires âgés du Québec vivent dans des conditions misérables. Or, tout cela était déjà parfaitement connu avant la crise actuelle. Le problème du manque de personnel dans les CHSLD – et dans le réseau de la santé en général – est dénoncé depuis longtemps par les travailleuses et par leurs syndicats. Comme l’a déclaré la présidente de la Fédération interprofessionnelle de la santé (FIQ) le 13 avril dernier : « Ce qui se passe actuellement dans les CHSLD est connu depuis longtemps. Lorsqu’une infirmière doit couvrir plusieurs CHSLD, s’occuper de plus de 50 patient-e-s ou doit déjà choisir dans les soins qu’elle sera en mesure de donner, comment pouvions-nous croire que de tels établissements pouvaient faire face à une pandémie? » Et la vérité, c’est que le gouvernement Legault a refusé de régler le problème depuis qu’il est en place. Par exemple, pas plus tard qu’en février dernier, les députés de la CAQ ont unanimement voté contre la mise en place de ratios personnel/patient sécuritaires à l’Assemblée nationale – une revendication de longue date de la FIQ, mais aussi de la FADOQ, un organisme de défense des droits des personnes âgées. D’ailleurs, en réaction au dépôt du second budget du gouvernement Legault au mois de mars dernier, la FADOQ déclarait ce qui suit : « La maltraitance organisationnelle et le travail jusqu’à l’épuisement sont des conséquences directes des problèmes de ratios. Il est nécessaire d’implanter des méthodes adaptées à la réalité et aux besoins de la population québécoise. Notre organisation s’explique mal pourquoi le gouvernement caquiste fait encore la sourde oreille à ce sujet. » Également en réaction au dernier budget du gouvernement, la présidente de la FIQ, qui demandait 600 millions de dollars pour la mise en place graduelle de ratios sécuritaires dans l’ensemble du réseau de la santé, déplorait le manque d’investissements pour embaucher davantage de personnel : « En faisant l’impasse sur cette demande en dépit des surplus budgétaires enregistrés, le gouvernement ignore cruellement la réalité de milliers de professionnelles qui en ont assez de travailler à se rendre malades. La ministre McCann s’était pourtant engagée à améliorer significativement les conditions d’exercice des professionnelles en soins. Malgré la croissance des dépenses de santé, on cherche toujours une trace concrète de cet engagement ! » En février 2020, la FSSS-CSN dénonçait un plan gouvernemental déposé par la ministre de la Santé et des Services sociaux Danielle McCann pour faire face au problème du manque de personnel dans le réseau de la santé. Le syndicat dénonçait le fait que le plan ne contenait aucune mesure concrète pour mettre fin à la pénurie de préposées aux bénéficiaires dans le réseau ainsi que le fait qu’il avait été élaboré sans tenir compte des revendications des travailleuses. Selon le syndicat, les solutions mises de l’avant par les préposées aux bénéficiaires et les auxiliaires aux services de santé et sociaux (ASSS) pour éviter le surmenage et retenir le personnel comprenaient l’embauche de personnel et la réduction de la charge de travail; l’intégration des préposées aux bénéficiaires et des ASSS dans les équipes de soins; le rehaussement des postes à temps partiel et l’octroi d’heures garanties au personnel; ainsi que l’augmentation des salaires des préposées des résidences privées pour aînés à 15$ de l’heure – autant de revendications ignorées par le plan gouvernemental.
Le manque de personnel dans les CHSLD a des conséquences désastreuses sur la qualité des soins octroyés aux résidents et sur leurs conditions de vie, et ce, depuis bien avant le début de la pandémie. En fait, la propagation du virus n’a fait qu’empirer – dramatiquement – une situation qui était déjà complètement inacceptable et révoltante avant la crise. En septembre 2018, la FTQ dévoilait une liste de services que des préposées aux bénéficiaires ayant répondu à un formulaire diffusé par leur syndicat (le Syndicat québécois des employées et employés de service) affirmaient ne pas avoir eu le temps de donner, dans les mois précédents, aux résidents des établissements dans lesquels elles travaillaient en raison de leur surcharge de travail. Dans cette liste, on retrouvait notamment des bains, des toilettes partielles (lavage à la débarbouillette), des repositionnements de bénéficiaires, des nettoyages de surfaces (tables, fauteuils roulants, etc.), des tournées de changement de culottes d’incontinence, des promenades de résidents et résidentes, des rasages de barbe et des coupes d’ongles. Selon les travailleuses, les causes principales de leur incapacité à fournir les services étaient le sous-effectif, le non-remplacement des absentes, ainsi que le recours des établissements au personnel d’agence, lequel a comme conséquence de ralentir la cadence de travail. Parmi les revendications alors exprimées par le SQEES-FTQ en réponse à cette situation inhumaine, on trouvait entre autres la valorisation du personnel, notamment par un salaire qui reflète leurs tâches; la création de postes à temps complet, sans horaire atypique; la réduction et l’élimination progressive du personnel d’agence; et la réorganisation du travail en collaboration avec les représentants des travailleuses. Mais la « maltraitance organisationnelle » des résidents des CHSLD est dénoncée depuis bien plus longtemps encore. Par exemple, en 2010, le Syndicat des travailleurs et des travailleuses du CSSS Jeanne-Mance (CSN) dénonçait les abolitions de postes ainsi que leur impact sur la qualité des soins offerts et sur les conditions de travail des préposées aux bénéficiaires : « Il n’est pas normal que nos bénéficiaires demeurent dans des couches souillées pendant des heures. Il n’est pas normal qu’ils passent des journées entières sans être lavés. Certaines de nos préposées terminent leur journée en pleurs tellement elles sont consternées de ne plus être capables de répondre à l’ensemble des besoins de nos résidents. » L’hygiène corporelle déficiente des patients, avec le manque de mesures sanitaires pour le personnel soignant et l’insalubrité des CHSLD et des hôpitaux, ont eu des conséquences particulièrement funestes dans les dernières années. Notamment, il s’agit vraisemblablement de l’un des facteurs ayant contribué à la propagation de la bactérie Clostridium difficile, responsable d’une flambée épidémique de diarrhée mortelle au Québec en 2003. De 2003 à 2004, en plein cœur de l’épidémie, la bactérie avait entraîné un millier de décès parmi les 7 000 patients infectés de la province. En 2014, pas moins de 10 ans après l’épidémie de diarrhée à C. difficile, on comptait encore 500 à 550 décès parmi les 3 500 patients infectés annuellement dans les installations du réseau de la santé. On peut dire que les choses ne se sont guère améliorées. Les infections nosocomiales s’avèrent toujours très mortelles pour la population âgée du Québec.
Le manque de préparation de l’État bourgeois québécois pour faire face à la pandémie
Outre l’état lamentable dans lequel se trouvait déjà le réseau des CHSLD – et le réseau de la santé québécois de manière générale – avant le début de la crise, le drame auquel on assiste présentement est attribuable à la réponse tardive et complètement déficiente de l’État bourgeois québécois pour faire face à la pandémie. D’abord, il faut rappeler que l’État québécois, pour sauver de l’argent, a refusé au fil des années de se doter d’une réserve d’urgence de matériel médical utile en cas d’épidémie, et ce, malgré le fait que des scientifiques alertaient depuis des années les autorités sur le risque imminent d’une pandémie, notamment depuis l’épisode du SRAS entre 2002 et 2004. Plus encore, alors que la menace du virus était connue depuis le mois de janvier dernier, le gouvernement Legault a attendu au 18 février avant d’entamer des démarches pour faire l’acquisition de stocks de masques supplémentaires. En raison de l’attentisme des autorités bourgeoises, le réseau de la santé est aux prises avec une grave pénurie de matériel de protection, pénurie qui est elle-même en grande partie responsable de la contamination du personnel soignant et des résidents des CHSLD.
D’ailleurs, la Fédération de la santé et des services sociaux (FSSS-CSN) revendique des masques N95 pour ses 30 000 membres en CHSLD depuis le début de la pandémie. Son président, Jeff Begley, martèle que « [ç]a prend le meilleur équipement possible pour s’assurer de ne pas propager le virus. » Plusieurs médecins refusent même d’aller prêter main-forte au personnel des CHSLD s’étant fait interdire, par les directions des CISSS/CIUSSS, le port de ce masque protecteur étanche et à l’épreuve des fines gouttelettes dans l’air. D’ailleurs, dans les hôpitaux, au début de la crise, on demandait aux médecins de revêtir le N95 dès qu’ils s’approchaient d’un patient suspect. Deux semaines plus tard, la consigne avait changé : plus question de se servir de cette protection à moins que le patient soit en détresse respiratoire ou qu’il faille lui faire une intubation. Aujourd’hui, ce n’est que la dernière condition qui permet aux médecins de le porter. Mais la situation est encore pire dans les CHSLD. Dans ces établissements gravement touchés par l’épidémie, les N95 sont introuvables voire interdits, et ce, même en « zone chaude ». Le ministère et ses apôtres considèrent qu’en hébergement, on ne pose pas d’actes médicaux entraînant une expulsion sous forme d’aérosols chez les résidents. Pourtant, les préposées au bénéficiaires offrent de multiples soins directs aux patients. Les actes qu’elles posent ont une durée qui dépasse bien souvent les dix minutes. Elles respirent très près de leurs patients et elles inspirent l’air qu’ils expirent. Plus encore, les nombreux résidents qui sont porteurs de la COVID-19 toussent abondamment pendant qu’ils sont nourris, abreuvés, changés, lavés et soignés, ce qui les rend hautement contagieux pour celles qui s’en occupent. Les études révèlent pourtant que le virus semble se transmettre non seulement par contact direct avec une gouttelette ou avec une surface contaminée, mais aussi par contact étroit et prolongé avec une personne infectée qui tousse. Plus encore, bien que cette question ne soit pas encore tranchée, plusieurs scientifiques croient que les fines gouttelettes éjectées lors de la simple expiration et pouvant rester en suspension longtemps dans l’air ont un rôle à jouer dans la transmission. Autrement dit, un simple masque de procédure est vraisemblablement insuffisant pour protéger correctement les travailleuses des CHSLD, ce qui explique probablement pourquoi autant d’entre elles ont été infectées par le virus.
Par ailleurs, le gouvernement a tardé avant de mettre en place des protocoles sanitaires dans les centres pour personnes âgées. Par exemple, l’arrêt des visites dans ces établissements aurait dû commencer bien plus tôt – probablement dès le mois de janvier. Le trio Legault-Arruda-McCann a affirmé dans les derniers jours avoir été pris de court devant la vitesse à laquelle le virus s’est propagé dans les CHSLD : les efforts déployés dans les hôpitaux avaient fonctionné, mais au prix de dommages beaucoup plus importants que prévu sur le « front » des CHSLD. Le gouvernement a laissé entendre qu’il avait choisi de mettre ces établissements au second plan, ne sachant pas encore à ce moment-là que le virus était aussi contagieux et aussi létal qu’il ne l’était. Pourtant, il était évident depuis le début que les lieux d’habitation et de soins pour les personnes âgées, lesquelles composent la fraction de la population la plus vulnérable au virus et de loin, constituaient un secteur névralgique où il était nécessaire de prendre les mesures les plus vigoureuses pour éviter la catastrophe. En fait, il n’est pas surprenant que les hôpitaux aient été priorisés dans la réponse de l’État bourgeois à la pandémie : c’est le système hospitalier qui assure une partie de la reproduction de la force de travail (c’est-à-dire qu’il veille à ce que la santé des prolétaires actifs ne se détériore pas au point qu’ils ne puissent plus travailler pour les capitalistes), et non les CHSLD (où sont prises en charge des personnes inactives et non-productives). La relance de l’économie et le maintien de la société bourgeoise dépendent donc en partie d’un système hospitalier fonctionnel, préservé et « non-saturé ». Cela dit, les ressources manquent partout dans le réseau de la santé, et non seulement dans les CHSLD. Si les hôpitaux ont été relativement épargnés jusqu’à maintenant, c’est surtout parce qu’une fraction considérable de la population est en confinement – confinement auquel le gouvernement s’apprête d’ailleurs à mettre fin « progressivement » pour relancer l’exploitation des ouvriers et l’accumulation de profits.
En vérité, les autorités étaient parfaitement conscientes de la fragilité extrême des CHSLD. Déjà, en 2006, l’Institut nationale de santé publique (INSPQ), avec la participation de Horacio Arruda lui-même, avait élaboré un plan préventif pour protéger ces établissements suite aux tristes expériences du SRAS de 2003 et de l’éclosion d’infections de Clostridium difficile dans les établissements de soins de santé au Québec en 2004. L’INSPQ reconnaissait alors que les CHSLD constituaient des zones de grande vulnérabilité aux éclosions et à la propagation de virus et de bactéries mortelles. C’est pourquoi elle recommandait qu’en situation d’épidémie, des mesures très strictes soient mises en place dans les CHSLD dès la détection d’un premier cas infecté dans la province. Selon cette recommandation, les établissements en question auraient entre autres dû, dès le 28 février 2020 (date à laquelle le premier cas de COVID-19 a été détecté au Québec), mettre en branle des mécanismes de contrôle du virus comme obliger le port d’un masque chirurgical ou de procédure à l’intérieur, restreindre les visites, dépister les visiteurs, interdire l’entrée à toutes personnes symptomatiques ou ayant été exposées, désigner des zones de résidents atteints ou présumés, limiter les déplacements à l’intérieur, développer des zones de soins intensifs pour éviter les transferts vers les hôpitaux et aviser les autorités de tout cas suspecté. Dans les faits, au Québec, rien n’a été demandé aux CHSLD avant le 14 mars 2020. Il était trop tard : le virus s’était fort probablement déjà introduit dans les installations. En somme, l’État bourgeois québécois n’a même pas suivi ses propres recommandations – qui n’avaient pourtant rien de particulièrement audacieuses – pour faire face à l’épidémie actuelle! Ce sont les prolétaires de la province qui paient maintenant le prix de cette négligence criminelle.
Le sous-financement du système de santé et les compressions des gouvernements passés
Dans ses discours hypocrites sur la façon dont les personnes âgées sont traitées au Québec, le premier ministre Legault a habilement évité d’expliquer les causes réelles de la situation à la population et n’a mentionné aucune décision concrète de son gouvernement ou des gouvernements antérieurs – comme si les conditions des travailleuses des CHSLD et les conditions de vie de leurs résidents étaient un phénomène naturel au lieu d’être le produit d’actions humaines (en l’occurrence, des agissements de l’État capitaliste québécois). Outre les décisions de son propre gouvernement, dont certaines ont été mentionnées plus haut, le premier ministre n’a par exemple pas parlé des compressions budgétaires majeures des dernières décennies dans le système de santé, compressions qui ont pourtant joué un rôle de premier plan dans la détérioration des conditions de travail des infirmières et des préposées aux bénéficiaires et dans la dégradation des services offerts aux résidents des CHSLD – notamment en raison de nombreuses abolitions de postes dans les établissements. S’il a choisi de passer sous silence ce « détail » important, c’est peut-être entre autres parce que le premier ministre lui-même ainsi que son entourage ont appuyé ces mesures d’austérité effectuées par les gouvernements qui ont précédé le sien et qu’il estime encore qu’elles étaient nécessaires! Récemment, les compressions du gouvernement libéral de Philippe Couillard entre 2014 et 2018 ont été abondamment dénoncées et pointées du doigt par les syndicats comme étant en grande partie responsables de la situation désastreuse actuelle dans les CHSLD et dans le reste du réseau de la santé. Or, si la CAQ avait été au pouvoir à ce moment-là à la place des libéraux, il est à peu près certain que le même genre de mesures d’austérité auraient été appliquées. En fait, selon le cadre financier que les caquistes avaient présenté en 2014 lors de la campagne électorale provinciale, s’ils avaient constitué le gouvernement à la place des libéraux, « leur » austérité aurait même été plus sévère que celle de leurs homologues libéraux! En effet, parmi tous les grands partis à l’Assemblée nationale (PQ, PLQ, CAQ) – lesquels se prononçaient tous en faveur de l’austérité – la CAQ est celui qui proposait la rigueur budgétaire la plus contraignante pour atteindre le déficit zéro. Les hausses de dépenses se seraient chiffrées à 1,7%, contrairement au 1,8% effectif des libéraux (qui pourtant avaient annoncé 2,4% dans leur cadre financier initial), et 2,1% avec les péquistes. L’effort aux dépenses aurait atteint 56% avec les caquistes contrairement au 54% effectif des libéraux (qui pourtant annonçaient 44% dans leur cadre financier initial), et 49% avec les péquistes. Le tout se serait soldé par des surplus de 2,7 milliards avec les caquistes, tandis qu’ils ont été de 2,4 milliards avec les libéraux au pouvoir. L’essentiel des compressions prévues par la CAQ, comme c’était le cas pour les autres formations politiques, touchaient la main-d’œuvre et les services à la population. En somme, peu importe le parti au pouvoir, l’exercice des compressions aurait été très douloureux, et il aurait potentiellement été plus douloureux avec la CAQ si l’on se fie à leurs propres promesses de l’époque. Il est à noter que c’est le 25 septembre 2014 que Gaétan Barrette, alors ministre de la Santé et des Services sociaux au Québec, déposait son projet de loi en santé, un grand « sabrage » dans le réseau (qualifié de « régime minceur ») cherchant à faire des économies annuelles de 220 millions de dollars. Il y a donc fort à parier que la CAQ aurait agit dans le même sens. D’ailleurs, Gaétan Barrette était un ancien député-vedette caquiste et même un aspirant ministre de la santé caquiste. Relevons aussi qu’en 2015, Éric Caire, alors député et porte-parole caquiste pour le Conseil du trésor, affirmait que l’austérité n’existait pas au Québec et qu’il s’agissait tout simplement « d’une vue de l’esprit » des syndicats qui, selon lui, trouvent toujours « des prétextes pour perturber l’ordre social au profit de leurs intérêts corporatifs ». Pour lui, l’élection de 2014 était l’expression démocratique d’une majorité nette en faveur du rééquilibre et du redressement budgétaire. Il faut également se rappeler qu’en 2002, lors de son bref règne à titre de ministre de la Santé et des Services sociaux au sein du gouvernement péquiste de l’époque, François Legault partageait le même genre de vision que Gaétan Barrette axée sur l’assainissement des finances publiques. Il avait alors proposé un exercice d’évaluation de la performance et du rendement des hôpitaux, exercice qui a finalement fait patate. Quoi qu’il en soit, pour Legault, il était inconcevable que le « Québec » investisse 17 milliards de dollars dans le réseau de la santé auquel il voulait apporter « rigueur » et imputabilité. On lui reprochait alors de gérer les soins en véritable « PDG de compagnie ». Aussi, lors de la campagne électorale de 2018, François Legault annonçait fièrement qu’il prévoyait ouvrir des « maisons des aînés » s’il était élu. Un des attributs de ce projet consistait dans le fait de climatiser les espaces contrairement à ceux des actuels CHSLD. L’ironie du sort, c’est qu’en 2002, alors que François Legault était ministre de la santé sous Bernard Landry au PQ, il s’était farouchement opposé à la climatisation de tous les CHSLD, considérant la dépense inutile et trop coûteuse. Ce refus de climatiser (voire même de ventiler) les chambres et les espaces communs des CHSLD a d’ailleurs coûté la vie à des dizaines de résidents lors de la canicule de 2018. Il en est allé de même pour les hospitalisés lors cette même année de chaleur accablante, la vétusté de nombreux établissements ayant alors été pointée du doigt.
Pour finir, il est également intéressant de s’attarder au cas de l’actuelle ministre responsable des aînés et des proches aidants (et ancienne ministre libérale) Marguerite Blais. Avant la pandémie que nous connaissons aujourd’hui, le 24 octobre 2019, alors qu’elle était interrogée en chambre au sujet du manque criant d’effectifs au CHSLD Villa-Bonheur de Granby, Marguerite Blais passait aux aveux en affirmant tout bonnement qu’elle avait contribué à la cure d’amaigrissement dont l’enveloppe budgétaire destinée aux aînés avait fait l’objet pendant le règne du gouvernement libéral de Jean Charest : « La personne qui sait qu’on a coupé dans les effectifs, c’est moi. Je le sais parce que j’ai joué, moi, dans le film. ». Pire encore, elle s’est mollement défendue en prononçant les consternantes paroles suivantes : « Oui, j’ai été ministre des aînés pendant six ans, mais on ne m’avait pas confié la responsabilité des CHSLD ». En fait, Marguerite Blais a été ministre libérale responsable des aînés sous Jean Charest pendant 5 ans, de 2007 à 2012. Rappelons que l’une des mesures phares de son mandat pour rehausser la qualité des soins alloués aux bénéficiaires a été l’annonce en 2009 d’un financement sur quatre ans pour embaucher des clowns destinés à divertir les personnes âgées en CHSLD! Elle a ensuite siégé comme simple députée de 2014 à 2015 sous le gouvernement libéral de Philippe Couillard. Marguerite Blais s’est finalement retirée pour refaire surface en 2018, mais cette fois avec la CAQ. Cette formation politique nouvellement élue majoritaire a intégré à nouveau Marguerite Blais au conseil des ministres en lui confiant son ancien dossier… qu’elle ne maîtrise visiblement toujours pas si on se fie à ses récentes interventions publiques.
En somme, François Legault et les autres membres de son gouvernement font partie de la même clique de politiciens bourgeois crapuleux qui ont appliqué dans les dernières années les violentes mesures d’austérité dont les masses populaires subissent les conséquences aujourd’hui, mesures d’austérité qui étaient alors dictées par les intérêts du grand capital et que l’État bourgeois québécois aurait mises en œuvre peu importe le parti au pouvoir. En fait, c’est l’ensemble de la bourgeoisie québécoise qui est responsable du désastre auquel on assiste présentement. Les prolétaires doivent reconnaître leur ennemi et apprendre à le combattre!
Le sort réservé aux prolétaires âgés sous le capitalisme
Il n’est pas surprenant que les capitalistes au pouvoir n’accordent que peu d’importance aux prolétaires vieillissants. Pour la bourgeoisie, les prolétaires ne sont rien d’autre que des outils servant à générer de la plus-value et du profit. Tant que ceux-ci sont encore aptes à travailler ou à élever la prochaine génération d’ouvriers, les capitalistes doivent consentir, de manière générale, à leur verser en salaires ce qui est nécessaire à la reproduction de leur existence et à celle de leurs enfants. Ce montant d’argent est déjà très peu comparativement à la quantité de richesses produites dans la société, mais il doit tout de même être suffisant, en moyenne, pour permettre aux prolétaires de « fonctionner » et de participer au procès social de travail – et donc de se loger, de se nourrir, de se déplacer, de communiquer, d’avoir une hygiène suffisante selon les critères de la société et de ne pas être constamment à l’article de la mort. Mais puisque les prolétaires âgés ont cessé de travailler et d’élever des enfants, ils ne sont plus d’aucune utilité pour le Capital et deviennent tout simplement un fardeau pour la bourgeoisie. La classe dominante est prête à leur accorder le strict minimum pour ne pas que les rues soient envahies de vieillards sans-abris et encombrées de cadavres, mais sans plus. Aussi, la bourgeoisie ne peut pas tolérer que trop de prolétaires encore actifs aient à s’occuper de leurs parents âgés, malades et en perte d’autonomie, ce qui aurait pour conséquence de grandement nuire à leur capacité à occuper un emploi salarié. Les capitalistes ont besoin d’une force de travail à leur disposition qui n’est pas entravée par un trop plein de tâches improductives dans la sphère domestique. L’État bourgeois consent donc à déployer certaines ressources pour prendre en charge les prolétaires âgés qui ne sont plus autonomes, mais puisqu’il s’agit de prendre soin de personnes « inutiles », ces ressources sont minimales.
Les déclarations controversées de l’ancien ministre de la santé Gaétan Barrette, déclarations selon lesquelles les résidents des CHSLD n’avaient pas besoin de plus d’un bain par semaine, étaient révélatrices de la valeur que la bourgeoisie accorde aux prolétaires âgés dans un pays comme le Canada. Lorsqu’on ne reconnaît même pas aux personnes le besoin de se laver régulièrement, c’est qu’on juge qu’il n’est plus nécessaire pour elles de continuer à fonctionner normalement et c’est qu’on les considère comme rien de moins que des déchets. Mais le problème est loin de s’arrêter à la manière dont les capitalistes considèrent subjectivement les prolétaires âgés. S’il ne s’agissait que de cela, le problème serait plutôt facile à régler. En fait, ce qu’il faut comprendre, c’est que la bourgeoisie, la classe sociale qui dirige la société, n’a aucun intérêt matériel à fournir aux prolétaires vieillissants les ressources nécessaires à la reproduction « normale » de leur existence – et encore moins à leur fournir ce dont ils auraient besoin pour mener une vie pleinement épanouissante. Les lois économiques du capitalisme font en sorte que la bourgeoisie est irrémédiablement poussée à sous-investir dans les infrastructures sanitaires et dans les services qui sont destinés aux prolétaires âgés. Comme Gaétan Barrette le révélait avec éloquence en parlant candidement des millions de dollars qu’il refusait de débloquer pour fournir des bains supplémentaires aux résidents, les soins aux prolétaires en perte d’autonomie ne constituent, pour l’État capitaliste, rien d’autre qu’une dépense qu’il faut réduire au maximum. Cette dépense, l’État peut la faire diminuer en coupant dans les services, en supprimant des postes et en gardant très bas les salaires des employées des établissements de soins. Il peut également la réduire en déléguant au secteur privé la prise en charge des vieillards comme l’État québécois le fait depuis des années en réduisant les places dans les CHSLD publiques et encourageant le développement de l’offre de soins dans les résidences privées pour aînés. Cette dernière solution comporte également l’avantage de permettre à l’État bourgeois d’offrir des occasions d’affaires en or à de riches propriétaires de résidences.
Le cauchemar qui se déroule présentement dans les CHSLD au Québec (comme celui qui se déroule également au sein des autres pays impérialistes) est révélateur des contradictions inhérentes au capitalisme. Le Québec a beau faire partie des nations les plus riches sur la planète, l’État bourgeois québécois se montre incapable de mettre en place un système de soins fonctionnel, de fournir des services de base aux masses populaires et de répondre de manière organisée à la propagation d’un virus. Alors que la bourgeoisie et ses idéologues n’avaient cessé de vanter, dans les dernières décennies, les progrès illimités qu’allait permettre la victoire du capitalisme et de la démocratie libérale sur le socialisme, on voit maintenant qu’il suffit d’une crise pour que tout s’effondre comme un château de cartes et pour que surgissent des situations calamiteuses et des drames humanitaires. Dans les pays impérialistes, des sommes d’argent gigantesques se sont accumulées au fil des années au sommet de la société pendant que la majorité de la population a été injustement laissée dans des conditions déplorables, voire bien souvent abominables. Au Québec, cela s’est notamment traduit par l’abandon presque complet des prolétaires âgés et par le refus de l’État capitaliste d’accorder des conditions de travail décentes aux travailleuses qui les prennent en charge. Cette situation ne doit pas nous amener à vouloir nous « serrer les coudes » entre québécois et nous retrousser les manches « collectivement » pour remettre les choses en ordre, comme l’a demandé le premier ministre Legault, mais plutôt à renforcer notre volonté de renverser une fois pour toutes le régime capitaliste moribond sous lequel nous vivons. Au lieu d’attendre passivement que les promesses de réformes du premier ministre se réalisent, nous devons nous préparer à lutter activement contre l’État bourgeois, non seulement pour le forcer à nous faire des concessions, mais aussi et surtout pour éventuellement le jeter à terre et le remplacer par un nouvel État dirigé par les masses prolétariennes et populaires, lequel organisera la disparition des classes sociales. Ce nouvel État prolétarien planifiera la production dans le but de satisfaire les besoins de l’ensemble de la population : toutes les ressources dont la société dispose seront mobilisées pour élever le bien-être de la majorité au lieu d’être utilisées pour concentrer la richesse entre les mains d’une minorité de bourgeois comme c’est le cas sous le capitalisme. Il n’y aura plus de limites budgétaires tracées par les intérêts des grandes banques, des milliardaires et d’autres parasites du même ordre et il sera donc possible d’investir massivement pour offrir des conditions de vie convenables à tous, et ce, toute la vie durant – ce qui signifie que les personnes âgées recevront les meilleurs soins que la société sera en mesure d’offrir. Mais pour en arriver là, il faut d’abord commencer par se regrouper en tant que prolétaires exploités et entreprendre la lutte pour le pouvoir politique. Les travailleuses de la santé, qui sont actuellement au cœur de la tempête de la crise sanitaire et qui subissent présentement des attaques particulièrement ignobles, sont appelées à jouer un rôle important dans ce combat!