COVID-19 : rejetons les illusions nationalistes et dénonçons la complaisance petite-bourgeoise envers le gouvernement Legault!
Un peu partout dans le monde, la pandémie de COVID-19 exacerbe les contradictions du mode de production capitaliste et aggrave le désordre propre à la société bourgeoise. À l’échelle internationale, la concurrence entre les bourgeoisies des différents pays impérialistes s’intensifie et prend de nouvelles formes. À l’échelle nationale, les systèmes de santé sont submergés et se révèlent incapables de répondre correctement à la propagation de la maladie et aux besoins des masses. Le chaos économique grandit et les prolétaires s’appauvrissent de manière abrupte. Dans chaque pays touché, cette instabilité crée une situation potentiellement explosive : elle génère des conditions propices à l’émergence spontanée de mouvements de révolte populaires contre l’État bourgeois. Face à cette menace, les classes dominantes cherchent à consolider leur pouvoir par tous les moyens. En plus des mesures de contrôle sans précédent qu’elles mettent en place dans chaque pays (mesures servant d’abord à combattre l’épidémie, mais ayant aussi un aspect de classe, purement répressif, qui va se révéler à mesure que la situation va se développer), les différentes bourgeoisies nationales se voient obligées d’intensifier le bombardement idéologique auquel elles soumettent les masses populaires de leurs pays respectifs, et ce, afin d’assurer l’appui des couches petites-bourgeoises et de limiter au maximum le désaveu des régimes en place par les prolétaires.
D’une part, les campagnes de propagande menées par les classes dominantes prennent la forme de vastes opérations de relations publiques visant à donner l’impression que les gouvernements contrôlent parfaitement la situation, qu’ils protègent la santé de la population face au virus et qu’ils agissent au nom du bien-être du peuple. D’autre part, elles prennent la forme d’appels solennels à l’unité de la nation et de discours patriotiques décomplexés à connotation guerrière. Ces discours idéologiques et propagandistes ont pour effet de masquer les contradictions de classe au sein de la société ainsi que la nature réactionnaire de l’État capitaliste. Loin de servir la lutte contre la pandémie, ils visent à favoriser la passivité et la soumission des prolétaires en les entraînant à soutenir « leur » bourgeoisie nationale dans la concurrence impérialiste mondiale. Finalement, ils visent à faire oublier que les gouvernements n’ont pas été en mesure d’empêcher la propagation du virus et qu’ils ont laissé la situation se dégrader au point de mettre en grave danger la santé des masses.
Au Québec, ce phénomène s’est manifesté dès le début de la crise sous une forme spécifique et avec une vivacité particulière. Très vite, la grande bourgeoisie québécoise a cherché à raffermir son pouvoir et à protéger ses intérêts économiques en déployant une vaste campagne de propagande visant à faire la promotion de son État, de son exécutif gouvernemental et de ses entreprises privées. Ainsi, dès que les premières mesures de confinement ont été annoncées par le gouvernement de la province, les grands médias bourgeois se sont mis à propager l’idée selon laquelle la réponse du Québec à la pandémie était exemplaire et à présenter le premier ministre François Legault comme un véritable héro national. À l’unisson, les journalistes, les chroniqueurs et les commentateurs politiques se sont empressés de vanter la gestion de la crise par le gouvernement Legault. Pendant des jours, à chaque occasion, ils ont fait l’éloge ouvertement et sans aucune subtilité de l’efficacité, du leadership et du courage prétendument extraordinaires du premier ministre et de son équipe. En même temps, la « performance » de François Legault a été mise en opposition avec celle de Justin Trudeau, qualifiée sur toutes les tribunes de médiocre – alors que dans le faits, les différences étaient complètement superficielles, même selon les critères de la politique bourgeoise. En fait, n’importe quel détail insignifiant été utilisé pour faire ressortir une image positive du premier ministre québécois et pour le faire apparaître plus compétent que ses rivaux. On est même allé jusqu’à l’encenser pour sa ponctualité et à le qualifier de « véritable métronome », et ce, pour la simple raison qu’il se présentait devant les médias chaque jour à 13h00! Les médias bourgeois ont également construit une sorte de mythologie artificielle autour de Horacio Arruda, le directeur national de la santé publique, générant une vague d’adoration à son endroit au sein de la petite-bourgeoisie. Arruda a rapidement été présenté comme un homme au grand charisme alors que dans les faits, il s’agit d’un imbécile incapable de donner des explications claires à la population. Guy A. Lepage, l’animateur de l’émission Tout le monde en parle, a même déclaré en ondes que « Horacio est maintenant notre héro ».
Les commentateurs et les journalistes ont d’ailleurs énormément insisté sur la qualité des points de presse quotidiens du « trio Legault-Arruda-McCann », lesquels ont été dépeints comme de véritables chefs-d’œuvre politiques – alors qu’ils ne constituent pourtant rien d’autre qu’un exercice de relations publiques complètement vide et redondant. Par exemple, lors de son passage à l’émission Tout le monde en parle, Patrice Roy, le présentateur vedette de Radio-Canada, a dit que ces conférences de presse allaient « gagner le championnat du monde, toutes catégories, du prix de la communication ». Rebondissant sur les paroles de son collègue, Patrick Lagacé, le chroniqueur du journal La Presse, a ajouté qu’il n’avait « pas souvenir d’un gouvernement qui était aussi transparent » – alors qu’au même moment, le premier ministre Legault était en train de mentir ouvertement à la population à propos des stocks de masques et d’équipement de protection disponibles dans le réseau de la santé! On a également insisté sur le fait que les points de presse du gouvernement étaient devenus le nouveau « rendez-vous quotidien des québécois » et qu’ils témoignaient de la « proximité » du premier ministre avec le peuple. Le chroniqueur Patrick Duquette du journal Le Soleil a même employé l’expression « la messe Legault » pour parler de ces conférences, les décrivant comme « un roc auquel s’accrocher dans le doute et le tourment » et allant jusqu’à dire que « ces jours-ci, nos racines judéo-chrétiennes remontent allègrement à la surface » avec ce nouveau rituel rassurant! En même temps, sur toutes les tribunes, on a commencé à parler du « retour de la nation » en tant que refuge pour faire face à la pandémie ainsi que de l’attachement renouvelé des québécois pour leur État.
De son côté, le premier ministre Legault a lui-même très vite placé la nation québécoise au centre de ses discours, parlant d’une « armée de huit millions et demi de Québécois » engagés dans une grande bataille commune pour vaincre le virus. Il s’est mis à galvaniser le sentiment de fierté nationale au sein de la population, notamment en essayant par tous les moyens de démontrer que les québécois étaient meilleurs que les autres pour lutter contre la pandémie. Dans ses points de presse, il n’a pas cessé de s’autocongratuler et de vanter les mesures prises par l’État québécois pour lutter contre le virus, les présentant comme étant particulièrement avant-gardistes (alors qu’en réalité, elles étaient tout à fait similaires aux mesures prises par les autres gouvernements impérialistes en Amérique du Nord et en Europe) et passant sous silence les problèmes majeurs qui se révélaient jour après jour. Il a même fait référence à une compilation de données de Google semblant montrer que les québécois respectaient davantage les consignes de confinement que le reste des Nord-Américains (tout en omettant de dire que selon les mêmes données, ils les respectaient beaucoup moins que les Français et les Italiens)! Dans un de ses points de presse quotidiens, le premier ministre a déclaré que le Québec allait sortir « plus uni, plus fort, plus prospère et plus fier » du combat contre le virus. Et alors que les infections se multipliaient dans la province, il a annoncé la création d’une plateforme internet intitulée « le Panier Bleu » visant à inciter les gens à acheter québécois … en d’autres mots, à soutenir le capital national!
Suite au décret de l’état d’urgence, un mouvement idéologique d’appui au gouvernement Legault a émergé spontanément au sein de la petite-bourgeoisie québécoise. Ce mouvement a pris de l’ampleur extrêmement vite, à un tel point que même des éléments qui, en temps normal, ne sont pas particulièrement favorables au programme du gouvernement actuel, se sont mis à manifester publiquement leur admiration pour le premier ministre et son équipe. Sur sa page Facebook, la co-porte-parole de Québec Solidaire, le parti préféré de la petite-bourgeoisie culturelle et « progressiste » québécoise, a déclaré : « Aujourd’hui, on est tous et toutes dans la même équipe. […] Je veux, bien sûr, souhaiter la meilleure des chances au premier ministre, à la ministre de la Santé, à tous mes collègues du gouvernement, que je vois comment ils travaillent à pied d’œuvre depuis les derniers jours pour nous amener où nous sommes aujourd’hui. Vous jouez un rôle de chef d’orchestre. Et nous, on joue un rôle de musiciens, musiciennes, premiers violons, probablement, mais on est là parce qu’il faut le faire ensemble. » Cette déclaration reflétait parfaitement bien la complaisance et l’à-plat-ventrisme complet de la petite-bourgeoisie vis-à-vis du gouvernement Legault. Un grand nombre d’artistes se sont portés volontaires pour réaliser bénévolement, à l’appel du premier ministre, des vidéos de propagande destinés à transmettre les consignes sanitaires « aux jeunes » (et surtout à donner aux masses une image sympathique de François Legault). Dans une de ces vidéos ultra-complaisantes, l’humoriste Rachid Badouri a félicité le gouvernement pour sa « super bonne job ». Parmi les écologistes, on s’est également mis à apprécier le travail du premier ministre et à vanter ses appels à la « démondialisation » nationaliste. Par exemple, sur la page Facebook du groupe La planète s’invite au parlement, on s’est mis à voir apparaître des publications telles que celle-ci : « Le gouvernement Legault vient de lancer une vaste campagne d’achat local pour relancer l’économie. L’initiative du « Panier bleu » fait fureur et c’est une très bonne nouvelle! ». Le militant écologiste bien en vue Dominic Champagne a également affirmé ce qui suit : « Cette fois, et c’est tout à son honneur, François Legault ne joue pas sur le mot urgence. Il reconnaît l’urgence d’agir et il passe de la parole aux actes, en suivant les exigences de la science. » Plusieurs petits-bourgeois se sont également mis à critiquer de manière virulente les journalistes, lesquels, selon eux, posaient trop de questions au gouvernement – alors qu’au contraire, les médias agissent depuis le début de la crise comme une parfaite courroie de transmission au service de l’État capitaliste! Pour eux, il était désormais interdit de remettre en doute les affirmations de leurs nouveaux héros nationaux. Ceux qui le faisaient étaient accusés de créer un climat de désunion et soupçonnés de traîtrise. Par exemple, l’humoriste François Bellefeuille a déclaré à Tout le monde en parle qu’il avait été choqué de voir les journalistes poser des questions à François Legault à propos de la répression policière contre des rassemblements qui était survenue dans les jours précédents : « Dans le point de presse, aujourd’hui, j’ai trouvé que les journalistes commençaient à être un petit peu… cherchaient des bébittes. Arrêtez un peu là. Dans le genre, la police qui est allée dans les rassemblements… il y avait beaucoup de questions. […] Je demanderais aux journalistes, si je peux, j’en profite : pensez à votre rôle, c’est pas nécessairement de chercher de la marde où ce qu’y en a pas. » En somme, d’une manière encore plus rapide et encore plus profonde que la classe dominante québécoise aurait pu le souhaiter, la petite-bourgeoisie de la province s’est laissée emportée par la vague nationaliste et s’est rangée de manière absolue derrière le pouvoir capitaliste. Encore une fois, elle joue parfaitement son rôle de coussin pour protéger la classe dominante et de colonne permettant au capitalisme de se maintenir.
L’idéologie propagée par l’exécutif gouvernemental et par les médias bourgeois a généré des illusions particulièrement fortes, non seulement sur la nature du gouvernement Legault et de l’État québécois, mais aussi sur la manière dont le gouvernement a effectivement géré la crise sanitaire. Alors que la réponse du gouvernement du Québec à la menace posée par le virus a été à l’image de celle des autres États impérialistes dans le monde – c’est-à-dire complètement déficiente –, le premier ministre Legault a été présenté comme un sauveur ayant la situation bien en main. En réalité, comme les prolétaires du Québec le constatent jour après jour, la gestion réelle de la crise par le gouvernement Legault est à l’opposé du portait qu’en ont fait les médias capitalistes et de l’image qui s’est imprimée dans les cerveaux des petits-bourgeois : il s’agit d’une catastrophe monumentale. Jour après jour, les prolétaires perçoivent le chaos grandissant au sein de la société québécoise. Notamment, dans les CHSLD, l’épidémie est désormais complètement hors de contrôle. Les infections et les morts se multiplient. Comme les autres États bourgeois dans le monde, l’État québécois a gravement sous-estimé la menace posée par le virus et son manque de préparation scandaleux a mis la santé des prolétaires en danger. Pour s’en convaincre, il suffit de retracer le fil des événements et d’analyser les agissements passés et actuels du gouvernement Legault.
La gestion réelle de la crise par le gouvernement Legault : un désastre monumental
D’abord, contrairement à ce que les médias bourgeois et les idéologues nationalistes ont voulu nous faire croire, les mesures qui ont été prises par l’État bourgeois québécois n’avaient absolument rien d’exceptionnel ou d’avant-gardiste. Dans les jours où le gouvernement du Québec annonçait les premières mesures de confinement, l’ensemble des gouvernements d’Europe et d’Amérique du Nord adoptaient des mesures similaires. Par exemple, le 9 mars, les établissements scolaires de la région de Madrid en Espagne étaient fermés. Quatre jours plus tard, le gouvernement de la Communauté de Madrid ordonnait la fermeture des bars, des restaurants et des magasins non-alimentaires à l’exception des pharmacies. Le 13 mars, soit le même jour que le gouvernement du Québec, 11 des 16 états fédérés d’Allemagne prenaient également la décision de fermer les écoles et les universités sur leur territoire. Le 14 mars, la France annonçait la « fermeture effective de tous les lieux publics non indispensables à la vie du pays » et de tous les établissements scolaires. On voit donc que les actions de l’État québécois n’ont pas découlé d’une clairvoyance particulière du gouvernement Legault : ce dernier a simplement fait comme les autres une fois que le feu vert a été donné à l’échelle internationale. En fait, le gouvernement québécois a même été légèrement en retard par rapport à d’autres gouvernements, notamment sur la fermeture des entreprises « non-essentielles », comme nous le verrons plus loin.
Alors que la grande bourgeoisie québécoise a cherché à convaincre les masses que la réponse de l’État québécois à la pandémie a été une grande réussite, la vérité est qu’il s’agit d’un véritable désastre. Les commentateurs politiques ont tous été obnubilés par les mesures draconiennes prises par le gouvernement à partir de la mi-mars, mais presque personne n’a parlé de ce qui constitue pourtant une évidence : le gouvernement n’a pratiquement rien fait durant les semaines précieuses qui précédaient pour préparer la province à l’arrivée du virus et pour tenter d’empêcher qu’il ne se propage de manière incontrôlée dans la population. En fait, à l’instar de tous les autres États impérialistes, l’État québécois et le gouvernement Legault ont minimisé la gravité de la situation et ont laissé le virus se répandre dans la province sans réagir, et ce, alors qu’il était clair depuis le mois de janvier que la situation allait dégénérer si rien n’était fait. Pourtant, il aurait techniquement été possible de limiter grandement la propagation dès le départ en fermant les lieux de rassemblement beaucoup plus tôt, en limitant les déplacements plus rapidement, en menant une opération de dépistage à grande échelle, en isolant immédiatement les premières personnes infectées et en organisant des campagnes de désinfection des lieux publics. Par ailleurs, le système de santé aurait dû être beaucoup mieux préparé qu’il ne l’était pour faire face à l’épidémie : il aurait fallu garnir les stocks de matériel de protection, mobiliser davantage de ressources, embaucher plus de personnel, mettre en place des protocoles de sécurité plus efficaces, etc. Finalement, il aurait fallu préparer la population à l’arrivée du virus en lui donnant l’heure juste au lieu de la maintenir dans l’ignorance : il aurait fallu déployer des campagnes d’éducation scientifique et sanitaire et donner des consignes claires dès les mois de janvier-février. Bref, la situation objective aurait exigé des mesures beaucoup plus importantes et une réaction beaucoup plus rapide, mais rien de tout cela n’a été fait et le gouvernement a attendu au dernier instant pour agir – condamnant ainsi à mort un grand nombre de prolétaires.
« Actuellement, […] il faut plus craindre la grippe que le coronavirus. C’est ça qui rend les gens malades. Il y a probablement plus de gens qui sont tués dans le monde actuellement par rapport à la grippe qu’au coronavirus. ». Ces paroles n’ont pas été prononcées par Donald Trump, mais bien par Horacio Arruda, le nouveau héro de la petite-bourgeoisie québécoise, au début du mois de février dernier. Affirmant également qu’on avait encore « peu de données » sur le virus, le directeur de la santé publique de l’État québécois semblait alors estimer qu’il était trop tôt pour conclure que le nouveau coronavirus représentait une menace importante. Cela nous donne une bonne idée du niveau d’intelligence qui anime ce haut fonctionnaire adoré des médias. On voit également l’état d’esprit qui régnait à ce moment-là dans les hautes sphères des autorités de la province. D’abord, le fait qu’on manquait de données sur le nouveau coronavirus était justement une excellente raison de le craindre davantage que le virus à l’origine de la grippe saisonnière – un virus connu depuis longtemps, dont les conséquences sur la santé des populations sont tout à fait prévisibles et surtout, pour lequel il existe un vaccin! C’était d’ailleurs, à ce moment, le point de vue partagé par l’ensemble des scientifiques crédibles spécialistes de la question. Aussi, nous savions déjà, depuis l’épisode de l’épidémie de SARS-CoV (le virus responsable du fameux syndrome respiratoire aigu sévère) entre 2002 et 2004, que les coronavirus pouvaient être des agents hautement pathogènes, contrairement à ce qu’on avait longtemps pensé (étant donné que beaucoup de coronavirus ne causent que de simples rhumes). Par ailleurs, les premières études réalisées au mois de janvier en Chine sur le nouveau coronavirus avaient démontré qu’il se transmettait de personne à personne et qu’il pouvait provoquer une maladie respiratoire sévère (semblable au SRAS) potentiellement mortelle. Selon l’article Emerging understandings of 2019-nCoV publié le 24 janvier par la revue The Lancet, « ces caractéristiques [étaient] à l’origine des actions urgentes de la Chine en matière de santé publique et [constituaient] une source de préoccupation à l’international. ». Par ailleurs, les premières informations récoltées en janvier sur le virus laissaient déjà entrevoir qu’il était plus contagieux et beaucoup plus létal que la grippe saisonnière – ce qui a d’ailleurs commencé à se confirmer de plus en plus avec les études ultérieures. Bref, dès le mois de janvier, il était évident que la menace était sérieuse et que les comparaisons avec la grippe comme celle faite par Horacio Arruda étaient stupides et irresponsables. D’ailleurs, le 30 janvier, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) déclarait que la flambée épidémique due au nouveau coronavirus constituait une « urgence de santé publique de portée internationale », ajoutant qu’on pouvait « s’attendre dans n’importe quel pays à l’apparition de nouveaux cas exportés de Chine », tout en précisant qu’il était « encore possible d’interrompre la propagation du virus, pour autant que les pays prennent des mesures fortes pour détecter rapidement la maladie, isoler et traiter les cas, rechercher les contacts et réduire les contacts sociaux dans une mesure adaptée au risque. » Pourtant, le 9 mars, soit cinq semaines plus tard, notre cher Horacio Arruda continuait à minimiser publiquement le danger posé par le virus : «On est chanceux au Québec. On a des cas, mais pas en quantités importantes. Probablement que cette quantité va augmenter au cours des prochaines semaines et mois.» Le même jour, le premier ministre Legault faisait également une déclaration réduisant la gravité de la situation : « Je pense qu’il faut rassurer les gens en leur disant que les risques sont très faibles… qu’ils sont quasiment inexistants au Québec pour ce qui est de contracter le coronavirus par transmission. Il y a très peu de cas, et ces cas sont isolés. » Rappelons que seulement cinq jours plus tard, le gouvernement du Québec déclarait l’état d’urgence sanitaire dans la province après avoir ordonné la fermeture des écoles et des garderies la veille!
Afin de prendre la mesure de l’absence totale de préparation du gouvernement Legault pour faire face à la pandémie et afin de réaliser à quel point celui-ci était déconnecté de la réalité dans les jours précédant le début de la crise, rappelons que le gouvernement déposait son nouveau budget le 10 mars – soit quatre jours avant la déclaration de l’état d’urgence sanitaire – et que celui-ci ne contenait aucune mesure concrète pour lutter contre le virus ou pour faire face aux difficultés économiques qui allaient survenir. Dans le discours sur le budget prononcé ce jour-là, la COVID-19 n’était mentionnée qu’une seule fois au passage, alors que le virus aurait dû constituer le centre de gravité des mesures annoncées! Par ailleurs, alors que des investissements majeurs dans le secteur de la santé auraient été nécessaires (cela était déjà réclamé en temps normal, mais cela était d’autant plus urgent qu’une pandémie monstrueuse était en train de se développer), le nouveau budget du gouvernement Legault prévoyait un niveau de dépenses en santé permettant seulement de garder le système dans l’état où il se trouvait, c’est-à-dire dans un état lamentable. Le budget avait d’ailleurs été dénoncé pour cette raison par la Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec (FIQ) : « En faisant le choix politique d’augmenter ses dépenses en matière de santé et de services sociaux de 5,3 %, ce qui franchit légèrement le seuil des coûts de système, le gouvernement opte pour un choix conservateur qui maintiendra seulement l’état actuel du système de santé, sans toutefois l’améliorer réellement. » Le syndicat déplorait par la même occasion l’absence d’efforts consentis par le gouvernement Legault depuis le dépôt du budget précédent pour embaucher davantage de personnel soignant. Le manque de personnel dans le réseau de la santé est d’ailleurs en train d’avoir des conséquences dramatiques alors que l’épidémie de COVID-19 devient complètement hors de contrôle dans les CHSLD.
Les premières mesures annoncées par le gouvernement le 13 et le 14 mars, notamment la fermeture des écoles et des garderies et les interdictions de rassemblements, étaient tellement draconiennes qu’elles ont éclipsé le fait que presque rien n’avait été fait dans les semaines précédentes. On pourrait cependant croire qu’à partir de ce moment, le gouvernement du Québec contrôlait la situation et faisait le nécessaire. Mais ce n’était pas le cas. Même à partir de ce moment, le gouvernement a tardé à mettre en place les mesures fortes qui s’imposaient. Alors que les jours étaient comptés et que le virus se propageait dans la population, le gouvernement du Québec a attendu au 23 mars avant d’ordonner la fermeture des entreprises jugées « non-essentielles ». Après tout, la bourgeoisie impérialiste québécoise ne pouvait pas être la première à interrompre l’exploitation des ouvriers et le processus de création de plus-value à l’origine du profit capitaliste, car cela l’aurait placée dans une position trop désavantageuse par rapport aux bourgeoisies impérialistes concurrentes, notamment la bourgeoise américaine. Lors de l’annonce de la « mise sur pause » de l’économie, le premier ministre Legault a justifié sa décision en invoquant le fait que la lutte contre le virus était entrée dans une « nouvelle étape » en raison du nombre de cas confirmés dans la province (qui s’élevait à plus de 1 000 à ce moment-là). C’était un mensonge pur et simple. En vérité, le choix de la date n’avait absolument rien à voir avec la progression du virus : le gouvernement Legault attendait simplement que les États impérialistes concurrents se résignent à prendre la décision avant lui. Ainsi, la « fermeture » de l’économie du Québec (ainsi que celle de l’Ontario) le 23 mars a suivi de très près celle de certains grands états américains le 21 mars (notamment l’état de New York et la Californie). Elle est également survenue quelques jours après la fermeture, le 16 mars, des magasins et des entreprises « non essentiels pour la vie de la nation » en France. Ce sont donc une fois de plus les intérêts du grand capital qui ont décidé du sort des ouvriers. Au Québec, ceux-ci ont été forcés de continuer à travailler pendant dix jours après la déclaration de l’état d’urgence, courant le risque d’être exposés inutilement au virus. Ces dix journées perdues ont vraisemblablement contribué à accélérer l’épidémie dans la province. Et maintenant, le gouvernement du Québec commence déjà à préparer le retour au travail alors qu’un grand nombre de personnes sont infectées et que les morts se multiplient!
Revenons à l’inaction de l’État québécois dans les semaines précédant le début de la crise. Rappelons que le nouveau coronavirus avait été identifié en Chine dès le 7 janvier par des scientifiques chinois et que les premières descriptions scientifiques de la pathologie et de l’épidémiologie du virus dataient du 24 janvier. Rappelons également que des mesures de confinement draconiennes avaient commencé à être mises en place dès le 22 janvier dans la province de Hubei en Chine pour contenir la propagation du virus, dont les effets dévastateurs sur la population commençaient à être observés. Rappelons finalement que le risque d’une pandémie était connu depuis longtemps – y compris des autorités canadiennes et québécoises – notamment depuis l’épisode de l’épidémie de SARS-CoV entre 2002 et 2004. C’est donc dès le mois de janvier que des actions importantes auraient dû être prises par le gouvernement du Québec s’il avait réellement agi pour protéger la population. Or, ce n’est que le 18 février – alors que le premier cas de COVID-19 au Canada avait été identifié depuis plus de deux semaines – que le gouvernement Legault a mis en branle son processus d’achat de masques de protection après avoir réalisé que les stocks disponibles allaient peut-être s’avérer insuffisants. En effet, l’État québécois, qui n’avait pas voulu faire les dépenses nécessaires dans les années précédentes, ne disposait pas de réserve de matériel médical utile en cas d’épidémie. Les prolétaires paient maintenant le prix de cette négligence. Notamment, en raison du manque de masques et d’équipement médical, les travailleuses de la santé se trouvent exposées inutilement au virus et se voient forcées de travailler dans des conditions dangereuses. D’ailleurs, le gouvernement Legault n’a pratiquement rien fait pour préparer le système de santé à l’arrivée du virus dans la province. Mis à part la question du matériel, il faut mentionner que les travailleuses du réseau n’ont pas été informées correctement de la situation qui se développait et n’ont pas reçu de formation sur le virus. Les protocoles sanitaires requis n’ont pas été mis en place. Aussi, les personnes vulnérables n’ont pas été placées à l’abri assez rapidement. Notamment, le confinement dans les CHSLD, où se concentrent un grand nombre de personnes âgées, est arrivé bien trop tard. À ce propos, rappelons que le 9 mars encore, le gouvernement annonçait qu’il n’envisageait pas d’interdire les visites dans ces établissements. Ce retard, en plus d’autres lacunes importantes dans la gestion de la crise par le gouvernement, est en train de s’avérer fatal au moment où l’épidémie est devenue hors de contrôle dans ce secteur et que les scènes d’horreur se multiplient. Pour ce qui est du dépistage, le gouvernement Legault a attendu à la semaine du 9 mars pour ouvrir trois premières cliniques dans la province, alors qu’il y avait probablement déjà de nombreux cas infectés non détectés dans la population. En fait, des tests de dépistage massifs et généralisés (c’est-à-dire disponibles pour tout le monde et non seulement pour les personnes « à risque » ou présentant des symptômes) auraient dû être effectués, et ce, bien avant le 9 mars. Cela aurait permis d’isoler dès le départ beaucoup de personnes infectées et de limiter grandement la propagation du virus. Concernant le dépistage, il aurait également été souhaitable que toutes les personnes arrivant de l’étranger soient testées systématiquement et que ces personnes se mettent en quarantaine préventivement. Plus encore, l’aéroport de Montréal aurait dû être fermé en grande partie depuis plusieurs semaines. Il est vrai que ces deux dernières questions ne relèvent pas du gouvernement du Québec, mais on n’a pas entendu le premier ministre Legault faire ces demandes à Ottawa dans les deux mois précédant la déclaration de l’état d’urgence.
Le nationalisme reflète des formes économiques historiquement limitées
et protège le pouvoir bourgeois face à la menace d’une révolte populaire
Il est assez ironique de constater que face à la situation mondiale actuelle, la réaction des capitalistes consiste à renforcer le cadre national et à alimenter l’idéologie nationaliste, considérant le fait que c’est l’humanité entière (et non un pays en particulier) qui est menacée par le virus. La réponse des États bourgeois est complètement décalée par rapport aux nécessités objectives et au mouvement réel du virus. En réalité, la lutte la plus efficace contre la pandémie supposerait de sortir des limites étroites du cadre national, d’en finir avec la concurrence impérialiste et de mettre en place une véritable planification à l’échelle mondiale. Mais tout cela est impossible à réaliser pour la bourgeoisie, une classe sociale qui, en raison de ses conditions d’existence et de reproduction, est condamnée à lutter pour maintenir la société enchaînée à des formes d’organisation archaïques. Ainsi, la réponse des capitalistes à la menace du virus révèle les limites historiques des rapports bourgeois de production et de distribution ainsi que le caractère pourrissant des formes économiques développées par la société bourgeoise. Cela ne signifie pas que le capitalisme sera incapable d’enrayer la pandémie, mais seulement qu’il le fera au prix de souffrances et de pertes humaines complètement inutiles. Le prolétariat ne peut pas endosser les aberrations découlant du pourrissement des institutions capitalistes. Il ne peut pas accepter passivement de demeurer éternellement à la merci du grand capital. Il doit au contraire aspirer à des formes d’organisation sociales supérieures et progressistes : la propriété collective des moyens de production, la planification économique à l’échelle mondiale et l’abolition des classes sociales.
Les illusions générées par la propagande et par le discours nationaliste du gouvernement Legault ne font que servir les intérêts de la grande bourgeoisie québécoise. Comme les autres classes dominantes dans le monde, celle-ci cherche à consolider sa position et à assurer la soumission des masses populaires dans une période d’instabilité grandissante. Elle cherche également à masquer son incapacité à assurer la santé des prolétaires et à faire fonctionner la société correctement. Les prolétaires ne doivent pas se laisser leurrer. Ils doivent rejeter l’idéologie bourgeoise propagée par les médias qui empêche de voir l’État québécois tel qu’il est réellement : un État hostile aux intérêts du peuple travailleur. Ils doivent dénoncer sans réserves la complaisance petite-bourgeoise envers le gouvernement Legault qui a mené les masses populaires de la province dans une situation sanitaire désastreuse. Finalement, ils doivent se préparer à se révolter contre le pouvoir bourgeois qui les maintient dans l’exploitation. Au Québec, au Canada et partout ailleurs dans le monde, les prolétaires doivent critiquer la société bourgeoise par leurs actions et commencer à s’organiser pour parvenir un jour à son renversement complet!
Dissipons les illusions nationalistes propagées par la bourgeoisie québécoise!
Dénonçons sans réserves les ennemis du peuple au pouvoir à Québec!
Préparons-nous à nous révolter contre le régime pourri qui nous a menés au désastre!