COVID-19 : La concurrence internationale au cœur de la crise actuelle
La pandémie de COVID-19 a généré une nouvelle réalité politique et sociale qui n’est pas simple à analyser. Il faut identifier ce qui est à l’œuvre dans le développement de la crise actuelle pour pouvoir comprendre les événements qui se sont bousculés dans les dernières semaines, les décisions exécutives et législatives qui se sont succédées à un rythme effréné, et les mesures prises partout dans le monde par les gouvernements bourgeois pour contrer la pandémie. C’est donc l’examen de la lutte économique et politique entre les différents capitalistes nationaux et leurs États respectifs qui nous éclaire. Autrement dit, la concurrence internationale, avec en son centre l’affrontement perpétuel entre puissances impérialistes, mérite toute notre attention. Remontons le temps sur les traces des événements qui ont mené à la pandémie pour anticiper ce qui nous attend dans la lutte des classes et ce qui méritera d’être approfondi par le mouvement révolutionnaire.
La « crise de la COVID-19 » se décompose en quatre phases distinctes ayant chacune un centre de gravité spécifique :
- La phase de la concurrence internationale centrée sur la propagande, les sanctions et l’isolement politique contre la Chine et les premiers pays infectés à l’hiver 2019-2020;
- La phase de la concurrence internationale centrée sur l’attentisme et le rôle déterminant joué par l’Amérique du Nord et l’Europe, phase qui culmine avec l’adoption commune d’un plan défensif unifié à la mi-mars 2020;
- La phase actuelle de la concurrence internationale centrée sur la lutte contre la déstabilisation de l’économie nationale de chaque pays et la lutte contre le décalage par rapport aux autres pays;
- La phase à venir de la concurrence internationale centrée sur la relance économique après une pause communément accordée, l’appropriation des marchés d’adversaires économiques, les décalages entre les pays, de même que la deuxième vague de l’épidémie et la double fonction de l’état d’urgence sanitaire dans la lutte des classes pour mater la révolte populaire.
Plus globalement, il nous faut faire l’analyse de l’économie, le fondement de la concurrence au sein de la société bourgeoise et du capitalisme.
Une vue d’ensemble des évènements : dépasser les particularités nationales
Pour analyser correctement la crise actuelle, on ne peut se contenter de rester collé sur une réalité nationale spécifique. On ne peut pas non plus dégager une analyse de la situation mondiale à partir de particularités nationales. On doit plutôt avoir une vue d’ensemble de la situation avant de revenir à l’échelle nationale. La crise actuelle est un phénomène international : son origine se trouve dans les relations entre les nations, dans les affrontements perpétuels entre les États capitalistes. Entre ceux-ci réside un jeu d’actions réciproques, un effet miroir infini qui mène à une montée aux extrêmes. En bref, la crise actuelle est indissociable de la concurrence internationale.
Les premiers cas d’infections remontent au 17 novembre 2019 à Wuhan en Chine. Le 12 janvier 2020, l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) confirmait que le nouveau coronavirus était responsable d’une série de symptômes graves maintenant désignés comme la COVID-19. Le 30 janvier 2020, l’OMS déclarait l’état d’urgence sanitaire mondiale. Le 11 mars 2020, l’OMS qualifiait la propagation de la COVID-19 de pandémie. À la mi-mars, le Canada, la France, l’Allemagne, le Royaume-Uni, la Russie et les États-Unis déclaraient l’état d’urgence sanitaire. Le 13 mars 2020, le gouvernement du Québec joignait le mouvement. S’en suivait une série de mesures étatiques formant un programme commun : la quasi-fermeture des aéroports et des frontières, l’interdiction de rassemblement, la mise en quarantaine préventive et forcée, le confinement d’une large part de la population, la mise sur pause des secteurs économiques non-essentiels à la reproduction de la société, etc. À ce jour, l’on recense que près de la moitié de la planète est en confinement.
Contrairement à ce qu’on cherche à nous faire avaler lors des points de presse journaliers du premier ministre québécois, la mise en place de l’état d’urgence sanitaire ne s’est pas répandu à l’initiative du Québec. Il n’y a pas non plus de façon propre au Québec de gérer la pandémie. La série de mesures adoptées par François Legault n’a rien d’unique en son genre dans le contexte mondial actuel. En fait, il n’existe pas d’individus géniaux qui soient les auteurs ou les instigateurs du programme économique et social mis en place partout dans le monde. Le gouvernement bourgeois d’ici n’était pas à l’avant-garde de ce qui s’est fait ailleurs. Les mesures québécoises et canadiennes n’ont pas vu le jour plus tôt qu’aux États-Unis ou qu’en Europe. Plus encore, au Québec comme dans bien d’autres pays, la même campagne de relations publiques faisant la promotion de la clairvoyance et de la prévoyance étatique a été lancée. Aucun État ne peut prétendre avoir prêché par l’exemple. Pourtant, tous les gouvernements saisissent l’opportunité de redorer leur image. En vérité, l’ensemble des principaux pays et États internationaux ont mis en place sensiblement les mêmes mesures au même moment. En fait, nous avons assisté à un mouvement unifié, le décret d’un feu vert concerté, l’action conjointe et cumulée de toutes les grandes puissances impérialistes en concurrence les unes avec les autres. Pour s’en convaincre, on n’a qu’à jeter un coup d’œil aux dates des déclarations d’état d’urgence sanitaire un peu partout à travers le monde :
Hongrie (11 mars 2020), États-Unis (du 29 février au 13 mars 2020), Floride (29 février 2020), Washington (29 février 2020), Californie (4 mars 2020), Maryland (5 mars 2020), Kentucky (6 mars 2020), Tennessee (6 mars 2020), New York (7 mars 2020), Oregon (8 mars 2020), Ohio (9 mars 2020), New Jersey (9 mars 2020), Colorado (10 mars 2020), Caroline du Nord (10 mars 2020), Massachusetts (10 mars 2020), Michigan (10 mars 2020), Nouveau Mexique (11 mars 2020), Arizona (11 mars 2020), Wisconsin (12 mars 2020), Virginie (12 mars 2020), Kansas (12 mars 2020), Louisiane (13 mars 2020), Minnesota (13 mars 2020), Espagne (13 mars 2020), Québec (13 mars 2020), Kazakhstan (15 mars 2020), Serbie (15 mars 2020), Arménie (16 mars 2020), Kosovo (17 mars 2020), Philippine (17 mars 2020), Ontario (17 mars 2020), Alberta (17 mars 2020), Macédoine du Nord (28 mars 2020), Portugal (18 mars 2020), Luxembourg (18 mars 2020), Géorgie (21 mars 2020), Krygyzstan (21 mars 2020), Nouvelle-Écosse (22 mars 2020), Thaïlande (25 mars 2020), Inde (25 mars 2020), Japon (7 avril 2020).
Cette liste non-exhaustive ne rend même pas compte des pays qui, sans avoir décrété un état d’urgence formel, ont mis en place des mesures législatives exceptionnelles conformes au programme commun. Par exemple, en France, alors que la déclaration de l’état d’urgence sanitaire n’est survenu que le 24 mars, la fermeture des écoles et des garderies a été annoncée le 12 mars 2020, l’interdiction de se rassembler, le 13 mars, la fermeture des activités et des commerces non-essentiels, le 14 mars 2020, et le confinement obligatoire, le 16 mars. En Allemagne un plan pour contenir la propagation a d’abord été mis en place à la fin du mois de février 2020, suivi de l’adoption du plan de protection le 13 mars 2020 : les écoles et les garderies sont alors fermées et les visites dans les centres de personnes âgées sont interdites. Le 22 mars suivant, un couvre-feu a été imposé à l’échelle nationale et un ensemble d’autres mesures dignes de l’état d’urgence sanitaire ont été annoncées. Le programme est sensiblement le même en Russie où une période sans travail a été annoncée après la fermeture des frontières, des écoles et l’interdiction des rassemblements. Même chose pour le Royaume-Uni où des mesures de « distanciation sociale » ont été mises en place avant l’adoption formelle du Coronavirus Act 2020 et du Health Regulation 2020 (Coronavirus Restrictions) à la fin du mois de mars 2020.
Ainsi, malgré les particularités nationales, nous avons assisté à un mouvement unifié impulsé d’un seul coup à l’échelle internationale, bien qu’extrêmement en retard face à la situation objective. La force avec laquelle les mesures ont été appliquées partout en mars 2020 et le fossé qui séparait ces mesures de la vie qui avait cours dans les jours qui ont précédé leur annonce ont suscité de la stupeur, d’autant plus que la COVID-19 avait été présentée comme banale et inoffensive jusque-là. Dans la première phase de la crise, tout était mis en œuvre pour faire valoir que le coronavirus était un événement mineur duquel on était à l’abri. Avec le recul, cela révèle à quel point rien n’a réellement été fait pour prévenir la pandémie avant les annonces du mois de mars.
Le laisser-aller des mois de décembre 2019 et de janvier-février 2020 est principalement causé par la concurrence économique et politique entre les grands pays impérialistes. Pendant de précieuses semaines, rien n’a été fait : aucune puissance capitaliste n’a voulu être la seule à être pénalisée en prenant des mesures préventives nuisibles pour son économie nationale. C’était d’autant plus dissuasif de le faire que les pays se trouvaient dans une fin de cycle économique qui annonçait des résultats désastreux. La concurrence exacerbée dans un contexte économique chambranlant a poussé les joueurs à s’engouffrer dans une attente « irrationnelle ». Aucun État ne voulait essuyer de lourdes pertes et connaître un ralentissement de son économie nationale si ses compétiteurs ne s’exposaient pas aux mêmes risques. Tant qu’il subsistait une infime lueur d’espoir quant à la possibilité d’échapper à la COVID-19, la négation de la menace était de mise. L’influence des grandes puissances impérialistes et de la bataille qu’elles se livraient a pesé sur le reste des nations et des états, élargissant ainsi la période d’attentisme à une grande partie du globe.
C’est à travers la concurrence internationale que les contradictions matérielles dans le monde se sont exprimées, que les antagonismes économiques entre les grandes puissances capitalistes ont déroulé le tapis rouge au mouvement réel qu’est le coronavirus. Ce dernier a ainsi pu se propager sans grands obstacles. La concurrence a généré les conditions dans lesquelles la pandémie a pris de l’ampleur malgré tous les signaux d’alerte. Une fois de plus, le prolétariat international et les peuples du monde entier se sont retrouvés à la merci des intérêts du capital qui ont retardé la mise en place de l’ensemble des mesures prescrites par les sciences et par les expériences accumulées de lutte aux épidémies au cours de l’histoire.
Les quatre phases de la crise actuelle : l’arène des combats économiques et politiques entre les États capitalistes et les grands monopoles internationaux
1) La propagande contre la Chine et les premiers pays affectés
La première phase de la concurrence internationale est centrée sur l’offensive politique contre les premiers pays affectés par le virus. Cette phase est marquée par une période de propagande diffamatoire, de sanctions envers les pays touchés et d’isolement politique de ces pays. La Chine a nécessairement subi cette attaque de plein fouet. Des pays comme l’Iran et l’Italie en ont fait l’objet également.
Cette phase était donc principalement une offensive qui consistait à saisir l’opportunité de nuire et d’affaiblir les concurrents déjà aux prises avec le virus. Dès novembre 2019, une énorme campagne de propagande contre la Chine a pris forme. Elle avait pour objectif de présenter la situation comme le résultat d’un problème provoqué puis mal géré par le « despotisme » chinois. L’angle d’attaque était de mettre en opposition le penchant « autoritaire » de la Chine avec la démocratie libérale telle qu’elle existe en Europe ou aux États-Unis. Les médias bourgeois au Canada ont d’ailleurs parlé à outrance du cas d’un médecin chinois qui avait sonné l’alarme à l’automne et du « complot » orchestré pour enterrer sa voix. Dans la même lignée, on a assisté à une sur-emphase médiatique sur l’achat d’animaux vivants destinés à la consommation alimentaire dans certains marchés en Chine. On allait jusqu’à parler du « virus chinois ». Par la suite, les victoires enregistrées dans le combat sanitaire chinois ont été présentées comme étant le produit de la « dictature ». Pourtant, les mesures mises en place en Chine (par exemple, la mise en quarantaine à partir du 23 janvier 2020 de Wuhan et de quelques autres villes de la Région de Hubei) ne diffèrent pas fondamentalement de celles qui ont été mises en place en Amérique du Nord ou en Europe au cours des dernières semaines. L’état capitaliste chinois a tout de même réussi à empêcher la propagation nationale dans ce qui est le plus grand pays à l’échelle mondiale en termes de population.
De la même façon, la faillite de l’Iran et de l’Italie face au virus était présentée comme résultant de la faiblesse de leur réseau de santé respectif et de leurs autres carences nationales en utilités publiques. Plus encore, on a vu des dénonciations de l’Iran fuser de partout à propos des fosses communes. Les médias bourgeois diraient-ils la même chose aujourd’hui, maintenant que New York ne sait plus quoi faire des corps? Pire encore, les premiers pays touchés ont souffert d’isolement politique : de l’aide sanitaire et matérielle venant de l’extérieur leur a été refusée.
Tout au cours de cette phase, le virus a été présenté comme une simple grippe qui ne pouvait affecter que des populations aux installations, aux conditions et aux pratiques « moyenâgeuses ». Il suffit de regarder les articles publiés en janvier et en février 2020 dans les différents journaux nationaux pour s’en convaincre. Au Canada, en février, La Presse et Radio-Canada soutenaient avec désinvolture que la grippe saisonnière était plus létale et dommageable que la COVID-19.
2) Le mouvement défensif unifié de mars 2020 et le programme commun : du laisser-aller outrancier à la sauvegarde in extremis
La deuxième phase de la concurrence internationale est centrée sur l’attentisme et la naissance du mouvement défensif unifié de mars 2020. Suite à une période de laisser-aller outrancier, une séquence d’actions a vu le jour partout en Europe et en Amérique. Cette séquence s’est conclue par l’adoption d’un programme commun, ce qui a mené à une trêve mondiale.
Pour illustrer le scénario auquel nous avons assisté le mois dernier, prenons le jeu selon lequel deux participants à bord d’un véhicule foncent l’un sur l’autre à tout vitesse. Celui qui perd est celui qui tourne son volant le premier pour éviter la collision. Cependant, si ni l’un ni l’autre des chauffeurs n’intervient sur sa trajectoire, un accident fatal est assuré. Dans cet esprit, l’action ou l’inaction d’un pays est la mesure de l’action et de l’inaction d’un autre pays, et réciproquement. Il n’est donc pas possible de prendre des mesures draconiennes seul dans son coin. Les liens qui unissent les divers concurrents sont tributaires du mouvement que produit la concurrence entre eux ainsi qu’entre les capitaux et les états nationaux.
Le laisser-aller des mois de janvier-février 2020 est le produit des actions réciproques. Il n’a pas à redire : des mesures ont été prises beaucoup trop tard (fermeture des aéroports, dépistage, commande de matériel médical, etc.). Un mouvement unifié était aussi requis pour que les pays mettent sur « pause » leur économie et donc ferment temporairement un nombre considérable de secteurs et d’industries. Plusieurs pays se sont ralliés derrières des décisions risquées grâce à l’intermédiaire des organisations internationales et super-structurelles : les mots d’ordre qu’ont lancé l’OMS et l’ONU ont donné certains coups d’envoi. Cependant, l’impulsion du mouvement unifié provenait principalement d’un gain commun marquant la conclusion de la séquence d’actions réciproques de janvier-février 2020. L’affrontement perpétuel entre les États capitalistes pour s’arracher des parts de marchés et pour le partage du monde a donné lieu à une longue valse de lutte économique et politique, à un affrontement interminable, à une épreuve d’endurance qui a poussé les gouvernement à jouer à pile ou face avec la santé et la vie des populations au nom de la compétition impérialiste.
Que le programme commun ait été mis en place trop tardivement n’a donc rien d’étonnant. La situation objective et la réalité matérielle du coronavirus exigeaient pourtant qu’on agisse bien plus tôt et bien plus efficacement. C’est donc un mouvement essentiellement défensif qui s’est mis en place pour sauver les meubles après une trop longue période d’attentisme. Le hic, c’est que ce mouvement défensif unifié, bourré de lacunes et de limites, ne peut avoir d’effet durable en dehors de l’existence d’un vaccin. L’ampleur de l’épidémie est contrôlée tant que sont maintenues les difficiles et dispendieuses mesures économiques et sociales. Le programme actuel n’est effectif que si l’ensemble des malades guérissent et que parallèlement, la propagation est complètement endiguée, c’est-à-dire s’il n’y a plus de nouveaux infectés. Pour que ce scénario se réalise, il faudrait un maintien des mesures actuellement en place, voire même un resserrement majeur du confinement pour une durée indéterminée… mais certainement beaucoup plus longue que ce que la concurrence internationale permettra. Autrement, une deuxième vague de contagion nous guette. Et en ce moment, rien ne nous laisse présager qu’il existe un réel plan pour faire face à cette deuxième vague sinon que la mise en place (déjà bien entamée) de mesures de sécurité publique de plus en plus répressives ainsi que l’émergence de nouvelles normes sociales (perspective tout de même limitée) qui ralentissent la contagion.
Dans ce contexte, tous les pays se sont rendus au bord de la catastrophe. Prendre l’initiative dans le combat contre la COVID-19 n’était pas envisageable : les intérêts privés des capitaux et grands monopoles nationaux primaient. Le mouvement défensif qui s’est déployé sous nos yeux n’est finalement qu’une manœuvre désespérée pour empêcher que les dizaines de milliers de morts ne deviennent des centaines de milliers de morts, ce qui viendrait nuire à la « santé » de l’économie nationale.
3) La lutte actuelle pour préserver l’économie nationale face aux déstabilisations provoquées par l’épidémie durant la trêve commune
Cette phase de la concurrence internationale est centrée sur le combat que mène chaque État pour préserver son économie nationale. Tous cherchent à figurer parmi les moins déstabilisés par la pandémie au sortir de la « trêve communément adoptée ». Cette trêve pousse les exécutifs nationaux à opter pour différentes tactiques dépendamment des cartes qu’ils ont en main, des conditions économiques et politiques qui leur sont propres (PIB, industries, secteurs financiers, dettes, position dans les rapports internationaux, etc.). Et les différences entre les États ne feront que se creuser avec l’érosion du mouvement unifié de mars 2020.
On voit apparaître des formes particulières de quarantaine, de pause dans l’activité, d’encadrement des aéroports et des frontières, de couvre-feux, de patrouilles, de fichages, de surveillance électronique, d’interdiction de rassemblements, de confinement et de ceinturation de territoires, etc. Cependant, les variations n’excluent pas que les tactiques se rapportent au même mouvement unifié. Les acquis politiques et économiques d’un État entraînent des planifications et des décisions subjectives. C’est ce qui entraîne des variations au niveaux des tactiques adoptées. Les rapports objectifs entre le États capitalistes sont aussi en cause. Les démarcations sont plus apparentes lorsqu’on parle de réorganisation de la production et de l’économie nationale, d’adoption de subventions aux entreprises privées et d’autres formes légales qu’on donne au capital. L’idée pour chaque État capitaliste, c’est de garder sa tête hors de l’eau pendant que les autres se noient.
Tenons-nous le pour dit : le mouvement commun est un pacte temporaire. Dans une guerre de tranchées, il y a des trêves consenties par les deux camps pour permettre aux soldats d’aller chercher les morts et les blessés sans s’exposer à des tirs ennemis. La trêve à laquelle on assiste présentement est née dans les conditions particulières de la COVID-19 parce que toutes les factions considéraient avoir quelque chose à y gagner. Elle ne constitue en rien la négation de la concurrence; elle est une forme produite par la concurrence. En ce sens, la trêve est comparable aux alliances ou aux blocs politiques qui se forment devant des ennemis communs. La concurrence n’est donc pas disparue durant la phase qui nous préoccupe; la concurrence prend des formes particulières. Elle se moule aux mesures qui tendent à contenir l’épidémie et à empêcher l’émergence de conditions qui perturberaient durablement la production et la circulation du capital.
Nous sommes en droit de nous demander quelles seront les conséquences possibles de l’épidémie à l’échelle nationale. Bien entendu, il s’agira de conséquences énormes si l’épidémie n’est plus combattue. Mais même avec les mesures mises en place jusqu’à présent, les dommages à prévoir sont grands :
- Des atteintes à l’économie nationale, des entraves au procès de production et de circulation du capital, l’affaiblissement des secteurs financiers, des banques et des bourses d’actions, l’endettement, la détérioration de secteurs industriels fondamentaux;
- Des pertes humaines très élevées;
- L’échec du réseau de la santé et d’autres institutions et utilités publiques (transports, etc.) nécessaires à la reproduction de l’activité économique et de la société civile bourgeoise;
- La révolte des masses sous une forme spontanée, éphémère et violente générée par une détérioration générale de leurs conditions de vie, révolte pré-configurant l’émergence d’une crise politique;
- Un décalage par rapport aux adversaires s’étant remis de la pandémie, une épidémie nationale qui perdure alors qu’une remise sur pied a cours ailleurs.
Ce qui est sûr, c’est que les États capitalistes ne peuvent rester les bras croisés. Cela dit, un exercice d’optimisation a lieu parallèlement au programme commun : il s’agit de parvenir au moins pire des scénarios à moindre coût. L’optimisation repose sur les conditions courantes et des prévisions.
La concurrence donne lieu à des formes extérieures d’interventions : s’accaparer une ressource, en priver ses adversaires, les déstabiliser, les affaiblir, etc. Quand on assiste à la lutte à laquelle s’adonnent les États pour mettre la main sur le matériel médical, la concurrence est plus qu’évidente. La situation est digne d’un blockbuster hollywoodien : cargaison de masques de protection est détournée sur le tarmac, transactions en argent liquide, convoi d’agents armés pour escorter les cargaisons, etc. Au Québec, le premier ministre François Legault a affirmé avec une désinvolture déconcertante : « […] c’est vrai que ça joue dur dans certains pays. […] Mais on joue, nous aussi, selon les règles du jeu. Ça veut dire que des fois, il faut arriver avec de l’argent comptant, il faut avoir des policiers, des gens qui suivent le transport […] ». Dans le même ordre d’idées, on assiste à l’annulation ciblée d’exportation, la négociation sous la menace, la surtaxation, des mesures douanières protectionnistes, des jeux de coulisses diplomatiques, etc.
C’est dans la lutte contre le décalage par rapport aux autres pays que les deux formes produites par la concurrence internationale, celle à portée intérieure et celle à portée extérieure, s’unissent. Pour agir dans le cadre national, pour adopter des mesures de confinement ou pour les relâcher, il faut regarder ce qui se passe à l’international, il faut rester prudent et être au diapason de ce qui se fait ailleurs. Le fondement matériel de la trêve de mars 2020, c’est la lutte contre le décalage par rapport aux autres pays. Il était devenu indéniable qu’aucun pays du globe n’échapperait à la pandémie, que prolonger l’attentisme ne faisait qu’amplifier la catastrophe qu’il avait provoquée. Tous les concurrents ont donc consenti à des contraintes économiques et sociales du même ordre. Le refus de participer au mouvement unifié conduisait à une épidémie forte et sans fin prévisible : peu ont voulu risquer d’être au sol alors que tous les autres allaient se relever. La lutte contre le décalage par rapport aux autres pays est l’objectif de la phase actuelle et de celle à venir : tous les États chercheront à être le moins déstabilisés que possible, le moins longtemps que possible… et à se relancer le plus vite possible. Plus encore, on cherchera à s’en sortir mieux que les autres.
4) La période à venir de relance économique et la nécessité de renforcer les mesures répressives pour mater la contestation populaire à l’échelle nationale
Cette phase à venir sera centrée sur la relance économique. Elle sera marquée par un dé-confinement progressif, la reprise des activités économiques dans les secteurs non-essentiels, le retour en force des industries productives comme celle de la construction… bref, un retour à la normale pour ce qui est de la circulation du capital. Mais pour les populations nationales, rien ne sera moins normal : la menace d’une deuxième vague de l’épidémie pèsera lourd. Les gens se heurteront à des conditions de travail et d’activité en société non-sécuritaires… et des mesures extrêmement répressives les attendront s’ils s’avisent de se révolter.
Tôt ou tard, le mouvement unifié défensif de mars 2020 et la trêve commune qu’il a induite vont prendre fin. Dans cette phase, la concurrence se corsera : ceux qui parviendront à relancer leur économique le plus tôt voleront les parts de marché des autres qui traîneront de la patte. Il ne suffira que d’un adversaire qui se jette hâtivement dans la fosse aux lions pour provoquer un mouvement général. Déjà, l’Amérique du Nord et l’Europe sont contrariées par l’avance enregistrée par la Chine. La relance de la Chine précipitera la relance de ses concurrents. La pression à repartir la machine au plus vite sera forte. Cette dynamique infernale provoquera une autre montée aux extrêmes : on forcera les travailleurs à reprendre du service, mais cette fois, dans des conditions plus dangereuses que jamais.
La concurrence internationale aura nécessairement pour effet de renforcer la lutte des classes à l’échelle nationale. C’est alors que la double fonction des mesures (santé publique et sécurité publique) apparaîtra clairement. La situation économique désastreuse (récession, effondrement boursier, etc.) deviendra très apparente. Les pays les plus laxistes en matière de mesures répressives seront les plus déstabilisés (émeutes, mouvements spontanés violents) d’où la nécessité, pour les états capitalistes, de mettre en place dès maintenant un filet à double fonction qui sert présentement à contenir la pandémie et qui ultimement, servira plutôt à mater une révolte populaire, d’autant plus qu’une deuxième vague de propagation est à prévoir.
Quand la répression surgira, l’analyse de la crise actuelle par le mouvement révolutionnaire prendra une dimension pratique. Les gens réaliseront que nous serons revenus au même point qu’avant la déclaration de l’état d’urgence sanitaire, à la différence qu’il y aura de nouvelles normes sociales résultant de l’expérience qui aura été accumulée. Mais aussi bien appliquées qu’elles pourront l’être, ces normes ne pourront pas à elles seules freiner le virus, ce qui aura pour effet de révéler les insuffisances du régime bourgeois. Aussi, la qualité de vie sera inférieure à celle d’avant. Cela constituera la base matérielle d’un mouvement spontané de contestation et de résistance. Le réseau de la santé, lui, sera à bout de souffle. Les gens auront peur de s’exposer au virus en allant travailler. Les ménages se seront appauvris. On ne chantera plus les louanges des travailleurs essentiels. Les sans-emplois n’auront pas de perspectives d’embauche. Les ex-prestataires de la Prestation canadienne d’urgence (PCU) réaliseront durement que le 2 000 dollars accordé par le fédéral sera imposable au prochain printemps. Les travailleurs prendront la mesure de leur endettement. Certains capitalistes se seront enrichis du malheur des autres. Et la concurrence internationale renforcera la lutte des classes à l’échelle nationale.
Le fondement matériel des différentes phases de la concurrence internationale au cœur de la crise actuelle
L’économie, qui est la base de la société, réunit et englobe les quatre phases précédentes. La lutte économique est le fondement matériel de chacune des phases. Elle est le fil conducteur des évènements récents et à venir. La concurrence économique générale, la chute boursière de 2020 et les crises économiques cycliques doivent donc être intégrées à l’analyse de la crise actuelle. Par exemple, l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP) a baissé les prix du pétrole à l’approche d’une diminution de la production en contexte de pandémie, ce qui a causé la saturation du marché. Il est clair que les évènements réels (la pandémie) sont en relation avec les lois économiques du capitalisme et que tout cela mérite d’être finement analysé. La base économique et les crises cycliques du capitalisme fusionnent avec le mouvement réel (dans ce cas-ci, le coronavirus).
Toutefois, contrairement à une analyse développée par des courants en banqueroute, le virus n’est une création pour cacher la crise économique. Ce n’est pas un complot, comme se l’imaginent des tendances politiques idéalistes ayant sombré dans l’anti-marxisme. En fait, penser cela, c’est aussi insensé que de penser que le virus a été créé par un impérialiste donné comme la Chine ou les États-Unis.
Le virus servira de paravent au capitalisme, c’est un fait, et ce, comme bien d’autres évènements et phénomènes (catastrophes naturelles, guerres, etc.). Les idéologues et les États capitalistes seront à pied d’œuvre pour nous leurrer. Cependant, le virus n’est pas une invention et les états d’urgence sanitaire ne sont pas des mises en scène. Ne pas le reconnaître revient à nier l’impérialisme et le matérialisme historique.
Il n’y a rien de fondamentalement nouveau et de surprenant à ce que nous révèle la pandémie sur le capitalisme. La concurrence a causé l’attentisme puis le mouvement unifié de mars 2020; elle a commencé à causer les affrontements pour la préservation des économies nationales; elle causera la deuxième vague de propagation de la COVID-19 puis attisera la contestation populaire spontanée. La concurrence est au cœur de la crise actuelle, au cœur des relations impérialistes, au cœur de la société bourgeoise.