COVID-19 : Faire son épicerie au temps de la pandémie nous révèle des relations économiques complexes

La décision du gouvernement du Québec, il y a trois semaines, de déclarer l’état d’urgence sanitaire et de fermer provisoirement les écoles et les garderies a pris la population par surprise. S’en est suivi un enchaînement spectaculaire de nouvelles mesures étatiques. Celles-ci remplissent la double fonction de contribuer réellement à la santé publique tout en préparant un cadre ferme « de sécurité préventive et de maintien de l’ordre » pour faire face à d’éventuelles émeutes et actions violentes. En effet, la possibilité d’un mouvement de masse spontané et violent, bien qu’éphémère et ponctuel, naissant du désespoir et de la colère des gens devant la détérioration de leurs conditions de vie est bien réelle. Par conséquent, l’exécutif capitaliste en place a forcément une réflexion bidimensionnelle (santé publique et « sécurité publique ») sur sa planification, et ce, dans le but de conserver le contrôle sur les événement à venir et de parvenir à maintenir la société bourgeoise en place.

L’épidémie de COVID-19 crée une situation politique explosive en latence qu’il faut suivre attentivement. Déjà, il est possible d’affirmer que l’événement provoque une remise en question, chez un grand nombre de prolétaires au pays, des rapports économiques qui sous-tendent l’existence des travailleurs et la société dans son ensemble. La réalité politique et sociale des derniers jours suscite de la stupeur et de l’incompréhension. Plusieurs personnes cherchent des réponses quant aux causes et à l’origine de la situation tout en peinant encore à formuler les bonnes questions et à voir les choses telles qu’elles sont. Comment expliquer qu’une réorganisation d’envergure de la vie normale en société soit aussi soudaine et rapide? Pourquoi les mesures sont-elles venues aussi tardivement et d’une manière aussi draconienne? De quelles forces et de quels intérêts sommes-nous à la merci?

Dès les premiers jours de l’état d’urgence sanitaire, des phénomènes nouveaux se sont manifestés et nous ont fait de nombreuses révélations sur le monde dans lequel nous vivons. Bien que ces révélations soient encore partielles, elles ont le mérite de plonger d’un seul coup des millions de travailleurs au cœur de la lutte des classes et de les faire entrer du jour au lendemain à l’école de l’économie politique appliquée.

Pour n’en prendre qu’un seul, la difficulté de faire son épicerie figure parmi les phénomènes notables qui accompagnent l’épidémie. Cette difficulté est apparue très tôt dans le nouveau calendrier et elle semble vouloir s’inscrire dans la durée. En fait, la ruée spontanée vers les magasins aux suites du premier point de presse du gouvernement provincial doublée de la faiblesse des chaînes d’approvisionnement sous le capitalisme a révélé la centralité de l’économie dans les différents rapports composant la société et dans les liens organisant les êtres humains entre eux. Il en va de même pour la difficulté, voire l’impossibilité, d’avoir accès aux services de livraison des commandes d’épicerie pour les personnes en isolement et à court de provisions.

En d’autres mots, la difficulté à faire les achats nécessaires pour reproduire la vie humaine et la force de travail révèle l’importance de l’économie et des relations économiques qui sous-tendent la société. Le manque persistant de plusieurs marchandises (pain, pâtes, viande, patates, œufs, beurre, lentilles, riz, produits hygiéniques, etc.) démontre concrètement combien la production de nourriture et de biens consommables sont indispensables à l’existence quotidienne et durable des êtres humains. C’est sur la nécessité de produire à tous les jours afin de faire perdurer la vie humaine et de reproduire la société dans son ensemble que se fonde l’organisation de toute la vie en société : les échanges, la distribution et la consommation. Faire son épicerie s’inscrit dans une organisation sociale et économique plus large où la production est fondamentale. En cette période de crise, le prolétariat fait ses premières armes en matière d’économie politique alors qu’il est plus évident que jamais que la vie économique est infiniment complexe et qu’elle entraîne son lot de problèmes.

Nombreux sont les aspects de la société capitaliste à expliquer aux masses, à commencer par comment elle fonctionne, ne serait-ce qu’en abordant les différentes formes économiques qui précèdent la production des marchandises achetées par des individus en épicerie. Il est essentiel de connaître les origines et de comprendre le fonctionnement du travail salarié auquel doit s’adonner la grande majorité de la population pour vivre. Il est aussi impératif de comprendre la réalisation de la valeur au moment d’un achat à l’épicerie, c’est-à-dire l’obtention de la quantité d’argent et de temps de travail investi et contenu dans une marchandise sur les tablettes, marchandise sur le point d’être achetée. Il faut aussi prendre conscience de la nécessité de vendre les marchandises pour assurer la transformation du capital-marchandise en capital-argent, ce qui permet à la circulation des capitaux d’avoir cours et de migrer vers un nouveau cycle de production.

Les problèmes qu’on rencontre désormais dans les supermarchés, et ce, depuis le début de la crise sanitaire, ouvrent les yeux des prolétaires sur l’importance du transport des marchandises vers les commerces de détail, l’importance des entrepôts pour conserver et garantir une masse suffisante et excédentaire de provisions disponibles, l’importance de telles provisions pour que le capital industriel puisse accéder en permanence aux diverses marchandises entrant dans les nombreux procès de production. Ces problèmes dévoilent que la production de marchandises est réalisée dans l’unique but de mettre en valeur le capital. Autrement dit, ils nous révèlent qu’il est courant d’investir de l’argent pour faire plus d’argent; que le profit est l’unique force motrice de la production dans la société; que la source de ce profit et de cette valeur nouvelle est l’exploitation de la force de travail, soit la plus-value produite par le travail non-payé du salarié. Et ils nous font réaliser que cette même force de travail exploitée doit inévitablement se rendre au magasin pour s’alimenter, pour reproduire sa vie personnelle et celle de sa famille.

La nouvelle conjoncture qui accompagne l’arrivée de la COVID-19 nous signale qu’à tout moment, un ralentissement peut survenir dans les opérations ou un accrochage peut entraîner le déraillement du train de circulation du capital. Au fond, nous devons démontrer aux prolétaires que le chaos actuel n’est pas qu’une impression et que plus encore, ce chaos découle de formes économiques qui s’avèrent limitées et désuètes à ce point-ci dans l’histoire.

La situation survenue depuis la mise en place de l’état d’urgence sanitaire n’a pas fini de se développer. Elle deviendra de plus en plus explosive à mesure que la vraie nature de l’État capitaliste apparaîtra au fil des mesures adoptées par le gouvernement. Avec le temps, les contours des conséquences des phénomènes économiques désastreux que le capitalisme engendre se dessineront clairement : ils auront été amplifiés par l’épidémie. Déjà, la situation donne un aperçu des contradictions de la société actuelle, des limites de la production dans l’économie capitaliste, de la fragilité d’une production n’existant que pour l’enrichissement privé et de la faiblesse des formes de distribution et de consommation que cette production a générées.

Pour la suite des choses, gardons en tête qu’il faut maîtriser la situation et son développement. C’est là un préalable pour bâtir le camp de la révolution et surtout, pour donner une base solide à la contestation populaire qui surgira de la crise actuelle.