Grève générale illimitée dans les services de garde en milieu familial : des revendications justes et légitimes

Les évènements récents entourant les services de garde en milieu familial suscitent d’excellentes réflexions sur les liens actuels, ainsi que ceux à développer, entre le prolétariat et d’autres agents économiques qui se trouvent en dehors du travail salarié (p. ex. : propriétaires d’entreprises individuelles enregistrées, travailleurs autonomes, travailleurs en situation économique atypique ou encore « semi-prolétaires »). Il nous faut donc élargir notre compréhension du camp du peuple aux fractions de classes sociales ainsi qu’à tous les éléments ayant intérêt à la lutte pour le socialisme. L’analyse de la situation des responsables de garderies en milieu familial, un cas bien spécifique concernant des travailleuses qui ont un sort comparable à celui des prolétaires, fait partie de cette réflexion fondamentale.

Un vote historique chez les responsables de garderies en milieu familial

Après 6 semaines d’organisation et de moyens de pression syndicaux, les responsables des garderies en milieu familial ont tenu un vote historique en faveur de la grève générale illimitée. La grève des membres de la Fédération des intervenantes en petite enfance du Québec (FIPEQ-CSQ) devait débuter le 4 avril 2020. On estimait qu’elle aurait affecté 60 000 familles dans la province. Cependant, il y a quelques jours, le syndicat a annoncé que la grève sera reportée en raison du contexte sanitaire actuel. En effet, à la grandeur de la province, les garderies et les écoles ont été fermées en raison de la pandémie de COVID-19. Cette fermeture préventive décrétée par le gouvernement affecte l’ensemble du réseau privé et public de garderies au Québec: les centres de la petite enfance (CPE), les garderies subventionnées, les garderies non subventionnées, les services de garde en milieu familial et les haltes-garderies communautaires. S’ajoutent à cette liste la maternelle 4 ans et les services de garde en milieu scolaire.

Les travailleuses des services de garde en milieu familial ne sont pas les seules personnes syndiquées à voir leurs moyens de pression être mis sur pause. C’est aussi le cas, pour n’en nommer qu’un, des travailleurs du secteur public regroupés sous la bannière du Front commun. Il n’en demeure pas moins que ce sont 13 000 responsables d’un service de garde en milieu familial qui seraient allées en grève le mois prochain. Il s’agissait donc d’un vote historique, le premier dans ce domaine en faveur d’une grève générale illimitée. La chose mérite notre intérêt malgré la trêve actuelle.

Mis en place en 1997 au Québec, les centres de la petite enfance (CPE) constituent en ce moment l’ossature du réseau de garderies publiques dans la province. Ils peuvent accueillir jusqu’à 80 enfants chacun. Jusqu’en 2006, les CPE regroupaient à la fois la garde en installations et la garde en milieu familial. La séparation en deux entités distinctes s’est faite à l’initiative du gouvernement libéral qui ne voulait pas investir davantage dans les installations coûteuses que constituent les CPE. En étant séparée du réseau des CPE et en étant développée encore plus, la garde en milieu familial a permis de combler le manque à gagner en matière de garde à la petite enfance tout en faisant épargner l’État bourgeois québécois. En effet, le réseau des services de garde en milieu familial est beaucoup moins coûteux que l’entretien du réseau des CPE. Pour ne nommer que cet aspect, il ne coûte rien sur le plan immobilier. C’est donc dire que le renforcement de la forme des garderies en milieu familial et la mise en place d’une nouvelle législation constituaient une avenue bon marché.

Les garderies en milieu familial sont maintenant sous l’autorité d’un bureau coordonnateur local supervisant et octroyant le permis requis. Le permis de « responsable d’un service de garde en milieu familial » permet à une personne seule de s’occuper d’un maximum 6 enfants âgés de moins de 9 ans, incluant les siens. Sur ce nombre, il n’y a que deux enfants gardés qui peuvent avoir moins de 18 mois. Si deux responsables travaillent ensemble dans la même habitation, le maximum d’enfants passe à 9, dont 4 qui peuvent avoir moins de 18 mois. Le service fourni par ces garderies comprend un repas, une collation et une plage de garde d’un maximum de 10 heures, ce qui dans les faits est souvent dépassé. Les places offertes dans ces milieux sont subventionnées et coûtent aux parents un prix fixe établi par la loi à 8,25$ par jour. Le gouvernement verse à ces garderies une subvention en fonction du nombre d’enfants gardés. Cette subvention est la source principale de revenu des responsables. En plus de garder les enfants, le gouvernement exige de ces responsables qu’elles réalisent un programme éducatif, qu’elles aménagent leur lieu de garde et qu’elles suivent une formation préalable de 45 heures.

Depuis le 22 avril 2015, les frais de garde payés par les parents sont modulés selon le revenu net familial. Il y a ainsi une contribution de base de 7,75$ par jour pour la garde d’un enfant. Une contribution additionnelle de 0,70$ est à verser pour les familles dont le revenu net dépasse 50 920$. La contribution additionnelle se module ensuite progressivement pour les familles en haut du palier de 76 380$ jusqu’à la limite de 13,45$ additionnels. La contribution additionnelle est réduite de moitié pour le 2e enfant. Elle n’est pas à verser pour le 3e enfant et les suivants. Cette contribution additionnelle n’est cependant pas versée aux garderies. Elle est calculée et prélevée par le gouvernement aux particuliers au moment de la déclaration d’impôt ou encore en retenues à la source.

Le cul-de-sac économique entourant les garderies en milieu familial

Dans ses déclarations officielles, la FIPEQ-CSQ affirme que dans la négociation avec l’État, le volet normatif est presque réglé. Cet aspect de la négociation concernait, entre autres, le mécanisme des plaintes et le pouvoir du bureau coordonnateur, la mise en place d’un comité paritaire, la pleine reconnaissance du statut de travailleuse autonome, la possibilité de se spécialiser et l’adoption du titre de responsable en service éducatif pour désigner la profession. Selon le syndicat, c’est plutôt le volet monétaire qui pose problème, et ce, avec raison.

Bien que la situation des responsables de garderies en milieu familial diffère de celle des travailleurs salariés typiques, cela ne signifie pas qu’elles sont des entrepreneurs. Elles se trouvent dans une case bien à part de celles des travailleurs autonomes traditionnels.

D’abord, bien qu’elles n’occupent pas une position prolétarienne dans les rapports de production, la majorité de ces responsables sont issues du prolétariat. Ensuite, bien que les responsables en milieu familial contrôlent une partie de leur horaire en étant à leur domicile, elle doivent tout de même appliquer les programmes éducatifs et les consignes strictes de l’État. En fait, avec la législation, il y a eu une formalisation du cadre légal et juridique d’un service qui était spontanément offert autrefois par des mères au foyer qui gardaient les enfants de leur voisinage. Enfin, et surtout, il n’y a aucune possibilité d’expansion de l’activité économique pour ces responsables de garderies en milieu familial. Il leur est impossible d’accumuler plus de clients, de travailler davantage et d’accroître leur offre de service en conquérant une plus grande part de marché. Le service est limité aux quelques enfants qu’il leur est permis de garder et il est vendu à « l’acheteur » unique qu’est l’État à un prix que l’État lui-même fixe. Ce coût est défrayé par l’État par le biais des subventions versées aux responsables qui, dans ces conditions, se voient dans l’impossibilité d’épargner et de thésauriser. Plus encore, la grande majorité des femmes qui assument cette tâche à domicile ont du mal à joindre les deux bouts. C’est même pire pour celles qui vivent seules et donc qui n’ont pas accès à un deuxième revenu familial ou à une pension alimentaire. Pour les responsables des milieux de garde familiaux, il est impossible d’envisager transformer en capital l’argent accumulé en vendant un service de manière autonome. Une telle transformation nécessiterait de s’incorporer pour poursuivre une activité dans le même domaine, mais en embauchant peu à peu des salariés. C’est d’ailleurs la trajectoire que peuvent emprunter les travailleurs autonomes traditionnels. En plus, une bonne partie des responsables des services de garde en milieu familial, voire la quasi-totalité de celles qui vivent sur l’île de Montréal, ne possèdent pas leur habitation. L’habitation est l’unique grand moyen de travail parmi les autres instruments nécessaires (matériel de gardiennage et éducatif) et parmi les marchandises consommables (couches, nourriture, etc.) étant compris dans le service rendu. En somme, bien que les responsables des services de garde en milieu familial ne soient pas des travailleuses salariées typiques, elles demeurent néanmoins confinées dans une situation économique difficile et sans possibilité de développement.

De plus, bien que les responsables ne reçoivent pas un salaire horaire, il est possible d’en calculer un équivalent. La FIPEQ-CSQ évalue l’équivalent du salaire horaire à 12,48$/hre. Cet équivalent est calculé en répartissant les revenus moins les dépenses sur le nombre d’heures travaillées. Autrement dit, on soustrait les coûts d’opération, la protection sociale et l’absence de protection de service subventionné (APSS) aux subventions gouvernementales et aux contributions journalières des parents. Aujourd’hui, la FIPEQ-CSQ revendique que cet équivalent dérisoire soit augmenté à 16,75$/hre. L’augmentation proviendrait essentiellement d’une bonification des subventions ainsi que de certaines mesures fiscales entourant les dépenses reconnues liées au gardiennage. Le syndicat lutte aussi pour que le gouvernement reconnaisse l’ensemble des 55 heures travaillées plutôt que les 40 heures qu’il reconnaît actuellement et qui servent d’unité de base au calcul des subventions. Le montant horaire de 12,48$ se situe sous la barre du salaire minimum. Il faut savoir qu’il n’y a pas de normes du travail applicables dans ce secteur d’activité puisque les gardiennes ne sont pas légalement reconnues comme des travailleuses salariées.

Des revendications justes et légitimes devant être appuyées par notre classe

La lutte des responsables de garderies en milieu familial fait poindre la question du front uni et des alliances avec d’autres secteurs de la société, secteurs non-prolétariens ou petits-bourgeois. Cette réflexion doit aussi s’élargir et éventuellement porter sur certains secteurs du petit capital. Cela revêt une importance stratégique dans la mise en place d’un puissant mouvement en faveur de la révolution socialiste. Le cas des garderies en milieu familial, bien qu’il soit très particulier et qu’il ne révèle évidemment pas toute l’ampleur de la réflexion, a l’avantage d’être concret. Rappelons-nous que la grande majorité des responsables de garderie en milieu familial sont des prolétaires à l’origine. Elles ne se trouvent dans une situation semi-prolétarienne que durant le temps de cette activité économique « autonome » qui, ironiquement, les maintient dans la pauvreté.

Bien sûr, ultimement, les garderies en milieu familial ne seraient pas la forme de gardiennage et d’éducation à la petite enfance privilégiée sous le socialisme. Existant parallèlement au processus de socialisation du travail, les garderies en milieu familial correspondent beaucoup plus à une forme transitoire et complémentaire dans l’histoire qu’à une forme définitive à défendre. Cependant, cette forme existe dans la réalité actuelle et c’est bien de cette réalité et des injustices qu’elle comporte qu’il faut partir.

Force est de constater que les responsables des services de garde en milieu familial ne luttent pas pour s’enrichir. Elles luttent pour avoir des conditions de vie justes et une rémunération ne les menant pas au bord du gouffre. Il faut donc appuyer sans hésitation leurs revendications. Cet appui ne fait que renforcer le camp du peuple!