Le combat des ouvriers qualifiés de la raffinerie CRC-FCL : un cas d’effervescence organisationnelle et de détermination ouvrière
Le combat acharné des 800 ouvriers qualifiés du local 594 d’Unifor contre les propriétaires de la raffinerie Co-op Refinery Complex (CRC) à Regina en Saskatchewan est une impressionnante démonstration d’organisation et de détermination. Le lock-out dure depuis le 5 décembre 2019. Il a fait bien peu de bruit dans les médias au Québec, mais pourtant, on doit le compter parmi les luttes significatives au sein du mouvement ouvrier contemporain. On n’a qu’à examiner les escarmouches survenues depuis le commencement de l’affrontement pour s’en convaincre.
La mise en lock-out a été décrétée par l’employeur immédiatement après un vote syndical à 97,3% en faveur de la grève. Cette manœuvre consistait à voler l’initiative aux ouvriers. La riposte ne s’est pas faite attendre : l’un des plus impressionnants dispositifs de piquet ouvrier jamais observé dans les dernières années s’est déployé devant les portes de la raffinerie. Rapidement, l’employeur a accusé les lock-outés d’avoir eu recours à des chausse-trapes (pièges à clous) contre les camions de livraison. L’injonction des tribunaux ordonnant de laisser passer les camions a vite été obtenue et la police s’est mise à occuper les lieux. La réponse des ouvriers à l’injonction n’a pas été de petite envergure : malgré l’ampleur de l’appareil juridique et policier contre eux, ils ont érigé une barricade au moyen de clôtures et d’imposants véhicules auxquels ils ont retiré les roues, bloquant ainsi totalement l’accès à la raffinerie pendant plusieurs jours. La centrale syndicale est même allée jusqu’à lancer un appel ouvert à ses 315 000 membres afin qu’ils se joignent en grand nombre à la barricade. L’État capitaliste a répliqué en procédant à l’arrestation, sur les lieux de la barricades, de Jerry Dias, le président d’Unifor, doublée de l’arrestation d’une quinzaine de grévistes. S’est ajouté à cela près de 500 000$ d’amendes accumulées et des frais légaux exorbitants. Pour couronner le tout, la CRC a eu recours à des hélicoptères pour faire passer des briseurs de grèves de l’autre côté de la barricade et pour pouvoir sortir le pétrole raffiné du site dont les voies routières étaient bloquées. Déjà, à l’automne 2019, la direction de la CRC avait fait construire des logements sur le terrain de la raffinerie pour accueillir des briseurs de grève en prévision du lock-out. Plus encore, la CRC-FCL a déployé, sur d’immenses panneaux un peu partout dans la province, une campagne publicitaire démagogique et mensongère à propos des syndicats. De son côté, Unifor a lancé un important appel au boycott de l’ensemble de la Fédération mère dont est membre CRC. Cette large campagne nationale a donné lieu à la production d’une vidéo pour dénoncer les scabs, vidéo qui a été visionnée des centaines de milliers de fois. On a aussi vu apparaître des piquets de solidarité éphémères un peu partout de même que des manifestations en soutien avec les ouvriers. Au gré des coups portés de part et d’autre, les négociations ont connu des interruptions. C’est avec ces différentes formes de luttes que les ouvriers de la raffinerie CRC ont pris l’initiative sur leurs adversaires et ont inscrit leur combat au tableau des affrontements récents les mieux organisés par un collectif canadien d’ouvriers syndiqués.
Une lutte pour conserver les pensions
À vrai dire, la tension entre les ouvriers et les propriétaires de la CRC montait depuis déjà plusieurs mois. L’enjeu central du renouvellement de la convention collective échue concernait le régime de pension des travailleurs de la raffinerie. Les capitalistes proposaient de démanteler l’ancien régime en refilant le gros de la cotisation de l’employeur aux employés, abaissant ainsi le salaire réel. Si cette offre méprisante était rejetée, l’alternative proposée n’était guère mieux : obliger les ouvriers à passer à un régime inférieur, moins coûteux et plus risqué. Autrement dit, peu importe la proposition, les ouvriers de CRC se voyaient pris dans un cul-de-sac face au maintien de l’ancien régime à « bénéfice défini » à leurs frais, ou face au passage à un autre régime à « contribution définie » sans promesse de rendement – puisque soumis aux aléas de la bourse. Prévoyant l’impopularité de telles mesures dans la négociation, la direction de la raffinerie a vite déployé une campagne offensive de propagande afin de faire passer les revendications des ouvriers pour de la mauvaise foi. C’est ainsi que sont apparues des affiches publicitaires scandaleuses titrées : « Pensez-vous qu’il est logique de contribuer pour votre propre pension? Unifor, lui, ne le pense pas. »
Rappelons à nos lecteurs qu’Unifor est une centrale syndicale canadienne. Elle naît en 2013 sous la forme d’un syndicat aggloméré avec la fusion des Travailleurs canadiens de l’automobile (CAW-TCA) et du Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier (CEP-SCEP). En janvier 2018, Unifor quitte le Congrès du travail du Canada (CTC) et devient une centrale indépendante. Elle possède aujourd’hui 315 000 membres à travers le pays, ce qui en fait le plus grand syndicat canadien dans le secteur privé. Au Québec, Unifor est membre de la FTQ, et constitue l’un des syndicats les plus massifs de la fédération (comme le sont aussi le syndicat des Métallos et la FTQ-Construction).
La Co-op Refinery Complex (CRC) est, quant à elle, l’une des plus grandes raffineries de pétrole au pays. Elle détient la capacité de produire 145 000 barils par jour. Son pétrole est majoritairement vendu sur le marché canadien. La CRC est une filiale de la Federated Cooperative Ltd (FCL), fédération monstre concentrant d’importants capitaux : elle a enregistré un chiffre d’affaire de 10,7 milliards de dollars en 2018. Il s’agit d’une « fédération coopérative », c’est-à-dire qu’elle est composée de coopératives ayant elles-mêmes leurs propres membres. La FCL regroupe des industries comme celles du transport, du pétrole ou encore des pâtes et papiers. Par exemple, elle abrite la Saskatoon Co-op et la Calgary Co-op, deux grandes coopératives de vente au détail à large spectre (stations d’essence, dépanneurs, pharmacies, etc.).
Appuyer sans réserve la lutte des ouvriers du local 594 et s’implanter en profondeur dans l’industrie pétrolière
Le Parti communiste révolutionnaire (PCR-RCP) appuie sans réserve la lutte des ouvriers qualifiés du local 594 d’Unifor. Il appel tout ses supporters à se joindre aux ouvriers en lutte et à faire connaître les revendications du syndicat. Malgré les arrestations qu’ils ont subies et les amendes qu’ils devront absorber, la capacité organisationnelle et la détermination des syndiqués d’Unifor nous révèlent la force sociale que représentent les ouvriers organisés et leur syndicat.
Les combats menés par une telle force sociale ont des répercutions importantes dans l’économie et la vie politique nationales. L’industrie pétrolière, comme tous les grands secteurs produisant de la plus-value, a une importance stratégique indéniable dans le processus révolutionnaire : elle peut rapidement devenir une veine ouverte du capital. C’est pourquoi c’est un devoir pour les communistes d’examiner avec attention l’évolution de ce secteur de la production ainsi que les luttes qui s’y développent. Plus particulièrement, les forces révolutionnaires au pays doivent considérer avec sérieux la nécessité de s’implanter durablement et en profondeur dans les secteurs d’activité que sont l’extraction, le transport et la transformation du pétrole. Les partisans du socialisme ont comme tâche de se déployer de manière organisée et méthodique là où les grands groupes de la société se trouvent, et ce, en connaissant une progression dans les grands rassemblements industriels et syndicaux comme le sont l’industrie pétrolière, avec ses dizaines de milliers d’ouvriers, Unifor, avec ses 375 000 membres, et plus largement le grand groupe du prolétariat que forment les ouvriers qualifiés dans la production, avec ses 673 000 travailleurs au Canada. Alors la moindre des choses, c’est de souligner le brio et le courage des ouvriers en lutte et de leur syndicat. Plus encore, il faut reconnaître à quel point il est important pour des révolutionnaires de se rapprocher du mouvement ouvrier tel qu’il existe afin de maîtriser l’expérience qui y est développée.
Appuyons les lock-outés de la CRC à Regina!
Empressons-nous de nous déployer au sein de l’industrie pétrolière canadienne!