Port de Montréal : les débardeurs déterminés à se battre !

Dans l’attente de la décision du tribunal sur les services essentiels à maintenir en cas de grève, les membres du Syndicat des débardeurs du port de Montréal (section locale 375 du SCFP) viennent de voter massivement pour une troisième fois en faveur du déclenchement « de tous moyens de pression incluant la grève » au moment jugé opportun par l’exécutif du syndicat. De toute évidence, la colère gronde contre les manœuvres dilatoires de l’Association des employeurs maritimes (AEM), qui représente les entreprises pour lesquelles les débardeurs travaillent.

Les activités portuaires étant de juridiction fédérale, c’est le Conseil canadien des relations industrielles (CCRI) qui est appelé à statuer sur les services essentiels à être maintenus quand une grève ou un lock-out est déclenché. La convention collective qui détermine les conditions de travail des 1 100 salariés qui chargent et déchargent les navires accostant au port de Montréal est arrivée à échéance il y a plus d’un an, le 31 décembre 2018. Quelques jours plus tôt, les membres du syndicat ont tenu un premier vote de grève, dans le cadre d’une assemblée extraordinaire à laquelle ils ont été plus de 600 à participer. Résultat : 99,49 % en ont donné le mandat à leur exécutif.

La possibilité qu’une grève soit déclenchée a donc amené le CCRI à tenir des audiences, lors desquelles l’Association des employeurs maritimes a fait preuve d’une mauvaise foi totale pour que les travailleurs et travailleuses ne puissent exercer leur droit. La première audience a eu lieu le 4 février 2019 et au moment où ces lignes sont écrites, un an plus tard, le syndicat attend toujours la décision ! Rien que pour déterminer la liste des services essentiels, il y a eu tout au long de l’année pas moins de 24 jours d’audiences, durant lesquels la partie patronale a fait entendre 22 témoins…

Comble de ces avocasseries plus que douteuses – mais qui enrichissent grassement ceux qui les font – l’AEM a déposé une requête, le 17 juillet, pour forcer la récusation d’un des membres du tribunal ayant été nommé pour représenter les travailleurs. L’AEM prétendait que ce décideur avait fait preuve de « partialité » lors des audiences précédentes, lui reprochant notamment « de ne pas avoir pris de notes durant le contre-interrogatoire » d’un témoin assigné par le syndicat. Après avoir pris l’affaire en délibéré, les membres du tribunal ont été unanimes à rejeter la requête et ont repris le cours de leurs travaux.

Une manœuvre dilatoire n’attendant pas l’autre, les avocats patronaux ont contesté cette décision devant la Cour d’appel fédérale. Le temps que l’affaire soit tranchée, aucune décision n’allait donc pouvoir être rendue sur le fond, retardant d’autant la possibilité d’une grève, au grand plaisir des compagnies. C’est là qu’on voit comment le cadre juridique applicable aux relations de travail au Canada s’avère contraignant pour les travailleurs et travailleuses qui veulent lutter pour défendre et améliorer leurs conditions de travail, et pour l’exercice des droits syndicaux. Le 29 janvier dernier, les parties se sont donc retrouvées à Ottawa devant la Cour d’appel fédérale. Après avoir entendu la plaidoirie de l’avocat de l’AEM, le tribunal a rendu une décision unanime : la décision du CCRI de ne pas récuser un de ses membres a été maintenue et l’appel rejeté sur-le-champ, sans même que les procureurs du syndicat aient eu besoin de plaider. Comme l’a écrit l’exécutif du syndicat dans un communiqué, il s’agit d’une cuisante défaite pour la partie patronale, « qui démontre bien ce que le syndicat avait toujours prétendu sur les recours de l’AEM, à savoir qu’ils ne visaient qu’à gagner du temps face à l’extraordinaire solidarité des membres du 375 ».

Cette solidarité s’est manifestée tout au long de la dernière année, comme on l’a vu lors du deuxième vote de grève, tenu par scrutin secret le 5 décembre 2019. Sur les 1 115 membres que compte le syndicat, ils sont 912 à avoir participé au vote et encore une fois, le résultat a parlé pour lui-même, alors que 99,45 % d’entre eux ont voté en faveur du mandat de grève, valide pour deux mois.

Maintenant que la Cour d’appel fédérale a écarté la manœuvre ridicule de l’avocat de l’AEM et que la décision sur le fond du CCRI est imminente, le syndicat a tenu un nouveau vote le 4 février dernier et encore une fois, la volonté de lutte des membres s’est traduite par un résultat sans équivoque : sur 847 votants, 842 (99,41 %) ont voté pour la grève ! Devant la mauvaise foi évidente de l’AEM et de ses membres, l’on peut s’attendre à ce que le mandat de grève soit appliqué dès que le CCRI rendra sa décision.

Clairement, les débardeurs souhaitent réaliser des gains à l’occasion de l’actuelle ronde de négociations et ils sont déterminés à les obtenir. Lors des deux rondes précédentes, leur syndicat a été contraint d’accepter des reculs, alors que les compagnies étaient en demande et bénéficiaient du soutien total de l’appareil d’État. Le gouvernement Harper s’était en effet clairement rangé du côté de ses amis capitalistes en annonçant qu’il allait voter une loi spéciale dès le moment où le syndicat évoquerait la possibilité d’une grève.

Cette fois-ci, les débardeurs et leur syndicat sont d’avis que le contexte est propice pour réaliser des gains. Le volume des activités portuaires est en hausse, le gouvernement Trudeau prétend être favorable à la libre négociation et aux droits syndicaux et surtout, les débardeurs ont le sentiment que leur tour est venu et qu’il est temps de récupérer les pertes encourues lors des deux dernières négociations. Leurs demandes touchent tous les aspects de leurs conditions de travail : les salaires et les vacances, bien sûr, mais aussi les horaires et les procédures d’assignation de la main-d’œuvre, qui exigent d’eux une disponibilité quasi constante qui pèse lourd sur la conciliation vie personnelle-travail.

L’an dernier, le Port de Montréal a connu une sixième année record d’affilée alors que 40,5 millions tonnes de marchandises y ont transité, en hausse de 4,1 % par rapport à l’année précédente. Cela représente quelque 1,75 million de conteneurs, que les 1 100 débardeurs ont chargés et déchargés tout au long de l’année.

L’importance du Port de Montréal pour la circulation des marchandises lui confère une place névralgique dans le fonctionnement du capitalisme canadien. Il n’y a donc pas que les entreprises représentées par l’AEM qui ont un intérêt dans l’actuelle ronde de négociations et le conflit de travail qui se dessine : bien d’autres rapaces se ligueront derrière elles et exigeront de leur gouvernement qu’il défende leurs intérêts, qu’ils confondent de façon totalement abusive et hypocrite avec « l’intérêt public », comme l’AEM a tenté de le faire valoir lors des audiences sur les services essentiels.

« L’intérêt public », en réalité, c’est l’intérêt du plus grand nombre, et non celui de la minorité de capitalistes. Les débardeurs font partie du grand groupe des manœuvres et journaliers, qui constituent une part importante du prolétariat québécois et canadien, de par leur nombre et la place qu’ils occupent dans le procès de production. Les victoires et avancées qu’ils obtiendront dans les prochaines semaines et les prochains mois, ce seront aussi des victoires pour l’ensemble des travailleurs et travailleuses. Il faudra se solidariser avec eux, les appuyer sur les lignes de piquetage, faire des levées de fonds pour renforcer leur fonds de grève, etc.

Unissons-nous comme une seule classe contre les entreprises rapaces du transport maritime !