Mega Bloks : fermeture d’une immense usine au cœur du parc industriel de Saint-Laurent

La nouvelle a été annoncée la semaine dernière : l’immense usine Mega Bloks, située dans l’arrondissement Saint-Laurent à Montréal, fermera ses portes sous peu. Les militants de notre journal connaissent bien cette grande usine, car ils y ont distribué de la propagande à de nombreuses reprises. Avec ses 800 000 pieds carrés et ses quelque 600 employés, il s’agit d’une unité de production incontournable dans le quartier industriel où elle se trouve… et même dans la métropole. L’usine a même droit à un arrêt d’autobus de la ville sur son terrain privé de même qu’à un circuit de transport en commun configuré spécialement pour les ouvriers qui y travaillent.

La fermeture de l’usine se fera par étapes et s’étalera de septembre 2020 au début de l’année 2021. Les ouvriers de Mega Bloks ne sont pas syndiqués : ils tenteront du mieux qu’ils peuvent d’obtenir les meilleures indemnités de départ possible. Le siège social, avec ses 230 travailleurs, va quant à lui rester à Montréal et poursuivre ses opérations. Les employés du siège social sont responsables, entre autres, du design et du développement de produits.

La production de l’usine de Saint-Laurent déménagera en Chine et au Mexique. En ce moment, Mega Bloks possède d’autres usines dans ces pays, usines dans lesquelles on produit des jouets similaires à ceux produits à Montréal. Ces infrastructures à l’étranger seront donc consolidées. Il faut savoir que l’usine de Montréal produisait à elle seule 60% des blocs Mega Bloks vendus aux quatre coins du monde.

Ritvik Toys, l’ancêtre de Mega Bloks, est une entreprise qui a été fondée au Québec en 1967 par Rita et Victor Bertrand. En 2002, l’entreprise adopte le nom de son produit chouchou, les Mega Bloks, avant de devenir Mega Brand en 2006. L’entreprise Mega Brand a ensuite été achetée par la compagnie américaine Mattel en 2014 à l’issue d’une transaction s’élevant à 517 millions de dollars. Mattel est un énorme joueur dans le secteur de la fabrication de jouets. Cette entreprise possède, entre autres, les droits de la poupée Barbie, des Hot Wheels, de Fisher-Price, ainsi que des jeux vidéos Call of Duty et Halo. Le plus gros concurrent de la gamme Mega Bloks est, bien entendu, la compagnie Lego.

Délocalisation, retour et ré-délocalisation : un symptôme de l’anarchie de la production capitaliste

Mega Bloks, comme d’autres sociétés capitalistes de l’industrie de la fabrication du jouet, avait déjà opté pour un exode vers l’Asie au milieu des années 1990. Mais au début de la dernière décennie, les innovations technologiques réduisant les coûts de production avaient permis à l’entreprise de revenir à Montréal. On parle ici de la mise en œuvre de machines à injection fonctionnant sur un système électrique plutôt qu’hydraulique (permettant d’économiser ainsi 40% de l’énergie utilisée); de la réduction du temps des cycles d’injection (permettant d’avoir recours à moins d’opérateurs); de presses alimentées par un réseau de conduits pompant la résine de silo à l’extérieur de l’usine (plutôt qu’en ayant recours à une alimentation manuelle); de l’ensachage avec des compteurs automatiques; ainsi que de l’emboîtage avec des lecteurs optiques. Le tout représentait un investissement de 35 millions de dollars entre 2011 et 2015.

En 2015, le vice président à la production de Mega Bloks, Daniel Bourgeois, se vantait de sa participation à la délocalisation en Asie ainsi qu’au retour à Montréal. Selon ses propres dires, des salaires à 50 cents l’heure, c’était alléchant. Cela dit, les développements technologiques et la possibilité de réduire les coûts de production pendant quelques années en rapatriant la production à Montréal l’avait convaincu de faire un retour, même temporaire. Ce rapatriement a aussi été motivé par la nécessité, dans le secteur du jouet, de toujours changer le catalogue de produits, et par le souhait d’en finir avec les difficultés de transport et les délais de livraison.

Récemment, la vice présidente, Bisma Ansari, s’est exprimée, dans la presse bourgeoise, sur la nécessité de revoir l’efficience de sa chaîne d’approvisionnement. « Ce fut un privilège d’avoir des activités manufacturières à Saint-Laurent. Dans un effort de maximisation de l’efficience de notre chaîne d’approvisionnement globale, dans l’ensemble de l’entreprise, nous consoliderons nos activités manufacturières ayant cours à Saint-Laurent avec celles d’autres usines de notre réseau. » « On a besoin que le coût des produits soit plus bas », a justifié Bisma Ansari. Elle s’est tout de même gardée de comparer les coûts actuels de production à Montréal avec ceux en Chine ou au Mexique. En fait, très peu d’informations ont été rendues disponibles publiquement outre les phrases creuses citées précédemment. De la même façon, Mattel dit avoir décidé de « consolider » ses activités manufacturières dans « un effort de maximisation de l’efficience de [sa] chaîne d’approvisionnement globale ». La multinationale estime que sa « capacité globale » est présentement « sous-utilisée ».

La machinerie de l’usine de Montréal sera expédiée aux usines de Chine et du Mexique, ce qui signifie que Mattel va conserver les innovations technologiques qui avaient permis de réduire les coûts de production il y a une dizaine d’années. Mais les apports de ces innovations vont être doublées des faibles salaires que l’entreprise verse à ses ouvriers chinois et mexicains. L’anarchie inévitable de la production capitaliste sème le désordre et sacrifie tout au nom du profit et des intérêts privés. Il est probable qu’avec les années et les ressources, Mattel-Mega Bloks soit parvenu à développer un plan d’expansion globale de ses ventes dans le reste du monde, en particulier en Asie, ainsi qu’à peaufiner une méthode d’acheminement des marchandises en Amérique à partir du Mexique.

Saint-Laurent : portrait d’un parc industriel à investir massivement

L’usine Mega Bloks se trouve au cœur du parc industriel de Saint-Laurent, véritable poumon productif de la ville. D’ailleurs, ce quartier industriel figure parmi les plus importants de la ville aux côtés de ceux de Pointe-Claire, de Dorval, d’Anjou et de Saint-Léonard. Celui de Saint-Laurent demeure toutefois le plus massif.

En partant, Saint-Laurent, avec ses 43 km carrés, est l’arrondissement ayant la plus grande superficie sur l’île de Montréal. Il est traversé par de grandes artères connues comme la Côte Vertu de même que les boulevards Thimens, Henri-Bourassa et Cavendish. En 2016, l’on y recensait un peu moins de 100 000 habitants. L’endroit est propice à l’activité économique avec les autoroutes 13, 15, 20 et 40 à proximité. L’aéroport Pierre-Elliott-Trudeau à quelques kilomètres à l’ouest facilite la venue des investisseurs. Plus de 35 lignes d’autobus s’y déploient, dont une part importante est directement configurée pour y transporter la main-d’œuvre ouvrière, jour et nuit. On y retrouve aussi deux stations de métro. Saint-Laurent est le deuxième plus grand bassin d’emplois à Montréal.

En 2018, l’on recensait 4 540 entreprises en activité totalisant 109 085 emplois dans l’énorme parc industriel de l’arrondissement Saint-Laurent. De ce nombre 33 599 emplois étaient dans le secteur de la fabrication. En fait, le parc industriel de Saint-Laurent est l’un des plus grands parcs industriels du Québec. Depuis l’explosion industrielle qui y a débuté à partir de la deuxième moitié du 20e siècle, 70% du territoire de Saint-Laurent a été réservé au développement industriel. Ville Saint-Laurent, avant la fusion avec Montréal, était d’ailleurs la deuxième plus grande ville industrielle du Québec.

Un peu plus de 600 entreprises manufacturières sont actuellement en activité si l’on compte les sous-traitants et les diverses compagnies à numéros. Parmi ces entreprises manufacturières tiennent place des grandes usines comme Mega Bloks, L’Oréal, Pfizer (700 employés), CAE (3 080 employés), ou encore Bombardier Électronique (1 700 employés). On y retrouve aussi la zone industrielle du Technoparc, développement cher à la bourgeoisie montréalaise. Le Technoparc témoigne de la volonté des capitalistes et de l’administration municipale de conserver Saint-Laurent comme centre de gravité de l’activité économique de la ville. Le parc industriel de Saint-Laurent possède sa propre organisation à but non lucratif (OBNL), le Développement économique de Saint-Laurent (DESTL), une sorte de regroupement des capitalistes locaux réunis pour étudier, analyser et accompagner le développement du secteur.

C’est pour cela que la fermeture de l’usine de Mega Bloks ainsi que toutes les actualités entourant le parc industriel de Saint-Laurent sont au centre des préoccupations des communistes et du mouvement ouvrier. La destruction des forces productives et des usines par les capitalistes ainsi que l’anarchie de la production qui détruit et déplace tout pour un peu plus de profit vont continuer de noircir le tableau du développement industriel pourtant tellement impressionnant. La classe ouvrière est la seule qui, en prenant le contrôle de la production, arrêtera cette destruction inutile. La fermeture de l’immense usine de Mega Bloks, comme celles de l’usine de valve Velan, de l’usine de transformation laitière Agropur à Lachute, des quincailleries Rona partout au Québec, ainsi que de l’entrepôt de Provigo à Laval, doit renforcer la volonté d’organiser des réseaux durables d’ouvriers voulant combattre le capitalisme et le renverser!