La grève des ouvriers du ravitaillement de l’aéroport international Pierre-Elliott-Trudeau : mettons fin à la manœuvre des flips de contrats

Le débrayage des ouvriers du ravitaillement de l’aéroport international Pierre-Elliott-Trudeau aura duré un mois. Le 31 décembre dernier, après avoir passé 5 mois sans contrat de travail, les quelques 100 employés de Swissport ont déclenché une grève pour défendre leurs salaires et leurs assurances collectives. Cette grève a pris fin le 30 janvier aux suites d’une entente de principe entérinée à 80 pour cent. Swissport, leur employeur, est un sous-traitant chargé d’assurer le ravitaillement en carburant des avions de l’ensemble des compagnies aériennes offrant leurs services aux aéroports Montréal-Trudeau et Montréal-Mirabel. Ces ouvriers assurent ainsi le ravitaillement d’une vingtaine de transporteurs aériens dont les plus gros et les plus connus ici sont Air Canada, Air Transat et WestJet. Plus précisément, les grévistes sont des ravitailleurs d’avion, des mécaniciens, des répartiteurs et des travailleurs d’entretien d’installations de stockage de carburant. Tous sont syndiqués auprès de l’Association internationale des machinistes et des travailleurs de l’aérospatial (AIMTA) affiliée à la FTQ.

Dans les médias bourgeois, tout juste avant que la grève ne soit déclenchée, le combat des ouvriers de Swissport a été qualifié d’inconséquent et d’égoïste sous prétexte que les ravitailleurs allaient gâcher le temps fêtes en paralysant l’aéroport – « l’incontournable » des retrouvailles familiales et des destinations soleil. D’ailleurs, durant cette période, c’est en moyenne 55 000 personnes qui quotidiennement visitent l’aéroport Pierre-Elliott-Trudeau.

Une fois déclenchée, la grève des ravitailleurs a fait l’objet de très peu d’attention médiatique. Et quand c’était le cas, les journalistes faisaient abstraction de l’historique révoltant derrière le conflit de travail dont ils assuraient la couverture. Mais cet historique vaut définitivement la peine d’être révélé, car il nous renseigne sur des manœuvres capitalistes répandues pour mater les ouvriers, étouffer leurs revendications et sabrer dans leurs gains : la tactique du flip de contrat, l’état du Code canadien du travail et la force des monopoles de l’aviation canadiens et internationaux.

La tactique des flips de contrats

La tactique du flip de contrat (contract flipping en anglais) utilisée par les capitalistes est moins connue au Québec qu’elle ne l’est dans le reste du pays. Elle permet de purger cycliquement les gains des travailleurs dont l’employeur est un sous-traitant en ne renouvelant pas un contrat venu à échéance ou en ne renouvelant pas un contrat dont les clauses permettent d’y mettre un terme de manière anticipée. Cette tactique est fréquemment utilisée au Canada dans les aéroports, les écoles, les résidences pour personnes âgées, les hôpitaux et les centres de services de santé. Le point commun de tout ces lieux de travail, c’est que la responsabilité de la tâche qu’on y accomplit ou du service qu’on y rend (cantine, entretien, etc.) est confiée à un sous-contractant ou à un gestionnaire extérieur. Par exemple, en Colombie-Britannique, des combats récents sont survenus à BC Hydro chez les travailleurs de l’entretien ménager. Aussi, la même situation qu’à l’aéroport Montréal-Trudeau prévaut à l’aéroport de Toronto, le plus grand aéroport au pays, de même qu’à l’aéroport de Vancouver. Un peu partout au Canada, le phénomène est développé et ravageur à un tel point que le NPD provincial de la Colombie-Britannique, pour redorer son blason, s’est emparé de la question au moyen d’un projet de loi à la fin de l’année 2018.

Bien que la grève des ravitailleurs de Swissport n’ait pas directement porté sur la dénonciation de la manœuvre des flips de contrats, elle l’a révélée très clairement. Ces ouvriers ont dénoncé ouvertement cette tactique odieuse mise en œuvre par l’aéroport, les compagnies aériennes, le gouvernement fédéral et les sociétés soumissionnaires. Cette tactique permet à l’aéroport de mettre fin au contrat en cours et de faire un nouvel appel d’offres fantoche lorsque le sous-traitant à qui a été confié le ravitaillement finit par coûter « trop cher » parce qu’il offre de meilleures conditions de travail à ses employés au fil des ans et des négociations de conventions collectives. La nouvelle société, à qui le contrat est nouvellement confié, peut ainsi bafouer l’ancienneté des travailleurs et fixer des salaires nettement inférieurs à ce qu’ils étaient, et ce, même si les ouvriers sont les mêmes qu’avant et même s’ils accomplissent les mêmes tâches, avec la même expérience et avec le même équipement qu’avant (!). On parle ici de baisses de salaires allant jusqu’à 10 dollars l’heure en moins. Au fond, il s’agit d’une ruse des capitalistes pour contourner le code et les normes du travail en changeant le nom de leurs entreprises.

Dans un article paru dans le journal Le Devoir, le coordonnateur de l’AIMTA dressait le portrait de la situation : « Imaginez un instant : ça fait 25 ans que vous travaillez pour un employeur, vous y avez développé vos connaissances et fait progresser vos conditions de travail pendant tout ce temps. Un bon matin, votre employeur vous avise qu’il a perdu le contrat de service et qu’à compter du lundi suivant, c’est une autre entreprise qui assurera le service. Vous apprenez ensuite que vous pouvez postuler pour le même emploi auprès de l’entreprise qui a obtenu le contrat, un emploi qui comporte les mêmes responsabilités, le même nombre d’heures, les mêmes équipements, où c’est seulement le nom de l’entreprise qui change. Sauf que, lorsque vous postulez pour ce nouvel emploi, faire le même boulot ne vaut plus 24$ l’heure, mais 13$ l’heure. Vous n’avez plus cinq semaines de vacances, mais deux semaines. Il n’y a plus de régime de retraite, votre couverture d’assurance collective ne couvre presque rien et, finalement, le nouvel employeur n’a pas l’obligation de vous embaucher car vous n’êtes plus syndiqué. Donc, si ça ne fait pas votre affaire, dégagez! »

Rappelons-le, cette situation nauséeuse est doublée d’une aberration concernant l’équipement utilisé. Les ouvriers du ravitaillement ont rapporté à notre journal que les machines sur lesquelles ils travaillent appartiennent en fait à l’aéroport. Cette information met clairement en lumière le fait que le flip de contrat s’effectue d’une coquille vide à une autre : l’unique objectif de cette supercherie est de faire des économies sur le dos des travailleurs. À ce propos, un ouvrier rapportait avoir écrit son nom au marqueur sur la machine qu’il avait l’habitude d’utiliser quotidiennement et avait retrouvé sa marque intacte après le flip de contrat. Tout ce qui avait changé, c’était ses conditions de travail désormais revues à la baisse.

Le code du travail et le monopole des transporteurs aériens

Il n’y a présentement aucune disposition dans le Code canadien du travail empêchant explicitement la manœuvre des flips de contrats. C’est que cette manœuvre « habile » de la part des capitalistes est dans l’angle mort de la loi entourant la façon dont sont attribués les contrats aux sous-traitants. Aussi, dans la législation à la faveur des bourgeois, il y a un vide dommageable pour les travailleurs quant au lien entre l’employeur (et dans ce cas-ci un nouvel employeur) et les anciennes conventions collectives. Rappelons que le Code canadien du travail tout comme ses équivalents au Québec – soit le Code du travail du Québec, la Loi sur les normes du travail et la Loi sur la santé et sécurité du travail – constitue une partie de la charpente législative fondée sur les rapports entre le travail et le capital propres à la société capitaliste.

Par exemple, c’est le Code canadien du travail qui, bien qu’il ne permette pas l’emploi de « travailleurs de remplacement » (c’est-à-dire des scabs, des briseurs de grèves), il permet aux cadres de faire fonctionner les machines et les instruments de travail de même que d’accomplir les tâches usuelles des grévistes. Cette « petite marge de manœuvre » est utilisée à son plein potentiel dans presque tous les conflits de travail. Elle sert de paravent à des abus de même qu’à des situations absurdes et dangereuses. À Pierre-Elliott-Trudeau, les cadres inexpérimentés et malhabiles ont d’ailleurs fait un accident dans les premiers jours du conflit. Un des leurs a foncé dans un bloc de béton avec la machinerie couteuse. C’est qu’il faut une expertise réelle pour opérer un bon nombre de machines industrielles… et bien des cadres et des ingénieurs ne maîtrisent tout simplement pas les procédés industriels qu’ils supervisent – comme c’était d’ailleurs le cas du processus de galvanisation, processus qui était hors de la portée des cadres à l’usine Galvano pendant la grève de 2019, pour ne donner qu’un seul autre exemple.

Ajoutons que les compagnies internationales comme celles dans le domaine du transport aérien mettre fin à un contrat en cours avec seulement 35 jours de préavis. À l’échelle nationale, les compagnies aériennes sont des monopoles immenses agissants tels de véritables rouleaux compresseurs. Par exemple, Air Canada, une compagnie privatisée depuis 1988, connaît en moyenne 1 613 décollages par jour, avec annuellement à son bord 80 millions de passagers seulement (2017).

Il ne faut pas non plus oublier Swissport, l’unique fournisseur de carburant pour les compagnies aériennes de Montréal-Trudeau et de Montréal-Mirabel. Et sans grande surprise, Swissport n’a que faire de risquer de perdre son contrat de ravitaillement. En vérité, les sous-traitants se prêtant au flip de contrat sont des sociétés écrans détenues par les monopoles de l’aviation. Pour ajouter au scandale, soulignons que lors du dernier flip de contrat pour le ravitaillement à l’aéroport Pierre-Elliott-Trudeau, certains cadres ont été réembauchés… à la différence qu’eux, ils ont conservé les leurs salaires!

Le PCR appuie sans réserve les combats des ravitailleurs et dénonce fermement les agissements crapuleux des capitalistes du transport aérien!

Pour que cesse l’exploitation et le parasitisme de la bourgeoisie, luttons pour le pouvoir prolétarien et le contrôle ouvrier sur la production!