Fermeture des entrepôts Provigo à Laval et à Ottawa : la conséquence d’un capitalisme « pur et dur »

La fermeture des entrepôts Provigo à Laval et à Ottawa exemplifie bien les dommages et le chaos causés par la concurrence capitaliste. Ces deux entrepôts, pourtant encore bien utiles et nécessaires à la distribution des marchandises, seront fermés pour permettre à Provigo (Loblaw) de faire face à la concurrence féroce dans le secteur de la distribution alimentaire. La fermeture de ces centres de distribution fait partie, de par leurs liens étroits avec la production et la circulation des marchandises, du mouvement de destruction inutile des forces productives et des moyens de travail par les capitalistes.

Dans le cas qui nous intéresse ici, la particularité réside dans le fait qu’il ne s’agit pas d’une manufacture relocalisée, mais plutôt du remplacement de points de liaison indispensables à l’acheminement des marchandises par un centre de distribution unique et automatisé. Il s’agit là d’une réorganisation profitable à Loblaw qui a pour conséquence de mettre un bon nombre d’ouvriers au chômage. Le cas mérite qu’on s’y intéresse, car il met en lumière la notion de la prétendue « robotisation » complète de la production à venir, robotisation qui sera soi-disant ultimement bénéfique pour tous. C’est là une notion qui est un leurre bien utile à la bourgeoisie. Cette tendance à annoncer la robotisation généralisée et à qualifier de « robotisation » tout plein de phénomènes est appelée à croître avec le temps, à continuer d’apporter son lot de confusion et à attiser le mépris envers les ouvriers. Cette tendance justifiera également qu’on exerce une pression à la baisse sur les salaires de ceux qui continueront d’œuvrer dans le secteur de la distribution.

Des centaines d’employés poussés dans le vide

Sans prévenir, c’est au début de l’année en cours que l’annonce est tombée : Loblaw va supprimer quelque 800 postes à Laval et à Ottawa. À Laval, ce sont près de 550 employés de l’entrepôt Provigo qui perdront leur emploi. Le centre de distribution fermera ses portes d’ici la fin de l’année 2021. Rappelons que Loblaw opère sous la bannière Provigo et Maxi au Québec. L’immense entrepôt de 680 000 pieds carrés est situé sur l’avenue Francis-Hughes, au cœur du centre industriel de la ville. Les ouvriers sont syndiqués avec les TUAC et leur convention collective vient à échéance le 1er février prochain. Le syndicat veut donc saisir cette opportunité de renégociation au début du mois qui vient pour tenter d’obtenir de meilleures allocations et de meilleures primes de départ.

L’entrepôt Provigo de Laval est bien connu dans le paysage industriel lavallois. Plus encore, on y offre parmi les meilleurs salaires ouvriers, avec un taux horaire de 20 à 30 dollars. On y retrouve plusieurs ouvriers qui y ont accumulé des dizaines d’années d’ancienneté. Cet entrepôt est au centre d’un nombre important de familles et de réseaux d’ouvriers dans la couronne nord. L’entrepôt a longtemps été convoité par de jeunes ouvriers tout juste sortis de l’école secondaire et cherchant une option de travail viable. Sous peu, l’entrepôt tel qu’il a été connu et qu’il a servi sera détruit, plongeant ainsi plusieurs ménages dans une situation difficile. Comme le disait un ouvrier à la sortie de l’entrepôt suite à l’annonce de la fermeture : « C’est le capitalisme pur et dur. On est des numéros. »

Le centre de distribution de Loblaw à Ottawa où travaillent 250 employés subira le même sort. Quant à l’entrepôt de Loblaw à Boucherville (600 employés), il restera ouvert. Celui ci ne sera pas soumis au même traitement que les deux autres, car il s’agit d’un entrepôt de distribution d’aliments frais et congelés. Ce type d’aliments périmant beaucoup plus vite que les autres, il requiert des points de distribution plus rapprochés des supermarchés, donc au moins un au Québec. Dans le cas des aliments secs, comme ceux qu’on retrouve à Laval et Ottawa, une réorganisation est plus envisageable, car l’éloignement des supermarchés n’est pas une contrainte insurmontable, si ce n’est qu’elle est plus coûteuse.

La concurrence dans l’industrie alimentaire

Dans l’industrie alimentaire, la concurrence est féroce, surtout dans le secteur de la vente. Cette dernière est dominée par la forme du supermarché (épicerie) tels que le sont Loblaw, Maxi, Provigo, Metro, IGA ou encore Super C . En fait, la forme du supermarché est celle qui est la plus répandue à notre époque. Il s’agit d’un lieu unique qui appartient à une compagnie donnée dont l’objet est de vendre au détail et de mettre un large choix de marchandises en libre-service (on fait son propre panier). Ce n’est pas un marché où les producteurs vont pour vendre directement ou encore un commerce spécialisé comme l’est un boucher, un poissonnier ou encore un boulanger. Nécessairement, pour exister, ce type de commerce au détail a besoin de vastes entrepôts et centres de distribution. Ce sont là des lieux de transit qui reçoivent les marchandises des divers producteurs et qui les acheminent aux supermarchés. Dans ce type d’industrie, la marge de profit est mince. Et la pression s’accentue de manière draconienne depuis les dernières années avec les avancées de Amazon (Whole Foods Market) et Walmart. Cette concurrence accrue explique les manœuvres en cours chez Provigo pour parvenir à réduire les frais d’entreposage.

La tendance actuelle dans l’industrie est d’avoir des mégacentres de distribution à la fine pointe de la technologie. La notion de mégacentres est importante, car la taille des centres de distribution permet de rentabiliser les coûts exorbitants de la machinerie moderne qu’ils renferment. Elle permet même de compenser la distance de livraison qui sera parcourue en plus en raison de l’éloignement géographique du centre en question. C’est ainsi qu’on verra les aliments produits au Québec se rendre au centre de distribution de Cornwall en Ontario pour ensuite être renvoyés en Beauce. En effet, les entrepôts de Loblaw vont être relocalisés à Cornwall en Ontario. La distribution de Provigo va être confiée à l’entreprise Matrix Logistics Service LTD qui est l’une des entreprises sous-traitantes se spécialisant dans l’entreposage automatisé au Canada. La presse bourgeoise s’est d’ailleurs emparée de l’annonce de l’automatisation de l’entreposage chez Provigo pour ramener l’épouvantail de la robotisation complète de la production. Du même souffle, elle a clamé la désuétude des ouvriers.

La prétendue robotisation complète de la production : un leurre anti-prolétarien

Examinons cette notion de « robotisation » complète de la production et du procès de travail dans la société et, dans le cas précis de Provigo, celle de l’automatisation des entrepôts présentée par les capitalistes comme un incontournable, un facteur de progrès absolu, un virage bénéfique qui saura contrebalancer tous ses défauts « passagers ». Pour développer une ligne politique révolutionnaire et une perspective prolétarienne sur la production, il ne faut surtout pas accepter les thèses bourgeoises sur l’automatisation et la robotisation de la production, voire faire de l’obscurantisme sur le sujet. En réalité, les entrepôts ultra-modernes comme ceux de Matrix Logistics ne fonctionnent pas sans ouvriers, qu’on se le tienne pour dit. Les travailleurs y sont tout simplement moins nombreux. En contrepartie, une plus grande part de capital est investie dans l’équipement et donc, on y retrouve plus de machines.

La technologie qui est mise œuvre dans ce type d’entrepôts consiste pour l’essentiel en des échafaudages sur mesure déplacés par des petits véhicules obéissant à un parcours prédéfini. Le tout doit être programmé par un ouvrier. Ces petits véhicules sont capables d’opérer des « lifts » de palettes sur demande. Avec le temps et l’expertise, des séquences, des méthodes et des procédés sont développés, réduisant ainsi de beaucoup le temps de travail. On y retrouve aussi des mouvements mécaniques de sélection, de soulèvement et de dépôt des marchandises, maniements commandés par des ouvriers par l’intermédiaire de logiciels informatiques précis et complexes. Il n’en reste pas moins qu’il faut des ouvriers pour superviser, réparer, opérer et configurer ces machines. Il y a encore et il y aura toujours une opération humaine dans le processus d’entreposage et de distribution.

En fait, il n’y a là rien de qualitativement différent à ce qu’était déjà le machinisme au commencement du capitalisme dans l’histoire de la production. Le machinisme et les machines modernes ont été le produit d’une époque historique remplie de bouleversements matériels et marquée par la création de nouvelles forces productives contenant la promesse d’un potentiel de transformations presque inépuisable. Le machinisme a été porté par des inventions et des découvertes géniales permises par les nouveaux rapports de production capitalistes où le travail est devenu socialisé, c’est-à-dire que le procès travail a été pris en charge par des collectifs de travailleurs organisés méthodiquement dans des usines plutôt que par un individu (artisan) dans un atelier. L’industrie naissante a permis à des sciences de se développer, bien qu’elles aient été soumises aux lois du capital et à l’intérêt privé. Les machines des usines modernes ont vu le jour grâce à des outils nouveaux et à l’utilisation de différentes sources d’énergie (chimiques et physiques) servant à produire un mouvement, à le conserver et à l’acheminer au moyen d’une transmission quelconque. Sous le poids de ces inventions, c’est l’ensemble du procès de travail qui s’est modifié. Aujourd’hui, l’on bonifie ces machines avec des développements technologiques incroyables, par exemple, les circuits intégrés, la communication numérique ainsi que la capacité à traiter de l’information et à inscrire des commandes précises avec le langage informatique.

Cela dit, il est à noter que le socialisme, ce n’est aucunement la robotisation complète et ridicule de la production dans son ensemble au point que l’être humain arrêterait de travailler. Le socialisme, c’est, bien au contraire, la réconciliation du travail mort (le travail humain déjà contenu et réalisé dans les machines) et du travail vivant (celui qui continue d’être réalisé par les êtres humains). Et cela, peu importe le niveau de développement des machines dont se servira la classe ouvrière! Le fait que la force brute soit décuplée et que le temps de travail soit raccourci grâce aux machines contemporaines dans le procédé industriel ne devrait pas laisser croire à la disparition de la classe ouvrière et à son remplacement par une force de travail robotisée. De même qu’elle ne devrait pas laisser croire à la fin de la nécessité du contrôle de la classe ouvrière sur la production fallacieusement remplacée ici par l’idée d’un éventuel contrôle de la production par des ingénieurs et des informaticiens spécialisés. Bien au contraire, cela devrait attiser encore plus la colère légitime des travailleurs envers l’exploitation, les fermetures outrancières d’usines et d’entrepôts, la pauvreté, le gaspillage, la destruction inutile de forces productives causée par le capitalisme et la gestion chaotique de la production. Il ne fait aucun doute que si nous étions sous le socialisme, les ouvriers de Provigo et tous leurs frères et sœurs de classe auraient pu s’occuper des moyens de production des entrepôts de Laval et d’Ottawa pour poursuivre la production et pour subvenir à encore plus de besoins qu’il n’a été possible de le faire sous le capitalisme. Malheureusement, tout ce potentiel sera détruit d’ici un an.

Alors souvenons-nous que derrière cette tendance supposément nouvelle à la « robotisation », il n’y a rien d’autre que le phénomène déjà existant du machinisme, lui-même réactualisé par le développement technologique des circuits électriques (résistors, transistors, semi-conducteurs, processeurs modernes, micro-puces, etc.) à la base de l’informatique et du numérique. Prétendre que les ouvriers gagnent au change sur le long-terme et qu’ils obtiendront autre chose que la perte de leur emploi dans ce processus est un mensonge éhonté permettant à la bourgeoisie de malmener la classe ouvrière à coups d’illusions. Surtout, il faut savoir que derrière ce phénomène se trouvent les mêmes contradictions à la base du capitalisme : la nécessité de rentabiliser à tout prix le capital au détriment des travailleurs. La concurrence des autres joueurs accentue ce mal : pour se démarquer de leurs adversaires, les capitalistes en viennent à se doter de nouvelles machines et à recourir à des technologies de plus en plus complexes. Cela finit par faire boule de neige dans un secteur industriel comme celui de la distribution alimentaire et du commerce au détail. D’ailleurs, les spécialistes de ce domaine disent tous avoir vu la chose venir en 2013 lorsque Sobeys (les épiceries IGA, Rachelle-Béry, et le Marché Tradition) a construit son entrepôt automatisé à Terrebonne. Il n’en reste pas moins que la course à la modernisation de l’équipement, la diminution d’ouvriers dans le procès de travail, la diminution du travail vivant dans les usines et par conséquent, de la source de valeur nouvelle dans l’équation industrielle, auront pour effet de réduire encore et toujours plus la marge de profit pour les capitalistes.

Le Parti communiste révolutionnaire et son journal l’ISKRA offre tout son soutien et sa solidarité aux ouvriers de Provigo!

Luttons pour le socialisme, le contrôle ouvrier de la production!