La grève nationale des travailleurs des chemins de fer du CN : un combat inspirant ébranlant l’économie d’un océan à l’autre

La grève nationale en cours des employés de la société ferroviaire Canadien National (CN) a déjà des répercussions économiques et politiques immenses dans l’ensemble du pays. Il est à prévoir que si la grève dure encore quelques jours, elle fera l’objet d’une forte répression. La bourgeoisie presse le gouvernement nouvellement constitué d’accélérer le processus d’ouverture de la prochaine législature et de la Chambre des communes. Dans les médias, la loi spéciale est sur toutes les lèvres. Mais ce conflit survient alors que le gouvernement vient d’être réélu. Le retour en chambre est officiellement prévu pour le 5 décembre. Gardons seulement en tête que peu importe l’issue de ce combat, il n’en reste pas moins que cette grève aura été particulièrement importante et qu’elle constitue déjà un cas éclairant quant à la place centrale que continue d’occuper le transport ferroviaire dans la vitalité du capitalisme canadien.

Une grève sur l’ensemble du territoire qui paralyse l’économie

Depuis le mardi 19 novembre dernier, ce sont plus de 3 000 travailleurs de la plus grande société ferroviaire du pays qui ont déclenché une grève bloquant la quasi-totalité du transport de marchandises par train au Canada. Ce sont ainsi les opérateurs, les chefs de train, les préposées aux manœuvres, les agents de train et les agents de triage du CN qui ont arrêté le travail et paralysé le réseau. La grève a été annoncée 3 jours à l’avance tel que prescrit par la loi. En fait, cela faisait plusieurs semaines que les travailleurs menaçaient d’aller de l’avant avec la grève dans le cadre de leur activité syndicale avec les Teamsters (Teamsters Canada Rail Conference). Rappelons que lors d’un vote en octobre 2019, la grève a récolté 99,2% d’appuis. Les travailleurs des chemins de fer étaient sans contrat de travail depuis le 23 juillet 2019.

Les horaires atypiques et éprouvants, causant un manque de sommeil et de la fatigues chronique chez les travailleurs, sont en cause dans le conflit. Des opérateurs racontent qu’ils doivent parfois retourner au travail avec seulement 2 heures de repos dans le corps. D’ailleurs, dernièrement, on compte plusieurs cas d’accidents de travail, voire plusieurs décès chez les ouvriers du réseau. Par conséquent, en définitive, ce sont les questions de sécurité qui sont au cœur des litiges. Les employeurs et les propriétaires des voies ferrées et des trains essaient toujours de réduire au minimum les dépenses et l’entretien qu’ils ont à faire pour honorer leurs contrats. Les sociétés ferroviaires se défilent de leurs obligations en prétendant que ce sont des marchandises qui sont transportées et non pas des êtres humains, ce qui apparemment leur permettrait de prendre plus de risques. En effet, qui accepterait de monter dans un métro sachant que l’opérateur le conduisant n’a pas dormi depuis 2 ou 3 jours? Pourtant, on n’a qu’à penser au cas de Lac-Mégantic et de la Montreal, Maine & Atlantic Railway (MMA) : les charognards de propriétaires de la compagnie ont voulu faire un peu plus de profits en n’effectuant pas toutes les vérification des wagons requises, ce qui a mené à l’une des pires catastrophes de l’histoire moderne du Québec. La situation entourant les conditions de travail des travailleurs ferroviaires semble être loin de s’améliorer, bien au contraire. Le vendredi 15 novembre dernier, le CN annonçait que 1 600 des 27 290 postes en Amérique du Nord seraient abolis dans un futur rapproché, et ce, sans même donner de détails sur le calendrier de licenciements ou sur les métiers et les emplois qui seraient touchés par ces compressions.

Ainsi, ce sont presque tous les centres urbains du Canada, les secteurs agricoles et miniers ainsi que l’ensemble du système ferroviaire du CN qui sont affectés par la grève. Les grévistes ont tenu à être explicites et à préciser que leur grève ne toucherait à aucune navette de particuliers. En effet, le CN est une entreprise touchant exclusivement au transport par cargo et de marchandises. La grève a déjà un impact sur les céréales, le minerais et les hydrocarbures (pétrole-propane) qui sont en grande partie transportés par train. Le commentaire lucide du dirigeant de l’Association minière du Canada (AMC) donne un bon aperçu de l’inquiétude qui s’empare présentement des capitalistes :

« Dans le secteur des minéraux et des métaux, l’expérience nous a appris qu’une interruption des services ferroviaires a de graves répercussions sur la capacité des sociétés de livrer des produits essentiels à leurs mines et d’acheminer des produits et sous-produits minéraux à leurs clients en aval. Cette grève entraînera une réduction très importante ou une suppression de la capacité de transport ferroviaire et elle déclenchera la fermeture de mines et la mise à pied en parallèle de milliers d’employés d’ici quelques jours. »

De même, lors d’une sortie publique le jeudi 21 novembre dernier, des Conservateurs fédéraux et des représentants du gouvernement du Québec ont demandé au premier ministre et à son Cabinet de convoquer en urgence une rencontre extraordinaire au parlement pour voter une loi spéciale de retour au travail forcé. Dans le cas du Québec, la pression se fait lourdement sentir : entre autres, une grande partie des installations agricoles utilisent le propane pour chauffer les bâtiments où se trouvent les animaux et le bétail, ainsi que pour alimenter en énergie le processus de séchage des grains et du maïs.

L’importance du transport ferroviaire au Canada et en Amérique du Nord

Au Canada, il existe deux grandes entreprises privées ferroviaires : le Canadien National et le Canadien Pacifique. Des deux, c’est sans aucun doute le CN qui est le plus important. Il existe au total un peu moins de 50 000 km de voies ferrées au pays. À lui seul, le CN en possède 32 831 km. Pour se donner des points de repère, le Canada fait environ 9 300 km d’Est en Ouest, et environ 4 600 km du Nord au Sud. La frontière du Canada avec les États-Unis fait 8 891km de long. À titre de comparaison, le rayon de la terre à l’équateur est de 6 378 km.

Le CN a son siège social à Montréal sur la rue de la Gauchetière. Il possède aujourd’hui des chemins de fer aux États-Unis. Dans le paysage ferroviaire canadien, il y a aussi Via Rail, une entreprise publique dont la fonction est de transporter la main-d’œuvre des banlieues vers les métropoles ou vers les centres économiques adjacents. Via Rail a ses branches régionales, soit le Réseau de transport métropolitain Exo à Montréal, GO Transit à Toronto et West Coast Express à Vancouver. Aussi, au pays, on peut recenser d’autres compagnies ferroviaires qui se contentent d’offrir des services de voyages de luxe comme le Ontario Northland Railway et le Algoma Central Railway, le Rocky Montainer et le Royal Canadian Pacific.

L’histoire des voies ferrés au Canada est incontournable. Elle commence avec des petits chemins de fer dans la première partie du 19e siècle. Le Canadien Pacifique débute en 1885 et tout comme lui, le Canadien National provient de la période d’expansion des chemins de fer qui a été suivie par la Première Guerre mondiale. Le CN a fait faillite tout juste après son essor, et ce, en raison de la guerre et de l’affaiblissement général du transport de marchandises. C’est alors que le gouvernement canadien est venu à sa rescousse en regroupant le Canadian Northern, le Grand Tusk et le Canadian Governemnt Trailway sous la bannière CN, une nouvelle entité publique. C’est donc dire que le CN a été une entreprise publique avant d’être privatisé au début des années 1990. Et c’est aujourd’hui le multimilliardaire Bill Gates qui possède le plus grand nombre d’actions dans cette compagnie.

Il faut rappeler que la liaison entre l’Est et l’Ouest a été un enjeu fondamental dans l’histoire du développement du capitalisme au Canada. C’est la Confédération de 1867 qui a donné l’impulsion à ce vaste projet auquel se sont trouvés liés des entreprises et des événements majeurs tels que l’intégration la Nouvelle-Écosse et du Nouveau-Brunswick. Le Canada est un pays dont la superficie est beaucoup plus grande que celle de plusieurs pays européens. Développer des moyens de transport modernes, rapides et efficaces a donc été un enjeu ayant une importance particulièrement grande dans le développement du marché intérieur, dans l’unification économique et politique du pays et, plus tard, dans le positionnement de celui-ci au sein des rapports de force internationaux. Les chemins de fer, en tant que forme donnée dans l’établissement de moyens de transport et de communication modernes, ont aussi joué un rôle important en Europe, mais ils n’y ont pas représenté le même centre de gravité qu’au Canada où le transport des marchandises d’Est en Ouest par bateau était presque irréalisable. Ailleurs dans le monde, l’objectif de mettre en place un vaste système ferroviaire a coexisté avec d’autres impératifs, comme par exemple le développement du transport naval et la domination maritime en Angleterre. Encore aujourd’hui, la capacité de transporter efficacement les marchandises partout au pays revêt une importance primordiale pour le capitalisme canadien. Dans une certaine mesure, c’est le même enjeu qui est abordé lorsqu’il est question du transport du pétrole par oléoducs.

Le pays dont l’histoire se compare le mieux à celle du Canada est les États-Unis. Au cœur de l’histoire économique de ce pays, on retrouve des phénomènes tels que le protectionnisme féroce du 19e siècle comportant des frais de douanes immenses, la colonisation fermière de l’Ouest ainsi que la mise en place du plus grand système ferroviaire connu dans le monde. Aux États-Unis, on comptait 53 000 km de voies ferrées en 1865, 414 000 km en 1900 et 565 000 km en 1913. Il ne s’agit pas ici de minimiser l’importance du transport ferroviaire au Canada. Rappelons que les États-Unis ont été, durant de nombreuses décennies, la première puissance impérialiste mondiale. Aussi, il faut prendre en compte la répartition non seulement Est-Ouest mais également Nord-Sud de la population du pays sur le territoire. Cette répartition de la population, qui contraste avec celle du Canada, est historiquement due à des facteurs géographiques et climatiques. Le contraste est frappant lorsque l’on compare les 38 millions d’habitants au Canada, situés pour l’essentiel dans quatre ou cinq grands secteurs au sud du pays, aux près de 330 millions d’habitants aux États-Unis qui se répartissent dans tout l’espace.

Un combat significatif qui permet d’anticiper les coups qu’il faudra porter dans l’avenir

Avec quelques jours de grève seulement, les travailleurs ferroviaires du CN ont réussi à inquiéter la bourgeoisie et à provoquer chez elle une réaction hargneuse. C’est que le secteur des transports est un secteur de l’économie central dans le capitalisme. En fait, tous les secteurs où se produit énormément de plus-value et de profits sont au centre des préoccupations de la bourgeoisie canadienne et sont susceptibles de devenir très vite une veine ouverte pour le capital. Il faut, dans l’extraction, dans la fabrication, dans le transport et l’entreposage et dans la construction, encourager et mener des coups comme ceux auxquels on assiste présentement et combattre avec les ouvriers en lutte. Les travailleurs du CN méritent tout l’appui qu’on peut leur donner. Le PCR appelle largement ses sympathisants et ses sympathisantes à se joindre activement aux grévistes dans les rassemblements qu’ils tiennent tous les jours dans toutes les grandes villes au pays.

Appuyons la grève des travailleurs ferroviaires du CN, un combat inspirant ayant des répercussions immenses dans tout le pays et positives dans le mouvement ouvrier canadien!