Appuyons la juste colère des opprimés du monde entier, transformons cette colère en force pour la révolution!
Présentement, dans bien des pays du monde, le prolétariat, les masses populaires ainsi que la paysannerie descendent dans la rue de nombreuses villes afin de manifester leur juste colère contre les mesures anti-peuple adoptées par leurs classes dirigeantes respectives. C’est le cas au Chili, en Équateur, en Bolivie, en Haïti, mais aussi en Irak et au Liban. Et, bien que la présence massive de la jeunesse occupe une place importante dans ces mobilisations, il ne faudrait pas pour autant oublier que cette jeunesse n’existe pas dans un monde à part au-dessus des classes sociales, mais plutôt que les jeunes qui manifestent sont majoritairement issus de familles prolétariennes et paysannes.
Ainsi donc, ce sont donc des centaines de milliers de prolétaires et paysans membres des classes populaires qui animent ces vastes mouvements de rejet des politiques bourgeoises. Que le peuple se lève ne devrait pas pour autant nous surprendre puisque les conditions matérielles qui prévalent dans de nombreux pays tendent à favoriser de plus en plus la levée en masse des exploités. Aujourd’hui, ils sont quelques millions, mais demain ce seront des centaines de millions d’exploités qui se soulèveront. En effet, la colère des peuples, bien qu’elle se présente aujourd’hui sous une forme spontanée et désorganisée, va continuer à croître, car elle a pour origine la misère grandissante qui est engendrée par des dizaines d’années de développement du capitalisme.
Par exemple, au Chili, bien que l’histoire récente veut que ce soit la question du prix du transport qui ait été le détonateur de la mobilisation (notamment lorsque les étudiants ont appelé à protester contre une augmentation de plus de 3 % du prix du ticket de métro dans la capitale du pays, Santiago), il reste néanmoins que ce mouvement découle plus largement des contradictions du capitalisme et en particulier du fait que la bourgeoisie de ce pays ait largement privatisé de grands pans de l’économie (dont le service de métro) au profit de multinationales impérialistes.
En effet, il faut se souvenir que sous la gouverne du dictateur Augusto Pinochet ont été mises en place au Chili une série de réformes économiques libérales radicales, réformes largement impulsées par les intérêts et les manœuvres de l’impérialisme américain. Ces réformes ont pu être pleinement réalisées grâce au coup d’État mené par le même Pinochet, avec l’appui direct de l’impérialisme américain, qui s’est servi du coup pour interdire toutes les formes d’opposition (même les formes pacifiques) à ses politiques, notamment en interdisant les syndicats, les grèves et en réprimant toutes les autres formes de contestation sociale.
Concrètement, les réformes capitalistes ont eu pour effet que la plupart des entreprises publiques du Chili ont été privatisées au profit des monopoles capitalistes nationaux ou bien internationaux. Du même coup, on a assisté à des licenciements massifs tandis que les budgets de l’éducation et de la santé ont été réduits et les salaires abaissés. Au total, l’ensemble de ces réformes a favorisé exclusivement la bourgeoisie chilienne, ce qui a eu pour effet d’accélérer et d’élargir l’écart entre les conditions de vie de l’élite dirigeante et celles de l’ensemble du peuple.
L’exemple du Chili est paradigmatique de ce qui se passe un peu partout dans le monde. Si on regarde le portait général qui se dessine, on constate que la mise en place de politiques favorisant les capitalistes a été accompagnée d’un rejet grandissant des élites politiques bourgeoises, qu’elles se présentent comme étant centristes (comme en Algérie ou au Liban), ouvertement à droite (comme au Chili) ou bien hypocritement à gauche (comme en Bolivie). Ce rejet de la classe politique locale a, quant a lui, favorisé l’émergence d’initiatives de la part des masses populaires, initiatives certes spontanées, mais libérées, dans une certaine mesure, de l’emprise de la bourgeoisie. Néanmoins, le terrain qui a été gagné par les masses populaires sur la bourgeoisie demeure encore à consolider. Tenant compte de l’ensemble de ces facteurs, il apparaît donc primordial de porter une attention soutenue aux formes que va prendre la colère des masses dans le monde.
Les médias bourgeois ont largement fait état des grandes manifestations pacifiques, notamment au Chili, en Algérie et au Liban, le but étant de discréditer la juste violence des masses. Par exemple, selon la porte-parole du gouvernement chilien (donc de la bourgeoisie), les gens qui se battent dans la rue ne sont pas des gens « qui veulent la justice sociale, qui veulent que les choses aillent mieux, ce sont des gens qui veulent la destruction, le chaos ». De même, la presse a bien relayé le fait que la gouverneure de la région de Santiago, Karla Rubilar, avait fait part de son « émotion » ressentie face à la participation massive de plus d’un million de personnes lors de manifestations à Santiago et dans différentes régions du pays sans qu’il y ait de la violence. Même le président conservateur Sebastian Pinera a déclaré avoir « entendu le message » délivré par les manifestants. Or, une semaine auparavant, le même président avait décrété l’état d’urgence sur une grande partie du pays à la suite de violentes émeutes populaires.
De fait, on assiste maintenant à une seconde étape de la politique menée par les classes dominantes (par exemple au Chili, au Liban et en Algérie) visant à désamorcer les mouvements de masse. En effet, bien que très massives, la plupart des nombreuses manifestations sont tout de même demeurées à l’intérieur des limites permises par le capitalisme. En effet, pour la bourgeoisie, les manifestations monstres, bien qu’elles soient impressionnantes ne serait-ce qu’en termes de participation, représentent moins un danger immédiat que d’autres formes de lutte plus percutantes. De fait, ce que craint la bourgeoisie par-dessus tout, ce sont les débordements incontrôlés – c’est-à-dire lorsque les masses s’adonnent à l’émeute et qu’elles prennent d’assaut les intérêts des capitalistes. C’est d’ailleurs pourquoi la bourgeoisie tente présentement de profiter d’une certaine accalmie dans la violence pour suspendre certaines mesures décriées par les masses et ainsi regagner l’initiative et le contrôle sur celles-ci. Toutefois, la colère sociale n’est pas pour l’instant retombée. Tout au contraire, on constate que le mouvement, qui est hétérogène et sans dirigeants identifiables, s’est passablement amplifié, nourri par le ressentiment face à la situation socio-économique et aux inégalités.
Reste donc ouverte la possibilité que progressivement viennent s’unifier la jeunesse populaire, les femmes, les prolétaires et les paysans. Cette unification, si elle devait se réaliser, va représenter une réelle menace pour la bourgeoisie. De fait, la mobilisation des masses est un défi permanent pour la bourgeoisie puisque le plus souvent, en exigeant le départ du personnel chargé de l’État, elle se voit par le fait même exposée à un brusque changement, un changement non contrôlé qui a le potentiel de faire effondrer temporairement son pouvoir sur la société.
Cela dit, les manifestations actuelles sont loin d’avoir atteint les qualités nécessaires permettant de proposer une alternative réelle au pouvoir qu’elles mettent à mal. Comme le démontre bien l’histoire récente, notamment le « Printemps arabe », il y a une importante différence entre le fait de contester le pouvoir en place et le fait de faire la révolution. Dans le premier cas, le risque est grand d’en revenir à une situation pire qu’auparavant (par exemple en Égypte où le nouveau personnel politique de la bourgeoisie une fois mis en place s’est évertué à réprimer les masses populaires). On retrouve un exemple plus récent en Irak, où après une semaine de contestation violemment réprimée, le gouvernement a annoncé des mesures sociales, mais aucune réforme en profondeur.
Les choses sont plus complexes et exigeantes lorsqu’il ne s’agit plus de remplacer le personnel bourgeois par du nouveau personnel, mais de révolutionner complètement l’ensemble de la société, c’est-à-dire de faire la révolution. En particulier, la révolution, pour être possible, présuppose qu’auront été développées préalablement toutes les ressources nécessaires à une prise du pouvoir et au remplacement de la bourgeoisie. Dans le cas contraire, la mobilisation risque un retour en arrière et surtout, elle risque de déboucher (comme en Égypte, en Tunisie, etc.) au renouvellement et à la consolidation du pouvoir bourgeois. C’est d’ailleurs pourquoi les masses, à chaque fois, se sont plaintes de ce que les nouveaux régimes mis en place dans ces circonstances pour remplacer ceux qu’elles avaient contestés (comme en Égypte et en Tunisie) étaient pour l’essentiel identiques aux régimes précédents. Comme le disent les révolutionnaires qui sont conséquents, « la question du pouvoir est certainement la question la plus importante de toute révolution. Quelle classe détient le pouvoir? Tel est le fond du problème »1.
La mobilisation des masses qui découle de l’exploitation capitalistes permet d’envisager que dans un futur prochain, « lorsque la politique a atteint un certain stade de développement où elle n’est plus capable de se développer par elle-même »… il éclatera « une guerre pour lever les obstacles apparus sur le chemin de la politique. »2 C’est pourquoi la révolution est, comme le dit Mao, «un soulèvement, un acte violent par lequel une classe en renverse une autre. ». Or pour faire la révolution, doivent d’abord être réunies les conditions suivantes. D’abord, il faut une mobilisation importante et massive des masses : comme le dit Lénine, il faut que la colère accumulée « s’extériorise en actions, et non en parole, en actions de millions de gens, et non pas d’individus isolés »3. Aussi, il faut que les masses puissent se doter de formes d’organisations capables de répercuter leurs revendications et d’organiser leur mouvement. Ensuite, il faut un parti révolutionnaire capable de formuler les mots d’ordre adéquats. En ce sens, les mots d’ordre sont plus que des phrases générales, mais doivent devenir des conclusions pratiques (qui orientent ce qu’il faut faire) qui découlent de l’analyse de classe d’une situation historique donnée. Finalement, il faut des révolutionnaire qui ne se contentent pas de reconnaître que la révolution est inéluctable, mais qui, devant cette inéluctabilité, assument de le faire comprendre « aux masses et leur expliquent les voies et les méthodes »4.
Loin de se placer en situation d’être des spectateurs, il faut que les communistes révolutionnaires participent activement à la lutte aux côtés des masses et qu’ils et elles renforcent leurs organisations. Au niveau international, l’ensemble des communistes révolutionnaires doivent entreprendre de lutter activement contre leur propre bourgeoisie. C’est la jonction de ces deux mouvements qui permettra, à moyen terme, le développement de la révolution.
1 Lénine, OC, tome XXV, p.398.
2 Mao De la pratique (1937)
3 Lénine, OC tome X, p.254
4Lénine , OC tome XXI, p.408