Le Bloc québécois : un cadavre qui pue longtemps

Suite à l’écrasante défaite des péquistes lors des dernières élections provinciales, on pouvait s’attendre à ce que sa succursale fédérale, le Bloc québécois, subisse la même dégelée. La logique voudrait que si les forces indépendantistes québécoises ne sont plus capables de mettre de l’avant l’option de l’indépendance lorsque vient le temps d’élire les dirigeants de la province, le Bloc québécois ne sert plus à rien. Et bien ce parti qu’on croyait déchu avait une carte en réserve : se définir comme le porte-parole des choix de l’Assemblée nationale, forteresse des « intérêts du Québec ». Il semble que cette tactique porte ses fruits : selon les sondages, le Bloc québécois est en bonne position dans les intentions de vote au Québec et certains prédisent qu’il parviendra à remporter de 25 à 30 sièges si la tendance se maintient, alors qu’il n’avait fait élire que 4 députés au scrutin de 2011. Mais contrairement à ce qu’on peut croire, cette remontée du Bloc québécois est loin de signifier une revitalisation du mouvement indépendantiste.

Plus important encore, force est d’admettre que le nationalisme québécois s’est muté depuis la dite Révolution tranquille. Dans les années 1960, si le mouvement indépendantiste se voulait une « radicalisation » du mot d’ordre bourgeois Maîtres chez nous, s’il mettait de l’avant un besoin véritable de la société québécoise, soit la modernisation économique et sociale, et s’il pouvait rallier une masse ouvrière francophone dont les revenus correspondaient aux 2/3 de ceux des anglophones du Canada, il est maintenant indéniable que les choses ont changé. Le nationalisme n’a plus besoin de cette masse ouvrière depuis très longtemps et, en pratique, la bourgeoisie francophone a désormais le réel contrôle de l’appareil d’État québécois, ce qui lui permet de négocier d’égale à égal avec le reste du Canada.

Dans les années 1960, les forces de modernisation du Québec pouvaient assujettir des forces orphelines issues des régions rurales (là où les villes dépendaient encore de l’agrobusiness) qui avaient servi de base de masse pour l’Union nationale de Duplessis et pour le Crédit social, deux partis populistes de droite. La création du Parti québécois était donc la fusion des modernisateurs urbains du Mouvement Souveraineté Association de René Lévesque et du Ralliement national de Gilles Grégoire, Jean Garon et Marc-André Bédard, des créditistes souverainistes. Pour sa part, le Rassemblement pour l’indépendance nationale de Pierre Bourgault s’est lui aussi dissous pour se mettre sous la direction du Parti québécois.

L’appui ouvrier au Parti Québécois (PQ) a été indispensable pour la bourgeoisie québécoise avant la tenue du premier référendum en 1980, mais après celui-ci, d’autres secteurs ont donné massivement leur appui à la salade péquiste bourgeoise. C’est le cas des travailleurs du secteur public, des travailleurs au salaire minimum (qui longtemps avait été gelé), des accidentés du travail, etc. Cela dit, après la défaite référendaire de 1995, les quelques avancées sur le plan des politiques sociales qu’on avait connues jusqu’en 1994 ont fait place à l’imposition du déficit zéro par l’impitoyable Lucien Bouchard, celui qui trouvait que les travailleurs québécois souffraient de paresse.

Au cours de la dernière décennie, les péquistes ont perdu leurs appuis sur l’île de Montréal et dans les quartiers centraux d’autres grandes villes québécoises, et ce, à la faveur de Québec Solidaire (QS). En dehors de ces grands centres, les péquistes rivalisent avec d’autres forces nationalistes dont le projet ressemble plus à celui de l’autonomisme défendu par l’Union nationale d’antan. C’est donc sur cette base autonomiste que l’Action démocratique du Québec (ADQ) et, plus tard, la Coalition Avenir Québec (CAQ), ont réussi à fédérer des forces nombreuses et victorieuses.

D’autres forces, comme les partisans de QS, s’illusionnent sur la possibilité de « radicaliser » le projet de la Révolution tranquille. Or, dans la configuration des rapports sociaux bourgeois actuels, cette perspective n’a pas de chance de succès. Ce qui pouvait être obtenu sous un régime bourgeois l’a globalement été. Des projets comme celui de Pharma-Québec ou encore comme le développement de logements sociaux répondent certes à des besoins populaires, mais ne peuvent pas servir à rallier largement des forces populaires et bourgeoises comme c’était le cas à l’époque où le Québec accusait un retard considérable sur ses voisins et où il fallait encore réaliser la démocratisation de l’éducation, le développement d’un réseau de santé et de services sociaux et la modernisation de la législation sociale. Dans les faits, aujourd’hui, la satisfaction des besoins ouvriers et populaires ne peut pas se faire sous un régime capitaliste : seul le socialisme va la permettre.

Bien entendu, au sein du PQ, les forces « progressistes » qui envisagent cette « radicalisation » du projet de la Révolution tranquille sont pratiquement inexistantes aujourd’hui. Désormais, làles péquistes courent la chance de faire des gains, c’est là même où la CAQ est en bonne position. Et il en va de même pour les bloquistes. Compte tenu que le Bloc québécois ne peut pas être, par sa nature, l’instigateur d’un référendum sur l’indépendance du Québec (le référendum devant inévitablement être organisé par l’Assemblée nationale), il se rabat habillement sur la prétention d’être le porteparole des « choix des Québécois », lesquels seraient aujourd’hui ceux des caquistes au pouvoir.

Basant ses propos sur les soi-disant « consensus » à l’Assemblée nationale de la province, le chef du Bloc québécois, Yves-François Blanchet, vante les mérites de la politique économique de la CAQ (incluant les contrôles budgétaires), et va jusqu’à saluer le travail accompli par l’ancien gouvernement libéral provincial, travail qui a essentiellement reposé sur une sévère politique d’austérité qui a mis à mal le réseau de la santé et des services sociaux, de même que celui de l’éducation.

Le Bloc québécois n’a jamais été aussi à droite et autonomiste qu’il ne l’est présentement. Même du temps de Lucien Bouchard, alors qu’il y avait beaucoup de conservateurs dans les rangs du parti, le discours bloquiste se targuait d’être plus social-démocrate qu’aujourd’hui. C’est donc dire que dans le contexte actuel, il est étonnant de voir des « progressistes », voire des partisans de QS, voter pour ce parti. Même des partisans du Parti « communiste » du Québec (PCQ) font ouvertement campagne pour le Bloc québécois un peu partout dans la province, et leur chef historique, André Parizeau, entreprend de briguer les suffrages contre la libérale Mélanie Joly.

On aurait pu prévoir que le Bloc québécois allait se lancer dans le course électorale en étant moribond, purulent, en état de complète décomposition. Au final, il s’en tire plutôt bien, tel un avatar fédéral des nationalistes autonomistes. Nous, nous disons que c’est un cadavre… un cadavre qui pue depuis trop longtemps déjà. Un cadavre qui est l’expression de l’épuisement de l’indépendantisme au Québec et du regain nationaliste; un cadavre qui enfile les habits d’une force populiste rétrograde.