Le mandat de grève générale des employés de la SÉPAQ : une initiative audacieuse de travailleurs mal payés
Le mandat de grève générale adopté par les employés de la SÉPAQ (Société des établissements de plein air du Québec) à l’été 2019 est une initiative audacieuse de travailleurs particulièrement mal payés. Cette initiative atteste d’une volonté ferme et généralisée de lutter pour obtenir de meilleurs salaires et de meilleures conditions de travail. De plus, les événements entourant l’initiative des employés de la SÉPAQ sont utiles pour analyser la réalité du grand groupe auquel ces prolétaires appartiennent. Surtout, cette initiative met en relief les défis récurrents auxquels doivent faire face les employés des services publics lorsqu’ils tentent par une grève ou par différents moyens de voir leurs revendications satisfaites.
Des travailleurs unis et stoïques
La SÉPAQ est la société d’État chargée de s’occuper des 23 parcs nationaux, des 15 réserves fauniques et d’un certain nombre d’autres établissements touristiques répartis sur le territoire du Québec, regroupant des manoirs, des stations, des campings et des auberges. Il faut savoir que les employés de la SÉPAQ sont en grande partie des employés saisonniers devant travailler avec des horaires atypiques. Ils sont parmi les plus mal payés de l’appareil gouvernemental québécois, leur salaire ne dépassant habituellement pas 13$ ou 14$ de l’heure. Précisons que les employés de la SÉPAQ sont syndiqués avec le SFPQ (un syndicat indépendant dans la fonction publique québécoise).
Au mois de juillet 2019, les employés de la SÉPAQ se sont prononcés en faveur de la grève générale à un taux impressionnant de 94%. Le vote étant en lien avec la renégociation de la convention collective, la grève générale devait être déclenchée au moment jugé opportun. La tenue du vote a été suivie par une première vague de grèves dans six établissements à la fin du mois de juillet (Parc de la Chute–Montmorency, Manoir Montmorency, le site du siège social de la SÉPAQ, le Camping des Voltigeurs, le Centre touristique du Lac-Simon et le Centre touristique du Lac-Kénogami). La grève générale des employés de la SÉPAQ devait alors s’étendre, dans un deuxième temps, à l’ensemble des parcs nationaux. La fermeture des différents parcs nationaux du Québec devait ainsi permettre de perturber les vacances de la construction, lesquelles représentent l’un des flux importants du chiffre d’affaire de la SÉPAQ. La SÉPAQ s’est alors empressée de lancer une opération visant à donner mauvaise presse à ses employés et à présenter leurs demandes comme déraisonnables et égoïstes. Au dernier instant, une entente de principe entre la SÉPAQ et le comité de négociation a finalement été conclue.
Dans les semaines qui ont suivi, cette entente a été rejetée par 60% des quelques 2500 employés de la SÉPAQ, attestant encore plus de la volonté de ceux-ci d’obtenir de meilleurs salaires. Il faut le dire, il y a quelque chose de particulièrement audacieux dans le fait de refuser une entente de principe dans des rapports de force difficiles. Les travailleurs de la SÉPAQ ont bien raison de refuser des offres à rabais. Des millions de dollars sont investis continuellement dans les sites de la SÉPAQ alors que les salaires n’ont à peu près pas augmenté dans les dernières années.
Le syndicat annonce maintenant la grève dans les réserves fauniques. La grève doit commencer ce samedi 21 septembre à minuit et durer jusqu’au jeudi matin suivant. Elle toucherait 500 employés. La grève dans les réserves fauniques doit ainsi perturber l’ouverture de la saison de la chasse. Plusieurs centaines de groupes de chasseurs sont déjà attendus sur les diverses réserves fauniques, en particulier sur l’Île d’Anticosti, très convoitée par la bourgeoisie. Les bourgeois paient, en effet, plusieurs milliers de dollars en forfaits pour aller chasser sur l’île. Ce sont des grands bourgeois venus de l’international ainsi que des grands bourgeois québécois bien connus, comme la sinistre famille Desmarais, qui se déplacent pour ce genre d’évènements fastueux. D’ailleurs, alors que les travailleurs font la grève pour en finir avec leurs salaires de misère, le gouvernement québécois investissait, il y a un peu plus d’un an, 7 millions de dollars pour construire un nouveau pavillon à l’auberge Port-Menier ainsi qu’un nouveau belvédère à la chute Vauréal dans le parc national d’Anticosti. On voit bien où est la priorité entre les sites vacanciers de luxe et le gagne–pain des travailleurs de la SÉPAQ.
Les évènements ont bien sûr alarmé la société d’État, et c’est prise de panique qu’elle tente de rassurer ses clients « exclusifs » en leur rappelant qu’un plan de contingence a été mis en place pour faire fonctionner les sites avec des effectifs réduits. Par « plan de contingence », il faut comprendre un plan pour mettre en action des briseurs de grève! Le syndicat avait d’ailleurs déposé, dès l’adoption du mandat de grève en juillet, une mise en demeure à cet effet contre la SÉPAQ. Les prolétaires de la SÉPAQ prévoyaient avec lucidité que celle-ci n’hésiterait pas à s’en remettre aux cadres et aux employés non-syndiqués « nouvellement embauchés » pour parvenir à remettre en fonction les sites qui devraient pourtant être fermés par la grève.
Les travailleurs de la SÉPAQ : des employés des services publics
Les employés de la SÉPAQ font partie du 6e grand groupe du prolétariat, soit celui des employés des services publics. On retrouve à l’intérieur de la SÉPAQ des travailleurs tels que des commis, des guides, des cuisiniers et de nombreux préposés tels que les préposés au service à la clientèle, au stationnement, à la billetterie et aux renseignements. Rappelons que les employés dans les services publics sont les prolétaires travaillant dans le système public (hôpitaux, centres d’hébergement, centres de jour, transports en commun, appareil d’État, etc.) ainsi que dans les principales utilités publiques (Hydro-Québec, Énergir, etc.).
La situation des employés de la SÉPAQ est représentative de la réalité et de l’histoire de ce grand groupe. Au Québec, la combativité et l’expérience syndicale dans le système public et les utilités publiques sont venues en grande partie de travailleurs mal payés comme eux. Cela a été le cas, entre autres, lors du célèbre Front commun intersyndical de 1972 ou encore lors du combat contre le gel des salaires lié à la récession et à la « crise des finances publiques » des années 1980. Surtout, le combat des employés de la SÉPAQ est particulièrement représentatif en ce qui a trait aux difficultés rencontrées dans la lutte menée par les travailleurs de ce grand groupe. D’une manière générale, les grèves dans les services publiques commencent dès le départ dans une position difficile. Dans bien des cas, les initiatives telles que celle des employés de la SÉPAQ sont mal reçues dans l’opinion publique, même parmi le prolétariat, ce qui est une erreur. Dans ce cas-ci, la perturbation des vacances de la construction a été amplement utilisée pour présenter d’une manière négative les travailleurs de la SÉPAQ. Récemment, les chauffeurs de la STM, même sans avoir fait la grève, ont subi un lynchage public similaire. En fait, ce sont surtout les médias bourgeois qui présentent les choses négativement lorsqu’une grève touche un service public. Il existe néanmoins un noyau dans le prolétariat qui, spontanément, est solidaire, en dépit des contrecoups que pourraient lui faire encourir les différentes grèves touchant les services publics. Cette solidarité entre travailleurs est fondamentale pour notre classe. C’est elle que la bourgeoisie attaque sans vergogne.
La contre-attaque de la bourgeoisie ne prend d’ailleurs pas la même forme face à d’autres secteurs et à d’autres grands groupes du prolétariat. Par exemple, lorsqu’elle s’en prend publiquement à des ouvriers dans la production, la bourgeoisie a plutôt l’habitude de mettre de l’avant des salaires gonflés fallacieusement pour faire mal paraître les revendications des ouvriers. C’est ce qui s’est passé lors du lock-out à ABI, avec l’intervention grossière du premier ministre François Legault visant à présenter la lutte prolongée et difficile des ouvriers d’ABI comme celle d’employés privilégiés se plaignant le ventre plein.
Pour l’instant, rappelons uniquement que le mandat de grève adopté et le rejet de l’entente de principe démontrent que les employés de la SÉPAQ sont unis et demeurent stoïques, et c’est tant mieux! Ceux–ci pourraient en effet facilement se décourager et avoir l’impression d’être séparés les uns des autres, étant donné leur répartition sur de nombreux sites très espacés entre eux et habituellement reculés des grands centres. C’est une nécessité pour tous les travailleurs de se solidariser avec l’ensemble des luttes et des grèves dans les services publiques, de même que c’est une nécessité pour les révolutionnaires de contribuer à renforcer cette solidarité ainsi que de dénoncer les mensonges des capitalistes et de l’État bourgeois.
L’audace et l’unité des travailleurs de la SÉPAQ sont un exemple à promouvoir partout sur le territoire!
Se positionner dans la réalité prolétarienne demande la capacité à comprendre les défis que rencontrent les travailleurs des différents grands groupes au cours de leurs luttes!