Une histoire du mouvement communiste au Canada (I)

Le texte que nous présentons dans les pages qui suivent représente essentiellement la transcription des deux premières d’une série de quatre conférences ayant été présentées à l’hiver et au printemps 2018 dans le cadre des activités de l’École communiste de Montréal. L’ÉCM a inauguré en janvier sa première saison d’activités politiques et théoriques, sous la forme de cours, de conférences, de films/débats et de séries thématiques, s’adressant aux partisans et aux partisanes du communisme mais aussi de manière générale, à tous les militants et toutes les militantes qui désirent développer leur compréhension de l’expérience passée du mouvement prolétarien ainsi que des grands enjeux actuels auxquels notre mouvement est confronté. Rendez-vous incontournable, l’école entend devenir le principal carrefour de débat et de formation communistes à Montréal. Toutes les activités ont lieu à la Maison Norman Bethune, au 9697, boulevard Saint-Laurent (3e étage). La programmation est régulièrement mise à jour au www.maisonnormanbethune.ca. À noter que la suite de ce texte sera présentée dans notre prochain numéro.

Cette série sur l’histoire du mouvement communiste au Canada n’est pas l’œuvre d’un spécialiste, mais la contribution d’un simple militant lui-même impliqué depuis une quarantaine d’années au sein de ce mouvement. Les observations et points de vue présentés sont les siens, mais ils reflètent pour l’essentiel ceux du Parti communiste révolutionnaire – le parti qui incarne aujourd’hui la théorie et la pratique du marxisme-léninisme-maoïsme sur le territoire canadien. Ils s’inspirent notamment de la critique du révisionnisme faite par le mouvement marxiste-léniniste dans les années 1970, plus particulièrement celle qui a été portée par l’OCML En Lutte!

Étudier l’histoire du mouvement communiste et des luttes de lignes qui l’ont traversée, c’est apprendre d’une expérience riche, qui est celle de la classe ouvrière en lutte et de son avant-garde – un processus nécessaire pour éclairer la pratique révolutionnaire contemporaine. Tel est l’objectif de cette modeste contribution, qui intéressera surtout les militantes et militants moins au fait de cette histoire.


Aux origines du Parti communiste du Canada

L’histoire du mouvement communiste au Canada, c’est d’abord celle du Parti communiste du Canada, à tout le moins pour la période s’étendant de sa fondation, en 1921, jusqu’à la fin des années 1960, alors que l’on a assisté à l’émergence d’une série de nouvelles organisations créées dans la foulée de la lutte contre le révisionnisme qui caractérisait désormais bon nombre des anciens partis historiques, dont celui-là.

La création du PCC fut le résultat croisé de l’expérience du mouvement ouvrier apparu dans la dernière partie du 19e siècle et de l’influence du mouvement communiste international et du triomphe de la révolution d’Octobre en Russie.

Tout au long du 19e siècle, mais surtout à partir des années 1850-1860, le développement du capitalisme et l’industrialisation avaient vu l’essor de la classe ouvrière, renforcée par l’arrivée de vagues massives de travailleuses et travailleurs issuEs de l’immigration. On vit ainsi apparaître les premières organisations ouvrières; la première centrale syndicale canadienne – la Canadian Labor Union – fut alors créée en 1873, quoiqu’elle ne durât que quatre ans.

Entre 1890 et 1920, période marquée par une industrialisation accélérée et une concentration du capital, le pays a connu une agitation croissante et les premières organisations politiques ouvrières sont apparues, inspirées par les courants marxistes et anarchistes que l’on retrouvait ailleurs dans le monde, particulièrement en Europe et aux États-Unis. La pénétration des idées révolutionnaires fut largement facilitée par la venue de travailleuses et travailleurs immigréEs. Parmi ces organisations, il y eut entre autres le Parti socialiste ouvrier, qui avait été antérieurement fondé aux États-Unis par un dirigeant socialiste et syndical marxiste, Daniel De Leon. Quatre partis socialistes provinciaux (mais pas du Québec) ont éventuellement fusionné pour donner naissance au Parti socialiste du Canada. Ces partis et organisations étaient traversés par de nombreux débats, opposant notamment partisans du parlementarisme et de la voie révolutionnaire.

La misère engendrée par la Première Guerre mondiale, la conscription et l’effort de guerre exigé des ouvriers alors que les capitalistes voyaient leurs profits monter en flèche, ont fortement contribué à accentuer la séparation entre les deux grandes classes que sont le prolétariat et la bourgeoisie. Des organisations de toutes sortes – socialistes, syndicales, anarcho-syndicalistes – comme la One Big Union et les Industrial Workers of the World ont foisonné. Les lignes de rupture entre les camps se sont affirmées à l’intérieur même des rangs de la classe ouvrière, dont une importante composante – le Congrès des métiers et du travail du Canada – appuya l’effort de guerre. Créé en 1883, le CMTC était lié à l’American Federation of Labor des États-Unis.

L’impact de la révolution d’Octobre

C’est dans ce contexte qu’est arrivée la nouvelle du triomphe de la révolution d’Octobre en Russie. La prise du pouvoir par les bolcheviks montrait qu’il était possible, pour la classe ouvrière, de renverser la bourgeoisie, de conquérir le pouvoir et d’entreprendre la construction d’une nouvelle société où les droits des travailleurs et travailleuses seraient au premier plan.

Le soutien à la révolution d’Octobre devint un axe du combat entre le prolétariat et la bourgeoisie, ainsi qu’une ligne de démarcation au sein même du mouvement ouvrier. D’autant que le Canada s’est impliqué militairement en envoyant quelque 600 hommes combattre aux côtés des contre-révolutionnaires, contre l’Armée rouge triomphante en Sibérie.

Le gouvernement Borden a lancé une grande campagne de salissage anticommuniste et utilisé la Loi sur les mesures de guerre pour interdire plusieurs organisations socialistes, dont le Parti socialiste du travail, le Parti social-démocrate et les IWW. Ont aussi été interdites les organisations de travailleurs et travailleuses d’Europe centrale et de l’Est qui étaient nombreuses, de même que les écrits marxistes, dont la diffusion fut prohibée. L’appui à la révolution d’Octobre devint néanmoins le cri de ralliement de bon nombre de militants ouvriers.

Assemblées publiques, collectes de fonds, adoption de résolutions d’appui dans les syndicats: cet appui prit un caractère de masse. Il se fera puissamment entendre lors des manifestations du 1er mai 1919. Le travail de solidarité avec la révolution russe se poursuivra pendant plusieurs années et marquera l’activité du futur Parti communiste du Canada, dès ses balbutiements. Sur une période de 18 mois entre 1921 et 1923, le parti recueillit ainsi quelque 65 000$ pour la Croix-Rouge russe, soit l’équivalent de 925 000$ en dollars constants.

Le soutien à la révolution russe s’exprimait aussi à travers les luttes ouvrières nombreuses, dans les grèves pour de meilleurs salaires et les mobilisations pour du travail pour les vétérans revenus de la guerre. La révolution d’Octobre aura donné l’élan qui manquait à la fondation du PCC.

La grève générale de Winnipeg

L’historique grève générale, qui s’est déroulée du 15 mai au 26 juin 1919 à Winnipeg, témoigne éloquemment de cette fusion entre l’aspiration au socialisme incarnée par le soutien à la révolution d’Octobre et la volonté des travailleurs et travailleuses de lutter pour leurs revendications légitimes.

En décembre 1918, une assemblée de masse organisée conjointement par les sections locales du Parti socialiste et du CMTC adopte une résolution de solidarité avec la classe ouvrière de Russie. Cinq mois plus tard, la grève générale est déclenchée, en appui aux ouvriers de la métallurgie qui étaient déjà en lutte. Plus de 30 000 personnes se joignent au mouvement. Un comité de grève municipal est formé, qui prend le contrôle de la ville et en assure l’administration. Les capitalistes ripostent en s’unissant et en organisant des milices (de prétendus «comités de citoyens») pour écraser et massacrer les grévistes. Le 21 juin, également connu comme le «samedi sanglant», ces milices alliées à la police font deux morts et des centaines de blessés.

La grève générale de Winnipeg aura un retentissement dans tout le pays. À Montréal, une grande assemblée populaire a lieu le 28 mai au marché Maisonneuve avec la participation des grévistes de la Canadian Vickers. La répression de masse exercée par les capitalistes et leur État se traduira par l’arrestation, la détention et la déportation de douzaines de militantes et militants.

Rétrospectivement, on dira de la grève de Winnipeg qu’elle aura «fait bondir la conscience de classe du prolétariat canadien, la conscience des intérêts qui l’opposent à la bourgeoisie et aussi du rôle de chien de garde de l’ordre bourgeois que jouent l’État et ses institutions répressives» [1].

On peut dire que la création du Parti communiste du Canada deux ans plus tard fut le résultat combiné de tous ces phénomènes:

•  l’affirmation et l’organisation de la classe ouvrière dans sa lutte contre les capitalistes;

•  l’arrivée massive de travailleurs et travailleuses immigréEs (dès le départ, une majorité de membres du PCC proviendront de l’étranger);

•  la guerre impérialiste et la misère qu’elle engendra;

•  l’influence des mouvements socialistes étrangers, et particulièrement de la révolution d’Octobre;

•  et enfin, le rôle joué par l’Internationale communiste (IC), qui avait été constituée en mars 1919 et qui soutint la création du parti.

Naissance du PCC

Après une première tentative infructueuse qui avait été déjouée par la police en février 1919 et qui s’était traduite par l’arrestation de plusieurs militants et la déportation de certains, dont Arthur Ewert (qui deviendra plus tard membre du comité central du Parti communiste d’Allemagne), le Parti communiste du Canada est fondé dans une grange à Guelph, en Ontario, les 28 et 29 mai 1921. Quelque 22 délégués y représentent les 650 membres fondateurs du parti, en présence de trois représentants de la 3e Internationale dont l’un, Caleb Harrison, assure la présidence du congrès.

Le congrès adopte un programme qui reconnaît la centralité de la lutte de classes et analyse la période comme en étant une de crise et de révolution. Le parti rejette la dictature de la bourgeoisie et se prononce en faveur de la dictature du prolétariat. Le Canada est vu comme une colonie ayant «un statut privilégié» qui en fait «un auxiliaire de l’impérialisme britannique» [2]. Le congrès se déclare en faveur de «l’action politique de masse», sans pour autant adopter une définition précise ce que cela signifie, et adopte les 21 conditions d’admission à l’Internationale communiste qui avaient été établies un an plus tôt au 2e congrès de celle-ci.

En matière d’organisation, le parti déclare se baser sur les cellules d’usines ou de quartiers, mais reconnaît la possibilité de former des sections sur une base linguistique, dès lors qu’une telle section regroupe au moins 10 cellules. Il y aura donc éventuellement des sections ukrainiennes et finlandaises, qui auront chacune leur bureau de direction et leur organe de propagande et se rapporteront au comité exécutif central. Dans les faits, les sections linguistiques deviendront rapidement le centre de gravité de l’activité du parti.

La Loi sur les mesures de guerre proclamée par le gouvernement Borden étant toujours en vigueur, le PCC naît dans l’illégalité et se voit contraint d’opérer dans une relative clandestinité. À la demande de l’Internationale communiste, le parti se dote en parallèle d’une structure légale. Le 11 décembre 1921, soit quelque six mois après la fondation du PCC, une conférence spéciale se prononce en faveur de la fondation d’«un parti révolutionnaire de la classe ouvrière officiel et légal». Les 51 délégués appuient la proposition et adoptent un programme en cinq points comprenant «l’établissement d’une république ouvrière» et «la participation aux campagnes électorales comme moyen de dénoncer le système capitaliste».

La création de ce nouveau parti interviendra quelques semaines plus tard: le Parti ouvrier du Canada est officiellement fondé en février 1922 et compte plus de 3 000 membres. À l’interne, il est vu comme l’organisation publique et légale du PCC – le parti «A», alors que dernier est identifié comme le parti «Z». Dès le mois de mars, il lance un journal lui aussi légal, The Worker.

Les deux partis ont ainsi coexisté jusqu’en 1924. Un an plus tôt, la Loi sur les mesures de guerre avait été rappelée, si bien qu’au 3e congrès du Parti ouvrier en avril 1924, il reprit le nom de Parti communiste et le parti «Z» fut dissous.

Cette période, allant de la fondation du PCC en 1921 jusqu’en 1924, est marquée par une importante croissance de son organisation. En 1925, à la demande de l’Internationale, le parti amorce une réorganisation privilégiant les cellules d’usines et de quartiers. À ce moment-là, son effectif est passé de 650 à plus de 4 500 membres, dont une forte majorité d’ouvriers et de fermiers. Des résistances font néanmoins en sorte que le processus de réorganisation en cellules d’entreprises n’aboutit pas et que les sections linguistiques demeurent.

Une intense période d’organisation

Globalement, la première décennie d’existence du Parti communiste du Canada aura été marquée par d’importants efforts d’organisation de la classe ouvrière. Ce fut aussi le début de l’organisation des sans-travail – dès mars 1922, on assiste à une première manifestation de 5 000 chômeurs à Vancouver, qui réclament la création d’un régime d’assurance-chômage.

La même année, le PCC met sur pied la Ligue d’éducation syndicale (Trade Union Educational League), qui lutte pour la fusion des syndicats de métiers en syndicats industriels. L’organisation adhère à l’Internationale syndicale rouge. Se voyant comme un organisme d’éducation et non un syndicat, elle étendra rapidement son influence dans les syndicats et militera pour l’organisation des inorganiséEs. La Ligue mettra sur pied des écoles ouvrières (ou «collèges du travail») à Toronto et Montréal.

L’Université ouvrière d’Albert St-Martin

En 1925, alors que le PCC lance ses collèges du travail, un militant socialiste montréalais, Albert St-Martin, que l’on dit également anarchiste et humaniste, fonde l’Université ouvrière, dont les locaux sont situés sur la rue Craig (désormais Saint-Antoine). Militant des comités de chômeurs et initiateur des premiers comptoirs alimentaires, St-Martin a participé à la fondation du Parti ouvrier de Montréal en 1904, dont il a par la suite été un candidat. Il participe aussi à l’organisation de la première manifestation montréalaise du 1er Mai en 1906.

Défenseur du régime soviétique – et bien qu’il finira par se rapprocher du trotskisme – St-Martin tentera de fonder un parti communiste canadien-français en 1923; le projet fera toutefois long feu, le Komintern lui ayant refusé l’adhésion parce qu’il y avait déjà une section officiellement reconnue au Canada, soit le PCC.

Attaqué par la droite, le clergé et les fascistes (des étudiants de l’Université de Montréal iront saccager les locaux de l’Université ouvrière en 1930, tandis que le quotidien Le Devoir en appelle à sa fermeture), St-Martin est poursuivi pour libelle blasphématoire et une loi spéciale est adoptée, en 1933, pour ordonner sa dissolution. Bien que St-Martin et son Université ouvrière ont toujours préservé leur autonomie face au PCC, ce dernier y trouvera néanmoins un bassin intéressant de militants et militantes francophones, qui jusque là lui faisaient défaut.

Parallèlement à son travail syndical, le PCC initie la création de la Ligue de la jeunesse communiste en 1923. Un an plus tard, la Ligue des femmes ouvrières – qui avait été fondée avant la guerre et s’est plus tard retrouvée sous la direction du PCC – célèbre pour la première fois la Journée internationale des femmes. En 1925 est par ailleurs créée la Ligue canadienne de défense ouvrière (LCDO), section du Secours rouge international (qui avait été lui-même créé en 1922 à l’initiative du Komintern).

Après une période de progrès continu jusqu’en 1925, le PCC voit toutefois son développement ralenti. À comparer à l’agitation croissante que l’on avait connue dans les années précédentes, les luttes ouvrières sont moins nombreuses et les effectifs syndicaux sont en baisse, tout comme ceux du parti. En outre, le parti est l’objet d’une intense répression, en dépit du fait qu’il n’était plus officiellement interdit. Harcèlement des militantes et militants, descentes de police dans les meetings et les bureaux du parti, ciblage et déportation des camarades venuEs de l’étranger, jusqu’à l’assassinat de deux organisateurs d’origine finlandaise, Viljo Rosval et John Voutilainen en 1929… le PCC est sous les feux de la rampe. Cette vague de répression préfigure celle dont il sera victime au tournant des années 1930, alors que l’État aura recours au fameux article 98 du Code criminel, qui interdit les «organisations séditieuses».

L’article 98, une disposition ciblant les communistes

Édictée en 1919 après la vague de révoltes ouvrières et la grève générale de Winnipeg, cette disposition autorise la saisie des biens des organisations déclarées illégales. Elle crée un crime de culpabilité par association, alors que le simple fait d’assister à une réunion d’une organisation interdite suffit pour en être considéré membre. Elle interdit également aux propriétaires de bâtiments de louer un local à une organisation séditieuse, sous peine d’un emprisonnement de cinq ans. Pendant plusieurs années, des syndicats même réformistes et parfaitement légaux auront ainsi de la difficulté à trouver des locaux, les locateurs craignant de se mettre à risque d’une accusation pénale.

Éventuellement, en 1931, l’article 98 sera utilisé pour procéder à l’arrestation de neuf dirigeants du PCC, dont son secrétaire général Tim Buck. Huit d’entre eux seront poursuivis devant les tribunaux et la plupart seront condamnés à cinq ans d’emprisonnement. Les huit se pourvoiront en appel et finiront par être libérés en 1934, sauf Buck, qui demeurera en prison quelques mois de plus. L’organisateur de la section tchécoslovaque du parti, Tom Cacic, sera immédiatement déporté dès sa sortie de prison. Lors du procès, le PCC sera officiellement déclaré hors-la-loi, ce qui se traduira parallèlement par des centaines de déportations.

La bataille pour la libération de Tim Buck et de ses sept camarades, menée par la Ligue canadienne de défense ouvrière, se retournera finalement contre l’État et aura permis d’étendre l’influence et le rayonnement du PCC. Le secrétaire de la LCDO, Albert Edward Smith – un pasteur de l’Église méthodiste – sera lui-même arrêté et accusé de conspiration séditieuse, ce qui contribuera fortement à soulever l’indignation populaire (contrairement aux huit autres, Smith sera acquitté de l’accusation portée contre lui).

À la libération de Buck en décembre 1934, plus de 17 000 personnes remplissent les gradins du Maple Leaf Gardens à Toronto pour le voir et l’entendre, alors que 8 000 autres doivent être refoulées faute de place. Quelques semaines plus tard, le 28 décembre, une assemblée similaire tenue à Montréal mobilise pas moins de 10 000 personnes, avides d’avoir des nouvelles de ces dirigeants communistes «séditieux».

L’article 98 fut finalement aboli par le gouvernement de Mackenzie King en 1937 et remplacé par une autre disposition moins répressive, que l’on retrouve par ailleurs encore aujourd’hui aux articles 59 à 62 du Code criminel. Il aura néanmoins inspiré le gouvernement du Québec, qui adopta la même année sa propre Loi protégeant la province contre la propagande communiste, l’infâme «loi du cadenas». Celle-ci disposait qu’il était «illégal pour toute personne qui possède ou occupe une maison dans la province de l’utiliser ou de permettre à une personne d’en faire usage pour propager le communisme ou le bolchevisme par quelque moyen que ce soit». Lorsque la police découvrait qu’un logement pouvait servir à cette fin, elle avait le pouvoir d’expulser les occupants et d’y apposer un cadenas pour empêcher d’y accéder… C’est en vertu de cette même loi, œuvre du premier ministre nationaliste Maurice Duplessis, que le journal francophone du parti, Clarté, fut interdit. La loi du cadenas fut finalement invalidée et déclarée anticonstitutionnelle en 1957 par la Cour suprême du Canada.

Globalement, à l’échelle pancanadienne, le PCC aura donc été formellement en situation d’illégalité de 1921 à 1924, 1931 à 1936, et 1940 à 1943 (soit durant la Seconde Guerre mondiale).

Luttes de lignes et clarifications politiques

Dans les années qui ont immédiatement suivi sa création et jusqu’en 1928-1929, le PCC s’est impliqué au sein d’un autre parti politique, le Canadian Labour Party (CLP, ou Parti canadien du travail). Cette manœuvre était justifiée selon lui par la nécessité de constituer «un front uni pour une action politique indépendante des travailleurs». Pour le PCC, «l’unité des révolutionnaires et des réformistes autour de politiques combatives prônant la lutte de classe était la voie du progrès». Cette orientation ne semble pas avoir entraîné d’opposition au sein du parti. Il faut dire qu’elle pouvait s’appuyer sur les décisions prises à sa fondation en faveur d’une «action politique de masse».

Fondé en 1917 à l’initiative du Congrès des métiers et du travail du Canada, le CLP se voulait une sorte de parti travailliste, inspiré par son homologue britannique. D’après le PCC, même si ses objectifs demeuraient flous, il y avait néanmoins une possibilité de convergence entre les deux partis autour de revendications immédiates, comme la création d’un régime d’assurance-chômage. La plupart des sections provinciales du Parti ouvrier/PCC (dont celle du Québec) ont donc adhéré aux sections respectives du CLP.

Durant toute cette période d’entrisme, le Parti ouvrier/PCC ne s’est pas présenté lui-même aux élections, mais ce n’était pas par rejet de la voie électorale ou du parlementarisme bourgeois, mais précisément pour laisser la place au CLP. Plusieurs militants communistes ont d’ailleurs été candidats pour ce dernier. Ainsi, en 1926, William N. Kolisnyk a été élu au conseil municipal de Winnipeg sous la bannière du CLP, devant ainsi «le premier communiste à être élu à une charge publique en Amérique du Nord».

Cela dit, l’aile droite du CLP voyait d’un très mauvais œil cette alliance avec les «gauchistes» du PCC et elle s’est battue pour s’en défaire. En 1925, la section québécoise du CLP réussit à expulser le PCC et ses militants, après qu’une tentative similaire eut échoué en Ontario. Le CLP finira par mourir de ses divisions internes et disparaîtra en 1928-1929.

Il est bon de noter que le PCC tira néanmoins un bilan positif de cette expérience qui, selon lui, avait démontré «le besoin et le potentiel d’un front uni de la classe ouvrière basé sur un programme de lutte pour les intérêts réels des ouvriers».

Au total, la période des années 1920, surtout dans la deuxième moitié de la décennie, n’a pas été sans luttes de lignes au sein du parti – des luttes qui ont souvent été menées en accord, voire à l’initiative de l’Internationale communiste. Maurice Spector fut la cible d’une de ces luttes.

Vers la fin des années 1920, Spector occupait le poste de président du PCC et il était le rédacteur en chef du journal The Worker. Il était aussi délégué du parti auprès de l’IC. Tombé sous l’influence de Léon Trotski après l’expulsion de ce dernier du Komintern et du Parti communiste (bolchevik) de l’URSS en 1927, Spector s’est comporté en véritable hypocrite, dissimulant ses sympathies trotskistes alors même qu’il entretenait des liens directs avec le principal dirigeant trotskiste états-unien, J.P. Cannon. Au sein du parti, il ne se démarquait pas particulièrement par des positions de gauche ou critiques de certaines décisions qui auraient pu être contestables. Au contraire, il s’est opposé à la réorganisation du parti sur des bases léninistes et il appuya la revendication de «l’indépendance du Canada sous un gouvernement des ouvriers et des fermiers face à l’Angleterre».

Ayant découvert ses activités fractionnelles, le comité central l’expulsa en novembre 1928. Quatre ans plus tard, toujours trotskiste, Spector fondera une organisation éphémère, l’International Left Opposition (Trotskyist) Canada, qui connaîtra rapidement plusieurs scissions et dont une majorité de membres finiront par rejoindre le CCF (Co-operative Commonwealth Federation, l’ancêtre du NPD actuel), qui avait été créé lui aussi en 1932.

Encore plus dangereux que le trotskisme de Spector et reconnu comme le danger principal par sa direction, le PCC amorcera une lutte importante, à la même époque, contre ce qu’on appela l’exceptionnalisme nord-américain. Cette lutte fut impulsée principalement par la direction du Komintern, contre un courant opportuniste de droite qui surestimait la «stabilisation» du système capitaliste, sous-estimait le danger de guerre et rejetait le centralisme démocratique. Ce courant était apparu à l’intérieur du Parti communiste des États-Unis, qui était notoirement influent au sein du parti canadien. Incarné par son dirigeant Jay Lovestone, il prétendait que le capitalisme aux États-Unis présentait des caractéristiques particulières qui le mettaient à l’abri de sa tendance générale à la crise et à l’appauvrissement. Lovestone et ses disciples avaient été expulsés du PC états-unien en 1929, mais leurs idées demeuraient incrustées au sein du parti.

Le secrétaire général du PC canadien, Jack MacDonald, fut le principal défenseur de l’exceptionnalisme nord-américain dans les rangs du PCC. Dans son rapport au congrès de 1927, il soutint que l’expansion industrielle «ouvrait la possibilité d’une nouvelle offensive pour obtenir une part encore plus grande du revenu national» par la classe ouvrière et qu’il s’agissait là de la stratégie à suivre. MacDonald utilisa la critique de Spector pour mousser sa ligne et consolider sa position.

En préparation du congrès de 1929, MacDonald s’activa pour consolider sa ligne révisionniste. Dans son projet de rapport, il identifia «l’opportunisme de gauche» comme le danger principal qui guettait le parti; selon lui, le PCC courait le risque de dégénérer «en une secte de propagande remplaçant par des phrases révolutionnaires le travail de chaque jour parmi les travailleurs» (on croirait lire la critique que les opportunistes canadiens font actuellement du PCR!). MacDonald y défendait aussi le maintien de la structure fédérative du parti, mieux adaptée aux exigences de l’action électorale.

Le comité exécutif de l’Internationale envoya une communication au PCC dénonçant l’orientation de MacDonald. La lettre critiquait l’importance que MacDonald accordait à la période de prétendue «prospérité économique» que connaissait le Canada et affirmait que son analyse ne tenait aucunement compte des contradictions qui allaient au contraire vraisemblablement conduire à une crise. La direction de l’Internationale avait aussi noté que la caractérisation de l’impérialisme britannique comme étant l’ennemi principal du peuple canadien servait de prétexte à MacDonald pour secondariser la contradiction entre la classe ouvrière et la bourgeoisie et abandonner la lutte de classe.

Tel le trotskiste qu’il devint plus tard et qu’il était peut-être déjà secrètement, MacDonald s’est rallié en paroles aux recommandations de l’IC et a modifié son rapport en conséquence. En même temps, il travaillait discrètement à organiser une fraction autour de ses positions. Lors du congrès, il réussit à se faire réélire au comité central et à y faire nommer une majorité de ses supporters, sur un programme qui reprenait par ailleurs la critique des orientations qui étaient les siennes!

Dans les mois qui ont suivi la tenue du congrès, alors que la situation devenait intenable et qu’il comprit qu’il avait perdu la bataille auprès de la base militante du parti, MacDonald démissionna du CC et un nouvel exécutif fut élu. MacDonald fut alors remplacé à la direction du parti par Tim Buck, qui en devint le secrétaire général – un poste qu’il occupa sans discontinuer jusqu’en 1962.

Jack MacDonald et quelques-uns de ses partisans furent définitivement exclus du parti vers la fin de l’année 1930 et au début de l’année suivante. Certains d’entre eux y ont toutefois été réadmis quelques années plus tard, dont Mike Buhay, qui siégea comme conseiller de la ville de Montréal dans les années 1940. MacDonald, quant à lui, finira par rejoindre le groupe de Maurice Spector en 1932 et mourra trotskiste en 1941.

Une période de luttes intenses

Au tournant des années 1930, à la suite du krach boursier de 1929 – et contrairement aux prophéties de MacDonald – le Canada connaît une période de crise économique intense. Le chômage devient un phénomène de masse; des centaines de milliers de personnes dépendent de la charité pour survivre. En 1933, on estime que 20% de la force de travail était frappée par le chômage. La même année, le revenu personnel disponible n’atteignait que la moitié de ce qu’il était en 1929. Les saisies et les évictions de logements se succèdent quotidiennement.

Cette grande misère provoque une remontée des luttes ouvrières, qui seront toutefois durement réprimées. Et le Parti communiste du Canada se trouve au cœur de ces combats: pour le bien-être social et l’assurance-chômage, pour l’assurance-santé, un salaire minimum et la réglementation des heures de travail, etc. Les organisations initiées par le parti, comme la Ligue d’unité ouvrière et la Farmers’ Unity League, connaissent une forte croissance et voient leur influence grandir.

Ce phénomène rejaillit sur le PCC. Après avoir vu ses effectifs fondre de 4 500 membres en 1925 à seulement 1 400 en 1931, le parti revendique 5 500 membres en 1934 et plus de 9 000 un an plus tard. Il connaîtra par la suite une progression numérique constante, jusqu’après la guerre. Si, dans ce contexte d’intense lutte de classes, le PCC est frappé par la répression bourgeoise comme on l’a vu plus haut avec l’utilisation de l’article 98 du Code criminel, les organisations ouvrières et syndicales le sont tout autant, en particulier les nouveaux syndicats organisés par la Ligue d’unité ouvrière, qui avait succédé à la Ligue d’éducation syndicale mise sur pied par le parti en 1922.

En 1931, la grève des mineurs d’Estevan en Saskatchewan témoigne de cette combativité ouvrière, de l’influence du PCC et du rôle de chiens de garde du capital que jouent la police et le système judiciaire. La région autour de la municipalité d’Estevan, située à environ 200 km au sud-est de Regina, près de la frontière états-unienne et du Dakota du Nord, comporte plusieurs mines de charbon. En grève pour protester contre les baisses de salaires qu’on leur a imposées, les mineurs sont victimes d’une brutale répression policière le 29 septembre, alors qu’ils s’apprêtent à manifester. Trois ouvriers sont assassinés et une cinquantaine d’autres sont blessés.

Plusieurs militants et militantes (dont Annie Buller, une organisatrice syndicale et fondatrice du PCC) sont arrêtéEs et condamnéEs à des peines allant d’un mois jusqu’à deux ans de prison. C’est l’occasion pour la Ligue canadienne de défense ouvrière de mener une vaste campagne de solidarité avec les grévistes d’Estevan, en même temps qu’elle menait la charge contre la détention et le procès des huit dirigeants communistes accusés en vertu de l’article 98.

Cette organisation, liée au Secours rouge international, s’est montrée extrêmement active et a largement contribué à ce que l’influence du PCC se répande. Durant la campagne qu’elle a menée contre le procès des «huit», la LCDO a diffusé pas moins de 5 millions de tracts à travers le pays; dans les six premiers mois de l’année 1933, elle a organisé plus de 400 manifestations ou assemblées de masse. À la fin de la même année, elle revendiquait quelque 43 000 membres.

Classe contre classe: la Ligue d’unité ouvrière mène la charge

En 1929, le parti avait décidé de transformer la Trade Union Educational League, qu’il avait mise sur pied en 1922, en une centrale syndicale basée sur l’organisation industrielle et non par métiers, afin notamment d’organiser les travailleurs et travailleuses inorganiséEs des industries de production de masse. La Ligue d’unité ouvrière/Workers’ Unity League (LUO/WUL) fut ainsi créée en janvier 1930 avec Tom McEwan comme secrétaire; ce dernier fut ensuite l’un des «huit» poursuivis pour sédition). La LUO ne s’est pas lancée dans une campagne de maraudage contre le CMTC et les syndicats de métiers – ses supporters continuaient d’ailleurs d’y intervenir –, mais s’est consacrée à rassembler les inorganiséEs et à rallier des syndicats indépendants. Elle organisa aussi les chômeurs et fut à l’initiative de la mise sur pied du Relief Camp Workers’ Union, qui organisa éventuellement la grande marche vers Ottawa.

À son deuxième congrès en 1931, la LUO a officiellement adhéré à l’Internationale syndicale rouge. Quatre ans plus tard, à son apogée, elle comptait plus de 40 000 membres. Parmi ses syndicats affiliés les plus importants, il y avait notamment le Mine Workers’ Union of Canada et le Lumber Workers Industrial Union of Canada, qui organisait les travailleurs forestiers. Ses militants et militantes ont été particulièrement cibléEs par la répression anticommuniste et ont été victimes de nombres descentes de police et arrestations. La LUO elle-même fut déclarée illégale en Saskatchewan.

Même si ses effectifs ne dépassèrent jamais ceux du CMTC ou du All Canadian Congress of Labor (ACCL), la Ligue d’unité ouvrière a acquis une forte influence. Entre 1933 et 1936, elle fut ainsi responsable de 90% des grèves au Canada, incluant les plus importantes.

Résultat de l’organisation des chômeurs, qui étaient regroupés dans des camps de travail où ils étaient payés 20¢ par jour sous la supervision de la Défense nationale, la marche sur Ottawa reste l’un des plus importants faits d’armes du PCC. Face au chômage massif qui avait suivi la crise de 1929, de grandes manifestations avaient eu lieu en faveur de la création d’un régime d’assurance-chômage, alors inexistant.

Là encore, le mouvement avait fait face à une grande répression. Un militant communiste d’origine finlandaise, Urho Jaaska, a notamment été battu à mort par la police après une manifestation dans le nord de l’Ontario. À Montréal, Nick Zynchuk, un Ukrainien, a été lâchement abattu par un tir dans le dos par un flic du nom de Joseph Zappa, alors qu’il tentait d’entrer chez lui pour récupérer quelques effets personnels à la suite de l’éviction de son logement. L’assassin Zappa était connu pour être membre d’une organisation d’extrême-droite. Plus de 10 000 personnes ont assisté aux funérailles de la victime.

En 1935, l’organisateur affecté par la Ligue d’unité ouvrière pour diriger le Relief Camp Workers’ Union (RCWU), Arthur Evans, propose l’organisation d’une grève doublée d’une marche vers Ottawa. La marche débute en juin à Vancouver. Elle grossit rapidement – les chômeurs s’y joignent par centaines – et le gouvernement conservateur de R.B. Bennett tient à la stopper alors qu’elle arrive à Regina. Il propose d’accueillir une délégation de huit représentants à Ottawa, pendant que les marcheurs resteraient logés et nourris à Regina. Pendant que la rencontre se déroule le 22 juin (en présence de tout le conseil des ministres!), les marcheurs sont cernés par 600 policiers. Au retour de la délégation, la ville est bouclée et les marcheurs ne peuvent plus la quitter. Le 1er juillet, la police attaque un rassemblement organisé par les marcheurs et fait une centaine de blesséEs. Dans le brouhaha, un détective en civil est battu à mort par d’autres flics. La RCWU est déclarée hors-la-loi, ce qui déclenche une vague d’indignation à travers le pays. Après l’élection des libéraux de Mackenzie King le 14 octobre 1935, les camps de travail seront abolis et la RCWU va se dissoudre; le régime d’assurance-chômage fut par la suite créé en 1940.

La Ligue d’unité ouvrière sera elle aussi dissoute à la même époque (1935-1936), marquant ainsi le début d’un tournant dans la tactique suivie par le PCC… Mais s’agissait-il seulement d’un changement de tactique ou l’affirmation d’une stratégie préfigurant le mythe du «passage pacifique au socialisme»?

Une nouvelle période

L’année 1935 voit s’ouvrir la période dite du front uni antifasciste et des fronts populaires à l’échelle internationale, selon la tactique adoptée au 7e congrès du Komintern. Le PCC s’y est adapté – ou plutôt, il se l’est appropriée – très rapidement, car cela correspondait dans une large mesure à la «zone de succès» qu’il avait remportée dans les années précédentes et à l’influence qu’il avait gagnée dans les milieux libéraux et petits-bourgeois. Cette nouvelle tactique mise de l’avant par l’IC, le PCC s’en est servi pour justifier certaines orientations qu’il avait commencé à prendre et à mettre en œuvre dès 1934.

Pour le PCC, la défaite des conservateurs de R.B. Bennett et l’élection des libéraux de Mackenzie King ont constitué un tournant, «le point culminant de la lutte contre l’offensive réactionnaire du début des années 30». Dès lors, une toute nouvelle période s’ouvrait: «Les conditions devenaient plus favorables pour approfondir l’unité de la classe ouvrière, la clé de l’avancement…»

De façon révélatrice, cette période est qualifiée par le PCC non plus comme celle du front uni antifasciste comme l’avait proposé l’IC, mais comme une période de «lutte pour la paix et la démocratie». Dans ses textes et résolutions, l’expression «front uni antifasciste» a été remplacée par celle de «front démocratique» en 1937-1938.

C’est dans ce nouveau contexte que la Ligue d’unité ouvrière fut appelée à se dissoudre et à fusionner ses syndicats affiliés avec le CMTC ou l’ACCL. Le PCC évaluait que les «unions réformistes» étaient désormais prêtes à favoriser une plus grande unité de la classe ouvrière et que «les raisons à l’origine de la fondation de la LUO» avaient disparu. Les fusions ont été accomplies rapidement, en moins d’un an. Dans la période qui suivit, les militants du PCC continueront néanmoins à se battre pour l’unité entre les syndicats industriels et les syndicats de métiers, qui ne se réalisera une fois pour toutes que beaucoup plus tard, en 1956, avec la création du Congrès du travail du Canada (le CTC que l’on connaît aujourd’hui).

La conception du front uni du PCC

La montée du fascisme suivant la prise du pouvoir par les nazis en Allemagne en 1933 et la menace que cela fait peser sur l’URSS – déjà sous pression par les impérialistes – justifiaient la mobilisation de la classe ouvrière contre ce danger immédiat. Pour le PCC, cela devait se traduire par «le rétablissement de l’unité entre les deux courants de la classe ouvrière – révolutionnaire et réformiste». La caractérisation de la social-démocratie comme s’apparentant à un social-fascisme, qui avait marqué la période précédente, avait, selon le PCC, engendré un sectarisme néfaste au sein du mouvement communiste international. Le parti canadien se désolait ouvertement de ce que la tactique classe contre classe avait bloqué la coopération entre communistes et sociaux-démocrates, «dans une période où l’unité était pourtant pressante».

La nouvelle tactique du Komintern arrivait donc à point pour le PCC: «La montée du fascisme nécessitait […] un changement de stratégie et de tactique. Dans le cas du Parti communiste, il devint nécessaire de combattre le sectarisme de gauche.» [Nous soulignons]

Tel que conçu par le PCC, le front uni antifasciste ne se limitait toutefois pas à l’unité «entre les deux courants de la classe ouvrière». Il devait aussi inclure «la paysannerie, la petite-bourgeoisie, les intellectuels et d’autres dont les intérêts sont fondamentalement opposés aux intérêts égoïstes du capital monopoliste». On verra que ces «autres» allaient rapidement inclure de larges secteurs de la bourgeoisie, alors que le front uni antifasciste se transformera en front démocratique pour le progrès. Le PCC insista en outre sur le fait que ce front uni ne devait en aucun temps être instrumentalisé par les communistes «pour mettre de l’avant leurs propres buts», façon de dire qu’ils allaient devoir se soumettre à d’autres buts que les leurs…

Le changement de tactique opéré par l’IC à la suite de la présentation du rapport de son secrétaire général Georgi Dimitrov à son 7e congrès servit de prétexte au PCC pour opérer une rupture complète avec «le sectarisme qui s’était introduit dans la pensée du Parti». On critiqua en particulier l’attitude que le parti avait eue envers le CCF, qui avait été fondé en 1933 et que le congrès du PCC, en juillet 1934, avait pourtant caractérisé comme social-fasciste. L’histoire officielle se désole néanmoins qu’il a fallu plusieurs années avant que le parti réussisse à se débarrasser de tous les «résidus» de ce prétendu sectarisme…

Pour le PCC, «le CCF avait le potentiel de devenir un parti fédéré du peuple ouvrier» – un objectif désormais poursuivi par le parti. Toutefois, ses tentatives de rapprochement, incluant des propositions concrètes d’alliances électorales, ont la plupart du temps été écartées par la direction du CCF – sauf sur la scène municipale ou scolaire. Cette fermeture du CCF s’est d’ailleurs poursuivie plusieurs années plus tard, alors qu’un PCC affaibli et de plus en plus insignifiant a fait des tentatives de rapprochement infructueuses avec le NPD dans les années 1960-1970.

Le PCC consacra dès lors beaucoup d’efforts à l’action électorale, avec certains succès au niveau municipal. Son travail syndical, qui avait été au centre de son activité dans les années précédentes, a fini par prendre de moins en moins de place; l’action électorale et la création d’alliances avec des «forces progressistes» devinrent son centre de gravité.

L’organe central du parti, The Worker, qui paraissait deux fois par semaine depuis 1934, fut converti en un quotidien, le Daily Clarion, le 1er mai 1936. Le PCC se voyait désormais apte à animer un vaste «front populaire»… mais un front populaire pour quoi? De moins en moins pour combattre tactiquement un ennemi principal – le fascisme – dans la perspective de préparer la révolution socialiste, mais pour défendre et consolider «la démocratie» et obtenir une plus grande part de la «richesse collective» dans le cadre du système capitaliste.

Pour les militants et militantes du parti, cela dit, cette réorientation stratégique, qui allait bien au-delà d’un simple changement de tactique – n’apparaissait pas nécessairement si évidente. Le parti se développait et voyait son influence grandir. Des centaines de militants menaient des luttes héroïques, indistinctement, que ce soit contre les défenseurs du fascisme ou pour les justes revendications ouvrières.

Au Québec, notamment, après l’élection du gouvernement Duplessis en 1936, les communistes ont dû affronter les fascistes, qui s’attaquaient à eux ouvertement et physiquement, et faire face à l’infâme «loi du cadenas» que nous avons évoquée plus haut. Cela n’empêcha pas le membership canadien-français du parti de croître spectaculairement, alors qu’il avait jusque là été marginal. [3]

Parmi ces luttes héroïques menées par des militantes et militants communistes, on ne saurait passer sous silence la participation de centaines d’entre eux aux brigades internationales mobilisées pour appuyer le gouvernement républicain en Espagne, et l’envoi du docteur Norman Bethune sur le front, qui y a acquis une notoriété internationale. Pendant deux ans, en 1937-1938, le Bataillon McKenzie-Papineau, constitué par la Ligue canadienne contre la guerre et le fascisme, a mobilisé quelque 1 546 valeureux volontaires qui ont combattu pour l’Espagne républicaine, dont 721 ont payé de leur vie. Parmi eux, plusieurs étaient membres ou des cadres du PCC.

Ce qui devint plus évident quelques années plus tard – savoir la consolidation d’une ligne réformiste et révisionniste au sein du PCC – ne l’était pas nécessairement dans l’activité quotidienne des militantes et militants, surtout dans un contexte trouble et un parti qui est toujours demeuré somme toute relativement faible, à comparer à celui des États-Unis et aux grands partis européens.

La Seconde Guerre: l’amorce d’un déclin inexorable

Le déclenchement du deuxième grand conflit mondial le 1er septembre 1939 et l’entrée en guerre du Canada neuf jours plus tard ont ouvert une période d’immense confusion au sein du PCC. D’après son histoire officielle, «plusieurs membres du Parti dès le début considéraient la déclaration de guerre à Hitler comme louable». Même si la politique étrangère antisoviétique de l’Angleterre et de la France posait certaines questions, le fascisme était vu comme la principale menace à la paix, à la démocratie et au socialisme.

Lorsque les hostilités ont éclaté, le parti a pris du temps à se positionner. Au bout de quelques semaines, il s’est rangé à la position voulant qu’il s’agît essentiellement d’une guerre inter-impérialiste et a adopté une position de neutralité. Pour plusieurs de ses alliés auprès desquels il avait réussi à gagner de l’influence dans la période d’avant-guerre, cette position a été perçue comme une trahison et le parti s’est retrouvé isolé. Avec l’entrée en guerre du Canada, la Loi sur les mesures de guerre, qui avait déjà servi à interdire le PCC à sa création, a été réactivée. Dès novembre 1939, les journaux The Clarion et Clarté sont bannis. Le PCC répond en lançant un journal formellement indépendant, le Canadian Tribune.

Le 6 juin 1940, le PCC et 15 autres organisations dont la Ligue de la jeunesse communiste et la Ligue canadienne de défense ouvrière sont formellement interdits et leurs biens confisqués. Au moins 250 militants du parti furent internés de 1940 à 1942, sans procès ni accusations. Officiellement, le PCC soutenait qu’il fallait transformer la guerre inter-impérialiste en guerre civile contre la bourgeoisie, «afin de construire un Canada pacifique, heureux et socialiste», et il lutta contre la conscription. Mais cette position ne faisait pas l’unanimité dans ses rangs, après toutes ces années où la priorité avait été consacrée à la lutte antifasciste.

Malgré son interdiction, le PCC poursuit son activité électorale, à travers diverses alliances ou «coalitions». C’est ainsi qu’une militante du parti, Dorise Nielsen, devient la première communiste à être élue à la Chambre des communes lors des élections générales de mars 1940, comme représentante d’une circonscription de la Saskatchewan. Elle fut élue sous la bannière du Unity Party, qui rassemblait des membres du CCF, des communistes et d’autres «progressistes». Elle-même était à la fois membre du CCF et du PCC; au moment de son élection, son adhésion au PCC avait toutefois été tenue secrète.

Dorise Winifred Nielsen (1902-1980)

Dorise Nielsen est un personnage tout à fait singulier dans l’histoire du mouvement communiste canadien. Née à Londres, elle s’établit en Saskatchewan en 1927 et se joint au CCF comme organisatrice en 1934. Trois ans plus tard, elle adhère secrètement au PCC. En 1940, elle devient la troisième femme à être élue au Parlement canadien, et la première communiste. Elle s’y fait remarquer par son train de vie modeste et ses constantes interventions en faveur des droits des femmes. Assumant ouvertement son adhésion au PCC (devenu entretemps le Parti ouvrier progressiste), elle est défaite à l’élection de 1945 et ne réussira jamais à regagner son siège de député.

Tout en siégeant au comité exécutif central, elle devient organisatrice à temps plein pour le parti et rédige une chronique hebdomadaire pour le Canadian Tribune, «Women’s Place is Everywhere». Elle participe en outre à la fondation du Congress of Canadian Women et du Canadian Peace Congress et devient, en 1949, la secrétaire administrative de l’Association d’amitiés canado-soviétique, dont elle démissionnera quatre ans plus tard.

En 1957, elle ira s’établir en République populaire de Chine, dont elle deviendra officiellement citoyenne en 1962. Elle y vivra jusqu’à sa mort en 1980, après y avoir travaillé comme professeure d’anglais et correctrice aux Éditions en langues étrangères. À son décès, elle a été inhumée au cimetière des Héros de la révolution à Beijing.

L’invasion de l’URSS par les troupes de l’Allemagne nazie en juin 1941 et l’appel à la résistance alors lancé par le Komintern amènent le PCC à changer prestement de position: la guerre contre l’Allemagne est vue désormais comme une guerre juste antifasciste et l’engagement du Canada mérite d’être soutenu. La direction du parti lance l’appel «au mouvement ouvrier et à toutes les forces progressistes» à unir leurs efforts pour appuyer toutes les mesures du gouvernement King visant à accélérer la guerre contre le fascisme et à accorder une aide effective à l’Union soviétique. Elle soutient la création d’un «front national sans distinction de classes ou de partis» et milite pour la conscription – une position qui s’avérera évidemment impopulaire au Québec, quoique pas nécessairement au sein du parti et de ses supporters. Le PCC met en outre l’accent sur la restauration des droits démocratiques, vue comme un moyen de favoriser l’unité nationale et l’effort de guerre.

À l’été 1942, lors d’une réunion informelle convoquée par Tim Buck à laquelle n’assistent que 25 personnes, dont 19 de l’Ontario, 3 du Québec et 3 des autres provinces, on évalue qu’un changement de nom et de forme organisationnelle est nécessaire pour accomplir les tâches liées à l’effort de guerre. Le Comité communiste ouvrier du Dominion pour la guerre totale est alors fondé pour poursuivre sous ce nom les activités du parti. Ledit comité s’oppose aux grèves ouvrières et fait campagne pour la levée de l’interdiction du parti et la libération de ses militants, plaidant que les prétextes que le gouvernement avait utilisés pour le supprimer ont désormais disparu. De fait, assez rapidement, le gouvernement King libère les prisonniers communistes ou supposés tels.

Il refuse néanmoins de lever l’interdiction du PCC. «Compte tenu de la situation politique et de la nécessité d’avoir un parti politique public pour les communistes, la direction du Parti décida qu’il valait mieux former un nouveau parti ayant un nom différent…» C’est ainsi qu’est formé le Parti ouvrier progressiste (POP, ou Progressive Labor Party), qui se lance immédiatement dans l’arène électorale. Le POP fait notamment élire deux députés au parlement ontarien. Quelques jours plus tard – on est en août 1943 – Fred Rose est à son tour élu lors d’une élection partielle dans la circonscription fédérale de Montréal-Cartier (qui correspond aujourd’hui plus ou moins à celle de Laurier-Sainte-Marie). Le POP et son député donnent un «appui critique» au gouvernement King. Le parti se voit déjà comme «une force dont on devait tenir compte dans les institutions législatives au Canada».

Le POP ne se contente pas d’appuyer la guerre totale, mais il se projette déjà dans la période qui s’ouvrira après la guerre, tout en restant bien ancré dans cette idée d’un «front national» incluant toutes les classes: «Un haut niveau de production et le plein emploi [allaient être] possibles pourvu que le gouvernement commence et entreprenne la modernisation et la reconstruction de l’économie du Canada… [Des fonds allaient pouvoir] être employés pour reconstruire et étendre l’infrastructure économique… et pour développer les ressources naturelles du Canada.»

Officiellement, et afin de se démarquer du renégat révisionniste Earl Browder qui dirige le Parti communiste des États-Unis et qui est sous le feu des critiques de plusieurs dirigeants du mouvement communiste international, le POP affirme que dans ce grand projet national, il ne faut pas subordonner «les intérêts indépendants de la classe ouvrière» à ceux de la «bourgeoisie monopoliste». Dans les faits, cependant, il adopte exactement la ligne de Browder.

À l’élection fédérale de 1945, le POP a d’abord voulu conclure une alliance électorale avec le CCF, mais ce dernier l’a rejetée. À défaut, et par crainte d’une victoire conservatrice, le POP a fait campagne en proposant une coalition «libérale-ouvrière». Fred Rose fut alors réélu… mais pas pour longtemps.

L’affaire Gouzenko

Juif polonais, Fred Rose a émigré au Canada en 1916 avec ses parents, à l’âge de 9 ans. Il a joint la Ligue de la jeunesse communiste et le PCC alors qu’il travaillait en usine.

Le militant est accusé de sédition et emprisonné dans les années 1930 et il devient la cible de Maurice Duplessis, après qu’il eut dénoncé les liens qui unissent son gouvernement aux gouvernements fascistes d’Hitler et Mussolini.

En 1935, il s’était déjà présenté à l’élection fédérale où il était arrivé deuxième avec 16% des suffrages. L’année suivante, il se présente au provincial dans la circonscription de Montréal-Saint-Louis et termine troisième à 17%. Fred Rose est finalement élu en 1943 dans une élection partielle au fédéral où il l’emporte avec 30% des voix, dans une course à quatre. Il bat notamment David Lewis du CCF, qui deviendra beaucoup plus tard (en 1971) chef du NPD. Rose est réélu le 11 juin 1945 avec 40% des suffrages, mais son mandat sera exceptionnellement écourté.

En juillet 1945, soit quelques jours après sa réélection, un jeune commis-comptable qui travaille à l’ambassade soviétique à Ottawa, Igor Gouzenko, fait défection et emporte des documents qui feraient preuve de l’implication de plusieurs personnes dans un réseau d’espionnage au profit de l’Union soviétique au Canada et aux États-Unis. Une commission d’enquête est formée par le gouvernement King, présidée par deux juges de la Cour suprême, qui arrête et détient les personnes nommées dans les documents de Gouzenko.

Fred Rose est dénoncé par l’une d’elles [4] et identifié comme le responsable d’un réseau d’une vingtaine d’espions, qui s’intéressaient apparemment à la recherche sur les armes atomiques. Rose refusera de témoigner devant cette commission et sera finalement trouvé coupable, en 1947, et condamné à une peine d’emprisonnement tout juste assez longue, soit cinq ans et un jour, pour qu’on puisse le dépouiller de son siège à la Chambre des communes.

Rose sera libéré après quatre ans et demi, en 1951. Harcelé par la Gendarmerie royale du Canada et incapable de se trouver un emploi à sa sortie de prison, il retournera vivre en Pologne en 1953, où il décèdera en 1983. Entretemps, le Canada aura pris soin de révoquer sa citoyenneté en 1957, s’assurant ainsi qu’il ne puisse plus jamais remettre les pieds au pays…

Il est évidemment hautement significatif que le seul député communiste élu à ce titre à la Chambre des communes ait connu un tel sort – cela, alors que le PCC/POP se voyait comme capable d’influence sur la législature et adoptait définitivement la voie parlementaire et pacifique vers le «socialisme».

Le triomphe définitif du révisionnisme

Au lendemain de la guerre, et particulièrement après 1947, le POP/PCC est entré dans une longue période de déclin et de dégénérescence, qui a vu ses effectifs fondre de 23 000 membres (1947) à seulement 3 000 en 1960. Mais ce déclin ne fut pas que quantitatif: sa ligne stratégique réformiste et révisionniste s’est établie à demeure et le parti n’en a plus jamais dévié, aidé en cela par la «déstalinisation» et le triomphe du révisionnisme de Khrouchtchev au milieu des années 1950 en Union soviétique.

Dans un article publié il y a déjà une vingtaine d’années dans la revue Socialisme Maintenant! [5], nous avions recensé plusieurs exemples dans les documents programmatiques de ce parti, qui témoignaient de son abandon de toute perspective révolutionnaire: «Le Canada d’abord… gardons le Canada indépendant!» (1953), pour l’élection d’«une majorité parlementaire vouée à reconquérir l’indépendance canadienne» (1954), appui définitif et permanent à l’idée du passage pacifique au socialisme (1958), soutien à la création du NPD (1961), «conquête du pouvoir politique par une coalition démocratique et antimonopoliste qui va ouvrir la voie pour la transition pacifique au socialisme, et cela, sans guerre civile» (1971), mise sur pied d’une «alliance démocratique, antimonopoliste et anti-impérialiste qui aura pour objectif la restructuration démocratique de la société canadienne de sorte que les intérêts de la majorité des Canadiennes et Canadiens soient mis au premier plan» (2001)… le Parti communiste canadien n’a certes jamais réémergé de la fange révisionniste.

Comme on peut le voir, la caractérisation de la société canadienne aura toujours été un élément de démarcation au sein du PCC. La classe capitaliste dominante était-elle dépendante de l’impérialisme britannique, ou était-elle au contraire elle-même une classe impérialiste? La position de Jack MacDonald, qui identifiait l’impérialisme britannique comme étant l’ennemi principal, fut combattue, on l’a vu, par l’Internationale communiste.

Sur cette question, les opposants à MacDonald à la fin des années 1920, dont Tim Buck, ne s’étaient pas particulièrement distingués. Ils avaient même appuyé l’expulsion de trois militants de la Ligue de la jeunesse communiste, qui avaient mené la lutte pour que le PCC reconnaisse la bourgeoisie canadienne comme l’ennemi principal. Après que l’IC fut intervenue pour forcer un réalignement, Tim Buck et ses acolytes se sont ralliés à sa position. Les trois jeunes militants ont été réintégrés et Buck a même fait une autocritique par rapport au traitement qui leur avait été réservé, mais la confusion est demeurée et la «lutte pour l’indépendance du Canada» est toujours restée au cœur du programme du parti – sauf que l’impérialisme américain a fini par succéder à l’impérialisme britannique comme ennemi principal.

Officiellement, l’exceptionnalisme nord-américain des Lovestone et MacDonald avait été totalement répudié par le PCC en 1931, mais a-t-il jamais vraiment été vaincu? En apparence, avec l’ouverture de la période dite de lutte «classe contre classe» de la fin des années 1920 jusqu’en 1934, la pratique du PCC semblait avoir effectivement opéré une rupture avec l’opportunisme de droite. Cela dit, les conceptions et les pratiques réformistes, qui avaient émergé sous la direction de MacDonald, ont rapidement repris le dessus, dès lors qu’on est entré dans la période du «front uni antifasciste» en 1935. À partir de là, le parti a connu une longue période de dégénérescence, qui l’a conduit à abandonner toute prétention révolutionnaire et quelques années plus tard, à sombrer dans l’insignifiance.

Il y a eu plusieurs moments dans l’histoire du PCC, de sa naissance jusqu’à ce congrès de 1943 où il a donné naissance au POP, où l’on a pu voir des traces de révisionnisme et d’abandon de la voie révolutionnaire. Mais jusque là, il ne s’agissait pas nécessairement d’une orientation consolidée.

Notre thèse, c’est que «le révisionnisme et les déviations de droite ont toujours été un problème majeur au sein de ce parti, jusqu’à atteindre un point de non-retour dans les années 1940». Dès sa création, on l’a vu, le PCC a été influencé par des conceptions erronées sur la nature et les contradictions de la société canadienne. Il n’a jamais vraiment eu une vision claire de la stratégie qui allait mener la classe ouvrière à renverser la bourgeoisie et à conquérir le pouvoir. Cela a ouvert la porte aux déviations opportunistes et libérales, qui ont fini par en devenir la ligne dominante.

Cela dit, l’absence d’une conception stratégique claire et la prévalence de conceptions qui, rétrospectivement, apparaissent d’une façon sans doute beaucoup plus évidente qu’à l’époque comme ayant été erronées, étaient loin d’être l’apanage du seul PC canadien: elles ont été le fait de bon nombre de partis communistes. Le PCC a certes connu son lot de militants malhonnêtes et vendus au capitalisme (surtout dans sa variante libérale) comme Spector et MacDonald, mais il a aussi rallié et organisé des milliers de militantes et militants exemplaires, que le révisionnisme dominant a malheureusement fini par désorienter. Cela deviendra évident au sortir de la Seconde Guerre mondiale.

Au PCR, nous adhérons globalement à la position qu’a mise de l’avant le groupe marxiste-léniniste En Lutte! à la fin des années 1970, qui affirme que c’est bien au congrès d’août 1943 que le révisionnisme est devenu l’aspect dominant de la ligne du PCC:

«En effet dès cette époque, le Parti, abandonnant toute stratégie vraiment révolutionnaire, accepte de soumettre toute son action au cadre étroit du légalisme et du parlementarisme bourgeois. Au lieu de la préparation systématique des masses à la révolution, au renversement de la bourgeoisie, le nouveau parti proposait l’élection d’un gouvernement ouvrier et fermier qui, plus tard, sans lutte armée, sans révolution, se transformerait en un gouvernement socialiste. Le Parti laissait donc croire aux masses canadiennes que la bourgeoisie accepterait d’elle-même d’abandonner ses privilèges de classe, tout cela sans répression, sans employer la violence de son appareil d’État. C’était là trahir clairement toute l’histoire de la lutte révolutionnaire du prolétariat, trahir les principes marxistes-léninistes sur la question de l’État et de la révolution. […] Il est juste d’affirmer que dès 1943, le PCC (devenu le POP) a abandonné la voie de la révolution, la politique indépendante du prolétariat et a cessé d’être un authentique parti prolétarien. De ce moment jusqu’à son ralliement aux positions des révisionnistes soviétiques, la gangrène du révisionnisme allait conduire le Parti de scission en scission, le vidant de ses militants authentiquement révolutionnaires pour y faire entrer toute une série d’opportunistes et d’arrivistes petits-bourgeois et bourgeois.» [6]

Fergus McKean, la première rupture

On verra dans la suite de cette présentation comment, dans la foulée de la rupture sino-soviétique, le nouveau mouvement marxiste-léniniste s’est formé et a représenté une rupture avec le PCC et le révisionnisme moderne. Mais bien avant lui, on doit à un militant communiste de Colombie-Britannique, Fergus McKean, le fait d’avoir été le premier à dénoncer la trahison de ce parti et à rompre avec lui. On dit de McKean qu’il fut le seul dirigeant connu du POP/PCC à contester l’émergence et la consolidation d’une ligne et d’une pratique révisionnistes en son sein.

Fergus McKean a rallié le PCC en 1932 et il en est devenu organisateur en 1936. Deux ans plus tard, il accède au poste de secrétaire provincial pour la Colombie-Britannique. Après avoir pris connaissance de la lettre que le représentant du Parti communiste français, Jacques Duclos, a fait circuler dans le mouvement communiste international pour dénoncer le révisionnisme de Browder, McKean analyse le «browderisme» au sein du parti canadien et conclut que ce dernier n’est plus qu’«une machine électorale et parlementaire petite-bourgeoise et sociale-démocrate».

En août 1945, McKean et les quelques militants qui l’appuient sont expulsés du parti. En mai 1946, il publie une analyse complète et détaillée du révisionnisme qui l’a miné, Communism versus Opportunism. Ses efforts pour bâtir un nouveau parti antirévisionniste feront toutefois long feu.

Réédité en 1974 par le PCCML, puis par le groupe En Lutte! en 1977 (qui en fit aussi la première traduction en langue française), Communism versus Opportunism reprend la critique de Duclos et dénonce la stratégie d’alliance avec la bourgeoisie libérale et «l’adaptation» que le parti états-unien a faite de la tactique du front populaire, et son utilisation de la lutte contre le sectarisme pour mousser une politique de droite. L’auteur montre ensuite en détail comment le révisionnisme de Browder a trouvé écho et s’est introduit au sein du PC canadien, que les mêmes orientations et tendances y ont également pris le dessus. Il dénonce l’abandon des principes marxistes-léninistes et de la voie révolutionnaire au profit de la voie électorale et parlementaire.

McKean critique le programme du POP/PCC, qui se situe essentiellement sur le terrain du développement économique et du «partage de la richesse», son abandon de la lutte de classes et de la théorie léniniste de l’impérialisme et de l’État, et sa glorification de la démocratie bourgeoise. Il dénonce aussi son révisionnisme en matière organisationnelle et son abandon des cellules d’entreprises. McKean critique en outre le chauvinisme de grande nation qu’affiche le parti et défend le droit du Québec à l’autodétermination, y compris le droit à la sécession. Bien qu’il soit demeuré assez faible sur le «que faire?» et les perspectives de reconstruction du parti, Communism versus Opportunism demeure un classique que les révolutionnaires d’aujourd’hui devraient étudier.

À suivre…

Globalement, l’histoire du Parti communiste du Canada témoigne du fait que les révolutions sont un puissant stimulant pour la création et le développement des partis; c’est grâce à la révolution d’Octobre que la classe ouvrière canadienne a pu enfin voir la naissance de son premier parti d’avant-garde. Elle démontre aussi que le danger du révisionnisme demeure toujours présent à l’intérieur même de ses rangs, et que cette déviation s’appuie sur les espaces de légalité que peut offrir la démocratie bourgeoise, même quand ceux-ci sont restreints.

L’expérience du PCC nous rappelle l’importance de dégager et de s’appuyer sur une stratégie révolutionnaire adaptée aux conditions concrètes dans lesquelles l’action du parti se déploie, et de ne jamais y substituer la tactique. Un parti révolutionnaire a nécessairement besoin d’un programme révolutionnaire, et celui-ci doit obligatoirement s’appuyer sur une analyse claire des contradictions internes à la formation sociale qu’il se propose de révolutionner, ainsi que du rapport entre ces contradictions et les contradictions qui caractérisent la situation internationale.

On verra, dans les présentations qui suivront, quels ont été les impacts de la rupture sino-soviétique et de la grande lutte contre le révisionnisme moderne dans les années 1960, l’émergence du mouvement marxiste-léniniste au tournant des années 1970 et son effondrement au début des années 1980, puis l’apparition du maoïsme, son appropriation par une nouvelle génération militante et son incarnation dans l’existence et la pratique du Parti communiste révolutionnaire.

NOTES:

[1]  «Octobre 1917-1997. Le Canada, lui aussi ébranlé par Octobre», Socialisme Maintenant!, n° 3, automne 1997. En ligne: http://www.pcr-rcp.ca/fr/2497.

[2]  Les citations attribuées au PCC tout au long de cet article sont extraites de son histoire officielle: Le Parti du socialisme au Canada. L’histoire du Parti communiste du Canada 1921-1976, Montréal, Éditions Nouvelles frontières, 1985.

[3]  Selon les historiens Comeau et Dionne, les effectifs canadiens-français du parti ont augmenté de façon constante entre 1932 à 1947, passant de 40 à 500 membres, avant de décliner spectaculairement par la suite, comme tout le reste du parti. Voir Robert Comeau et Bernard Dionne, Le droit de se taire: Histoire des communistes au Québec, de la Première Guerre mondiale à la Révolution tranquille, Montréal, VLB éditeur, 1989. En ligne: http://classiques.uqac.ca/contemporains/comeau_robert/droit_de_se_taire/droit_de_se_taire.html.

[4]  Il s’agit de Raymond Boyer, un chimiste rattaché à l’Université McGill qui travaillait au développement d’un composé explosif et qui a témoigné avoir transmis des «informations confidentielles» aux Soviétiques par l’entremise de Fred Rose, tout en avouant que ces informations avaient de toute manière déjà été rendues publiques.

[5]  «Le GCO se fond au sein du Parti communiste canadien: la bête révisionniste (ou le révisionnisme bête) renaît de ses cendres», Socialisme Maintenant!, n° 4, printemps 1998. En ligne: http://www.pcr-rcp.ca/fr/2505.

[6]  «Brève histoire de la lutte pour la reconstruction d’un parti prolétarien», Unité prolétarienne, vol. 2, n° 1, octobre 1977.