La lutte pour le parti communiste complet
Les communistes révolutionnaires mettent de l’avant que pour faire la révolution, il faut un parti révolutionnaire, c’est-à-dire un parti d’avant-garde capable de regrouper les prolétaires les plus conscientEs de leurs intérêts de classe ainsi que touTEs les révolutionnaires qui adhèrent à la cause du prolétariat. Comme le dit le programme du PCR, «bâtir et édifier le nouveau Parti communiste révolutionnaire du prolétariat canadien: telle est la tâche numéro un à laquelle doivent œuvrer tous ceux et celles qui veulent en finir avec l’exploitation et l’oppression et qui veulent mettre fin au règne de la bourgeoisie canadienne».
La perspective qu’un parti révolutionnaire puisse à moyen terme unifier le prolétariat et le faire agir en tant que classe indépendante ne manque pas de susciter les craintes de la bourgeoisie. C’est parce que la révolution reste à faire que les révolutionnaires demeurent fermement attachéEs à la notion du parti. Ils et elles sont conscientEs que le parti communiste révolutionnaire est, pour le prolétariat, un instrument indispensable pour mener la lutte révolutionnaire et que l’absence d’un parti révolutionnaire a historiquement été la cause de sérieux problèmes lorsqu’il s’est agi d’affronter toute la puissance de la bourgeoisie et de mener contre elle une lutte de classes conséquente. Comme le dit Mao, «[p]our faire la révolution, il faut qu’il y ait un parti révolutionnaire. Sans un parti révolutionnaire, sans un parti fondé sur la théorie révolutionnaire marxiste-léniniste et le style révolutionnaire marxiste-léniniste, il est impossible de conduire la classe ouvrière et les grandes masses populaires à la victoire dans leur lutte contre l’impérialisme et ses valets.»
Tirant les leçons des expériences organisationnelles du mouvement communiste, nous ajoutons que le parti adéquat pour faire la révolution ne saurait être autre chose qu’un parti communiste complet, c’est-à-dire un parti qui ne se confine pas dans un seul champ de l’activité révolutionnaire, mais qui au contraire maîtrise tout le spectre – idéologique, politique, pratique, militaire – de la pratique révolutionnaire. Le parti complet, c’est le parti capable de diriger la guerre populaire prolongée jusqu’à la prise du pouvoir. Un tel parti, s’il aspire réellement à diriger la lutte du prolétariat, doit avoir préalablement gagné la maîtrise scientifique des conditions de la lutte. Il faudra par conséquent que ce parti éprouve ses propres capacités, qu’il accumule des forces et des acquis positifs et qu’il gagne, par le fait même, la confiance et l’adhésion du prolétariat révolutionnaire. Au moment de sa création, un parti communiste est nécessairement incomplet, c’est-à-dire que ses forces sont limitées et que sa maîtrise des formes de lutte et des moyens d’action requis pour faire la révolution est encore restreinte. C’est à travers le combat pour concrétiser ses perspectives, à travers l’affrontement avec l’ennemi de classe qu’il accumule de l’expérience et des capacités et qu’il les synthétise à un niveau supérieur (en actions plus fortes, en combats plus ambitieux, en organisations nouvelles, etc.), se complétant ainsi à mesure qu’il s’approche de la prise du pouvoir. Pour tendre vers le parti complet, une organisation doit mettre constamment ses forces en action afin de les tester, de leur faire gagner de l’expérience et de les amener à se dépasser et à acquérir de nouvelles aptitudes. Les militantEs d’une telle organisation doivent, dès le départ, accepter de se placer au cœur de la tempête et de payer de leur personne en participant concrètement à lutte contre la bourgeoisie et son État.
Loin de n’être que des phrases creuses, la lutte pour édifier le parti révolutionnaire complet est un travail de longue haleine, concret, méthodique et précis qui doit être mené de manière soutenue. Il s’agit de faire en sorte que l’expérience qui s’accumule en ce moment à travers les différentes luttes auxquelles participent les prolétaires et les révolutionnaires serve à cimenter les liens entre le parti et le prolétariat autour d’une stratégie révolutionnaire commune: la guerre populaire prolongée. Cela fixe d’avance certaines des tâches à accomplir: d’une part, il s’agit de rallier les éléments d’avant-garde du prolétariat et d’autre part, il s’agit de commencer à mettre en place dès maintenant des façons de faire qui vont permettre au parti de se doter le plus tôt possible des capacités nécessaires pour exercer pleinement son rôle d’avant-garde dans le processus de la révolution prolétarienne au Canada. Parmi ces façons de faire, on peut mentionner 1) la mise en place de cellules actives sur le territoire – dont l’activité interne est strictement cloisonnée, mais qui ont un grand rayonnement parmi les masses –, 2) la formation de militantEs capables de se soumettre à la plus grande discipline, aptes à jouer le rôle d’organisateurs et d’organisatrices maoïstes au sein du prolétariat et ayant la capacité de défendre en toutes circonstances la ligne du parti et de l’appliquer, 3) la construction verticale d’une structure centralisée capable de réagir rapidement à toutes les situations, ou encore 4) la multiplication d’actions et d’initiatives (par exemple, le boycott offensif des élections bourgeoises) s’inscrivant dans une progression politique qui incorpore un nombre grandissant de prolétaires et qui vise à avancer vers le déclenchement de la guerre populaire.
Toutefois, la question du parti ne se pose pas dans le vide. Elle se pose dans une période historique particulière qui est celle du capitalisme dominant et de l’hégémonie de la démocratie bourgeoise – la forme par laquelle la bourgeoisie impose son pouvoir dans la société capitaliste. C’est aussi une période marquée par les défaites subies par les premières expériences historiques de lutte pour le socialisme. L’apparente suprématie du monde capitaliste, tout comme les reculs enregistrés par le mouvement communiste, a favorisé l’apparition et la multiplication d’organisations et d’idéologies qui ont en commun de tenter de libérer les individus en idées (donc à l’intérieur du capitalisme) plutôt que par une modification des conditions matérielles.
De fait, de nombreuses années de propagande anti-communiste ont nourri une forte tendance au subjectivisme qui tend à morceler la lutte générale contre le capital en une multitude de luttes spécifiques, ne permettant plus d’unité, mais accentuant plutôt les particularités. Au lieu de favoriser l’émergence d’une conscience de classe forte parmi les exploitéEs, ce subjectivisme, qui est hostile à l’idée même du parti prolétarien, a favorisé – en particulier dans les pays capitalistes avancés – l’émergence de formes d’organisation qui empruntent au radicalisme petit-bourgeois. Or, en ne voyant que le particulier, le localisé et le spécifique, ce mouvement en vient à récuser par le fait même les liaisons qui existent entre les luttes, négligeant leurs points de rencontre et contribuant ainsi à l’isolement de chacune d’elles.
On peut donc dire que les conditions qui prévalent actuellement dans les pays impérialistes posent des obstacles sérieux à la construction du parti communiste complet. Les courants petits-bourgeois sont parvenus à faire disparaître les perspectives révolutionnaires, à remplacer le point de vue prolétarien et même à nier l’existence de la classe ouvrière. Il faut désormais mener une lutte à contre-courant pour remettre à l’avant-plan les vérités marxistes démontrées par l’histoire, notamment les concepts de classe sociale, de mode de production, de prolétariat, de prise du pouvoir, de socialisme et en particulier celui de parti d’avant-garde centralisé (le parti léniniste). Bref, il faut populariser à nouveau les mots et le langage de lutte de classes. Aussi, il n’existe plus aujourd’hui de bassin de prolétaires ou d’intellectuelLEs communistes qu’il suffit de rallier au parti. Il n’y a pas de collectifs, de cercles ou d’organisations marxistes qu’on peut rassembler comme c’était le cas au temps de Lénine. Au contraire, tout est à construire: le parti doit former complètement à l’intérieur de ses rangs les militantEs communistes. Autrement dit, sans parti, il n’y aurait pas de communistes révolutionnaires au Canada. C’est donc dire qu’il ne faut pas attendre d’avoir rassemblé suffisamment de communistes avant de fonder le parti, puisque c’est le parti qui les fait exister! De plus, les militantEs communistes en devenir sont appeléEs à combattre constamment les réflexes induits par la démocratie bourgeoise (soumission des intérêts de classe à la légalité capitaliste, atténuation de la volonté de lutter, tendance à l’individualisme, passivité, etc.) s’ils et elles aspirent à adopter une position de classe prolétarienne ferme. Il faut cultiver consciemment la haine de classe, le sentiment d’abnégation et l’enthousiasme vis-à-vis de la lutte.
Le mouvement communiste est faible dans les pays impérialistes. C’est une faiblesse qui perdure depuis la fin des années 1970 lorsque les grandes organisations marxistes-léninistes sont disparues, et ce, bien avant d’être devenues de réelles menaces pour l’ordre bourgeois. Il y a eu une rupture dans la transmission de l’expérience, rupture induisant aujourd’hui, chez certainEs militantEs, une difficulté à aborder correctement la question du parti: soit qu’on sous-estime son importance, soit qu’on ne cherche pas à maîtriser la manière concrète de le construire. En effet, bien que l’idée selon laquelle il faut un parti pour faire la révolution soit partagée en principe par les communistes, il n’en demeure pas moins qu’en pratique, nombreuses sont les organisations qui, dans les pays capitalistes, négligent ou sous-estiment la tâche concrète de construire une organisation révolutionnaire capable de diriger les masses prolétariennes. Aussi, au lieu d’en saisir le caractère stratégique indéniable – donc au lieu d’en faire une tâche prioritaire –, la lutte pour construire le parti de la révolution est plus souvent qu’autrement abordée de façon mécanique et idéaliste.
On trouve de nombreux exemples tirés de la réalité contemporaine où le travail pour bâtir une puissante organisation révolutionnaire prolétarienne se limite essentiellement à copier unilatéralement l’expérience accumulée par les autres sans réellement la maîtriser. Pire encore, les particularités (la conjoncture, les rapports de classes, la situation économique, la situation sociale, etc.) qui ne manquent pas d’accompagner toute expérience historique sont trop souvent occultées. Ce faisant, on ne maîtrise pas réellement l’expérience historique du prolétariat; on ne fait qu’en sélectionner certains aspects généraux. Or, se limiter à la reproduction mécanique des thèses générales tirées de l’histoire du mouvement communiste, c’est au final ne faire qu’une partie du travail nécessaire pour faire avancer la révolution et, surtout, c’est en retirer le contenu politique vivant. Bref, cela revient à ne pas tenir compte des avertissements lancés par deux des plus grands praticiens de la révolution que sont Lénine et Mao. En effet, Lénine souligne dans Que faire? qu’«il ne suffit pas simplement de connaître cette expérience ou de se borner à recopier les dernières résolutions: il faut pour cela savoir faire l’analyse critique de cette expérience et la contrôler soi-même.» Autre lieu, autre temps, Mao dit la même chose lorsqu’il fixe aux révolutionnaires la tâche de vérifier les conclusions tirées par les autres: «[À] l’aide de notre expérience, assimiler ce qu’elles offrent d’utile, rejeter ce qu’on y trouve d’inutile et ajouter ce qui n’est propre qu’à nous-mêmes.» (Problèmes stratégiques de la guerre révolutionnaire)
L’absence du travail nécessaire et difficile d’assimilation révolutionnaire de l’expérience historique du prolétariat appauvrit le marxisme. En escamotant tout le travail qui justement rend possible l’analyse et le contrôle de l’expérience (approfondissement du marxisme), on se retrouve nécessairement poussé vers l’opportunisme et on finit par adopter une pratique somme toute caricaturale qui consiste à rechercher des recettes pour faire la révolution. Avoir la velléité de suivre une recette, c’est vouloir répéter l’histoire sans rien y changer. Or, comme le soulignait Marx – corrigeant par le fait même Hegel –, l’histoire ne se répète jamais deux fois. C’est pourquoi le marxisme-léninisme-maoïsme (MLM) doit être considéré avant tout comme un guide pour l’action, une science de la révolution.
Les développements politiques les plus significatifs sont toujours précédés par une appropriation inspirée et profonde de la théorie révolutionnaire sous la forme d’une actualisation, ou pour le dire comme Lukacs, «[l]’actualisation de la révolution prolétarienne constitue le noyau de la doctrine marxiste.» (La pensée de Lénine) Pour en revenir encore une fois à l’expérience historique, il est significatif de constater qu’on retrouve un dénominateur commun à toutes les expériences positives, à savoir que le parti révolutionnaire fait tout en son pouvoir pour s’assurer la maîtrise complète de son propre développement et que par conséquent, il se fixe comme objectif prioritaire de se libérer des limites qui sont imposées par l’ordre bourgeois. C’est en effet à partir de ses propres initiatives, donc à travers l’application vivante de sa ligne politique, qu’un parti révolutionnaire parvient à surmonter de façon consciente le difficile passage d’un parti ayant des capacités minimales à un parti complet ayant accumulé, lors de nombreux combats, une somme importante d’expérience révolutionnaire, c’est-à-dire un parti ayant mis à l’épreuve ses organisations, ses structures, son membership d’organisateurs et d’organisatrices prolétarienNEs, et ce, à même la lutte des classes. Lénine précise dans Que faire?: «[L]a classe ouvrière doit avoir une connaissance précise des rapports réciproques de la société contemporaine, connaissance non seulement théorique… disons plutôt: moins théorique que fondée sur l’expérience de la vie politique.» Le mot clé à retenir ici est expérience. L’expérience, c’est d’abord le fait d’acquérir, volontairement ou non, la connaissance des êtres et des choses par la pratique et par une confrontation de soi avec le monde. L’expérience, c’est aussi le résultat de cette acquisition, la maîtrise de l’ensemble des connaissances concrètes accumulées: des capacités. Ce gain en expérience, on peut le valider empiriquement par la qualité et la quantité des liens solides et variés qu’entretient le parti avec les masses prolétariennes et par sa capacité à les diriger dans l’action.
Historiquement, la lutte des classes fait apparaître une fraction résolue de prolétaires capable d’entraîner l’ensemble du prolétariat. Ces prolétaires ont non seulement la volonté de s’organiser, mais aussi se distinguent du fait qu’ils et elles possèdent «l’avantage d’une intelligence claire des conditions, de la marche et des fins générales du mouvement prolétarien» (Manifeste du Parti communiste). C’est cette fraction résolue qui donne naissance à une forme supérieure d’organisation du prolétariat capable d’enregistrer le bond en avant qualitatif accompli par le mouvement pratique réel: le parti communiste révolutionnaire.
Le parti communiste révolutionnaire n’est pas une forme organisationnelle parmi d’autres, syndicales ou associatives. Il est la forme suprême d’organisation de la classe ouvrière, celle qui lui permet de prendre pied dans la lutte proprement politique en montrant quelles transformations radicales sont nécessaires et possibles dans un contexte donné, et aussi, en en organisant les moyens. C’est ce qui fait que le parti révolutionnaire est d’emblée un protagoniste de la lutte politique. Cette conception entraîne une série de conséquences, non seulement stratégiques mais aussi pratiques et qui impliquent au moins deux choses: 1) comprendre les conditions de la lutte; 2) appliquer toutes les formes objectives d’action révolutionnaire en tenant compte de ces conditions.
Pour commencer, un parti qui se fixe pour tâche de contribuer à organiser la révolution communiste doit évidemment savoir ce qu’elle est, quelles en sont les conditions déjà réalisées comme celles encore à réaliser. Cela peut paraître une évidence, mais c’est ce qui distingue néanmoins les grandes tendances qu’on retrouve dans le prolétariat. En effet, réfléchir sur les conditions de la révolution et du socialisme n’a pas de sens pour le réformisme puisque pour ce dernier, ce qui importe, c’est le mouvement, car «le but n’est rien».
Le parti communiste, c’est la fusion entre la théorie révolutionnaire – l’héritage du mouvement communiste international – et la pratique révolutionnaire. L’unité politique des militantEs d’un parti se forge autant au niveau de la compréhension politique que de la pratique réelle. Après avoir été adoptés, son programme, ses plans et ses perspectives doivent être appliqués dans la lutte des classes. À un certain stade, une pratique conséquente permet une accumulation de forces nouvelles et durables: des membres, des structures, des luttes et surtout, de l’expérience. Cette expérience directe est ce qui permet la permanence, la durée, la longévité, le développement, le renforcement, etc. Inversement, le peu d’expérience accumulée dans la lutte des classes marque les limites d’une organisation, ce qui explique notamment la faiblesse, dans les pays impérialistes, des organisations se revendiquant du MLM. En effet, le gros de leur expérience est pour ainsi dire importé des livres et de l’histoire.
Pour faire la révolution, nous avons besoin d’un parti complet, un parti qui est en mesure de prendre complètement en charge sa propre construction à même la lutte des classes. Ainsi donc, un parti complet, en regard de la révolution communiste, c’est un parti ayant des capacités idéologiques, théoriques, propagandistes, militaires, etc. Ces capacités ne surgissent pas spontanément ni aléatoirement: ce sont des capacités qui sont gagnées par l’expérience indirecte (étude) et directe (pratique), par la mise à l’épreuve (pratique) et la théorisation (étude) de cette mise à l’épreuve. Il s’agit donc d’une perspective de construction du parti qui est matérialiste et dialectique et qui sous-entend que tout ce que nous accumulons comme forces – organisations, capacités à diriger les masses, capacités de propagande, etc. – doit continuellement être mis à l’épreuve et validé dans la lutte des classes.
Une autre façon d’aborder la question est de considérer le parti complet comme étant un parti capable de réaliser les tâches que la réalité objective pose devant lui. À cet effet, la lutte des classes, à travers l’histoire, fournit de nombreux exemples de partis capables de saisir, au moment opportun, les occasions historiques qui se présentent et, inversement, de partis qui en sont incapables. Par exemple, le parti bolchévique, sous la direction de Lénine, a positivement su faire l’analyse de la période historique (impérialisme, guerre mondiale), saisir que la Russie représentait le maillon faible de toute la chaîne des puissances impérialistes et adopter les moyens d’action correspondant aux impératifs de la lutte (le parti, l’insurrection et la guerre civile). Pour ce faire, il a fallu auparavant accepter de mener, pendant de nombreuses années, un travail révolutionnaire constant, c’est-à-dire mener la lutte théorique et pratique pour faire émerger les forces capables de renverser le régime autocratique russe. Inversement, les mencheviks, qui pourtant évoluaient eux aussi dans les mêmes circonstances que Lénine, ont été incapables de mener un tel travail.
En somme, le parti révolutionnaire accumule des forces, acquière des capacités nouvelles et les convertit. Plus précisément, en organisant les masses prolétariennes, le parti se transforme en force politique réelle, et par la lutte des classes, il transforme sa force politique (ses militantEs, ses fronts, ses organisations, ses liens avec les masses, etc.) en puissance politique, c’est-à-dire en mots d’ordre, en initiatives, en campagnes et en combats. Or, comme chacun le sait, une force peut trouver à s’exercer ou non et par conséquent, il faut prendre soin de distinguer une puissance réelle d’une puissance potentielle.
Pour devenir une puissance politique, il faut maîtriser non seulement une forme de lutte spécifique, mais l’ensemble des formes objectives de la lutte révolutionnaire. Autrement dit, la radicalité théorique des communistes, «[l’]intelligence claire des conditions, de la marche et des fins générales du mouvement prolétarien» existe seulement dans la radicalité pratique d’être «la fraction la plus résolue […] qui stimule toutes les autres» (Manifeste du Parti communiste). En ce sens, il faut s’investir non seulement dans l’éducation politique et la propagande, mais il faut aussi traduire cette propagande dans l’action révolutionnaire. Il ne faut pas seulement s’intéresser aux luttes immédiates, mais il faut partir de ces luttes pour développer la lutte révolutionnaire. C’est en maîtrisant les formes objectives de la lutte révolutionnaire et en organisant les masses les plus nombreuses que l’activité même du parti révolutionnaire lui permet de se compléter. Aussi, ce processus du passage de parti incomplet à parti complet ne peut-il se faire qu’à travers la lutte révolutionnaire avec les masses contre l’ordre bourgeois.
La maîtrise de la lutte idéologique est une nécessité pour le parti révolutionnaire dans la mesure où, pour se constituer en classe, le prolétariat doit s’affranchir de l’influence qu’exerce sur lui l’idéologie bourgeoise, c’est-à-dire l’idéologie dominante dans la société capitaliste. Or, certainEs s’imaginent pouvoir s’affranchir des obligations de la lutte révolutionnaire en développant une lutte de classe qui serait strictement «idéologique» et qui consisterait pour l’essentiel à opposer des idées marxistes aux idées bourgeoises. Ces partisanEs de la lutte idéologique à outrance s’imaginent que, par la seule force des idées, le prolétariat va prendre conscience de la réalité du capitalisme et qu’il va se mettre à lutter tout de go pour son abolition immédiate. Cette façon de voir – surtout parce qu’elle est partielle et incomplète – est problématique du simple fait qu’elle pousse les organisations révolutionnaires à n’adopter que des pratiques qui se limitent à la seule sphère idéologique ou culturelle.
Constatons que l’idéologie de la classe dominante n’empêche pas automatiquement la lutte des prolétaires: simplement, elle en limite la portée en faisant en sorte que cette lutte va demeurer dans des limites acceptables pour le capitalisme, ou pour le dire autrement, que toutes les luttes prolétariennes seront contenues et ne se développeront pas au-delà d’un point où il serait possible d’envisager la remise en cause de l’existence même des rapports sociaux capitalistes. En somme, rien ne doit venir menacer les mécanismes de reproduction de la société capitaliste.
Il faut certes prendre conscience que l’idéologie bourgeoise représente une barrière réelle au développement d’une conscience de classe prolétarienne indépendante. En effet, le progrès de la lutte révolutionnaire est intimement lié au progrès des idées et analyses révolutionnaires. Notamment, il faut que les idées révolutionnaires aient été introduites et soient devenues hégémoniques dans le prolétariat. C’est donc une des tâches du parti révolutionnaire d’orienter et d’organiser une quantité de plus en plus importante de prolétaires autour des idées de la révolution et du socialisme. Cela est une évidence pour touTEs ceux et celles qui luttent pour l’abolition du capitalisme. Or pour rallier les forces les plus nombreuses, le parti révolutionnaire ne doit pas se limiter à la seule sphère idéologique, mais doit plutôt unir de façon vivante et créative le contenu révolutionnaire à l’activité révolutionnaire. Le parti doit simultanément interpeller et combattre, dire et agir. C’est cette cohérence entre les idées et les actions qui rend possible l’émergence d’un puissant mouvement révolutionnaire.
À l’étape actuelle, le travail de propagande politique à grande échelle est une des principales tâches que doit réaliser le parti révolutionnaire s’il veut devenir un parti complet. En effet, la propagande politique, dans la mesure où elle permet aux prolétaires d’identifier clairement la bourgeoisie comme ennemi de classe, s’avère un puissant outil de consolidation de la conscience de classe des prolétaires et de leur mobilisation, à condition qu’elle popularise aussi l’action à entreprendre contre l’ennemi de classe. Ce serait une erreur de considérer que la propagande politique se limite à révéler aux exploitéEs qu’ils sont exploitéEs, ou bien de concevoir son rôle comme étant celui d’opposer des idées «progressistes» à des idées «réactionnaires» et de croire ainsi que cela suffit à faire s’écrouler l’emprise de l’idéologie bourgeoise dominante et à mener au renversement du capitalisme réel. En effet, concevoir la propagande politique seulement sous l’angle de la dissémination des idées révolutionnaires, c’est oublier que la propagande joue aussi un rôle d’organisateur collectif. Pire encore, c’est perdre de vue qu’entre les désirs révolutionnaires et les conditions objectives de la révolution, il existe une distance qui ne saurait être comblée autrement que par l’action révolutionnaire, et inversement, que la lutte idéologique, sans l’action révolutionnaire, est orpheline, ce qu’illustre parfaitement la pléthore d’organisations communistes dont l’activité principale est de pulluler sur internet (comme par exemple les opportunistes canadiens).
Concevoir la lutte idéologique comme principalement une lutte entre des idées repose sur une sous-estimation des conditions concrètes de la lutte contre l’idéologie dominante. Il n’est pas difficile de constater que les moyens de production et de diffusion des idées sont en très grande majorité sous le contrôle direct ou indirect de la bourgeoisie. Peut-être faut-il le rappeler, les sociétés capitalistes modernes reposent sur le maintien d’une certaine paix sociale, garantie entre autres par un compromis entre la bourgeoisie et une importante fraction de la petite-bourgeoisie, laquelle a troqué la révolution des masses contre l’obtention d’une série de droits (droit de parole, droit d’association, droit de critique, etc.) Ceux-ci font en sorte qu’il est maintenant possible de dénoncer les méfaits de telle ou telle entreprise, tel ou tel bourgeois, tel ou tel politicien, etc., sans que, toutes choses étant égales par ailleurs, rien ne change réellement.
Pour jouer un rôle positif, un rôle révolutionnaire, il faut que la propagande communiste s’incarne dans une pratique conséquente qui matérialise les idées justes. En ce sens, le parti révolutionnaire est le parti de la révolution haïssable, c’est-dire la révolution que la bourgeoisie ne peut tolérer, voire qui ne fait pas immédiatement l’unanimité chez la majorité des prolétaires. Marx avait d’ailleurs établi cette distinction lors des événements de juin 1848 à Paris, distinction entre la révolution des mots et du vide, soit «la belle révolution, la révolution de la sympathie générale», et la révolution réelle, soit «la révolution haïssable, la révolution répugnante, parce que la chose a pris la place de la phrase» (Les luttes de classes en France). Un tel parti s’assure que ses appels (sa propagande) contribuent à ce que la chose même (la révolution) remplace les discours généraux sur les méfaits du capitalisme. Autrement dit, il ne se contente pas de dénoncer le capitalisme: il en organise activement la destruction.
La théorie révolutionnaire est absolument nécessaire pour éclairer et orienter la lutte révolutionnaire, car elle permet de démasquer les causes réelles des méfaits du capitalisme. Toutefois, la théorie, laissée à elle-même, ne peut qu’aboutir à des résultats limités: elle permet d’anticiper en idées ce qui doit être fait pour abolir le capitalisme, mais ces idées restent à réaliser. Autrement dit, la théorie ne peut, par ses propres moyens, supprimer le capitalisme. Néanmoins, la théorie s’avère un élément vital et fondamental qui contribue à cimenter la conscience de classe et qui entre dans le développement et l’organisation des forces révolutionnaires. Comme l’indiquait Lénine, «[s]ans théorie révolutionnaire, pas de mouvement révolutionnaire» (Que faire?). La théorie est l’outil indispensable pour faire «l’analyse concrète de la situation concrète», c’est-dire l’analyse précise des conditions existantes, sans laquelle il est impossible de saisir les circonstances, la situation de toutes les classes et les rapports entre elles. En orientant l’activité des révolutionnaires, la théorie justifie la nécessité de la lutte révolutionnaire, lui donne un contenu et oriente sa progression.
Cela dit, la théorie révolutionnaire ne peut se développer que si la lutte des classes se développe, ce qui nous ramène au lien entre la théorie et la pratique. C’est la lutte réelle qui provoque les transformations dans la conscience politique des prolétaires. Aussi, les questionnements théoriques surgissent au fur et à mesure que les besoins pratiques en engendrent la nécessité, car comme l’indique Marx, «[i]l ne suffit pas que la pensée pousse à se réaliser, il faut que la réalité pousse elle-même à penser» (Critique du droit politique hégélien). La condition pour que le prolétariat s’empare de la théorie révolutionnaire, c’est-à-dire de la théorie que les révolutionnaires introduisent dans ses rangs, c’est qu’elle contribue à comprendre, et ultimement à résoudre, les problèmes qui surgissent lors des luttes. Surtout, il faut que la théorie révolutionnaire soit portée par des militantEs révolutionnaires, que ces militantEs soient liéEs aux prolétaires et que cette liaison, pour prendre forme, débouche sur l’action révolutionnaire.
En somme, le parti communiste qui vise à devenir un parti complet doit:
• Se construire de manière à être éventuellement en mesure de déclencher et de diriger la guerre populaire;
• Faire fusionner la théorie révolutionnaire avec la pratique révolutionnaire;
• Former ses militantEs comme organisateurs et organisatrices révolutionnaires, capables d’entraîner le prolétariat à l’action et de le diriger;
• Mettre constamment à l’épreuve de la pratique les forces qu’il accumule;
• Concrétiser son programme et ses perspectives à travers une série d’initiatives politiques qui le font progresser vers la guerre populaire;
• Chercher à maîtriser toutes les formes d’action révolutionnaire.